ARRÊT N°23/
PC
R.G : N° RG 21/01543 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FTN4
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
S.A.R.L. LA BAIE DU COURRIER
RG 1ERE INSTANCE : 2020J00162
COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2023
Chambre commerciale
Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT DENIS en date du 26 JUILLET 2021 RG n° 2020J00162 suivant déclaration d’appel en date du 20 AOUT 2021
APPELANTE :
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Mickaël NATIVEL de la SELAS SOCIETE D’AVOCATS MICKAEL NATIVEL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.A.R.L. LA BAIE DU COURRIER
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Betty VAILLANT de la SELARL BETTY VAILLANT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
CLOTURE LE : 20/02/2023
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Juin 2023 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 15 Septembre 2023.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 15 Septembre 2023.
* * *
LA COUR
La SARL La Baie du Courrier, dont le siège social est situé [Adresse 3] à [Localité 4] exploite un établissement de restauration. Par acte sous seing privé du 26 décembre 2016, la société La Baie du Courrier a souscrit auprès de la SA AXA France IARD (AXA) un contrat d’assurance dit « Multi Professionnelle ».
Par arrêté du 14 mars 2020, le gouvernement a interdit aux restaurants et débits de boisson de recevoir du public jusqu’au 15 avril 2020. Afin de ralentir la propagation du virus « Covid 19 », s’y est ajouté un confinement généralisé à compter du 16 mars 2020. L’ensemble de ces mesures a été prolongé jusqu’au 11 mai 2020. Par décret du 31 mai 2020, il a été autorisé la réouverture des bars et débits de boisson en zone verte à la date du 2 juin 2020, sous diverses conditions : distance d’un mètre entre les tables et tables de 10 personnes maximum ayant réservé ensemble.
L’activité du restaurant de La Baie du Courrier a donc été interrompue du 15 mars au 1er juin 2020 avant de reprendre avec des restrictions, soit une période de deux mois et demi d’inactivité.
Par lettre recommandée avec AR du 18 juin 2020, pour faire face aux pertes engendrées par cette fermeture forcée, le conseil de la société La Baie du Courrier a sollicité la mise en ‘uvre de son contrat d’assurance « Multi Professionnelle ».
Dans un courrier en réponse du 22 juin 2020, AXA a refusé sa garantie.
Par acte du 25 août 2020, la société La Baie du Courrier a fait assigner AXA devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion aux fins de condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de 69.540 euros au titre de la perte de marge estimée sur la période allant du 15 mars au 1er juin 2020, 22,906 euros au titre de la prise en charge des charges fixes pour la période allant du 15 mars au 1er juin 2020, 3.000 euros à titre de dommages et intérêts résidant dans le préjudice moral subi par la société La Baie du Courrier pour avoir été contrainte d’intenter la présente action malgré les nombreuses tentatives de conciliation et 3000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par jugement rendu le 26 juillet 2021, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de Saint Pierre de la Réunion a statué en ces termes :
Déboute la société La Baie du Courrier de ses quatre demandes « tendant à constater » ;
Déclare réputée non écrite la clause d’exclusion de garantie dont se prévaut la société AXA France IARD à l’égard de la société La Baie du Courrier, telle que ci-dessous reproduite :
« SONT EXCLUES LES PERTES D’EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L’OBJET SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L’ETABUSSEMENT ASSURE, D’UNE MESURE DE FERMETURE ADMNISTNATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE » ;
Ordonne une expertise comptable ;
Désigne M. [N] [P] [Y], [Adresse 1] pour y procéder avec mission de : (‘)
. Examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;
. Donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de l’activité, de la marge brute (chiffre d’affaires – charges variables) incluant les charges salariales et les aides d’état ; (‘)
Déboute la société La Baie du Courrier de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
Déboute la société AXA France IARD de l »ensemble de ses demandes ;
Renvoie l’affaire à l’audience du tribunal mixte de commerce du 26 janvier 2022 à 9 heures ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Constate l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;
Condamne dès à présent la société AXA France IARD à payer à la société La Baie du Courrier la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Réserve en l’état les dépens, à l’exception des frais de jugement taxés et liquidés à la somme de 62,92 euros TTC, en ce non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’il y a lieu.
Par déclaration déposée au greffe le 20 août 2021, la société AXA a interjeté appel de cette décision.
Un conseiller de la mise en état a été désigné par ordonnance en date du 10 septembre 2021.
La société AXA France IARD a déposé ses premières conclusions d’appelante par RPVA le 22 octobre 2021.
La SARL LA BAIE DU COURRIER, constituée le 11 octobre 2021, a remis es premières conclusions d’intimée au greffe de la cour par RPVA le 19 janvier 2022.
La clôture est intervenue le 20 février 2023.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives N° 4, remises au greffe le 16 février 2023, la Société AXA demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL
INFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté la société AXA FRANCE IARD de ses demandes tendant à juger de l’application et de la validité de la clause d’exclusion ;
STATUANT A NOUVEAU
JUGER que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion, qui est applicable en l’espèce ;
JUGER que cette clause d’exclusion respecte le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du Code des assurances ;
JUGER qu’en l’absence de doute, l’article 1190 du Code civil n’est pas applicable en l’espèce;
JUGER que cette clause d’exclusion ne vide pas l’extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l’article L. 113-1 du Code des assurances et qu’elle ne prive pas l’obligation essentielle d’AXA FRANCE IARD de sa substance au sens de l’article 1170 du Code civil ;
En conséquence :
JUGER applicable en l’espèce la clause d’exclusion dont est assortie l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie ;
DEBOUTER la société LA BAIE DU COURRIER de l’intégralité de ses demandes formées à l’encontre de la société AXA FRANCE IARD ;
ANNULER la mesure d’expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis ;
A TITRE SUBSIDIAIRE
ORDONNER la fixation de la mission de l’Expert désigné par le Tribunal de commerce de Saint-Denis-de-la-Réunion comme suit :
‘ Se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission, notamment l’estimation effectuée par l’Assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d’exploitation sur les trois dernières années ;
‘ Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l’issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
‘ Examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;
‘ Donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de l’activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;
‘ Donner son avis sur le montant des aides/subventions d’Etat perçues par l’Assurée.
‘ Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l’évolution de l’activité et des facteurs externes et internes susceptibles d’être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
DEBOUTER l’Assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif;
CONDAMNER la société LA BAIE DU COURRIER à payer à AXA FRANCE IARD la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
* * *
Aux termes de ses uniques conclusions N° 1, remises au greffe le 19 janvier 2022, la société LA BAIE DU COURRIER demande à la cour de :
I- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu en date du 26 juillet 2021 ;
II-/ EN TOUT ETAT DE CAUSE, STATUANT A NOUVEAU
– CONDAMNER la société AXA France IARD au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
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Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.
Elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur la garantie perte d’exploitation sollicitée par la SARL LA BAIE DU COURRIER :
La société LA BAIE DU COURRIER affirme que la garantie perte d’exploitation stipulée au contrat d’assurance souscrit auprès de la société AXA France IARD doit être mobilisée à son profit. Elle plaide pour la confirmation du jugement qui a considéré que la clause invoquée par l’assureur n’est ni formelle, ni limitée.
D’une part, la clause d’exclusion appelle plusieurs interprétations, ce qui exclut son caractère formel. Ni le terme « épidémie » ni celui « d’établissement », ni encore celui de « cause identique » ne sont définis précisément au contrat. L’absence de définition de ces termes met donc indiscutablement en cause la clarté et l’évidence de cette clause, car il n’appartient pas à l’assuré de déterminer ce qu’est « une cause identique », « un autre établissement » et encore moins de faire le tri dans les différentes définitions du terme « épidémie ».
Selon l’intimée, s’agissant de contrats d’adhésion, l’assurée n’a donc par définition que très peu de marge de man’uvre pour demander des précisions, ou des modifications à son contrat. En l’espèce, l’assurée n’a pas été en mesure de connaître exactement l’étendue de sa garantie.
Or, si la clause d’exclusion doit être interprétée, elle n’est pas formelle et l’une des conditions posées par l’article L 113-1 du code des assurances n’est pas remplie.
A propos de l’absence de caractère limité de cette clause d’exclusion, la SARL LA BAIE DU COURRIER fait valoir que l’imprécision des termes utilisés ne permet donc pas de circonscrire clairement le périmètre de l’exclusion en raison de son caractère imprécis et trop large.
Selon l’intimée, la clause d’exclusion s’activerait dès lors que dans un même département, un autre établissement quel que soit sa nature – sans pour autant se cantonner aux métiers de la restauration- serait touché par une épidémie ou une maladie contagieuse. Cette exclusion « fourre-tout » est donc tout à fait déraisonnable et revient finalement à supprimer complètement les effets de la garantie proposée par l’assureur.
Elle affirme que la compagnie d’assurance fait une inexacte application de sa propre clause d’exclusion car la société AXA ne rapporte aucunement la preuve qu’aucun autre établissement sur le même département n’a fait l’objet de cette même mesure. Or, le fait de n’accepter une prise en charge que si l’assuré est le seul de son département à subir une fermeture administrative des suites d’une maladie contagieuse, d’une intoxication ou d’une épidémie paraît complètement ahurissant et jette un sérieux doute sur la légalité de la clause. A l’heure du COVID-19, un tel scénario est parfaitement antinomique avec la notion même d’épidémie qui, par essence a vocation à se propager à plusieurs autres établissements. Dans ces circonstances, il est donc évident que la stipulation d’une telle exclusion anéantirait complètement les effets de l’extension de garantie et la viderait donc de toute sa substance.
En réplique, la société AXA France IARD soutient que la clause d’exclusion respecte le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du code des assurances et qu’elle est bien applicable en l’espèce. Selon l’appelante, la clause d’exclusion contestée respecte également le caractère limité exigé par l’article L. 113-1 du Code des assurances.
En premier lieu, l’assureur rappelle que l’assurée, lors de la souscription des conditions particulières du contrat, a reconnu avoir « bien pris connaissance (‘) des conditions de garantie et des exclusions ». Or, le contrat comportait l’extension de garantie assortie de la clause d’exclusion litigieuse, qui figurait de façon parfaitement visible en caractères très apparents. Les termes, dont aucun ne relève du vocabulaire spécialisé de l’assurance, et les critères d’application de la clause d’exclusion sont parfaitement clairs de sorte qu’elle ne souffre d’aucune ambiguïté. Il n’est ainsi pas concevable que l’Intimée, ayant lu son contrat, n’ait pas été en mesure de comprendre le cas où la garantie est due (mon établissement est le seul à subir une fermeture administrative) et le cas où la garantie est exclue (d’autres établissements dans le même département sont fermés pour la même cause). L’appelante en déduit que l’assurée, en sa qualité de professionnelle de la restauration, ne pouvait pas se méprendre sur la portée de la clause d’exclusion lors de la souscription de son contrat
Elle soutient aussi qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir défini le terme « épidémie » dans le contrat litigieux.
La société AXA FRANC IARD affirme que les trois critères d’application de la clause d’exclusion ne souffrent d’aucune imprécision et sont compréhensibles par tout un chacun.
i) Un critère de nombre : la clause d’exclusion s’applique dès lors qu’il y a plus d’un établissement qui fait l’objet d’une fermeture administrative ;
ii) Un critère territorial : le nombre d’établissement fermé s’apprécie à l’échelle d’un même département ;
iii) Un critère causal : les fermetures d’établissements intervenues au sein d’un même département doivent être consécutives à une « cause identique », ces termes étant parfaitement compréhensibles par un assuré, sans qu’il ne soit besoin d’apprécier le terme « épidémie » compris au titre des conditions de garantie.
L’appelante plaide que « ce qui provoque l’exclusion, c’est la fermeture d’un autre établissement (critère n° 1) au sein du même département (critère n° 2) pour une cause identique (critère n° 3). Ainsi, à supposer même qu’il y ait une ambiguïté sur le terme « épidémie » cela n’a aucun impact sur le jeu de l’exclusion, qui suppose uniquement que les fermetures aient des causes identiques, quelle que soit cette cause. Ce qui compte, ce n’est donc pas la nature de l’épidémie et donc indirectement sa définition, mais sa conséquence : la fermeture du seul établissement assuré ou celle de plusieurs établissements dans le département pour la même cause.
Selon la société AXA, l’absence de définition du terme « épidémie », qui est seulement employé au titre des conditions de garantie, n’affecte pas la validité de la clause d’exclusion. L’assuré n’a donc pas besoin d’appréhender la notion d’épidémie pour comprendre ce qui est exclu.
Elle souligne que la proposition d’avenant faite par AXA FRANCE ne remet pas en cause la clarté de la clause d’exclusion.
Ceci étant exposé,
L’article 1170 du code civil dispose que toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.
Aux termes de l’article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
La clause énonçant une condition de la garantie n’est opposable à l’assuré que si elle a été portée précisément à sa connaissance. Une exclusion de garantie n’est valable que dans la mesure où elle est formelle, c’est-à-dire précise, et limitée, c’est-à-dire qu’elle ne vide pas la garantie de sa substance.
La clause d’exclusion est celle qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque.
La portée ou l’étendue de l’exclusion doit être « nette, précise, sans incertitude, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti » (Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, n° 18-19.616). La clause qui nécessite une interprétation ne peut être considérée comme formelle (Cass. 2e civ., 29 mars 2018, n° 17-21.708). Ne sont pas limitées les clauses qui, par leur nombre ou leur étendue, vident le contrat de sa substance et annulent pratiquement la garantie fournie par la police (Cass. 3e civ., 7 nov. 2019, n° 18-22.033).
Il se déduit de ces textes et de la jurisprudence constante que l’exclusion de garantie doit être limitée, c’est-à-dire précise, sans équivoque quant à son étendue et doit laisser la place pour une garantie substantielle. Ainsi, l’exclusion ne doit pas priver de tout objet la garantie souscrite.
En l’espèce, le contrat d’assurance « MULTIRISQUE PROFESSIONNELLE » souscrit le 26 décembre 2016 (Pièce N° 2 de l’appelante) a pour objet, notamment, de garantir la perte d’exploitation, y compris les frais supplémentaires et avec une période d’indemnisation de douze mois (Page 4 des conditions particulières).
Selon la clause « PERTE D’EXPLOITATION SUITE A FERMETURE ADMININSTRATIVE », « la garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutive à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lors ce que les deux conditions suivantes sont réunies :
1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieur à vous-même ;
2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.
(‘)
Sont exclues :
‘ les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. »
Cette dernière mention d’exclusion est rédigée en lettres majuscules parfaitement lisibles et claires.
En l’état, les conditions particulières versées aux débats ne sont pas signées par l’assurée mais aucune des parties ne conteste la régularité de celles-ci.
Il est ainsi justifié par la compagnie d’assurance de ce que la partie relative à l’exclusion de garantie figure de manière très apparente par la rédaction de cette clause en majuscules et par l’adoption d’une taille différente de celle adoptée dans le corps du texte de sorte que la clause litigieuse répond aux exigences posées par l’article L 112-4 du code des assurances la rendant de ce fait opposable à l’assurée
Enfin, la charge de la preuve de l’effectivité de la clause d’exclusion incombe à l’assureur.
Pourtant, l’appelante, bien que produisant de nombreuses pièces, essentiellement constituées par des décisions juridictionnelles (Pièces N° 5-1 à 5-50, Intercalaires N° 1 à N° 25, N° 6-1 à 7-2, 7-3 à 7-14 et N° 8, N° 10, N° 20, N° 22-8), quelques arrêtés préfectoraux (Pièces N° 18-1 à 18-4 bis), des articles de doctrine (Pièces N° 7-2 bis, 11, 13, 16, 17), des consultations et études scientifiques (Pièces N° 11, 12, 13-1, 15, 17, 21-1 à 27), ne produit pas d’arrêté préfectoral ayant ordonné la fermeture administrative du restaurant exploité par la SARL LA BAIE DU COURRIER, pas plus que la preuve que d’autres établissements ont été fermés pour la même cause que celle invoquée à l’encontre de la SARL LA BAIE DU COURRIER.
Cependant, l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 (NOR SSAZ2007749A) portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, prescrit en son article 1er du 1er chapitre que : « afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 :
(‘)
Au titre de la catégorie N : restaurants et débits de boissons ;
(‘)
Pour l’application du présent article les restaurants et bars d’hôtel sont regardés comme relevant de la catégorie N : restaurants et débits de boissons. L’ensemble des établissements de cette catégorie sont en outre autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison.
Les dispositions du présent article sont applicables sur le territoire de la république.
Il est ainsi établi que la fermeture administrative du restaurant exploité par l’intimée a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à la SARL LA BAIE DU COURRIER, réalisant en cela la première condition de la garantie.
La seconde condition de la garantie de l’assureur dépend de la cause de la décision administrative de fermeture qui doit être la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.
Il n’est pas contesté par les parties que le terme « épidémie » n’est pas défini dans le contrat d’assurance, notamment dans la partie des conditions générales relative aux définitions des termes utilisés dans le contrat (Page 65 à 69 de la pièce N° 1 de l’appelante).
Cependant, la clause d’exclusion ne vise pas la situation épidémique mais seulement la fermeture administrative, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’un autre établissement pour une cause identique.
Ainsi, il ne résulte aucune imprécision de la rédaction de la clause litigieuse puisque celle-ci s’applique en cas de fermeture administrative d’au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu’il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l’autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre.
A supposer que les contours de la cause de fermeture (l’épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n’affecte aucunement la précision de la clause d’exclusion, dont l’application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l’occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l’origine ou l’étendue de cette épidémie.
Il n’est donc pas nécessaire d’interpréter la clause d’exclusion contestée par la SARL LA BAIE DU COURRIER puisque celle-ci est rédigée clairement.
Les termes employés dans la clause d’exclusion sont parfaitement compréhensibles et ne permettent aucune incertitude sur l’absence de couverture d’une fermeture administrative corrélée à au moins une autre fermeture dans le département.
Ainsi, il convient de juger que la clause d’exclusion respecte le caractère formel de l’article L. 113-1 du code des assurances.
S’agissant d’un arrêté ministériel ordonnant la fermeture administrative de tous les établissements de type restaurant, tel que celui exploité par la société LA BAIE DU COURRIER, la clause d’exclusion de garantie peut recevoir application sous réserve qu’elle ne vide pas de sa substance l’ensemble du contrat d’assurance.
Or, le contrat d’assurance « MULTIRISQUE PROFESSIONNELLE » souscrit le 26 décembre 2016 (Pièce N° 2 de l’appelante) couvrait aussi des risques différents que celui lié à la perte d’exploitation.
Ainsi sont garantis par le même contrat, à la simple lecture des conditions particulières :
‘ le risque incendie, explosion, risques divers et catastrophes naturelles;
‘ le risque événements climatique ;
‘ le risque attentats et actes de terrorisme ;
‘ le risque effondrement ;
‘ le risque dommages électrique ;
‘ le risque dégât des eaux ;
‘ le risque de bris de glace et enseigne ;
‘ le risque lié au vol et aux actes de vandalisme, au bris de machines, aux marchandises en installations frigorifiques, aux marchandises matérielles transportées, à la perte de valeur vénale ;
‘ à la responsabilité civile, à la prestation de protection juridique et d’assistance.
Il se déduit de ces éléments que, même si le risque perte d’exploitation n’est pas garanti par l’effet de la clause d’exclusion, limitée à la fermeture administrative d’au moins deux établissements, dont celui de l’assuré, pour une cause identique, cette clause d’exclusion ne vide pas de sa substance et ne prive pas d’effet le contrat d’assurance, pas plus que la garantie de perte d’exploitation, sous réserve d’une fermeture administrative unique dans le département.
En conséquence, retenant que la clause d’exclusion de garantie du risque perte d’exploitation est régulière, opposable à l’assuré, claire et précise, ne nécessitant aucune interprétation, ne privant pas d’effet la clause de garantie dudit risque, il convient de juger que la SARL LA BAIE DU COURRIER est mal fondée à solliciter auprès de l’assureur l’indemnisation de la perte d’exploitation incontestablement subie par l’effet de la fermeture administrative de son établissement.
Le jugement entrepris doit être infirmé en toutes ses dispositions, y compris celle relative à l’institution d’une expertise, devenue inutile en raison du sens de la présente décision, mais sauf pour le rejet de la demande de provision formée par la SARL LA BAIE DU COURRIER et de dommages et intérêts pour préjudice moral qui n’ont pas fait l’objet d’un appel incident.
Sur les autres demandes :
La SARL LA BAIE DU COURRIER supportera les dépens de première instance et d’appel.
La SARL LA BAIE DU COURRIER sera condamnée à payer à l’appelante une indemnité de 1.000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;
INFIRME le jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf celle relative au rejet des demandes de provision et de dommages et intérêts formées par la SARL LA BAIE DU COURRIER ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
DEBOUTE la SARL LA BAIE DU COURRIER de sa demande de prise en charge de la garantie « perte d’exploitation » par la société d’assurance AXA France IARD ;
DIT n’y avoir lieu à expertise ;
CONDAMNE la SARL LA BAIE DU COURRIER à payer à la société AXA France IARD une indemnité de 1.000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL LA BAIE DU COURRIER aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT