Tentative de soumission économique : notion et critères

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Tentative de soumission économique : notion et critères

L’absence totale de réciprocité

L’absence totale de réciprocité réelle dans les obligations objet de la tentative de soumission économique caractérise en soi, faute d’être justifiée par la nature du contrat ou de l’activité en cause, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, peu important le rapport entre le montant sollicité dans le volume d’affaires global réalisé avec chacun des fournisseurs.

Prérogative de modification unilatérale 

Le procédé permettant à l’une des parties de modifier les accords négociés annuellement unilatéralement, à son gré et sans autre raison que la recherche d’un avantage financier sans justification objective et sans égard pour l’idée de coopération commerciale, faculté discrétionnaire qui précarise l’ensemble de la relation commerciale et est elle-même caractéristique d’un tel déséquilibre.

Les deux critères de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce

En application de l’article L 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d’une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d’autre part l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Affaire Monoprix / Casino 

Dans l’ affaire Monoprix / Casino, le tribunal de commerce de Paris, suivi en appel, a  » dit que la société Intermarché Casino Achats et les sociétés du groupe Casino [avaient] soumis ou tenté de soumettre six de leurs fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en contravention avec l’article L 442-6-I-2° du code de commerce « . 

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par le ministre chargé de l’économie, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, de l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. 

Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d’ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l’existence d’un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). 

L’appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative.

En outre, l’article L 442-6 2° du code de commerce dans sa version applicable distingue soumission et tentative de soumission. 

L’interprétation de la loi, comme celle du contrat au sens de l’article 1191 du code civil, devant favoriser sa pleine effectivité, celle qui donne à cette distinction explicite son sens doit l’emporter sur celle qui ne lui en confère aucun. 

La répression de la seule tentative, qui s’entend de l’action par laquelle on s’efforce vainement d’obtenir un résultat, implique ainsi une analyse qui accorde une attention particulière à l’entrée en négociation prétendue. 

Cette appréciation est confortée par les travaux préparatoires de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 qui soulignent l’intérêt de cette différence, présentée comme une garantie supplémentaire, pour moraliser, dans un secteur présenté comme structurellement déséquilibré, les relations commerciales dès l’entrée en négociation et assurer sa loyauté. 

Cette notion fait écho à l’article 1112 du code civil, non applicable au litige, qui dispose que, si l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres, ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. 

Dans cette logique, la conclusion de contrats non critiqués en eux-mêmes par trois fournisseurs ou l’absence d’engagements finalement consentis par d’autres n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à la caractérisation d’une tentative de soumission. 

Néanmoins, l’examen ne peut être circonscrit à une phase précoce de négociation, trop resserrée pour permettre de déterminer la négociabilité des propositions formulées dans le cadre de processus de discussions habituellement tendus.

Par ailleurs, la tentative de soumission doit être appréciée en lien avec le dispositif de négociation annuelle prévu par l’article L 441-7 du code de commerce dans sa version applicable qui a été créé et modifié pour réduire les marges arrières et favoriser une véritable coopération commerciale à travers la globalisation de la négociation, dans un document ou un ensemble unique assurant sa traçabilité et permettant un contrôle effectif par l’administration, et sa concentration sur une période réduite ainsi que le précisent les travaux parlementaires de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 et de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014. 

Si le texte de la loi, comme ces derniers et chacun des contrats cadres (articles 2 et 3, partie D), n’exclut pas la possibilité d’une renégociation intercalaire conformément au droit commun des contrats et au principe de la liberté contractuelle, encore faut-il que celle-ci repose sur un motif concret, vérifiable et licite. 

De fait, si la condition relative à la mention de l’élément nouveau fondant la conclusion d’un avenant à la convention écrite visée désormais à l’article L 441-3 alinéa 1 du code de commerce n’a été consacrée que par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 inapplicable au litige, l’existence même de cet élément est inhérente au dispositif de négociation annuelle. 

C’est le sens de l’avis n° 09-09 de la Commission d’examen des pratiques commerciales (ci-après, « la CEPC ») du 16 septembre 2019 cité par les parties qui, à la question « Est-il légal de remettre en cause un contrat signé le 1er mars quelques jours seulement après sa signature ‘ », répond :

« Non, sauf si un élément nouveau ou une condition particulière nouvelle et significative le justifie. Le droit commun s’applique. Le contrat peut faire l’objet d’avenants en cours d’année, dès lors que l’équilibre commercial est préservé. Cette possibilité – qui n’est pas une renégociation totale du contrat – permet de tenir compte de la vie des affaires et de la réalité commerciale.

Une pratique consistant à signer un contrat avant le 1er mars pour respecter la loi, puis à remettre en cause ce contrat dans les jours suivants serait de toute évidence contraire à l’esprit de cette loi ».

Ainsi que le précise le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, l’ajout de la mention de l’élément nouveau  » entérine  » cet avis : s’il n’est pas une condition formelle de la renégociation, il en est une condition matérielle et constitue quoi qu’il en soit un critère pertinent d’appréciation de la soumission ou de la tentative de soumission.

Enfin, si l’analyse de la contrepartie participe prioritairement de l’appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l’absence d’avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d’assujettissement. 

Cette logique n’est pas étrangère à la définition de la négociation, et de ses prérequis, retenue par la CEPC dans son avis 16-5 du 14 janvier 2016 cité par la SARL Inca :

« La négociation est la recherche par les parties d’un accord sur la prestation à rendre. Cette négociation doit débuter par la remise [‘des] CGV au client afin d’avoir un point de départ à cette opération. Cette négociation doit également s’appuyer sur l’expression des besoins du client en matière de prestations de services.

A partir de ces préalables, les parties peuvent débuter la négociation afin d’arriver à un accord qui sera formalisé par un contrat ».

De fait, l’idée même d’une négociation présuppose d’emblée la prise en compte des besoins de l’interlocuteur et ainsi la détermination, même provisoire et sommaire, de contreparties identifiables et quantifiables dès l’entrée en pourparlers. En ce sens, l’absence de ces dernières est un indice pertinent de la soumission ou de sa tentative.

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