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CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 443 FS-B
Pourvoi n° U 21-19.766
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 JUIN 2023
M. [P] [X], domicilié [Adresse 1] (États-Unis), agissant tant à titre personnel qu’en qualité d’administrateur de la succession d'[D] [X] et au nom des héritiers d'[D] [X], a formé le pourvoi n° U 21-19.766 contre l’arrêt rendu le 16 mars 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige l’opposant à la République islamique d’Iran, représentée par son ministre des affaires étrangères, dont le siège est ministère des affaires étrangères, [Adresse 2], [Localité 3] (République islamique d’Iran), défenderesse à la cassation.
La République islamique d’Iran a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Spinosi, avocat de M. [X] et de la SCP Foussard et Froger, avocat de la République islamique d’Iran, et l’avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2021), par jugement du 11 mars 1998, la cour fédérale des Etats-Unis pour le district de Columbia a condamné la République islamique d’Iran, le ministère iranien de l’information et de la sécurité, l’ayatollah [C] [S], M. [T] [U] et M. [Y] à payer à M. [P] [X], agissant à titre personnel et pour le compte de la succession, diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant du décès, en Israël, de sa fille [D] à la suite d’un attentat commis au moyen d’un véhicule chargé d’explosifs et revendiqué par une faction palestinienne du jihad islamique.
2. M. [X] a assigné la République islamique d’Iran aux fins d’obtenir l’exequatur de cette décision en France.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. M. [X] fait grief à l’arrêt de dire la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit et, en conséquence, de déclarer irrecevable sa demande d’exequatur, alors :
« 1°/ que, de première part, le juge de l’exequatur, qui se borne à introduire dans l’ordre juridique français une décision étrangère, ne peut procéder à la révision au fond d’une décision étrangère ; que sauf à méconnaître l’étendue de son pouvoir, ce juge doit ainsi s’en tenir à vérifier la compétence de la juridiction à l’origine de la décision, la conformité de cette décision à l’ordre public international et l’absence de fraude à la loi, et ne peut outrepasser cet office pour apprécier à nouveaux frais la recevabilité ou le bien-fondé de l’action du demandeur ayant été accueillie par le juge étranger ; qu’en l’espèce, en retenant, pour juger la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit, que “la circonstance que le juge américain a lui-même écarté cette immunité de juridiction de l’Iran, en vertu de sa propre loi, dans la décision dont l’exequatur est sollicité, ne saurait empêcher le juge français d’exercer son pouvoir juridictionnel afin d’apprécier si la République islamique d’Iran est recevable et bien fondée à invoquer cette immunité devant lui”, la cour d’appel, qui a apprécié à nouveaux frais la recevabilité et le bien-fondé de cette immunité dont le jugement dont l’exequatur était requis avait précisément retenu qu’elle ne pouvait être opposée au demandeur, a méconnu le principe de prohibition de la révision au fond des décisions étrangères et, partant, a outrepassé son pouvoir juridictionnel et violé l’article 509 du code de procédure civile ;
2°/ que, de deuxième part, et en tout état de cause, les États étrangers ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de l’État ; que la participation d’un État à la préparation et à la mise en oeuvre d’actes de terrorisme ne saurait être qualifiée d’acte de souveraineté ; qu’en l’espèce, en jugeant la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit lorsqu’elle avait préalablement constaté que le jugement dont l’exequatur était sollicité avait “[ ] condamné la République islamique d’Iran et d’autres défendeurs conjointement et solidairement à payer des dommages-intérêts à M. [X], au motif qu’ils ont fourni une aide et des ressources matérielles à un groupe terroriste ayant causé l’homicide de [D] [X]”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les principes régissant l’immunité de juridiction des États étrangers ;
3°/ que, de troisième part, et en tout état de cause, la prohibition des actes de terrorisme constitue une norme impérative du droit international dont la nature même doit s’opposer de façon absolue à l’invocation d’une immunité de juridiction par un État reconnu responsable d’avoir activement participé à de tels actes ; qu’en l’espèce, en jugeant la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit lorsqu’elle avait constaté que le jugement dont l’exequatur était sollicité avait “[ ] condamné la République islamique d’Iran et d’autres défendeurs conjointement et solidairement à payer des dommages-intérêts à M. [X], au motif qu’ils ont fourni une aide et des ressources matérielles à un groupe terroriste ayant causé l’homicide de [D] [X]”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les principes régissant l’immunité de juridiction des États étrangers ;
4°/ que, de quatrième part, le droit d’accès à un tribunal consacré par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ne peut être restreint par le principe de l’immunité de juridiction des États étrangers que si cette limitation est strictement proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; que l’impossibilité, pour une partie ayant obtenu la condamnation définitive et irrévocable d’un État étranger au titre de son implication directe dans une attaque terroriste, d’obtenir la reconnaissance de cette condamnation en France, constitue une atteinte manifestement disproportionnée au droit d’accès à un tribunal ; qu’en l’espèce, en jugeant la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit lorsqu’elle avait constaté que le jugement dont l’exequatur était sollicité avait “[ ] condamné la République islamique d’Iran et d’autres défendeurs conjointement et solidairement à payer des dommages-intérêts à M. [X], au motif qu’ils ont fourni une aide et des ressources matérielles à un groupe terroriste ayant causé l’homicide de [D] [X]”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne ;
5°/ que, de cinquième part, le juge a l’obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu’en l’espèce, en retenant, pour juger la République islamique d’Iran recevable et bien fondée à se prévaloir de l’immunité de juridiction à son profit, que “les circonstances de l’espèce ne permettent pas qu’il soit fait une exception à cette immunité alors que la condamnation de l’État iranien au paiement des dommages-intérêts prononcée par la juridiction américaine ne repose ni sur une déclaration de responsabilité pénale de l’État iranien [ ], ni même sur la démonstration de l’implication directe de l’État iranien ou d’agents de cet État dans l’attentat suicide à la bombe dont a été victime [D] [X]”, lorsque le jugement du 11 mars 1998 dont l’exequatur était demandé disposait au contraire expressément que “l’explosion a été causée par une bombe qui a été délibérément conduite dans le bus par un membre de la faction de [G] du Jihad islamique palestinien agissant sous les instructions des Défendeurs, [notamment] la République islamique d’Iran” (Prod. 5, § 22), la cour d’appel a dénaturé les termes du jugement du 11 mars 1998 en violation du principe selon lequel le juge a l’obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, il résulte de l’article 509 du code de procédure civile que, pour accorder l’exequatur en l’absence de convention internationale, le juge français doit, après avoir vérifié la recevabilité de l’action, s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure, ainsi que l’absence de fraude.
5. La cour d’appel a énoncé à bon droit que, dans une instance en exequatur, le juge français doit s’abstenir de toute révision au fond du jugement qui a été rendu par la juridiction étrangère et dont il apprécie la régularité internationale et que, lorsque l’immunité de juridiction est revendiquée par un État étranger, il lui incombe de statuer préalablement sur cette fin de non-recevoir.
6. Elle a exactement retenu que la circonstance que le juge américain avait lui-même écarté une telle immunité de juridiction, en vertu de sa propre loi, dans la décision dont l’exequatur était sollicité, ne dispensait pas le juge français d’exercer son pouvoir juridictionnel afin d’apprécier si la République islamique d’Iran était recevable et bien fondée à invoquer cette immunité devant lui.
7. En second lieu, les Etats étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction lorsque l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de leur souveraineté et n’est donc pas un acte de gestion.
8. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé (CEDH, Grande chambre, 21 novembre 2001, Al-Adsani c/ Royaume-Uni, requête n° 35763/97) qu’il « faut considérer l’octroi de l’immunité non pas comme un tempérament à un droit matériel, mais comme un obstacle procédural à la compétence des cours et tribunaux nationaux pour statuer sur ce droit », que « l’octroi de l’immunité souveraine à un Etat dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat », que « la Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats », et qu’on « ne peut dès lors de façon générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement reconnues en matière d’immunité des Etats. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des Etats » (dans le même sens, CEDH, 12 octobre 2021, J.C. et Autres c/ Belgique, requête n° 11625/17).
9. Il en résulte que le droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dont l’exécution d’une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s’oppose pas à une limitation à ce droit d’accès, découlant de l’immunité des Etats étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d’immunité des Etats.
10. La Cour internationale de justice a jugé qu’ « en l’état actuel du droit international coutumier, un État n’est pas privé de l’immunité pour la seule raison qu’il est accusé de violations graves du droit international des droits de l’homme ou du droit international des conflits armés », qu’il n’existe pas de conflit entre une « règle, ou des règles, de jus cogens et la règle de droit coutumier qui fait obligation à un Etat d’accorder l’immunité à un autre », que « à supposer […] que les règles du droit des conflits armés qui interdisent de tuer des civils en territoire occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de guerre pour les astreindre au travail forcé soient des normes de jus cogens, ces règles n’entrent pas en conflit avec celles qui régissent l’immunité de l’État. Ces deux catégories de règles se rapportent en effet à des questions différentes. Celles qui régissent l’immunité de l’État sont de nature procédurale et se bornent à déterminer si les tribunaux d’un État sont fondés à exercer leur juridiction à l’égard d’un autre. Elles sont sans incidence sur la question de savoir si le comportement à l’égard duquel les actions ont été engagées était licite ou illicite […] », qu’une « règle de jus cogens est une règle qui ne souffre aucune dérogation, mais les règles qui déterminent la portée et l’étendue de la juridiction, ainsi que les conditions dans lesquelles cette juridiction peut être exercée, ne dérogent pas aux règles de nature matérielle ayant valeur de jus cogens et il n’est rien d’intrinsèque à la notion de jus cogens qui imposerait de les modifier ou d’en écarter l’application » et que, « même en admettant que les actions intentées devant les juridictions italiennes mettaient en cause des violations de règles de jus cogens, l’application du droit international coutumier relatif à l’immunité des États ne s’en trouvait pas affectée » (CIJ, 3 février 2012, Immunités juridictionnelles de l’État, Allemagne c/ Italie ; Grèce (intervenant), C.I.J. Recueil 2012, p. 99).
11. La Cour de cassation a jugé « qu’à supposer que l’interdiction des actes de terrorisme puisse être mise au rang de norme de jus cogens du droit international, laquelle prime les autres règles du droit international et peut constituer une restriction légitime à l’immunité de juridiction, une telle restriction serait en l’espèce disproportionnée au regard du but poursuivi dès lors que la mise en cause de l’Etat étranger n’est pas fondée sur la commission des actes de terrorisme mais sur sa responsabilité morale » (1re Civ., 9 mars 2011, pourvoi n° 09-14.743, Bull. 2011, I, n° 49).
12. La cour d’appel a retenu à bon droit que les actes ayant donné lieu au litige entre M. [X] et la République islamique d’Iran, en ce qu’ils avaient consisté en un soutien financier apporté à un groupe terroriste ayant commis un attentat suicide dans lequel la fille de M. [X] avait trouvé la mort, ne relevaient pas d’actes de gestion de cet Etat.
13. Elle a relevé que l’immunité de juridiction de l’Etat iranien avait été écartée par le juge américain en application de la loi sur l’immunité de juridiction des Etats étrangers prévoyant une exception spécifique pour les actions en justice relatives aux dommages corporels ou décès résultant d’actes de terrorisme parrainés par un Etat étranger et permettant ainsi la recherche de la responsabilité civile de cet Etat.
14. Elle a exactement retenu qu’à supposer même que l’interdiction des actes de terrorisme puisse constituer une norme de jus cogens du droit international de nature à constituer une restriction légitime à l’immunité de juridiction, ce qui ne ressort pas de l’état actuel du droit international, les circonstances de l’espèce ne permettaient pas qu’il soit fait une exception à cette immunité, dès lors que la condamnation de l’Etat iranien au paiement des dommages-intérêts prononcée par la juridiction américaine ne reposait pas sur la démonstration de l’implication directe de la République islamique d’Iran et de ses agents dans l’attentat, mais seulement sur le fondement de la responsabilité civile que cet Etat devrait supporter au titre de l’aide ou des ressources matérielles apportées au groupe ayant revendiqué l’attentat.
15. Elle n’a pu qu’en déduire, sans dénaturation, que la République islamique d’Iran pouvait opposer son immunité de juridiction.
16. Le moyen n’est donc pas fondé.