Transmission de données personnelles sans autorisation : aucun préjudice
Transmission de données personnelles sans autorisation : aucun préjudice
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Dans le cadre d’une mission de gestion de patrimoine, attention à obtenir l’accord du client avant toute transmission de son dossier à des tiers. Néanmoins, en cas de transmission non autorisée, le client doit établir l’existence de son préjudice.

Résumé de l’affaire

La société C&O DU PATRIMOINE a assigné Madame [R] devant le Tribunal judiciaire de LYON pour obtenir le paiement de 12 000 euros en exécution d’une lettre de mission. La société affirme avoir prodigué des conseils adaptés à la situation de la défenderesse, notamment en lui déconseillant une solution de viager et en lui proposant une vente de la nue-propriété de son appartement. Madame [R], âgée de 84 ans, affirme avoir été démarchée de manière harcelante par la société et conteste les honoraires perçus en 2018 et en 2021. Elle accuse la société d’abus de faiblesse et de violation de la protection des données à caractère personnel. L’affaire a été mise en délibéré pour le 19 mars 2024.

Les points essentiels

Sur l’étendue de la saisine

Les demandes de « constater » et de « donner acte » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, pas plus que les demandes de « dire et juger » lorsqu’elles développent en réalité des moyens. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces demandes dont le tribunal n’est pas saisi.
En outre, en vertu de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

Sur la demande en nullité des deux lettres de mission pour abus de faiblesse formée par Madame [R]

Il y a lieu d’examiner cette demande reconventionnelle en premier lieu, la demande en paiement formée par la société C&O DU PATRIMOINE étant sans objet, s’il y était droit.

L’article L132-13 du code de la consommation dispose que le contrat conclu à la suite d’un abus de faiblese est nul et de nul effet.

Trois conditions sont donc nécessaires pour que la nullité du contrat soit encourue à ce titre :
-Le consommateur doit être en situation de faiblesse ou d’ignorance ;
-Le consommateur doit avoir souscrit un engagement ;
-Le professionnel doit avoir commis un abus.

En l’espèce, la demande de nullité des lettres de mission est rejetée faute de preuves d’abus de faiblesse.

Sur la demande en paiement formée par la société [R]

Madame [R] est condamnée au paiement de la facture demandée par la société C&O DU PATRIMOINE, en raison de l’exécution des prestations prévues dans les lettres de mission.

Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la protection des données à caractère personnel formée par Madame [R]

La demande de dommages et intérêts pour violation de la protection des données à caractère personnel est rejetée faute de preuves de préjudice.

Sur les demandes accessoires

Madame [R] est condamnée à supporter les dépens et à verser des frais irrépétibles à la société C&O DU PATRIMOINE.

Sur l’exécution provisoire

L’exécution provisoire est maintenue dans cette affaire.

Les montants alloués dans cette affaire: – Madame [J] [R] est condamnée à régler à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 12 000 euros
– Madame [J] [R] est condamnée à verser à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– Madame [J] [R] est condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure, avec distraction au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code de la consommation
– Code civil

Article 4 du code de procédure civile:
Les demandes de « constater » et de « donner acte » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, pas plus que les demandes de « dire et juger » lorsqu’elles développent en réalité des moyens. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces demandes dont le tribunal n’est pas saisi.

Article 768 du code de procédure civile:
Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

Article L132-13 du code de la consommation:
Le contrat conclu à la suite d’un abus de faiblesse est nul et de nul effet.

Article L121-8 du code de la consommation:
Le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire des engagements au comptant ou à crédit est considéré comme un abus de faiblesse.

Article 1103 du code civil:
Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Article 1217 du code civil:
La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté peut refuser d’exécuter son obligation, poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat ou demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Article 1219 du code civil:
La partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Article 700 du code de procédure civile:
Le juge peut condamner la partie tenue aux dépens à payer une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 514 du code de procédure civile:
Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Eric ROZET
– Maître Céline DAILLER

Mots clefs associés & définitions

– Nullité
– Abus de faiblesse
– Contrat
– Faiblesse
– Engagement
– Abus
– Honoraires
– Données personnelles
– Protection des données
– Dommages et intérêts
– Nullité : caractère de ce qui est nul, invalide ou non conforme à la loi
– Abus de faiblesse : exploitation de la vulnérabilité ou de la fragilité d’une personne pour obtenir un avantage
– Contrat : accord entre deux ou plusieurs parties qui crée des obligations juridiques
– Faiblesse : état de fragilité physique, psychologique ou moral
– Engagement : promesse ou obligation contractuelle
– Abus : utilisation excessive ou injuste de quelque chose
– Honoraires : rémunération perçue par un professionnel pour ses services
– Données personnelles : informations permettant d’identifier une personne physique
– Protection des données : ensemble des mesures visant à garantir la confidentialité et la sécurité des données personnelles
– Dommages et intérêts : réparation financière accordée à une victime pour compenser un préjudice subi

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 mars 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG n°
22/07131
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 9 cab 09 F

R.G N° : N° RG 22/07131 – N° Portalis DB2H-W-B7G-XC46

Jugement du 19 Mars 2024

N° de minute

Affaire :

S.A.R.L. C&O DU PATRIMOINE
C/
Mme [J] [R]

le:

EXECUTOIRE + COPIE

la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST

Me Céline DAILLER
– 3214

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du
19 Mars 2024 le jugement contradictoire suivant,

Après que l’instruction eut été clôturée le 19 Octobre 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 06 Février 2024 devant :

Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente,
siégeant en qualité de Juge Unique,

Assistée de Danièle TIXIER, Greffière,

Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant :

DEMANDERESSE

S.A.R.L. C&O DU PATRIMOINE,
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Eric ROZET de la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocats au barreau D’AIN

DEFENDERESSE

Madame [J] [R]
née le 19 Mai 1939
demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Céline DAILLER, avocat au barreau de LYON

EXPOSE DU LITIGE

Par acte d’huissier de justice du 16 août 2020, la société C&O DU PATRIMOINE, anciennement dénommée VG COURTAGE, a assigné Madame [R] devant le Tribunal judiciaire de LYON afin d’obtenir le paiement de la somme de 12 000 euros en exécution d’une lettre de mission du 21 avril 2021.

Au terme de ses dernières écritures, notifiées par RPVA le 23 juin 2023, la SARL C&O DU PATRIMOINE sollicite, sur le fondement des articles 1110 et suivants du code civil, de :
– Condamner Madame [J] [R] à payer à la société C&CO DU PATRIMOINE la somme de 12 000 euros,
– Débouter Madame [J] [R] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
– La condamner au paiement de la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens avec application, au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle affirme d’abord être en relation avec la défenderesse, ne l’ayant jamais démarchée, celle-ci étant sa cliente depuis 2001, tout comme sa mère avant elle.
Elle précise que Madame [R] envisageait de mettre en viager sa résidence principale, de sorte qu’elle s’est rapprochée d’elle pour une consultation. La société VG COURTAGE a établi une première lettre de mission et un rapport de mission lui déconseillant cette solution, par manque de rentabilité, lui proposant une mission complémentaire par avenant.
Elle affirme que la seconde lettre de mission signée le 21 avril 2021 visait à faire le point sur l’organisation globale de son patrimoine, non pas pour organiser sa retraite mais pour préparer sa succession, compte-tenu de son âge et de sa situation familiale. Elle soutient qu’une solution d’investissement lui était conseillée consistant en la vente de la nue-propriété de son appartement de [Localité 4] à la société MONETIVA. Le rendez-vous fixé chez le Notaire le 07 janvier 2022 a été annulé, selon elle, du fait de l’intervention du neveu de Madame [R], Monsieur [M], qui contestait la valeur de cession de la nue-propriété.

La société C&O DU PATRIMOINE prétend que les honoraires perçus en 2018 sont bien fondés, qu’ils ont été convenus et payés, ces derniers étant libres, Madame [R] disposant de toutes ses capacités pour signer la lettre de mission.
Elle précise que la société 3 COLONNES a été consultée sur la valeur du bien, qu’elle a recommandé de ne pas opter pour cette solution de viager qui pénaliserait les héritiers sans pour autant apporter une sécurité financière plus confortable pour la défenderesse.
Elle considère donc qu’un honoraire de 1800 euros, contre les plus de 210 000 euros qu’aurait coûtée la solution 3 COLONNES était parfaitement mesuré. Elle relève qu’ils ne sont donc pas excessifs, le tribunal n’ayant pas à juger de leur quantum, la prestation de conseil ayant bien été réalisée.

Concernant le rapport de 2021, elle souligne que la cession de la nue-propriété de l’appartement devait permettre à Madame [R] de replacer les fonds dans un groupement d’investissement forestier, fiscalement avantageux en termes de droits de succession. Elle considère que le conseil donné a été mal compris par les successibles.
Elle en déduit à nouveau que les honoraires convenus n’étaient pas excessifs, compte du patrimoine de Madame [R], supérieur à 1 million d’euros, au temps passé sur le dossier (90 heures), au gain pour les successibles supérieurs à 100 000 euros.

S’agissant de la demande reconventionnelle en nullité de la lettre de mission, elle conclut que la défenderesse n’indique pas le motif de nullité invoqué.

Concernant les dommages et intérêts pour abus de faiblesse, elle rappelle avoir proposé à Madame [R] des solutions patrimoniales parfaitement adaptées à sa situation, relevant que la défenderesse ne verse en tout état de cause aucune pièce à ce titre.

S’agissant de la violation de la protection des données à caractère personnel alléguée, elle relève que Madame [R] n’est pas l’autorité de contrôle, qu’elle n’explique pas en quoi elle se serait rendue coupable d’une violation de confidentialité en la mettant en relation avec la société 3 COLONNES qui est une société sans but lucratif.

Elle conclut qu’il n’y a aucun abus de sa part d’engager la présente procédure, rappelant qu’elle n’a pas encaissé le chèque en sa possession, le neveu de Madame [R] lui ayant d’ailleurs indiqué être prêt à régler des honoraires.

Madame [J] [R] sollicite sur le fondement des articles L132-13 du code de la consommation, de l’article 1217 du code civil, du règlement européen du 25 mai 2018 relatif à la protection des données à caractère personnel, outre la loi n°78-17 du 06 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et notamment dans sa nouvelle rédaction depuis le 1er janvier 2019, de :

– Débouter la société C&O DU PATRIMOINE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A TITRE RECONVENTIONNEL :
– Prononcer la nullité des lettres de missions des 22 février 2018 et 21 avril 2021 signées par Madame [R],
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à lui payer la somme de 1800 euros à titre de remboursement de la première prestation du 22 février 2018 non justifiée avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation et avec capitalisation des intérêts ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à payer à Madame [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, compte-tenu de l’abus de faiblesse caractérisé avec intérêts au taux légal à compter de
l’assignation et avec capitalisation des intérêts ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à payer à Madame [R] la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts, compte-tenu de la violation de la protection des données à caractère personnel, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation et avec capitalisation des intérêts ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à payer la somme de 10 000 euros à titre d’amende civile au profit du Trésor public en raison de la procédure abusive entreprise ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à payer à Madame [R] la somme de 10 000 euros en raison de la procédure abusive entreprise avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation et avec capitalisation des intérêts ;
– Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE à payer à Madame [R] la somme de 5 000 euros à titre d’indemnité prévue à l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société C&O DU PATRIMOINE aux entiers dépens.

Elle affirme, alors qu’elle est âgée de 84 ans, qu’elle vit seule, avoir été démarchée de manière continue et harcelante par Monsieur [U], gérant de la société C&O DU PATRIMOINE, connaissance de longue date, afin d’obtenir la gestion de son patrimoine.
Elle précise n’avoir pourtant jamais été en demande ni d’une mission d’ordre patrimoniale, ni d’un audit d’investissement, n’ayant reçu aucune explication claire d’une telle mission et de ses objectifs, aucun exemplaire ne lui ayant été remis, lors de la signature de celle-ci le 22 février 2018. Elle considère donc que l’honoraire de 1800 euros est excessif, compte-tenu de la prestation réalisée.
Elle affirme avoir de nouveau été sollicitée pour souscrire une nouvelle lettre de mission en 2021, consistant selon elle en un « copier-coller » de la première assortie de quelques aménagements mais avec une réalisation de la prestation éloignée de ce qui a été proposé par la société C&O DU PATRIMOINE, sans « Analyse du viager » mais pour des honoraires de 12 000 euros.
Elle reproche à la société C&O DU PATRIMOINE de ne pas l’avoir informée, lors de la signature de la mission initiale de 2018, que celle-ci devrait être suivie d’une mission complémentaire, prétendant pourtant avoir réduit de moitié ses honoraires, pour la contraindre à céder sa résidence principale, en échange d’une commission de près de 37 000 euros.
Elle conclut à l’absence de fondement des honoraires perçus et réclamés tant en 2018 qu’en 2021, la prestation étant inexistante tant sur la forme que sur le fond du rapport, la requérante ne justifiant en rien de la réalisation des 90 heures de travail qu’elle allègue.
Elle fait valoir que son conseil, concluant au rejet de la méthode de viager, aurait pu être prodigué par n’importe quel notaire au terme d’une consultation gratuite.

Elle considère que l’engagement à une « extrême confidentialité » prévue au sein de la lettre de mission, inhérent à la profession de courtier, a été violé compte tenu des éléments patrimoniaux fournis par la société C&O DU PATRIMOINE à la société 3 COLONNE, inconnue de sa cliente.
Elle formule les mêmes griefs quant à la forme et au fond du rapport de 2021, la société C&O DU PATRIMOINE ayant selon elle à nouveau violé la législation relative à la protection des données à caractère personnel en communiquant des informations à MONETIVIA, inconnue d’elle.

Elle conclut de manière générale que la société a failli à son obligation contractuelle en prodiguant des conseils consistant à :
-Se démunir de son seul bien immobilier à un prix inférieur à 100.000 euros du prix estimé par d’autres professionnels,
-En incitant Mme [R], personne âgée novice en matière juridique et fiscale à contracter et organiser une vente par son entremise au détriment des intérêts de sa cliente ;
-En l’incitant à se démunir de ses liquidités afin de les investir sur des comptes bloqués ;
-Et ce, sans tenir compte de son niveau de retraite, la demanderesse ayant fait encourir des risques importants à sa cliente sur la base d’un rapport d’analyse qui n’en est pas un.

Elle en déduit que Monsieur [U] a manifestement profité de son ignorance, de sa faiblesse et de sa vulnérabilité. Elle fait valoir à ce titre ses problèmes de santé cardiaques, l’ayant diminuée physiquement et psychologiquement, en sus d’une fracture consécutive à sa dernière chute.

Sur quoi, l’ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2023 et l’affaire, après avoir été renvoyée pour plaidoirie à l’audience du 06 février 2024, a été mise en délibéré au 19 mars 2024.

MOTIFS

Sur l’étendue de la saisine

Les demandes de « constater » et de « donner acte » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, pas plus que les demandes de « dire et juger » lorsqu’elles développent en réalité des moyens. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces demandes dont le tribunal n’est pas saisi.
En outre, en vertu de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

Sur la demande en nullité des deux lettres de mission pour abus de faiblesse formée par Madame [R]

Il y a lieu d’examiner cette demande reconventionnelle en premier lieu, la demande en paiement formée par la société C&O DU PATRIMOINE étant sans objet, s’il y était droit.

L’article L132-13 du code de la consommation dispose que le contrat conclu à la suite d’un abus de faiblese est nul et de nul effet.

L’article L121-8 du code de la consommation le définit comme le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte.

Trois conditions sont donc nécessaires pour que la nullité du contrat soit encourue à ce titre :
-Le consommateur doit être en situation de faiblesse ou d’ignorance, la faiblesse pouvant tenir à l’âge, à la maladie notamment ;
-Le consommateur doit avoir souscrit un engagement ;
-Le professionnel doit avoir commis un abus, celui-ci étant notamment caractérisé lorsqu’il a fait souscrire un contrat à une personne qui n’était pas en mesure d’apprécier la portée de son engagement, s’il a déployé des ruses et des artifices pour obtenir le consentement de l’acheteur ou s’il a eu recours à la contrainte. L’existence de l’abus suppose que le professionnel connaissait la situation de faiblesse du consommateur ou qu’il ne pouvait l’ignorer.

En l’espèce, lors de la conclusion de la première lettre de mission, Madame [R] était âgée de près de 79 ans, sa situation de faiblesse étant dès lors caractérisée à ce titre.
Néanmoins, si la défenderesse soutient que la société C&O DU PATRIMOINE a insisté à plusieurs reprises à son égard, s’est même montrée « harcelante » dans le but de lui faire signer les deux letttres de mission visées, elle ne communique aucun élément en ce sens.
Elle ne prouve pas davantage qu’elle n’aurait pas été en mesure d’apprécier la portée des engagements successivement souscrits. En effet, elle ne communique aucun élément sur son état de santé, alors qu’elle soutient dans ses écritures avoir souffert de graves problèmes cardiaques ainsi que des conséquences physiques d’une chute.
Il ne ressort pas davantage des débats qu’elle n’aurait pas été en mesure de comprendre les documents signés, en dehors de toute altération de ses facultés mentales.

Le seul fait qu’elle soit une personne âgée ne permet donc pas de conclure que la société C&O DU PATRIMOINE aurait abusé à deux reprises de sa faiblesse.

Elle sera donc déboutée de sa demande visant à voir prononcer la nullité des deux lettres de mission.

Sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’abus de faiblesse qu’elle invoque sera rejetée pour les mêmes motifs.

Sur la demande en paiement formée par la société [R]

Il ressort des dispositions de l’article 1103 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L’article 1217 du même code rappelle que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.

L’article 1219 ajoute que la partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Madame [R], pour s’opposer au paiement de la facture demandée au titre de la seconde lettre de mission, évoque notamment les similitudes tant avec l’objet de la première lettre de mission qu’entre les deux rappports, établis successivement le 14 octobre 2019 et le 21 avril 2021.

A cet égard, il convient de relever que Madame [R] n’invoque dans son argumentaire les dispositions de l’article 1217 du code civil qu’à l’égard de la facture afférente à la seconde lettre de mission et non pour la première.
Néanmoins, elle sollicite le remboursement de la somme de 1800 euros soutenant que le travail prétendument réalisé par la demanderesse ne justifie pas une facturation.

En l’espèce, la première lettre de mission avait pour objet la réalisation d’un bilan patrimonial et d’une consultation patrimoniale, outre une assistance patrimoniale (se limitant à la mise en œuvre du plan d’action patrimonial) ainsi qu’un conseil en investissement. Un honoraire forfaitaire de 1800 euros TTC était fixé.

Le rapport de mission reprenait une analyse de sa situation (famille, patrimoine, fiscale, impôts sur le revenu et la fortune) avec des conclusions recommandant à Madame [R] de ne pas opter pour une solution de viager ; « je vous propose donc une mission complémentaire pour définir une solution alternative en adéquation avec votre objectif par avenant à notre lettre de mission du 22/02/2018 afin de redéfinir les conditions de rémunération de notre conseil en fonctions des recherches et mise en œuvre des autres solutions envisageables ».
Est joint à ce rapport une estimation en ligne de la valeur de l’immeuble de Madame [R] ainsi qu’une analyse comparative de marché effectuée par 3 COLONNES, la société C&O DU PATRIMOINE indiquant avoir pris attache avec celle-ci à la demande de la défenderesse, ce que celle-ci conteste.

Or, si Madame [R] soutient qu’aucune analyse ou étude n’a été réalisée, elle ne peut contester que la société C&O DU PATRIMOINE a bien effectué les obligations qui lui incombaient en application de la lettre de mission susvisée, quand bien même elle considérerait que ce travail ne justifiait pas une facturation.
Le solde de la facture réglé par Madame [R] le 14 octobre 2019 correspond d’ailleurs bien à l’honoraire forfaitaire prévu dans la lettre de mission et accepté par celle-ci.

La seconde lettre de mission reprend les mêmes prestations déjà visées dans la première, tout en ajoutant un autre volet « Accompagnement financier : Suivi de l’ensemble des investissements et consultations des actifs financiers ».

S’agissant des honoraires prévus, si l’ensemble de la grille forfaitaire des honoraires apparaît barré dans le document, la mention suivante est rajoutée « Précisions : En raison d’une mission préalable établie le 22 02 2018 et donc un compte rendu de mission a été remis après la période du COVID 19 le 14/10/2019 un avenant est proposé ce jour pour finaliser la mission de conseil. Cet avenant à la mission précédente sera facturé au tarif horaire de 200,00€ TTC de l’heure avec un minimum de 10 000, 00 € HT en raison des heures et frais déjà engagés à la mission d’origine et celles estimées pour aboutir au conseil recherché. Il est cependant accordé une réduction de 50% de ces honoraires si la mise en œuvre d’un réemploi pour un montant minimum de 300 000,000 € est assuré par le cabinet C&O DU PATRIMOINE sans omettre les honoraires de 3% HT liés directement aux investisssements proposés. »

A ce titre, comme le souligne Madame [R], cette clause interpelle, visant le dépôt du premier rapport postérieurement à la période COVID, alors qu’il a été rendu plusieurs mois avant la prise des premières mesures sanitaires.
Néanmoins, elle prévoit expressément que le minimum des honoraires facturé à Madame [R] sera de 10 000,00 € HT.

Le rapport restitué en conséquence, le 21 avril 2021, ne fait dans un premier temps que rappeler l’analyse de la situation familiale, patrimoniale, et de l’impôt sur le revenu de Madame [R], exposée dans le premier compte-rendu, seul son budget étant repris en quelques lignes dans ce second document, tout comme un diagnostic successoral.

En revanche, la société C&O DU PATRIMOINE, si elle vise ses précédentes conclusions quant à l’opportunité d’une vente en viager, émet de nouvelles préconisations portant déjà sur la vente de la nue-propriété de l’appartement de sa cliente mais également sur l’emploi du capital en découlant dans un placement dans la forêt française, pour préparer sa succession, outre un aménagement des clauses bénéficiaires de ses contrats d’assurance vie.
Si elle joint une plaquette du groupement d’investissement forestier à son rapport, elle présente également en conclusion une analyse des avantages et risques d’un tel placement, ayant donc exécuté la mission convenue entre les parties.

Par ailleurs, Madame [R] fait grief au requérant d’avoir organisé ultérieurement la vente de la nue-propriété de son appartement, avec un acquéreur inconnu, ayant même signé le compromis de vente de celui-ci, pour ce qu’elle considère être un vil prix, considérant avoir été victime d’une « manipulation opérée et commanditée par M. [U], l’organisateur de la vente », représentant de la société C&O DU PATRIMOINE.
A ce titre, les développements qu’elle expose ne viennent en réalité qu’au soutien de sa demande de nullité des deux lettres de missions pour abus de faiblesse.

En tout état de cause, si la défenderesse affirme que la société C&O DU PATRIMOINE ne justifie pas des heures de travail qu’elle expose, celle-ci se prévalant de 90 heures passés sur son dossier, il n’en demeure pas moins que la demanderesse lui a facturé au titre de ses honoraires le montant minimum annoncé dans la lettre de mission (10 000 euros auxquels s’ajoute la TVA).

Dès lors, alors qu’elle n’a d’ailleurs pas formulé de demande subsidiaire de réduction du prix de la facture présentée à l’issue, ayant adressé dans un premier temps un chèque en paiement de celle-ci, il y a donc lui de faire droit à la demande en paiement de la société C&O DU PATRIMOINE et de rejeter également la demande de restitution de la somme de 1800 euros formée par Madame [R].

Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la protection des données à caractère personnel formée par Madame [R]

Le règlement général sur la protection des données (RGPD), autrement dit le Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, est entré en vigueur le 25 mai 2018.
Il s’inscrit dans la continuité de la loi française « Informatique et Libertés » du 06 janvier 1978, modifiée par la loi du 20 juin 2018 relatif à la protection des données personnelles, établissant des règles sur la collecte, l’utilisation et le traitement des données personnelles sur le territoire français.

En l’espèce, il ressort des deux lettres de mission la mention suivante :
« Confidentialité
Tous les documents et éléments qui nous sont transmis sont traités avec la plus extrême confidentialité et dans le cadre strict de l’exécution de la mision décrite ci-dessous. Le conseil est tenu au respect du secret professionnel. Nous en avons pris l’engagement auprès de la CNIL, selon les prescriptions de la loi n°78-17 du 06 janvier 1978.
Suivant la complexité de votre dossier, notre mission fera peut-être apparaître le besoin d’échanger des informations à votre sujet avec vos autres conseils ou partenaires financiers, qu’ils soient par exemple expert-comptable, notaire, avocat ou banquier : par la production de cette lettre de mission signée par vous, vous nous autorisez et vous les autorisez également à échanger avec nous toutes informations à votre sujet qui seraient utiles dans le cadre de cette mission ».

La seconde lettre de mission précise :
« Traitement de vos données personnelles :
Les informations recueillies sur ce formulaire sont enregistrées dans un fichier informatisé par [F] [U] (le délégué à la protection des données) pour être en mesure d’apporter le conseil le plus adapté à la situation du client et d’en suivre son évolution. Elles sont conservées pendant dix ans et sont destinées à l’usage exclusif de C&O DU PATRIMOINE. Conformément à la loi « informatique et libertés », vous pouvez exercer votre droit d’accès aux données vous concernant et les faire rectifier en contactant : [F] [U] aux adresses suivantes :
[Courriel 3]
[Adresse 2]
Vous pouvez également introduire une réclamaration au sujet du traitement de vos données auprès de la CNIL. »

A cet égard, si la société C&O DU PATRIMOINE soutient et l’a expressément visé dans son premier rapport avoir pris attaché avec la société LES 3 COLONNES à la demande de Madame [R], celle-ci le déniant, il n’en va pas de même s’agissant de sa consultation de la société MONETIVIA. Or, celle-ci a manifestement eu connaissance de données personnelles de la défendresse, puisqu’elle a procédé à une estimation de son appartement.

Néanmoins, si Madame [R] sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne précise pas le préjudice qu’elle aurait effectivment subi, se contentant de citer la sanction pouvant être prononcée à l’encontre de la société C&O DU PATRIMOINE.

Elle sera donc déboutée de sa demande.

Compte-tenu du rejet de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles et de sa condamnation au paiement de la facture sollicitée par la société C&O DU PATRIMOINE, il n’y a pas lieu d’examiner ses demandes formées au titre d’une procédure abusive qui aurait été initiée par cette dernière. Elles seront donc rejetées.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. En application de l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Madame [J] [R], partie succombant, sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure, avec application, au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %.

L’équité et la solution du litige motivent de condamner Madame [J] [R] à verser à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
L’article 514-1 du même code dispose que le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.

Rien ne commande en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire, laquelle est de droit en l’absence de disposition légale spécifique.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande de prononcé de la nullité des deux lettres de missions des 22 février 2018 et 21 avril 2019,

CONDAMNE Madame [J] [R] à régler à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 12 000 euros,

DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande de restitution de la somme de 1800 euros,

DEBOUTE Madame [J] [R] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l’abus de faiblesse et de la violation de la protection des données à caractère personnel qu’elle invoque,

DEBOUTE Madame [J] [R] de ses demandes de dommages et intérêts et d’amende civile pour procédure abusive,

CONDAMNE Madame [J] [R] à supporter les entiers dépens de la procédure, avec distraction au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST,

CONDAMNE Madame [J] [R] à verser à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la décision est de droit.

En foi de quoi la présente décision a été signée par la Présidente et la greffière,

LA GREFFIERELA PRESIDENTE


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