Votre panier est actuellement vide !
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 12
ARRET DU 21 SEPTEMBRE 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02831 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFGG2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Janvier 2022 -JIVAT du Tribunal judiciaire de Paris – RG n° 20/05703
APPELANT
Monsieur [Y] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 5]
né le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 7] (Algérie)
représenté par Me Didier SEBAN de la SELAS SEBAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498
INTIME
LE FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 4]
[Localité 6] – FRANCE
représenté par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE ET ASSOCIEES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juillet 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie LEROY, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sylvie LEROY, Conseillère faisant fonction de présidente
Mme DorothéeDIBIE, Conseillère
Mme Valérie GEORGET, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Joanna FABBY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Sylvie LEROY, Conseillère faisant fonction de présidente et par Eva ROSE-HANO, Greffière présente lors du prononcé.
[S] [Z], né le [Date naissance 1] 1985, victime des attaques terroristes perpétrées le 13 novembre 2015, alors qu’il se trouvait devant la salle de spectacle du [8], est décédé des suites de ses blessures.
Le Fonds d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI) a versé aux parents et aux frères et soeurs de [S] [Z], dont M. [Y] [Z], aîné de la fratrie, des indemnités provisionnelles.
En l’absence d’accord sur le montant des indemnisations définitives, les consorts [Z] ont saisi la juridiction d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (la JIVAT) du tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement du 6 janvier 2022, la JIVAT a condamné le FGTI à payer, avec exécution provisoire à hauteur des deux tiers du montant des condamnations, les sommes suivantes:
1/ à M.[N] [Z] et à Mme [L] [U] épouse [Z], parents de la victime, à chacun d’eux :
– 35 000 euros au titre du préjudice d’affection,
– 12.500 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme,
– 3.000 euros au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude,
– 340 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
2/ à MM [Y], [C], [W], [P] et [B] [Z] et à Mmes [A] [Z] et [D] [X] épouse [Z], frères et soeurs de la victime, à chacun d’eux :
– 15 000 euros au titre du préjudice d’affection,
– 6.000 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme,
– 3.000 euros au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude,
– 340 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
3/ à la succession, en réparation du préjudice de souffrances de [S] [Z] : 20.000 euros.
M. [Y] [Z] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 5 octobre 2022, M. [Y] [Z] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de lui allouer les sommes suivantes en réparation de son préjudice :
– 45.800 euros au titre de son préjudice d’affection,
– 10.000 euros au titre du préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude,
– 30.000 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’attentats
et la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 18 juillet 2022, le FGTI demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR
L’appelant expose que l’histoire familiale a soudé l’ensemble des membres de la famille ; qu’en effet, son père a combattu pour la France pendant la guerre d’Algérie et que victime de persécutions, il est arrivé en France en 2007, contraint de laisser momentanément sa famille en Algérie ; que sa femme l’a rejoint en 2010, puis progressivement l’ensemble des enfants, lui-même en 2012 et [S] en 2014 ; qu’ils étaient très proches ;qu’il est resté dans l’incertitude du sort de son frère après qu’ils ont dîné ensemble au domicile parental le soir de l’attentat, avant que ce dernier aille rejoindre des amis sur [Localité 10], jusqu’au dimanche 15 novembre vers 17h30 ; que son frère devait fêter ses 31 ans le lendemain de l’attentat.
– préjudice d’attente et d’inquiétude
M. [Y] [Z] fait valoir que les membres de la famille ne savaient pas que [S] se trouvait aux alentours du [8], mais qu’ayant appris les événements qui s’y déroulaient, ils tentaient de le joindre sur son portable sans obtenir de réponse, l’angoisse commençant à monter parmi eux ; que le 15 novembre, toujours sans nouvelles, ils se rendaient au domicile de [S] puis que son père, accompagné de sa fille [D], se rendait au commissariat de [Localité 9] où un officier de police leur apprenait que [S] faisait ‘potentiellement’ partie des victimes.
Lui-même apprenait la mort de [S] au cours d’un échange téléphonique éprouvant, avec son frère [B], le dimanche 15 novembre 2015 aux alentours de 17h30, et était contraint de se rendre à la morgue le 16 novembre pour reconnaître le corps de son frère, décédé vraisemblablement parmi les premiers, devant le [8].
Il évalue à 72 heures l’attente de l’annonce du décès, durant lesquelles l’angoisse et l’inquiétude qu’il a éprouvées, n’ont fait que croître.
Sur ce,
Le préjudice d’attente et d’inquiétude est constitué par l’inquiétude éprouvée par les proches de la victime directe, qui pensent ou savent que celle-ci se trouve exposée à un péril de nature à la mettre en danger, pendant la période de temps où ils demeurent dans l’incertitude quant à son sort.
En l’espèce, lors de son audition par les services de police le 17 novembre 2015, M. [Y] [Z] a déclaré que son frère [S] avait dîné avec ses parents et ses frères et soeurs sauf lui, et que ses proches lui avaient raconté que [S] était arrivé vers 19 heures et était reparti environ une heure plus tard, sans préciser cependant ni où, ni avec qui il allait.
Lui-même n’avait eu connaissance des événements dramatiques survenus ce soir là qu’à la fin d’un match de football qu’il regardait chez lui, à la télévision, avec son fils, en suivant les actualités.
Le lendemain, il prenait contact avec ses proches ‘surtout pour prendre des nouvelles de son frère [B]’, car il savait qu’il aimait se rendre sur [Localité 10].
Son père lui répondait que tout allait bien et que les trois garçons, [C], [S], et [B] avaient dîné à la maison.
Il avait demandé à son père d’appeler [S], et lui-même se chargeait de téléphoner à [C], qui répondait, mais [S] était injoignable.
Il précisait : ‘cela ne nous a pas étonnés car il pouvait rappeler deux jours plus tard.’
Le dimanche 15 novembre, toujours sans nouvelle, [B] tentait à nouveau de le joindre mais personne ne répondant, ils commençaient tous à s’inquiéter.
Il avait demandé à son père de se rendre au domicile de [S] mais ce dernier ne connaissait pas son adresse exacte.
Son père et deux de ses enfants partaient à la recherche de [S], dans [Localité 9] où il se promenait souvent.
Sans aucune nouvelle, ceux-ci se rendaient à la gendarmerie qui, après avoir pris note de l’identité de [S], leur apprenaient qu’il était décédé lors des attentats survenus deux jours plus tôt, et que son corps se trouvait à la morgue, à [Localité 10].
Lui-même était averti du décès de son frère à 17h30, par [B].
Ils se rendaient à la morgue le lendemain, où ils procédaient à la reconnaissance du corps.
Il résulte des déclarations de M. [Y] [Z] qu’avant le dimanche 15 novembre, il cherchait à savoir où se trouvait son frère, sans cependant s’inquiéter outre mesure dès lors qu’il était courant qu’il ne rappelle pas immédiatement à la suite d’appels téléphoniques. C’est dans ces conditions qu’il s’est véritablement inquiété de l’absence de réponse de son frère aux appels et messages qui lui étaient adressés à partir du 15 novembre.
Durant cette journée, dans le contexte des attentats survenus le 13 novembre, il a vécu dans l’angoisse du devenir de son frère, ce que démontrent les démarches qu’il a entreprises avec les autres membres de sa famille pour le retrouver.
La décision déférée mérite d’être confirmée en ce qu’elle lui a alloué la somme de 3.000 euros en réparation.
– préjudice d’affection
M. [Y] [Z] fait valoir que l’annonce de la mort de [S], intervenue après plusieurs jours d’angoisse, a été particulièrement brutale, et lui a occasionné un choc psychologique.
Il souligne qu’il rencontre des difficultés à consulter des praticiens afin de dresser des certificats médicaux constatant son état de détresse notamment parce qu’il ne parle pas couramment le français.
Le FGTI considère que la somme allouée au titre du préjudice d’affection est conforme aux montants généralement alloués en réparation du décès d’un frère ou d’une s’ur n’ayant plus de vie commune avec le demandeur, et que rien ne justifie que soit fait un sort particulier à l’appelant.
Sur ce,
M. [Y] [Z] rappelle à juste titre que l’évaluation du préjudice doit se faire in concreto.
Il communique le livret de famille de ses parents et son procès-verbal d’audition du 17 novembre 2015.
Né le [Date naissance 3] 1972, il est l’aîné de la fratrie issue de l’union de [N] [Z] et de [L] [U] qui ont eu ensemble huit enfants. [S], né le [Date naissance 1] 1984, était leur septième enfant, livret de famille à l’appui.
Lors de son audition par les services de police, M. [Y] [Z] a relaté son histoire familiale et déclaré que son frère vivait en France depuis le 11 août 2014.
Sans nier le caractère particulièrement douloureux de l’épreuve traversée par l’appelant, et le retentissement psychologique qu’elle a provoqué pour lui, la cour considère que l’indemnisation de 15.000 euros qui lui a été allouée par la JIVAT en réparation de son préjudice d’affection a été exactement appréciée.
Cette disposition du jugement mérite d’être confirmée.
– préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
M. [Y] [Z] n’établit pas avoir subi un dommage non réparé à un autre titre.
Il y a lieu de confirmer la décision déférée, l’indemnité de 6.000 euros correspondant à l’offre du FGTI.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans la limite de l’appel,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
Laisse les dépens d’appel à la charge de l’Etat,
Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée, ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LA PRESIDENTE LA GREFFIERE