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Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRET DU 06 FEVRIER 2015
(n°18, 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 13/24343
sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation rendu le 13 novembre 2013 (pourvoi n°K 12-26.530), d’un arrêt rendu par le pôle 5 chambre 1 de la Cour d’appel de PARIS le 4 juillet 2012 (RG n°11/02862) sur appel d’un jugement de la 3ème chambre 4ème section du Tribunal de grande instance de PARIS rendu le 16 décembre 2010 (RG n°09/08567)
DEMANDEURS A LA SAISINE
Société FERMIERE DU CHATEAU [I] [W]
Société civile , agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège social situé
Château [I] [W]
[Localité 5]
Immatriculée au rcs de Bordeaux sous le numéro 781 993 225
Groupement Foncier [Adresse 5]
Groupement Foncier Agricole, pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
Château [I] [W]
[Localité 5]
Immatriculé au rcs de Bordeaux sous le numéro 349 051 847
Représentés par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP J.-L. LAGOURGUE & Ch.-H. OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque L 0029
Assistés de Me Eric AGOSTINI, avocat au barreau de BORDEAUX
DEFENDEURS A LA SAISINE
M. [V] [W]
[Adresse 4]
[Localité 3]
M. [Y] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
M. [E] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Société [Adresse 6]
Société civile, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentés par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistés de Me Jean-Daniel BOUHENIC plaidant pour la SCP DEPREZ – GUIGNOT & ASSOCIES et substituant Me Vincent FAUCHOUX, avocat au barreau de PARIS, toque
P 221
COMPOSITION DE LA COUR :
Après rapport oral, l’affaire a été débattue le 17 décembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme [N] [H], Présidente
Mme Irène LUC, Conseillère, désignée par ordonnance de la Première
Présidente en remplacement de Mme Sylvie NEROT, Conseillère, empêchée
Mme Véronique RENARD, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme [N] [H], Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
Messieurs [V], [Y] et [E] [W] (ci-après les consorts de [W]) sont propriétaires d’un domaine viticole, le [Adresse 6], situé dans les Landes et géré par la société civile [Adresse 6] qui commercialise un Bas-Armagnac sous la marque dénominative française n° 01 31 009 80 ‘Baron de [W]’ qu’elle a déposée le 14 mai 2001 en classe 33.
Le domaine viticole de [I] [W], qui a autrefois appartenu à la famille de [W], est depuis 1920 la propriété du Groupement Foncier [Adresse 5], groupement foncier agricole (ci- après le GFA) qui produit un vin que la société fermière du château [I] [W] commercialise sous la marque ‘Château [I] [W]’.
Cette marque ‘Château [I] [W]’ est une marque semi-figurative qui a été déposée par la société civile des domaines de Saint Julien le 19 avril 1973 et enregistrée sous le n°12 33 641 pour désigner les vins et eaux de vie d’appellation contrôlée de la classe 33 et les second et troisième vins de la propriété ont été commercialisés jusqu’en 2006 sous la marque verbale ‘CHÂTEAU MOULIN RICHE’ et la marque semi-figurative ‘Pavillon des Connétables’.
Les consorts [W] et la société civile [Adresse 6] ayant constaté à la fin de l’année 2008 que le GFA avait procédé le 31 mars 2006, au dépôt de deux marques verbales françaises ‘Pavillon de [W]’ n°06 342 0900 et ‘les Contes de [W]’ n° 06 342 0901 ont, après mise en demeure infructueuse du 31 octobre 2008, fait assigner, selon acte d’huissier du 19 mai 2009, la société civile fermière du château de [I] [W] et le GFA en contrefaçon de la marque ‘ Baron de [W]’ et atteinte au nom patronymique ‘de [W]’ devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Par jugement du 16 décembre 2010, le tribunal a, pour l’essentiel, retenu qu’en reprenant sans autorisation le nom patronymique ‘de [W]’ détaché de l’appellation ‘[I] [W]’ au sein des marques ‘Pavillon de [W]’ et ‘les Contes de [W]’, le GFA s’était rendu coupable d’une appropriation illicite d’un nom patronymique et avait porté atteinte aux droits de la personnalité des demandeurs justifiant l’annulation de l’enregistrement des marques litigieuses et l’interdiction de tout usage sous quelque forme que ce soit du patronyme ‘de [W]’ non précédé du terme ‘[I]’ à titre de marque ou de nom de domaine et ce, sous astreinte ; qu’il a ensuite jugé que le dépôt des marques litigieuses générait un risque de confusion avec la marque antérieure ‘ Baron de [W]’ et a condamné la société civile fermière du château [I] [W] et le GFA pour contrefaçon de marque par imitation et a enfin rejeté la demande en annulation de la marque ‘Baron de [W]’ pour contrefaçon de la marque antérieure ‘Château [I] [W]’.
Par arrêt de cette chambre autrement composée, en date du 4 juillet 2012, la cour a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, débouté du surplus des demandes, et a condamné la société civile fermière du château [I] [W] et le GFA aux dépens d’appel et à verser aux consorts [W] et à la société civile [Adresse 6], ensemble, une indemnité complémentaire de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par arrêt en date du 13 novembre 2014 la chambre commerciale de la cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, sauf en ce qu’iI a dit que le dépôt et l’usage des marques ‘pavillon de [W]’ et ‘Les Contes de [W] ‘portaient atteinte aux droits des consorts de [W] sur leur nom patronymique, condamné le GFA à leur payer à chacun une certaine somme et fait interdiction sous astreinte à ce groupement et à la société fermière du Château [I] [W] d’utiliser à quelque titre que ce soit le patronyme ‘ de [W]’ non précédé du terme ‘[I]’ à titre de marque, de nom commercial ou de nom de domaine, l’arrêt rendu le 4 juillet 2012, remis en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens et rejeté les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
La societé fermière du château [I] [W] et le GFA ont saisi la cour par déclaration en date du 18 décembre 2013.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 30 juillet 2014, auxquelles il est expressément renvoyé, la société fermière du château [I] [W] et le GFA, demandent à la cour, au visa des art. L. 711-3, L. 711-4, L. 713-3, L. 713-6, L. 716-1 et L. 716-5 Code de la Propriété Intellectuelle, de :
– infirmer en son entier le jugement entrepris dans les limites de la cassation prononcée (sic),
– rejeter toutes prétentions d’irrecevabilité et de mise hors de cause adverse,
– prononcer l’annulation de la marque ‘Baron de [W]’ n° 01 3 100 980 pour déceptivité,
pour contrariété à l’ordre public et également pour contrefaçon par imitation de la marque
‘Château [I]-[W]’ n° 1 233 641,
– en ordonner la radiation,
– faire interdiction aux intimés d’utiliser, sous quelque forme et en quelque lieu que ce soit, le nom de [W] pour désigner tout produit et service relevant des classes 31, 32, 33 et 40, du fait de la déceptivité et de la contrariété à l’ordre public qui s’y attachent et/ou de la contrefaçon qu’il réalise (sic),
– assortir cette interdiction d’une astreinte définitive de 10.000 euros par infraction constatée
– subsidiairement, constater la nullité de la marque ‘Baron de [W]’ dans les termes de l’article L. 713-6 code de la propriété intellectuelle,
– en ordonner la radiation de ce chef,
– condamner en toute hypothèse Messieurs [V] [W], [Y] [W]
[W] et [E] [W], et la société civile [Adresse 6] à 30. 000 euros chacun au titre de l’article L.716-1 code de la propriété intellectuelle,
– les condamner à 30.000 euros par intimé au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de leur conseil dans les termes de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 26 novembre 2014, auxquelles il est expressément renvoyé, Monsieur [V] [W], Monsieur [E] [W], Monsieur [Y] [W] et la societé civile [Adresse 6], entendent voir :
– juger irrecevables les demandes de la société fermière du château [I]-[W] et du GFA visant à remettre en cause les dispositions de l’arrêt de la cour du 4 juillet 2012 qui n’ont pas fait l’objet d’une cassation,
– prononcer la mise hors de cause des consorts de [W], en ce qu’ils ne sont pas propriétaires de la marque verbale ‘Baron de [W]’,
– juger que la marque ‘Baron de [W]’,et plus généralement le terme [W], n’est
pas déceptive en ce qu’elle a été déposée pour désigner les produits et services visés dans l’enregistrement et utilisée pour commercialiser du Bas-Armagnac,
– juger que la société fermière du château [I] [W] et le GFA avaient connaissance depuis le 14 mai 2001, de l’usage que la société civile [Adresse 6] faisait de la marque ‘Baron de [W]’, de sorte que les demandes formées au titre de la contrefaçon sont irrecevables, en raison de la forclusion intervenue,
A titre subsidiaire,
– juger qu’il n’existe aucun risque de confusion entre la marque verbale ‘Baron [W]
[W]’ et la marque semi-figurative’ Château [I] [W]’, confirmant en cela les
termes du jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 16 décembre 2010,
En tout état de cause,
– débouter la société fermière du château [I]-[W] et le GFA de l’ensemble de leurs demandes,
– condamner in solidum la société fermière du château [I]-[W] et le GFA, à leur verser la somme de 25.000 euros chacun au titre de la procédure abusive,
– condamner in solidum la société fermière du château [I]-[W] et le GFA à leur verser la somme de 30.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum la société fermière du château [I] [W] et le GFA aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 décembre 2014.
SUR CE,
Sur la portée de la cassation
Considérant qu’aux termes du dispositif de leurs dernières écritures, la société Fermière du Château [I]-[W] et le GFA demandent à la cour d”infirmer en son entier le jugement entrepris’ avant de préciser ‘dans les limites de la cassation prononcée’ ;
qu’ils forment par ailleurs une demande de nullité de la marque ‘Baron de [W]’ n° 01 31 00980 ainsi qu’une demande fondée sur les dispositions de l’article L 713-6 du code de la propriété intellectuelle ;
Que les intimés s’opposent à la recevabilité des demandes de la société fermière du château [I]-[W] et du GFA visant à remettre en cause les dispositions de l’arrêt de la cour du 4 juillet 2012 et qui n’ont pas fait l’objet d’une cassation ;
Considérant en effet par arrêt du 13 novembre 2013, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 4 juillet 2012 en ce qu’il avait jugé que le dépôt et l’usage des marques Pavillon de [W] et les Contes de [W] avaient porté atteinte aux droits des consorts de [W] sur leur nom patronymique ;
Que toutefois, la Cour de cassation a partiellement cassé cet arrêt du 4 juillet 2012, d’une part au visa de l’article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle au motif que la cour d’appel a débouté les appelants de leurs demandes reconventionnelles fondées sur la décéptivité de la marque ‘Baron de [W]’, sans rechercher si cette marque enregistrée également pour désigner des vins, n’était pas de nature à tromper le public en lui faisant croire à l’existence d’un lien avec le vin classé 2e grand cru de Saint-Julien produit sous la dénomination ‘château [I] [W]’, et d’autre part au visa de l’article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle, au motif que la cour d’appel a jugé irrecevables les appelants à agir en contrefaçon de la marque ‘Château [I] [W]’ par la marque ‘Baron de [W]’, après avoir relevé que ceux-ci ont toléré pendant plus de cinq ans l’usage de cette marque puisque celle-ci a été déposée le 14 mai 2001 et qu’ils n’ont formé leur demande en contrefaçon qu’en 2009, sans préciser à compter de quelle date les appelants avaient effectivement eu connaissance de l’usage de la marque ‘Baron de [W]’, le seul dépôt de la marque ne constituant pas un acte propre à caractériser la tolérance en connaissance de cause ;
Qu’en conséquence le débat devant la cour, statuant en tant que cour de renvoi,
se limite aux seuls points ayant fait l’objet de la cassation, à savoir la déceptivité de la marque ‘Baron de [W]’ pour désigner également des vins et la forclusion par tolérance de la marque ‘Baron de [W]’ par la société Fermière du château [I] [W] et le GFA, ce que finalement ces dernières reconnaissent dans les motifs de leurs dernières écritures (page 4 4ème §);
Que toutes les autres demandes doivent être déclarées irrecevables conformément à la demande des intimés ;
Sur la mise hors de cause des consorts de [W]
Considérant que les consorts de [W], intimés, demandent à la cour leur mise hors de cause au motif qu’ils ne sont pas propriétaires et n’exploitent pas la marque ‘Baron de [W]’ dont la société civile [Adresse 6] est titulaire ;
Que pour s’opposer à cette demande, la société Fermière du château [I] [W] et le GFA font valoir qu’il s’agit ‘d’une dérobade’ qui est ‘artificielle, injustifiée et révélatrice’, arguments qu’ils font suivre de propos sur ‘la dignité des parties’, et notamment sur celle de [P] [W] élevé au titre de baron en 1814, propos qui sont totalement étrangers au présent débat ;
Considérant ceci exposé, qu’il est constant que la société civile [Adresse 6] est seule titulaire de la marque dénominative française n° 31 009 80 ‘Baron de [W]’ qu’elle a déposée le 14 mai 2001 notamment en classe 33 ;
Qu’en conséquence, les demandes de la société fermière du château [I]-[W] et du GFA, et notamment celle tendant à voir ‘faire interdiction aux intimés d’utiliser le nom de [W] sous quelque forme et en quelque lieu que ce soit pour désigner tout produit et service relevant des classes 31,32, 33 et 40 du fait de la déceptivité et de la contrariété à l’ordre public qui s’y attachent et/ou de la contrefaçon qu’il réalise’ qui ne concerne pas la marque en cause ni le présent litige mais au contraire visent personnellement les consorts de [W], excède les termes de l’arrêt de renvoi et n’est pas recevable ;
Qu’il y a lieu dès lors et à ce stade du litige, de faire droit à la demande de mise hors de cause des consorts [W] telle que sollicitée ;
Sur la demande en nullité de la marque ‘Baron de [W]’ n°01 3 100 980 pour déceptivité
Considérant qu’aux termes de l’article L.711-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, ‘Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe :
(…)
c) De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.’ ;
Qu’en l’espèce qu’il a été précédemment exposé que la société civile [Adresse 6] est titulaire de la marque dénominative française ‘Baron de [W]’ déposée le 14 mai 2001 et enregistrée sous le n° 01 31 009 80 pour désigner notamment en classe 33 ‘les boissons alcooliques (à l’exception des bières), appellations Armagnac, Bas-Armagnac, Cognac, Brandy, Floc de Gascogne ; vins ; autres préparations alcoolisées ; fruits dans de l’alcool’ ;
Que pour solliciter la nullité de cette marque sur le fondement des dispositions susvisées, à tout le moins en ce qu’elles désignent les vins et les distillats de vins, soit les armagnac, bas-armagnac, cognac, brandy et flocs de Gascogne visés au dépôt, la société fermière du château [I] [W] et le GFA font valoir que l’usage, au sein de cette marque, du nom ‘[W]’ pour désigner des vins et des distillats de vin, la rend déceptive en ce que cet usage incitera le public à croire que les produits ainsi désignés bénéficient d’une manière ou d’une autre de la distinction officielle de second cru de [Localité 5], datant de 1855, produit sous la dénomination ‘Château [I] [W]’ ou encore qu’il s’agit de sous-produits de ce cru classé ;
Considérant ceci exposé, qu’il est constant que le caractère trompeur d’une marque doit s’apprécier à la date de la demande d’enregistrement et à l’égard des produits et services visés par celui-ci, soit en l’espèce les vins et les distillats de vins, objets du présent débat ;
Que dans son arrêt du 30 mars 2006 ( [K] [B] C-259/04) rendu en interprétation de l’article 3, paragraphe 1 g) de la Directive 89/104 dont l’article L 711-3 c) est la transposition, la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé que le caractère trompeur suppose que la marque créée un risque de confusion dans l’esprit d’un consommateur moyen, notamment quand la personne, au nom de laquelle correspond la marque, personnifiait à l’origine les produits portant cette marque, ajoutant cependant que les cas de refus visés à l’article 3, paragraphe 1 g) supposent que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur ;
Or en l’espèce, la marque litigieuse ‘Baron de [W]’ déposée notamment comme il a été dit pour désigner les vins et les distillats de vin, est composée d’une part, du titre nobiliaire de baron accordé à [P] [W] par [D] [J] en 1814, que ses descendants les consorts [W], sont aujourd’hui les seuls à pouvoir porter, et d’autre part, du nom patronymique ‘de [W]’, qui constitue le nom d’usage employé dans la vie courante par Messieurs [V], [Y] et [E] [W], propriétaires du domaine ;
Que la marque fait donc exclusivement référence à l’identité et à la qualité des producteurs et non pas à la nature, à la qualité ou à l’origine des produits en cause, lesquels sont issus [Adresse 6], exploité depuis la fin du XIXème siècle par les consorts de [W] ;
Qu’en ce qui concerne plus particulièrement des distillats de vin et notamment les appellations Armagnac, qui bénéficient en effet d’une appellation d’origine contrôlée, tout comme le Bas-Armagnac, qui bénéficie quant à lui d’une appellation géographiquement plus restreinte, il n’existe donc aucun risque de confusion sur la provenance des produits dès lors que le consommateur concerné, qui voudra acheter ou aura acheté une bouteille de tels produits issus [Adresse 6] dans les Landes, et portant la marque ‘ Baron de [W]’, ne sera pas amené à faire un lien avec le vin provenant de l’exploitation ‘Château [I] [W]’, située dans le Médoc et commercialisé sous la marque complexe éponyme ;
Que s’agissant des vins, il a été dit que le vin classé 2ème grand cru de [Localité 5] est produit dans le Médoc sous la marque complexe ‘Château [I] [W] ‘ au sein de laquelle [I] constitue le seul toponyme et correspond au nom originaire du domaine avant son démembrement ; que la cour relève à cet égard que les appelants communiquent sur les dénominations [I]-[W] ou Château [I]-[W], et non pas [W], ce qui d’ailleurs serait contraire aux termes aujourd’hui définitifs du précédent arrêt du 4 juillet 2012 qui ne permettent pas au GFA ni à la société fermière du Château [I] [W] d’utiliser à quelque titre que ce soit le patronyme ‘ de [W]’ non précédé du terme ‘[I]’, et ce à titre de marque, de nom commercial ou de nom de domaine ; qu’en particulier, il est établi qu’en 2004, le premier vin produit sur le domaine [I] Las Cases était commercialisé sous l’appellation Grand Vin de [I], le terme Las Cases, tout comme [W], permettant ainsi que l’indiquent les intimés d’affiner au sein de la parcelle [I], l’origine du vin ; que la marque contestée qui ne reproduit nullement le terme [I] sous lequel le vin a été classé ni même la dénomination Château [I], ne comporte quant à elle aucun élément de nature à tromper le consommateur ; qu’enfin l’unique courrier électronique versé aux débats par les appelants, émanant d’une certaine ‘[A]’ représentant une société chinoise [O] [W] Wine Co, et dont au demeurant rien ne certifie l’origine, n’est pas de nature à attester d’un risque de confusion dans l’esprit d’un consommateur français ;
Que dès lors, la marque ‘Baron de [W]’, enregistrée sous le n° 31 009 80 notamment pour désigner des vins et des distillats de vin, n’incitera pas le public à croire à l’existence d’un lien avec le vin classé 2ème grand cru de [Localité 5] produit sous la dénomination ‘Château [I] [W] ‘ ;
Qu’il en résulte que cette marque n’est déceptive pour aucun des produits qu’elle désigne et ne comporte aucun caractère trompeur et que les appelants doivent être déboutés de leur demande en nullité de la marque n°01 31 009 80 dont la société civile [Adresse 6] est titulaire.
Sur la forclusion par tolérance de la marque ‘ Baron de [W]’
Considérant que les appelants soutiennent que la marque française verbale ‘Baron de [W]’ n° 01 3100980, déposée le 14 mai 2001 en classes 31, 32, 33 et 40, constitue la contrefaçon de la marque française semi-figurative n°1233641 ‘Château [I]’ [W] déposée le 19 avril 1973 selon les certificats d’enregistrements versés aux débats, en classe 33 ;
Que pour voir déclarer irrecevable, ou à tout le moins mal fondée l’action, la société civile [Adresse 6] fait valoir que la société fermière du Château [I] [W] et le GFA avaient connaissance depuis le 14 mai 2001, de l’usage qu’elle faisait de la marque incriminée, de sorte que les demandes formées au titre de la contrefaçon seraient irrecevables en raison de la forclusion intervenue ;
Considérant ceci exposé, que selon l’article L 716-5 alinéa 4du code de la propriété intellectuelle, ‘est irrecevable toute action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois, l’irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l’usage a été toléré’ ;
Qu’il est constant que le seul dépôt de la marque seconde ne constitue pas un acte propre à caractériser la tolérance en connaissance de cause par le titulaire de la marque première et qu’il convient donc de rechercher à compter de quelle date les appelants ont effectivement eu connaissance de l’usage de la marque ‘Baron de [W]’ ;
Or en l’espèce, s’il résulte des pièces versées aux débats, notamment du courrier en date du 27 juin 1991 de Monsieur [X] [L], associé de la société fermière du Château [I] [W] , de celui du 25 avril 1995 de Monsieur [Q], salarié de la société H. Cuvelier et Fils ayant les même dirigeants que la société fermière du Château [I], de la facture du 27 avril 1996 émise à l’encontre de Monsieur [R] [L], également associé de la société fermière du Château [I] [W], du courrier du 27 décembre 2000 émanant également de Monsieur [Q], que les membres de la famille [L] qui dirigent ou animent la société Fermière du Château [I] [W] connaissaient le Bas Armagnac issu [Adresse 6] et l’usage du nom [W] ou de la dénomination ‘ Baron de [W]’ pour le désigner, aucun élément ne démontre en revanche que les appelants avaient effectivement connaissance de l’usage de la marque ‘Baron de [W]’ déposée postérieurement le 14 mai 2001 ;
Que de même, les étiquettes de bouteilles, bouteilles elles-mêmes et emballages, articles de presse, qui au demeurant font état des dénominations [W] et R. [W], ainsi que les commandes de grands restaurants également produites, sont non datés ou antérieurs au dépôt de la marque en cause, et donc a fortiori inaptes à établir son usage et la connaissance effective de cet usage par les appelants, laquelle connaissance effective n’est pas plus établie par la diffusion le 19 décembre 2010 sur la chaîne de télévision TF1 des propos d’un sommelier d’un hôtel ;
Que par ailleurs, à supposer que les appelants aient eu connaissance de la vente intervenue en décembre 2009 des spiritueux du certes célèbre restaurant parisien [1], force est de constater que le catalogue mentionne du Bas Armagnac [Adresse 6] J. [W] 1934 ;
Considérant dès lors qu’ aucun élément du dossier ne démontre que la société Fermière du Château [I] [W] et le GFA avaient, au jour de leur action reconventionnelle en contrefaçon intervenue en 2009, effectivement connaissance de l’usage de la marque ‘Baron de [W]’ déposée le 14 mai 2001 ;
Qu’il en résulte qu’aucune fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance ne peut leur être opposée et l’action en contrefaçon doit être déclarée recevable ;
Sur la contrefaçon
Considérant qu’il a été précédemment exposé que le GFA est titulaire de la marque complexe française Château [I] [W] déposée le 19 avril 1973 selon les certificats d’enregistrement versés aux débats, et enregistrée sous le n° 1233641pour désigner les ‘vins et eaux de vie d’appellation d’origine contrôlée provenant de l’exploitation Château [I] [W]’, ainsi reproduite :
Que les appelants incriminent le dépôt et l’usage de la marque française verbale ‘Baron de [W]’ n° 01 3100980, déposée le 14 mai 2001 en classes 31, 32, 33 et 40 ;
Que les signes étant différents, c’est au regard de l’article 713-3 b) du code de la propriété intellectuelle qui dispose que ‘sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement’ qu’il convient d’apprécier la demande en contrefaçon ;
Qu’il y a lieu plus particulièrement de rechercher si, au regard d’une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public concerné ;
Que les produits commercialisés sous le signe ‘Baron de [W]’ à savoir les ‘boissons alcooliques (à l’exception des bières), appellations Armagnac, Bas-Armagnac, Cognac, Brandy, Floc de Gascogne ; vins ; autres préparations alcoolisées ; fruits dans de l’alcool’, sont similaires aux seuls produits visés dans l’enregistrement de la marque Château [I] [W] en classe 33, à l’exception des autres produits visés par cet enregistrement ;
Que l’appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Que d’un point de vue visuel, la marque première, objet du litige, est une marque complexe composée d’éléments figuratifs non négligeables, à savoir des représentations d’un bâtiment et d’un lion, ainsi que la combinaison des termes ‘Château [I]-[W]’ et de la mention ‘Mis en bouteilles au chateau’ écrits pour les premiers en grosses lettres d’imprimerie grasses et noires, et pour la seconde en italique ; que la marque seconde est une marque verbale composée dans mots ‘Baron de [W]’ écrits en petites lettres d’imprimerie noires ;
Que phonétiquement, les signes se liront ‘Château [I]-[W]’ et ‘Baron de [W]’ n’ayant ainsi en commun que le nom [W] ;
Que sur le plan intellectuel, la marque ‘Château [I] [W]’ évoque le domaine viticole [I] sur lequel le vin est produit, lequel est identifié par un lion, tandis que la marque ‘Baron de [W]’ reprend le titre nobiliaire dont la famille de [W] est décorée depuis une ordonnance de [D] [J] du 6 décembre 1814 ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que nonobstant la similarité partielle des produits concernés, la faible similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble exclut tout risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne ;
Que les appelants seront donc déboutés de leurs demandes formées au titre de la contrefaçon et le jugement confirmé de ce chef ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Considérant que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d’erreur grossière équipollente au dol ;
Que faute pour les intimés de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou d’une légèreté blâmable de la part des appelants, leur demande tendant à voir condamner ces derniers au paiement de dommages-intérêts doit être rejetée ;
Sur les autres demandes
Considérant qu’il y a lieu de condamner in solidum les appelants, parties perdantes, aux entiers dépens, qui comprendront notamment ceux de l’arrêt cassé ;
Qu’en outre, ils doivent être condamnés sous la même solidarité à verser aux consorts de [W] et à la société civile [Adresse 6] , qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme globale de 20.000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant dans les limites de sa saisine,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance et déclare recevable l’action en contrefaçon de la marque ‘Château [I] [W]’ n°1233641par le dépôt et l’usage de la marque française verbale ‘Baron de [W]’ n°01 3100980.
Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 16 décembre 2010 en ce qu’il a débouté la société fermière du château [I] [W] et le Groupement Foncier [Adresse 5] de leur demande reconventionnelle en contrefaçon.
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de la société fermière du château [I] [W] et du Groupement Foncier [Adresse 5] visant à remettre en cause les dispositions de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2012 qui n’ont pas fait l’objet de cassation par l’arrêt du 13 novembre 2013 de la Cour de cassation.
Met hors de cause Messieurs [V], [Y] et [E] [W] à ce stade du litige.
Rejette la demande de nullité de la marque ‘Baron de [W]’.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne in solidum la société fermière du château [I] [W] et le Groupement Foncier [Adresse 5] à verser à Messieurs [V], [Y] et [E] [W] et à la société civile [Adresse 6], ensemble, la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne in solidum la société fermière du château [I] [W] et le Groupement Foncier [Adresse 5] aux entiers dépens, qui comprendront notamment ceux de l’arrêt cassé.
La Greffière La Présidente