Votre panier est actuellement vide !
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 19 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/04278 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MHS3
S.A.R.L. S.D.L.
c/
SA BPCE IARD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 juillet 2021 (R.G. 2021.01229) par le Tribunal de Commerce d’ANGOULEME suivant déclaration d’appel du 22 juillet 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. S.D.L. prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 1]
représentée par Maître William DEVAINE de la SCP ACALEX AVOCATS CONSEILS ASSOCIES, avocat au barreau de CHARENTE
INTIMÉE :
SA BPCE IARD prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 3]
représentée par Maître Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Caroline CAUZIT de la SELARL CORNET-VINCENT-SEGUREL avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
La SARL SDL, qui exploite à [Localité 2] un établissement à l’enseigne Hôtel d'[Localité 4], a conclu avec la SA BPCE IARD un contrat d’assurance dénommé ASSUR-BP Multirisque Pro, avec effet au 28 mai 2019.
Par courrier en date du 18 décembre 2020, la société SDL a déclaré un sinistre auprès de la société BPCE IARD, en sollicitant le bénéfice de la garantie perte d’exploitation prévue au contrat, pour un montant total de 50 663 euros, en indiquant avoir dû fermer son établissement entre le 16 mars 2020 et le 11 mai 2020, puis de la fin octobre 2020 à la mi-décembre 2020, à la suite des mesures gouvernementales destinées à lutter contre la propagation du virus de la Covid 19, et de la fermeture de certaines catégories d’établissements.
Par courrier en date du 22 décembre 2020, la société BPCE IARD a refusé de régler une indemnité en faisant valoir que la garantie perte d’exploitation n’était pas mobilisable, les hôtels ne faisant pas partie des catégories d’établissements visées par l’obligation de fermeture.
L’obligation de couverture de l’assureur a pris fin le 31 décembre 2020, à la suite de la décision de résiliation du contrat notifiée le 26 octobre 2020 par la société BPCE IARD, en l’absence d’accord avec son assurée concernant la signature d’un avenant supprimant à partir de 2021 la garantie perte d’exploitation en cas d’épidémie.
Dans le cadre d’une autorisation d’assigner à jour fixe, délivrée par le président du tribunal de commerce, la société SDL a, par acte en date du 22 mars 2021, fait assigner la société BPCE IARD en paiement de la somme de 50 663 euros au titre de sa perte d’exploitation.
Par jugement en date de 1er juillet 2021, le tribunal de commerce d’Angoulême a :
– rejeté la demande de mobilisation de la police d’assurance de la société BPCE IARD pour la couverture de la perte d’exploitation de l’hôtel de la société SDL,
– débouté la société SDL de sa demande de paiement de la somme de 50,663 euros au titre de la garantie pertes d’exploitation,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société SDL à tous les dépens,
– liquidé les dépens du présent jugement à la somme de 60,22 euros,
– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal de commerce a considéré, en substance, que les mesures générales de confinement imposées aux citoyens et non à titre spécifique à la SARL SDL ne sauraient être regardées comme une décision lui imposant la fermeture de l’établissement; cette fermeture n’ayant procédé que d’une décision unilatérale de gestion interne prise par l’exploitante.
Par déclaration en date du 22 juillet 2021, la société SDL a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, en intimant la société BPCE IARD.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 25 janvier 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société SDL, demande à la cour de :
Vu les dispositions contractuelles et celles des articles 1103, 1104, 1188, 1190 et 1217 du code civil,
– juger recevable l’appel interjeté par elle,
– infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
– juger que les conditions de la garantie « pertes d’exploitation » due par la société BPCE IARD sont réunies,
– condamner à ce titre la société BPCE IARD à lui payer la somme de 50 663 euros,
– condamner la même au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens des deux instances.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 07 février 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société BPCE IARD, demande à la cour de :
Vu l’article 1103 du code civil,
Vu les articles L. 112-3 et suivants du code des assurances,
Vu l’arrêté du 14 mars 2020,
Vu les décrets n°2020-293 et n°2020-1310 des 23 mars et 29 octobre 2020,
– confirmer le jugement du tribunal de commerce d’Angoulême du 1er juillet 2021 en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire,
– juger que la demande de la société SDL ne répond pas à la définition contractuelle de l’indemnité à laquelle elle pourrait prétendre,
– débouter la société SDL de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
à titre très subsidiaire,
– juger que la société SDL gardera à sa charge la franchise contractuelle fixe, à la somme de 500 euros par sinistre,
– en tout état de cause, et à hauteur d’appel,
– condamner la société SDL à lui verser la somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance, distraits au profit de Maître Leconte, avocat sur son affirmation de droit.
La proposition de recours à la médiation a été refusée par la société BPCE IARD.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 06 juin 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du 20 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Se fondant sur les dispositions des articles 103 et 1104 du code civil, ainsi que sur l’intercalaire des professions de restauration et de l’hôtellerie liant les parties, l’appelante expose que la perte d’exploitation peut être indemnisée, même en l’absence d’une décision de fermeture administrative visant l’établissement, puisqu’il suffit de justifier de l’existence de décisions réglementaires rendant impossible l’accès à son établissement par suite d’une épidémie, ce qui a bien été le cas en l’espèce en raison des mesures de restriction des déplacements imposées à la population à compter de mars 2020.
2- Au visa des articles 1103, 1188 du code civil, L. 112-3 et L. 112-4 du code des assurances, la société BPCE IARD réplique que la perte d’exploitation ne constitue pas un risque assuré de manière autonome au titre des conditions générales, mais seulement une conséquence dommageable susceptible d’être prise en charge à condition qu’il existe un sinistre garanti, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Elle ajoute que la clause de l’intercalaire intitulée ‘Interdiction d’accès à votre établissement’ ne permet pas davantage de mobiliser la garantie perte d’exploitation, à défaut de preuve d’une impossibilité d’accès à l’établissement, découlant d’une décision des pouvoirs publics.
Sur ce :
3 – Selon les dispositions de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
4- Selon les dispositions de l’article L.112-4 du code des assurances, la police d’assurance est datée du jour où elle est établie. Elle indique :
– les noms et domiciles des parties contractantes ;
– la chose ou la personne assurée ;
– la nature des risques garantis (souligné par la cour);
– le moment à partir duquel le risque est garanti et la durée de cette garantie ;
– le montant de cette garantie ;
– la prime ou la cotisation de l’assurance.
5- Enfin, selon les dispositions de l’article 1353 alinéa 1er du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
6- Il en résulte qu’en matière d’assurance, il appartient à l’assuré qui sollicite l’application de la garantie d’établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie.
7- Le contrat d’assurance conclu à effet au 28 mai 2019, qui a lié les parties jusqu’au 31 décembre 2020, date d’effet de la résiliation à l’initiative de l’assureur, comportait :
– la proposition d’assurance valant avis de conseil, acceptée par la société SDL, relative au contrat ASSUR-BP Multirique Pro, comportant notamment la garantie pertes d’exploitation (Pack sécurité financière),
– les conditions générales de la police N° 14756 01-19 dénommée ASSUR-BP Multirisque Pro,
– l’intercalaire n°14764 aux conditions générales Multirisque professionnelle n°14756.
8- La garantie de base Perte d’exploitation, telle que prévue à l’article 14.1 des conditions générales, n’est pas mobilisable en l’espèce, au regard des stipulations de l’article 14.2, en l’absence de survenance de l’un des évènements garantis aux articles 2 et 4.1.2 (incendies et événements assimilés, dommages électriques, dégâts des eaux, événements climatiques, bris des vitres, vitres vitrines et enseignes, choc de véhicule) ou aux articles 22 et 23 (catastrophes naturelles, actes de terrorisme ou attentat, pollution accidentelle de l’air du sol, des eaux fuite de gaz, outre les hypothèses visées par l’article 14.2 1 paragraphes d) et e).
9- En conséquence, la société appelante fonde exclusivement sa demande sur les stipulations figurant en page 6 de l’intercalaire n° 14’764 qui prévoient au bénéfice de l’assuré la garantie Pack sécurité financière, par extension à l’article 14. 2 paragraphe 1 en cas de:
– ‘Carence d’approvisionnement par vos fournisseurs’ (non applicable)
– ‘interdiction d’accès à votre établissement’.
À ce paragraphe, l’assureur s’engage à garantir ‘les pertes d’exploitation résultant d’une impossibilité d’accès à votre établissement en cas d’interdiction par une autorité compétente ou d’une décision des pouvoirs publics consécutive à :
– une maladie contagieuse, épidémie intoxication,
– un homicide ou suicide survenu dans l’enceinte de l’établissement.’
10- Il est constant, en premier lieu, que durant les périodes visées par l’appelante, le Préfet de la Charente n’a pas pris d’arrêté individuel ou collectif limitant ou interdisant l’accès du public à des hôtels.
11 – Par ailleurs, ni l’arrêté du 14 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, complété par celui du 15 mars 2020, ni le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ni l’article 40 du décret 2020-1310 du 29 octobre 2020 n’ont rendu impossible l’accès du public aux hôtels.
Les textes précités ont au contraire exclu les établissements de la catégorie O (hôtels et pensions de famille, selon la nomenclature de l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980) de la liste des établissements qui ne pouvaient plus accueillir du public.
L’annexe à l’arrêté du 14 mars 2020 complété par celui du 15 mars 2020, et l’annexe au décret du 23 mars 2020 prévoyaient expressément que les hôtels et hébergements similaires pouvaient continuer à recevoir du public.
L’article 40 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 a interdit l’accès au public des hôtels, mais seulement pour les espaces dédiés aux activité de restauration et de débit de boisson, de sorte que l’accès à l’Hôtel d'[Localité 4] n’a nullement été rendu impossible, et l’appelante indique d’ailleurs elle-même qu’elle n’a pas fermé ses portes lors du second confinement qui a débuté le 29 octobre 2020.
12- En outre, la condition ‘d’impossibilité d’accès à l’établissement’ ne souffre aucune ambiguité, ni difficulté d’interprétation, et ne peut s’entendre en l’espèce que comme une impossibilité pour la clientèle de pénétrer dans les espaces dédiés à l’activité d’hôtellerie.
Sauf à dénaturer les termes du contrat, elle ne peut être caractérisée par le seul constat d’une baisse importante de clientèle, à la suite des mesures de confinement et de restrictions des déplacements de personnes adoptées par les autorités publiques pendant la période d’état d’urgence sanitaire, puisque certaines catégories de personnes justifiant de motifs de dérogation avaient la possibilité de se déplacer hors de leur domicile et de séjourner à cette occasion dans les hôtels.
13- Il en résulte que la clause invoquée ne peut recevoir application.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires :
14- Il est équitable d’allouer à la société BPCE IARD une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SARL SDL à payer à la société BPCE IARD la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la SARL SDL aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Maître Philippe Leconte de la SELARL LEXAVOUE sur ses affirmations de droit.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président