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Sur la demande de rappel de salaire au titre du 13ème mois et du rappel d’ancienneté
M. [P] soutient qu’il aurait dû bénéficier du transfert de son contrat de travail à la société Transports [Z] en application de l’article L 1224-1 du code du travail. Il considère qu’il aurait dû conserver le bénéfice de son ancienneté et de l’allocation du 13ème mois. La société Transports [Z] conteste ces demandes, arguant qu’il n’y a pas eu de transfert d’une entité économique autonome. La cour confirme le jugement de première instance, déboutant le salarié de ses demandes.
Sur la demande au titre du harcèlement moral
M. [P] affirme avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur. Il présente des éléments de preuve, notamment des témoignages et des attestations, pour étayer ses allégations. L’employeur conteste ces accusations et fournit des éléments pour justifier ses décisions. La cour considère que les faits présentés par le salarié permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Cependant, les actions de l’employeur sont jugées justifiées par des raisons objectives, et le salarié est débouté de ses demandes.
Sur la rupture du contrat de travail
M. [P] conteste la légitimité de son licenciement, arguant de la nullité de la rupture et de l’absence de faute grave. L’employeur reproche au salarié un comportement inadapté et des agissements de harcèlement envers une collègue. La cour conclut que les faits présentés par l’employeur justifient le licenciement pour faute grave de M. [P], et ce dernier est débouté de ses demandes.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. [P] est condamné aux dépens d’appel et de première instance. L’employeur est également indemnisé au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de procédure. Les frais irrépétibles sont laissés à la charge du salarié.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 20/03609 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ITDJ
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 02 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 16 Octobre 2020
APPELANT :
Monsieur [V] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIÉS AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A.S. TRANSPORTS [Z]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Marina CHAUVEL, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Aurélia DOUTEAUX, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 15 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 02 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Transports [Z] (la société) a pour activité principale le transport de marchandises par groupage. Elle emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires.
M. [P] (le salarié) a été embauché par la société Transports [Z] en qualité de responsable d’agence, statut cadre, annexe 4, groupe 5, emploi 20, coefficient 132 aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2016.
Au regard de la tenue d’un entretien avec son employeur le 18 octobre 2018, le salarié a informé ce dernier par mail du 19 octobre 2018 qu’il faisait usage de son droit de retrait.
Il a effectué une déclaration d’accident de travail le 28 novembre 2018 et a bénéficié d’un arrêt de travail du 19 octobre 2018 au 22 février 2019.
Par courrier du 13 février 2019, la caisse primaire d’assurance maladie a refusé la prise en charge de l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
M. [P] a saisi la commission de recours amiable qui a confirmé cette décision le 1er juillet 2019.
M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 9 janvier 2019 par lettre du 31 décembre précédent puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 23 janvier 2019 motivée comme suit :
‘ Nous vous avons convoqué à un entretien préalable en date du 18 janvier 2019 à 11 heures auquel vous ne vous êtes pas présenté.
Nous vous informons, par la présente, de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants:
Après que vous soyez en arrêt de travail depuis le 19 octobre 2018, nous avons découvert les faits suivants :
Pendant plus de quatre mois, vous vous êtes livré à des pressions morales et psychologiques sur votre subordonnée, [A] [Y].
Il s’agissait notamment, de remarques désobligeantes, de propos dévalorisants et de demandes contradictoires, et ce après, qu’elle est refusée de vous suivre, alors que vous vouliez contacter des concurrents pour vous faire embaucher avec votre équipe, ce qui rendait impossible la poursuite de l’activité de transports de container maritime par la société Transports [Z].
Celle-ci, ayant refusée, vous avez entrepris, un véritable harcèlement, moral et psychologique, auprès d’elle, pour la conduire à démissionner.
En profitant de votre supériorité hiérarchique, vous lui avez retiré son travail, lui interdisant de vous parler, vous-même lui parlant mal, et la poussant ainsi, dans une détresse psychologique et dans une situation de grande précarité sur son avenir, généraient par l’ensemble de vos comportements.
Ces faits sont avérés et confirmés, ils révèlent également une intention de nuire, tant à l’égard de la société, qu’à l’égard de votre subordonnée.
Ces faits constituent une faute grave.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible, votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnités de préavis, ni de licenciement. (…)’
Invoquant l’existence d’un harcèlement moral, contestant la licéité et subsidiairement la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail, M. [P] a saisi le 10 mai 2019 le conseil de prud’hommes du Havre.
Par jugement du 16 octobre 2020, le conseil de prud’hommes du Havre a débouté le salarié de ses demandes relatives à un rappel de treizième mois et d’indemnité pour harcèlement moral, a dit que son licenciement repose sur une faute grave, a débouté le salarié de ses demandes, a débouté la société de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [P] aux dépens.
M. [P] a interjeté appel le 10 novembre 2020 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 20 octobre précédent.
La société Transports [Z] a constitué avocat par voie électronique le 23 novembre 2020.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 août 2021, le salarié appelant, soutenant que son employeur a méconnu les dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail, affirmant avoir été victime de harcèlement moral, contestant la matérialité des faits invoqués au soutien de son licenciement pour faute grave, sollicite l’infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et demande à la cour de :
– fixer son salaire mensuel moyen brut à la somme de 4 000 euros,
– juger qu’il a été victime de harcèlement moral et, à tout le moins, d’une exécution déloyale de son contrat de travail et lui allouer la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts,
– dire que l’employeur est redevable d’un rappel de salaire pour le 13ème mois à hauteur de 12 000 euros brut outre 1 200 euros brut au titre des congés payés afférents,
– dire et juger que son ancienneté remonte au 9 avril 2015,
– dire et juger que son licenciement est nul et, subsidiairement, dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Transports [Z] à lui verser :
une indemnité de licenciement de 6 000 euros net,
une indemnité de préavis de 12 000 euros brut outre 1200 euros brut au titre des congés payés y afférents,
une indemnité destinée à réparer le préjudice subi à hauteur de 40 000 euros net,
– condamner la société Transports [Z] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et la somme de 2 500 euros pour les frais exposés en cause d’appel,
– condamner la société Transports [Z] aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais et honoraire d’exécution de la décision,
– débouter la société Transports [Z] de l’ensemble de ses demandes.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 5 mai 2021 la société intimée, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que les dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail n’avaient pas vocation à s’appliquer, que M. [P] n’a été victime d’aucun harcèlement moral, que les faits reprochés au soutien du prononcé du licenciement sont matériellement établis, imputables au salarié et d’une gravité justifiant le prononcé d’un licenciement pour faute grave, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée sauf en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et demande à la cour de juger irrecevable comme nouvelle la demande du salarié relative à la reprise de son ancienneté au 9 avril 2015, de condamner M. [P] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en cause d’appel, de le condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture en date du 24 novembre 2022 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 15 décembre 2022.
Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la demande de rappel de salaire au titre du 13ème mois et du rappel d’ancienneté
M. [P] soutient qu’il aurait dû bénéficier du transfert de son contrat de travail à la société Transports [Z] en application de l’article L 1224-1 du code du travail puisque l’activité gérée auparavant par son ancien employeur, la société OTLS a été transférée à la société Transports [Z].
A ce titre, il considère qu’il aurait dû conserver le bénéfice de son ancienneté et de l’allocation du 13 ème mois.
Il observe que la typographie du contrat signé avec la société [Z] est strictement identique à celle du contrat signé en 2015 avec la société LCE devenue OTLS, il indique qu’il occupe le même poste que précédemment, sur le même lieu de travail, selon les mêmes horaires collectifs. Il précise avoir conservé son véhicule de fonction. Il observe qu’il est curieux que la société Transports [Z] produise une attestation Pôle Emploi délivrée par la société OTLS sans verser aux débats pour autant son courrier de démission.
Le salarié soutient que la société Transports [Z] a repris l’activité de la société OTLS avec les contrats de travail en cours et précise qu’un montage a été mis en oeuvre par les employeurs successifs afin de faire échapper son nouvel employeur aux obligations légales et contractuelles.
Le salarié conteste toute novation de son contrat de travail.
Il soutient enfin que sa demande de reprise d’ancienneté est recevable comme étant la conséquence ou le complément accessoire de la demande relative au rappel du 13ème mois.
La société Transports [Z] soutient que la demande relative à l’ancienneté est irrecevable comme nouvelle. Elle invoque l’absence d’application de l’article L 1224-1 du code du travail. Elle rappelle que le transfert des contrats de travail ne s’applique qu’en cas de transfert d’une entité économique autonome, ce qui n’est pas démontré en l’espèce, les allégations du salarié n’étant corroborées par aucune pièce objective.
Elle précise que si M. [X], gérant de la société OTLS a pris une participation au sein de la société Transports [Z], celle-ci est intervenue par le biais d’une souscription à une augmentation de capital de Transports [Z] par Holding Logistique en janvier 2016 alors que le contrat de travail de M. [P] n’a été conclu que le 1er juillet 2016.
Elle soutient que ce dernier a démissionné de la société OTLS pour régulariser avec elle un contrat de travail, verse aux débats l’attestation Pôle Emploi aux termes de laquelle M. [P] a été réglé de la somme de 5 170,82 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés par son ancien employeur.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour, considérerait qu’il y a effectivement eu transfert d’activité au profit de la société Transports [Z], elle soutient qu’il y a eu novation du contrat de travail, M. [P] n’ayant jamais manifesté le moindre désaccord à la signature de son contrat de travail après démission des effectifs de la société OTLS.
Sur ce ;
L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
En application de l’article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
L’article 566 du code de procédure civile dispose que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l’espèce, la demande de reprise d’ancienneté au 9 avril 2015, formée pour la première fois à hauteur d’appel par le salarié, est la conséquence de sa demande d’application de l’article L 1224-1 du code du travail. Elle est donc recevable.
L’article L 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Il est constant que l’article L. 1224-1 du code de travail s’applique à tout transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.
En pratique, il y a transfert du contrat de travail lorsque les deux conditions sont réunies :
– l’entité transférée doit être une entité économique autonome qui se définit comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit des intérêts propres.
Il découle de cette définition que le transfert peut aussi bien concerner une activité principale qu’une activité secondaire ou accessoire.
Ainsi, dès lors que cette activité est distincte et détachable des autres activités de production et de transformation, avec une organisation spécifique et un personnel spécialement qualifié, elle constitue une entité économique autonome.
– l’entité transférée doit conserver son identité. Cette condition signifie que le nouvel exploitant doit poursuivre la même activité ou tout au moins une activité connexe ou similaire susceptible de maintenir les emplois sans changement important des procédés de fabrication ou de commercialisation.
Ainsi, le transfert de l’entreprise ou de l’activité doit s’accompagner du transfert des locaux, du matériel, de la clientèle, des marques et brevets, etc. Elle doit également s’accompagner du transfert du personnel affecté à l’activité concernée.
La seule circonstance que la prestation reprise soit similaire ne suffit pas à conclure au transfert d’une entité économique.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que M. [P] a été embauché par la société LCE devenue la société OTLS à compter du 1er janvier 2016, aux termes d’un contrat de travail à effet au 9 avril 2015 en qualité de responsable d’agence, statut cadre.
Il a signé un nouveau contrat de travail avec la société [Z] Transports à compter du 1er juillet 2016.
Si le salarié soutient qu’il a poursuivi au sein des mêmes locaux, la même activité que précédemment, il ne ressort pas des éléments produits l’existence d’une entité économique autonome transférée de la société OTLS à la société [Z] Transports.
Ainsi, le salarié ne produit pas d’élément relatif à la nature, au périmètre de l’activité prétendument transférée ni de l’activité poursuivie.
Il ne résulte pas des éléments du dossier l’existence d’un transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.
En outre, si M. [P] conteste avoir démissionné de son précédent emploi, il ne conteste pas spécifiquement avoir perçu la somme de 5 170,82 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés tel qu’allégué par l’employeur, ni n’explique les raisons pour lesquelles un nouveau contrat de travail a été signé avec la société Transports [Z].
Au vu de ces éléments, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de juger que le transfert d’une entité économique autonome n’est pas établi et qu’en conséquence il ne peut être considéré que le contrat de travail de M. [P] a été transféré de plein droit à la société Transports [Z].
Le salarié doit être débouté de sa demande au titre du 13ème mois ainsi que de sa demande de rappel d’ancienneté.
2/ Sur la demande au titre du harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés.
M. [P] soutient avoir été victime de harcèlement moral au cours de la relation contractuelle ou, à tout le moins d’une exécution déloyale du contrat de travail.
Il précise qu’en sa qualité de responsable de l’agence du Havre, il encadrait deux salariés, Mme [Y] et M. [B] ; que le président de la société a décidé de proposer une rupture conventionnelle à Mme [Y] et lui a confié la gestion de cette procédure ; qu’alors qu’il était en congés payés, le directeur, M. [Z] a rencontré Mme [Y] et M. [B] en septembre 2018 puis a finalement décidé que Mme [Y] resterait en poste mais que lui serait licencié.
Il soutient que l’employeur a ainsi cherché à l’évincer dans des conditions détestables, proposant à M. [B] de reprendre son poste.
Il indique avoir ignoré l’existence un projet de déménagement de l’agence au sein de nouveaux locaux contrairement aux salariés sous sa subordination, avoir été mis à l’écart de certaines décisions.
Le salarié précise que le 18 octobre 2018, lors d’un entretien avec le directeur, il lui a été proposé une rupture conventionnelle, que devant son refus M. [Z] l’a insulté, est entré dans une grande colère. Il affirme que le lendemain, il a de nouveau été confronté à une obstruction dans l’exercice de ses fonctions, a fait valoir son droit de retrait contesté par l’employeur.
Il précise que si la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge l’accident dont il a été victime au titre de la législation sur les risques professionnels, la commission de recours amiable a pris soin de relever dans sa décision qu’il a subi un stress important, qu’il ressortait de ses déclarations une dégradation progressive de son état de santé.
Au soutien de sa demande, M. [P] verse aux débats :
– des échanges de mails avec M. [Z] courant octobre 2018 au sein desquels il demande si [A] est la nouvelle responsable de l’agence ou s’il le demeure, au sein desquels il indique attendre la proposition sur les conditions de la rupture conventionnelle et se plaint du comportement de Mme [Y],
– son mail en date du 19 octobre 2018 par lequel il exerce son droit de retrait se sentant en danger psychologique et physique,
– la déclaration d’accident de travail établie par ses soins le 28 novembre 2018,
– le certificat médical initial établi par son médecin le 19 octobre 2018 faisant état d’un stress réactionnel, de symptômes anxieux et la copie de ses arrêts de travail,
– l’attestation de M. [B] indiquant qu’il n’a pas abusé de son pouvoir à l’égard de Mme [Y], que l’attitude et le comportement de cette dernière l’ont poussé à démissionner en septembre 2018, celle-ci ayant ultérieurement quitté la société en février 2019,
– un échange de SMS avec M. [Z] faisant état de la reprise du téléphone portable de Mme [Y] après l’organisation d’un entretien,
– l’attestation de M. [I] [F] indiquant que M. [P] se sentait bien au sein de l’entreprise Transports [Z] en mars 2017 et qu’il a repris contact avec lui en avril 2019 lorsqu’il recherchait un collaborateur,
– le courrier de l’inspectrice du travail du 31 décembre 2018 adressé à l’employeur suite à une enquête réalisée au sein de l’entreprise le 23 novembre 2018 faisant état de difficultés relationnelles entre salariés, du fait que M. [P] ait été privé de ses responsabilités concernant la validation des congés de Mme [Y], de la demande de procéder à une évaluation des risques psycho sociaux au sein de l’entreprise de prendre les mesures adaptées,
– des attestations établies par d’anciens employeurs de Mme [Y] faisant état de l’existence de difficultés rencontrées avec elle.
Il ressort de ces pièces et documents que M. [P] ne verse aux débats aucun élément relatif au comportement insultant de son employeur.
S’il est établi qu’une procédure de rupture conventionnelle a été envisagée entre les parties, il ne résulte pas des éléments produits que l’entretien du 18 octobre 2018 se soit déroulé dans des circonstances anormales.
Les échanges produits entre le salarié et son employeur présentent un caractère courtois.
Il est cependant établi qu’il a été déchargé d’une partie de ses fonctions d’encadrement, en l’espèce la validation des congés de sa subordonnée, qu’il lui a été demandé de quitter l’entreprise, que son état de santé s’est dégradé et qu’il a fait usage de son droit de retrait le 19 octobre 2018.
Il s’évince du courrier de l’inspectrice du travail ainsi que de la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie que des difficultés relationnelles existent entre les salariés, que M. [P] a subi un stress important au cours de plusieurs mois, que la dégradation progressive de sa situation professionnelle a généré les symptômes anxieux évoqués.
Par conséquent, les pièces produites permettent d’établir l’existence matérielle de faits précis et concordants, en l’occurrence une privation de fonctions dans un contexte de travail dégradé, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre du salarié. Comme à nouveau rappelé, il appartient, par conséquent, à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur soutient avoir privé le salarié de la gestion des congés à l’égard de Mme [Y] en raison du comportement harcelant de ce dernier à son encontre et de l’attitude déloyale de M. [P] à l’égard de l’employeur.
Après avoir rappelé que M. [P] disposait d’une grande liberté d’organisation, d’une grande autonome dans son travail et d’une totale confiance de sa hiérarchie, l’employeur soutient qu’il a fomenté une exfiltration de la totalité du service containers maritimes vers une société concurrente, l’échec de ce projet n’étant dû qu’au refus de Mme [Y] de se joindre à celui-ci.
La société expose que M. [P] avait fomenté un projet de démission collective des salariés incluant Mme [Y] et M. [B], observe qu’il travaille désormais pour le compte de M. [I], concurrent.
L’employeur verse aux débats notamment l’attestation établie par Mme [Y] en date du 21 décembre 2018 dénonçant être victime de harcèlement moral de la part de M. [P] depuis plus de quatre mois, confirmant avoir été sollicitée par ce dernier pour quitter l’entreprise au profit de la concurrence.
Il produit également l’attestation de M. [J], embauché le 4 octobre 2018 en remplacement de M. [B] confirmant les allégations de Mme [Y], sa mise à l’écart par M. [P] et la tenue par ce dernier de propos inadaptés.
Mme [W] indique que M. [P] tenait des propos injurieux et non appropriés à l’égard de Mme [Y].
L’employeur observe en outre qu’au sein de son courrier du 31 décembre 2018 l’inspectrice du travail indique avoir compris les raisons pour lesquelles le circuit de validation des congés de Mme [Y] avait été modifié, observant uniquement qu’une information préalable du responsable de l’agence aurait été opportune.
Au vu de ces éléments, il apparaît que, suspectant des agissements de harcèlement moral de M. [P] à l’encontre de Mme [Y], l’employeur a légitimement pris les mesures pour y remédier en application de l’article L 1152-4 du code du travail et de son obligation de sécurité.
Dans ces conditions, les faits reprochés à l’employeur sont justifiés par des raisons objectives, de sorte qu’il ne peut être retenu l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de M. [P] ou encore l’exécution déloyale du contrat de travail.
Par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de débouter le salarié de ses demandes.
3/ Sur la rupture du contrat de travail
A titre principal, le salarié soutient la nullité du licenciement en raison du harcèlement moral subi.
M. [P] a été précédemment débouté de sa demande au titre du harcèlement moral. Par voie de conséquence, il doit être débouté de sa demande au titre de la nullité de la rupture.
A titre subsidiaire, M. [P] conteste la légitimité de la rupture, la matérialité des griefs allégués.
Sur ce ;
Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables.
La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.
Il ressort de la lettre de licenciement reproduite ci-dessus que l’employeur reproche à M. [P] un comportement de harcèlement moral à l’égard de sa subordonnée, Mme [Y] à laquelle il aurait proposé de quitter l’entreprise avec lui pour travailler pour le compte d’une société concurrente.
L’employeur expose avoir dans un premier temps constaté la mauvaise gestion de l’agence du Havre par M. [P], puis avoir découvert le projet de rapprochement de celui-ci avec une entreprise concurrente, la société Transports [I] et enfin à l’occasion du congé maladie de M. [P] avoir pris connaissance du harcèlement moral exercé par M. [P] à l’égard de Mme [Y] qui avait refusé de prendre part au projet de départ au sein de l’entreprise concurrente.
L’employeur verse aux débats le courrier rédigé par Mme [Y] le 21 décembre 2018 au sein duquel elle explique avoir subi pendant plus de quatre mois des pressions d’ordre moral et psychologique de la part de M. [P], avoir été victime de remarques désobligeantes, de propos dévalorisants ainsi que de demandes contradictoires concernant ses fonctions.
Elle confirme qu’un projet de départ au sein d’une entreprise concurrente lui avait été proposé par MM. [P] et [B] qu’elle avait refusé.
Elle précise que suite à son refus, le comportement de M. [P] à son encontre s’est modifié, qu’il lui demandait régulièrement si elle était prête à partir, qu’il refusait de lui dire bonjour, qu’il ne lui adressait plus la parole, qu’il lui retirait progressivement ses missions.
Au sein de son courrier, Mme [Y] demande à l’employeur d’intervenir, précisant ne plus envisager de travailler avec M. [P] sous peine de sombrer dans la dépression.
M. [J], embauché le 4 octobre 2018 en remplacement de M. [B], démissionnaire, confirme au sein de son courrier adressé à M. [Z] l’existence d’une mise à l’écart de Mme [Y], la tenue de propos inacceptables tenus par M. [P] à son encontre. Il indique avoir demandé pourquoi Mme [Y] n’avait plus ‘rien à faire’, M. [P] lui répondant qu’elle ‘en était incapable.’ Il relate avoir vu M. [P] jeter un dossier à Mme [Y] alors qu’il lui avait demandé un complément d’information et avoir entendu son responsable dire ‘ferme la maintenant’ à cette dernière. Il précise que suite à l’arrêt de travail de M. [P], il a découvert que Mme [Y] était compétente et assumait pleinement ses fonctions.
Mme [W], directrice du développement multimodal, atteste de l’existence de problèmes relationnels entre M. [P] et Mme [Y], M. [P] utilisant des propos injurieux et non appropriés.
Il ressort du courrier de l’inspectrice du travail en date du 31 décembre 2018 qu’une enquête a été effectuée au sein de l’entreprise, que des versions divergentes sur la situation de M. [P] ont été données, que des tensions relationnelles entre salariés ont été constatées et qu’une demande d’évaluation des risques psycho-sociaux eu sein de l’entreprise était formulée.
M. [P], qui conteste la matérialité des faits, soutient que l’employeur avait décidé de rompre son contrat de travail dès le mois de septembre 2018, qu’il lui a proposé une rupture conventionnelle. Il constate que ce n’est qu’après sa saisine de l’inspection du travail et l’intervention de cette dernière que les prétendus faits fautifs ont été révélés.
M. [P] remet en cause la valeur probante des témoignages de Mme [Y] et de M. [J] observant qu’il s’agit de simples courriers ainsi que celle de Mme [W] qui n’est pas circonstanciée.
Il conteste la réalité du projet de départ à la concurrence allégué par l’employeur et constate que ce dernier ne verse pas d’élément en ce sens.
Il verse aux débats des témoignages d’anciens employeurs de Mme [Y] faisant état de difficultés relationnelles.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que l’employeur démontre l’existence d’un comportement inadapté de M. [P] à l’encontre de sa subordonnée Mme [Y].
Il n’est pas produit d’élément objectif concernant le projet de départ de M. [P] avec l’ensemble des salariés pour le compte d’une entreprise concurrente mais la cour observe que le témoignage de Mme [Y] est corroboré par celui de M. [J], nouvellement arrivé au sein de la société, sans qu’il ne soit utilement remis en cause par les pièces produites par M. [P].
Il sera rappelé qu’en matière prud’homale la preuve est libre. Les courriers adressés à l’employeur par Mme [Y] et M. [J] sont précis, circonstanciés et témoignent de situations vécues par leurs auteurs.
Il est ainsi établi que pendant plusieurs mois, M. [P], responsable hiérarchique de Mme [Y] a adopté à l’égard de cette dernière un comportement inapproprié, l’a mise à l’écart, lui a retiré une partie de ses fonctions.
Il ressort de ces éléments, de la gravité des faits commis par M. [P], que son maintien au sein de l’entreprise était impossible.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il sera jugé que le licenciement pour faute grave de M. [P] est légitime.
Le salarié doit par conséquent être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ainsi que de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis et indemnité de licenciement.
4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il y a lieu de condamner M. [P], appelant succombant, aux dépens d’appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.
Il convient en l’espèce de condamner M. [P] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais irrépétibles exposés par lui.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Déclare recevable la demande de reprise d’ancienneté formée par M. [P] ;
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 16 octobre 2020 sauf en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
Déboute M. [P] de sa demande de reprise d’ancienneté ;
Condamne M. [V] [P] à verser à la société Transports [Z] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne M. [V] [P] aux entiers dépens d’appel.
La greffière La présidente