Your cart is currently empty!
MINUTE N° 23/113
Copie exécutoire à :
– Me Joëlle LITOU-WOLFF
– Me Valérie SPIESER
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 06 Février 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 21/03844 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HVE5
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 17 juin 2021 par le tribunal de proximité de Haguenau
APPELANTE :
S.C.I. LES VERGERS
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat au barreau de COLMAR
INTIMÉ :
Monsieur [S] [O]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Valérie SPIESER, avocat au barreau de COLMAR
Madame [G] [O]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme MARTINO, Présidente de chambre
Mme FABREGUETTES, Conseiller
Madame DAYRE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme HOUSER
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
La Sci Les Vergers est propriétaire d’une maison d’habitation sise [Adresse 1] (parcelle n°[Cadastre 3]) en limite séparative avec quatre parcelles voisines, dont celle appartenant à Monsieur [O] et Madame [G] [U] épouse [O].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 février 2018, les époux [O] ont demandé à la Sci Les Vergers de faire cesser divers troubles causés dans le cadre de travaux d’extension de sa maison d’habitation, autorisés par un permis de construire du 7 novembre 2016.
Par acte d’huissier du 10 octobre 2018, Monsieur [O] et Madame [G] [U] épouse [O] ont assigné la Sci Les Vergers devant le Tribunal d’instance d’Haguenau, aux fins de la voir condamner à supprimer sous astreinte une fenêtre matérialisée en peinture sur la façade en limite de propriété, à leur payer la somme de 4 746 € en réparation des préjudices matériels subis sur la base d’un devis de l’entreprise CRB du 28 novembre 2017, à déplacer trois groupes de climatisation installés en toiture terrasse du côté de leurs fonds ou à tout le moins, à installer un dispositif antibruit et aux fins de la voir condamner à leur payer la somme de 3 500 € de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et de jouissance, la somme de 504,09 € en remboursement des frais de constat d’huissier, outre la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Ils ont également demandé que soit ordonné un bornage contradictoire aux frais partagés des parties, avec mission pour les géomètres experts de se prononcer sur le caractère privatif ou non des deux grillages qui séparent le fonds [O] de leurs voisins [Z], [E] et [P].
Ils ont fait valoir que la défenderesse a procédé aux travaux d’édification de son immeuble sans précaution, en dégradant de manière significative leur fonds ; qu’un bornage est nécessaire en ce qu’un repère visible qui délimitait les deux propriétés a été enlevé lors de la construction.
La Sci Les Vergers a conclu à l’irrecevabilité et au rejet des demandes et a sollicité condamnation solidaire de Monsieur et Madame [O] à lui payer la somme de 1 000 € pour procédure abusive et intention de nuire, ainsi que la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle a fait valoir que les demandeurs avaient été informés de ce qu’elle avait obtenu l’autorisation judiciaire de procéder à la réalisation des travaux d’occultation de la fenêtre objet du litige ; que leur demande tendant à la voir condamner de ce chef sous astreinte est révélatrice de leur intention de nuire ; qu’elle est au surplus libre de la teinte de ses façades ; que les demandeurs n’ont par ailleurs formulé aucune opposition aux travaux qu’elle a réalisés et que la clôture existante a été déplacée en plein accord avec eux ; que la demande relative aux groupes de climatisation n’est pas justifiée, à défaut de démonstration d’un trouble anormal de voisinage.
Par jugement en date du 17 juin 2021, le tribunal de proximité de Haguenau a :
-déclaré la demande recevable,
-débouté les époux [O] de leurs demandes de suppression, sous astreinte de 50 € par jour de retard, de la fenêtre matérialisée en peinture située sur la façade en limite de propriété,
-débouté les époux [O] de leur demande de déplacement des trois groupes de climatisation installés en toiture terrasse du côté du fonds [O] et de voir installer un dispositif anti-bruit,
-sursis à statuer sur les demandes des époux [O] au titre des préjudicies matériels subis,
-condamné la Sci Les Vergers à payer aux époux [O] la somme de 3 500 € de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
-débouté la Sci Les Vergers de sa demande reconventionnelle,
-ordonné le bornage judiciaire des propriétés contiguës de M. [S] [O] et Mme [G] [U] épouse [O] (parcelle n°[Cadastre 2]) sise [Adresse 5]
[Localité 6] et de la Sci Les Vergers (parcelle n°[Cadastre 3]) sise [Adresse 1],
-ordonné, avant-dire droit, une expertise et désigné pour y procéder Monsieur [B] [R], Ingénieur géomètre, avec pour mission de :
dresser le plan des lieux ;
consulter les titres des parties, notamment celui de l’auteur commun, s’il en existe un ; en décrire le contenu, en précisant les limites et les contenances y figurant ;
rechercher les indices permettant d’établir les caractères et la durée des possessions éventuellement invoquées ;
rechercher tous autres indices, notamment ceux résultant de la configuration des lieux et du cadastre ;
proposer la délimitation des parcelles et l’emplacement des bornes à planter :
‘ en application des titres, par référence aux limites y figurant ou à défaut aux contenances, en répartissant éventuellement et après arpentage les excédents ou manquants proportionnellement aux contenances,
‘ à défaut ou à l’encontre d’un titre, conformément à la possession susceptible de faire apparaitre une prescription ;
‘ compte tenu des éléments de fait relevés ;
éventuellement, avec l’accord des parties, poser des repères pouvant servir de bornes.
-ordonné à M. [S] [O] et Mme [G] [U] épouse [O] de consigner avant le 17 août 2021 la somme de mille cinq cents euros (1 500 Euros) à valoir sur la rémunération de l’expert,
-sursis à statuer sur les autres demandes jusqu’à la réouverture des débats après le dépôt du rapport d’expertise,
-réservé les dépens.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a notamment retenu, sur les demandes des époux [O], et plus particulièrement sur la suppression sous astreinte de la fenêtre matérialisée en peinture, que leur préjudice, tant moral qu’esthétique, n’est pas démontré dans la mesure où la fenêtre a été occultée conformément à leur demande initiale et que la Sci a pu faire le choix d’une couleur
différente de celle de la façade pour matérialiser cette fenêtre dans le but d’éviter une façade sans nuance, sans qu’il faille y voir une provocation de la part de la défenderesse, l’essentiel étant que l’ouverture à verre dormant ait été supprimée ; sur les dégradations occasionnées par le chantier, qu’il y a lieu de réserver les prétentions et les moyens des parties sur ce point dans l’attente du dépôt du rapport de bornage ; sur le déplacement des climatiseurs, que cette prétention n’a fait l’objet d’aucune mise en demeure préalable, que leur préjudice n’est pas démontré et qu’aucun trouble anormal de voisinage n’est établi ; sur le préjudice de jouissance, que la Sci Les Vergers ne prouve pas l’accord des consorts [O] pour le déplacement du grillage et ne démontre pas s’être souciée de la sécurisation de leur propriété lors des travaux ; qu’elle a commis une négligence fautive puisque le fait d’avoir obtenu un permis de construire ne la dispensait pas du respect de certaines précautions quant au droit de propriété de ses voisins.
Sur la demande reconventionnelle de la Sci Les Vergers, le tribunal de proximité a jugé que l’intention de nuire des consorts [O] n’est pas caractérisée et que certaines de leurs demandes ayant été accueillies par le Tribunal, la demande pour procédure abusive doit être rejetée.
La Sci Les Vergers a interjeté appel de cette décision le 17 août 2021.
Par ses dernières écritures notifiées le 10 octobre 2022, elle demande à la Cour de :
Sur l’appel principal,
-dire la Sci Les Vergers recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
-réformer la décision entreprise en ce que le premier juge a condamné la Sci Les Vergers, en appréciant que les époux [O] avaient subi un préjudice moral et de jouissance, à leur payer de ce chef la somme de 3 500 €,
Statuant à nouveau,
-débouter les consorts [O] de l’intégralité de leurs prétentions au titre d’un préjudice moral et de jouissance,
-débouter les consorts [O] de leurs fins, moyens, demandes et prétentions plus amples,
-confirmer pour le surplus le jugement entrepris,
Y ajoutant,
-condamner solidairement ou in solidum les consorts [O] aux entiers frais et dépens de la procédure d’appel ainsi qu’à payer une indemnité de 3 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
Sur l’appel incident des consorts [O],
-le dire mal fondé,
-dire que la Cour n’est pas saisie des chefs sur lesquels le premier juge a sursis à statuer,
-dire en conséquence les consorts [O] irrecevables en leur appel incident tendant à l’octroi d’une somme de 504,09 € et en tout état de cause les dire mal fondés en leurs prétentions,
En conséquence,
-débouter les consorts [O] de leur appel incident ainsi que de l’intégralité de leurs fins, moyens, et conclusions,
-les condamner aux entiers frais et dépens de l’appel incident.
Au soutien de ses prétentions, la Sci Les Vergers fait valoir, concernant les travaux d’implantation des murs de la façade sud-est, que non seulement les consorts [O] n’ont formulé aucune opposition aux travaux mais que c’est en plein accord avec eux que la clôture existante a été déplacée ; que tous les témoins ont attesté du fait que les relations étaient parfaitement cordiales, confirmant ainsi implicitement que l’exécution des travaux se passait sans la moindre difficulté ; que si Monsieur [O] n’avait pas été d’accord pour ces travaux, il n’aurait pas accepté le déplacement de l’ancienne clôture ou de son arbuste, ni la création du couloir.
Elle se fonde sur des photographies de chantier pour soutenir que l’état de propreté des terrains chez tous les voisins concernés est constant aux différents stades d’avancement du chantier ; que ces photographies avaient été produites en première instance, sans contestation de leur véracité et de leur force probante de la propreté des terrains par les consorts [O] ; que ces derniers ne rapportent pas la preuve d’un trouble réel de jouissance et qu’aucun préjudice moral n’est démontré ni n’est justifié ; que la mise en place de la clôture de sécurité s’est effectuée pour leur fonds sur moins d’un mètre de profondeur et huit mètres cinquante de large, en fond de parcelle ; que dans cette partie du village, la plupart des maisons sont situées en limite de propriété, les terrains sont exigus et les constructions ne peuvent être réalisées autrement.
Elle soutient que les travaux ont été retardés à cause des consorts [O] et qu’ainsi ils ne peuvent revendiquer la réparation d’un trouble dont ils sont à l’origine, tout en ayant généré pour elle un préjudice, en ce qu’elle a dû retarder l’exécution de ses travaux en reprenant le phasage du chantier et justifier sa demande de servitude de tour d’échelle en engageant de nouveaux frais, notamment d’expertise ; que, par ailleurs, les travaux de gros ‘uvre ont duré de mars 2017 à début octobre 2017 ; que les dispositions nécessaires ont été prises lorsqu’à la mi-août 2017, les consorts [O] ont exigé que l’entreprise de gros-‘uvre interrompe la pose d’un échafaudage et n’utilise plus le passage, et qu’ainsi le premier juge ne pouvait pas arrêter à 3 500 € le montant du prétendu préjudice subi sur une période de dix-huit mois.
Sur l’appel incident, et plus particulièrement sur la suppression d’une fenêtre matérialisée en peinture, elle soutient que contrairement aux affirmations des consorts [O], elle n’a jamais marqué aucune opposition concernant la question de l’occultation de la fenêtre ; qu’elle a vite accepté de réaliser des travaux d’occultation tel que cela a été constaté dans le procès-verbal de constat du 28 novembre 2018 et que les consorts [O] se sont dispensés de toute demande amiable préalable pour directement porter leur demande en justice de façon prématurée ; que par ailleurs, concernant la matérialisation en peinture de la fenêtre, les consorts [O] ne justifient pas leur demande en droit ni d’aucun trouble anormal de voisinage causé par la présence de cette fenêtre, peinte dans une teinte neutre ; que, de surcroit, les travaux ont fait l’objet d’un permis modificatif que les consorts [O] n’ont pas attaqué ; que la réalisation est donc conforme à l’autorisation administrative.
Sur la suppression de trois groupes de climatisation, l’appelante soutient qu’aucun trouble anormal de voisinage n’est établi, qui seul pourrait fonder la demande.
Sur le remboursement de frais de constat de 504,09 €, elle fait valoir que cette prétention se heurte au sursis à statuer et qu’elle est donc irrecevable, la cour n’en étant pas saisie ; que, très subsidiairement, les intimés n’établissent pas la nécessité d’avoir engagé de tels frais sans avoir demandé préalablement à la Sci Les Vergers d’opérer amiablement un constat des lieux et s’être heurtés à un refus.
Par dernières écritures notifiées le 26 octobre 2022, Monsieur [S] [O] et Madame [G] [U] épouse [O] demandent à la Cour de :
Sur l’appel principal :
-déclarer l’appel principal de la Sci Les Vergers irrecevable et mal fondé,
-le rejeter,
-confirmer le jugement en ce qu’il a :
ordonné le sursis à statuer sur les demandes des époux [O] au titre des préjudices matériels subis,
ordonné avant dire droit une expertise aux fins de bornage judiciaire des propriétés contiguës,
condamné la Sci Les Vergers à payer aux époux [O] la somme de 3 500 € de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et de jouissance avec intérêts au taux légal,
débouté la Sci Les Vergers de sa demande reconventionnelle
-débouter la Sci Les Vergers de son appel et de l’ensemble de ses prétentions, fins et moyens,
Sur appel incident,
-déclarer l’appel incident des époux [O] recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
-infirmer le jugement en ce qu’il a :
-débouté les époux [O] de leurs demandes de suppression sous astreinte de la fenêtre matérialisée en peinture située sur la façade en limite de propriété,
-débouté les époux [O] de leur demande de déplacement des trois groupes de climatisation installés en toiture terrasse du côté du fonds [O] et de voir installer un dispositif anti-bruit,
Statuant à nouveau,
-condamner la Sci Les Vergers à :
supprimer sous astreinte de 50 € par jour de retard la fenêtre matérialisée en peinture située sur la façade en limite de propriété ;
déplacer les trois groupes de climatisation installés en toiture terrasse du côté du fonds [O] ou, à tout le moins, installer un dispositif anti-bruit ;
payer aux époux [O] la somme de 504,09 € en remboursement des frais de constat d’huissier dont l’établissement était nécessaire pour faire valoir leurs droits,
-réserver sa compétence pour liquider l’astreinte,
-condamner la Sci Les Vergers aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer aux époux [O] la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, Monsieur et Madame [O] font valoir que la Sci Les Vergers a procédé aux travaux d’édification de l’immeuble sans prendre la moindre précaution et en dégradant de manière significative leurs fonds, ainsi qu’il résulte du devis de la société CRB estimant à 4 746 € la remise en état de leur terrain, du constat d’huissier du 20 octobre 2017, de la comparaison des photographies de l’état de leur parcelle avant et après les travaux, des attestations sur l’honneur de Messieurs [U], [Z], [H], [W] et [P] qui font état de la gêne et des dégâts provoqués par les travaux, de l’absence de sécurité, de nombreuses dégradations et du fait que Monsieur [O] a été contraint de sécuriser lui-même son terrain à plus d’un mètre de la limite de propriété, ainsi que d’un dépôt de plainte à la gendarmerie nationale le 5 septembre 2017 pour dégradation de leur propriété.
Ils soutiennent également que la matérialisation en peinture de la fenêtre occultée ne respecte pas le permis de construire qui prévoit « un enduit minéral de teinte gris clair » et donc un crépissage d’une couleur unie gris clair et non marron ; que la présence de ce trompe-l”il est inesthétique et provocante ; qu’ainsi la non-conformité au permis de construire est caractérisée et qu’elle est constitutive d’une faute qui leur cause un préjudice esthétique et moral.
Les intimés arguent que la Sci Les Vergers n’a pas respecté les dispositions de l’arrêté municipal du 18 mai 2016 dans la mesure où aucun dispositif anti-bruit n’a été installé et qu’à ce titre elle doit être condamnée à déplacer les trois groupes de climatisation installés en toiture terrasse du côté de leur fonds ou, à tout le moins, à installer un dispositif anti-bruit ; que, par ailleurs, c’est à juste titre que le premier juge a fait droit à leur demande de réparation du préjudice moral et de jouissance relatif à la gêne occasionnée et aux dégâts provoqués par les travaux de la Sci Les Vergers et de l’absence totale de sécurité du chantier ; qu’ils ont eu à subir le comportement de la Sci Les Vergers pendant toute la période du chantier.
En réponse aux arguments de la Sci Les Vergers, ils font valoir que devant la contestation par la Sci Les Vergers de l’intégralité de leurs prétentions mentionnées dans le courrier en date du 26 février 2018, seule la voie judiciaire demeurait ouverte ; qu’il n’existe aucune sanction à l’absence de tentative de conciliation ou de médiation avant toute assignation.
Ils font valoir que c’est Monsieur [O] avec son voisin Monsieur [T] [Z], et non la Sci Les Vergers, qui ont installé la clôture provisoire dans le but de protéger son fonds ; qu’ils n’étaient pas opposés sur le principe de permettre à la Sci Les Vergers de réaliser ses travaux sur limite mais à la condition de remettre en état leur parcelle à la fin des travaux et surtout de sécuriser le chantier.
Les intimés affirment que les développements de la Sci Les Vergers sur le fait qu’ils ont demandé une servitude de tour d’échelle pour réaliser le crépi sont sans emport sur le présent litige en ce que leurs prétentions sont formulées au titre de la réparation d’un préjudice subi antérieurement à la réalisation des travaux de crépissage de la défenderesse ; que la comparaison des constats d’huissier avant et après travaux de crépissage démontre qu’un arbuste a été abimé, qu’en cours de procédure et sans aucune autorisation, le grillage situé du côté gauche a été réparé et que cette intervention est le fait du père de la gérante de la Sci Les Vergers qui s’est introduit deux fois chez les voisins des époux [O] sans les en informer et sans leur demander leur autorisation ; que l’appelante s’est abstenue de faire dresser un constat préventif de l’état des parcelles voisines avant la réalisation de ses travaux comme il est d’usage en cas de travaux sur limite et qu’ainsi, elle ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour prétendre à l’absence de démonstration de la preuve des dégradations.
Enfin les intimés soutiennent que les attestations de témoins versées aux débats par la Sci Les Vergers émanent soit de membres de la famille soit de personnes qui ont travaillé pour eux sur ce chantier étant rémunérés par ces derniers et qu’ainsi elles ne reflètent aucunement la réalité.
MOTIFS
Sur le préjudice moral et de jouissance :
En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte des éléments du dossier que la Sci Les Vergers a procédé à des travaux d’extension de son habitation sur la limite de propriété séparant sa parcelle de celle de Monsieur et Madame [O].
Par lettre recommandée du 26 février 2018, le conseil de Monsieur et Madame [O] a adressé à la société civile immobilière une liste de doléances, retraçant les dégâts et troubles dont ils se sont plaints en raison de ces travaux. Ils ont ainsi reproché à l’appelante avoir construit en limite de propriété :
Sans faire procéder à un bornage contradictoire préalable ;
En supprimant la borne préexistante délimitant les fonds ;
Sans prendre aucune disposition en termes de sécurité des personnes ;
En détruisant un muret et une clôture mitoyenne sans aucune autorisation ni avertissement ;
En faisant arracher les plantations (douze plants de mûres et de framboisiers) des consorts [O] situées en fonds de parcelle et donc proches de la limite précisant qu’à défaut elles le seraient dans le cadre de leurs travaux sur limite ;
En remblayant sur la parcelle des consorts [O] avec de la mauvaise terre et des gravats de chantier en lieu et place de la terre végétale préexistante ;
En laissant des détritus et objets dangereux de chantier sur le fonds ;
En permettant à leurs ouvriers de pénétrer sur le fonds sans aucune autorisation ;
En installant un échafaudage aérien empiétant sur la parcelle des consorts ;
En endommageant le muret et la clôture séparant le fonds des consorts avec leurs voisins de droite et de gauche, en mettant en ‘uvre une réparation de fortune.
Il convient de relever que seule est en cause devant la cour d’appel l’indemnisation d’un préjudice de jouissance et moral, dans la mesure où le premier juge a réservé l’indemnisation sollicitée au titre des dégradations alléguées du fait du chantier (dépose/repose grillage et poteaux ; nettoyage et réparation de la longrine béton ; décapage de la terre végétale ; évacuation des gravats et substitution de la terre, engazonnement ; plantation de douze plants de mûres et framboisiers).
Pour justifier leurs doléances, les intimés s’appuient sur une attestation délivrée par Monsieur [K] [U], leur père et beau-père, de laquelle il ressort que les travaux ont occasionné des chutes de débris sur leur terrain, que Monsieur [O] a été contraint de sécuriser lui-même à plus d’un mètre de la limite séparative ; que le 29 août 2017, il a dû intervenir auprès de l’entreprise de construction pour interdire l’installation d’un échafaudage sur le terrain de la famille [O], en leur absence.
De même, Monsieur [L] [H], qui indique aider la famille dans des travaux de jardin, précise avoir été témoin de ce que des détritus du chantier tombaient sur leur terrain et du manque de sécurité de ce chantier et Monsieur [W] a précisé dans une attestation du 26 juin 2018, avoir constaté que des clous, des vis, du mortier et des planches étaient tombées dans le jardin de Monsieur et Madame [O] ; qu’au vu des conditions de sécurité non respectées, Monsieur [O] a été obligé d’installer un grillage, pour sécuriser son jardin. De même, Monsieur [T] [Z], voisin des intimés, a attesté avoir fourni à Monsieur [O] un grillage de clôture, qu’il l’a aidé à installer à environ un mètre de la limite de propriété, afin de sécuriser son terrain et se protéger des chutes de débris du chantier de la Sci Les Vergers. Monsieur [P], qui indique être le voisin direct de gauche de Monsieur [O], a également indiqué que pendant toute la phase du chantier, il a été témoin des dégradations sur le terrain de ce dernier ; que des planches, du béton, des clous et divers matériaux de construction tombaient sur le terrain, que Monsieur [O] a été obligé à plusieurs reprises de nettoyer. L’appelante ne peut contester cette attestation au motif que le témoin n’aurait pas de vue directe sur le chantier, dans la mesure où il a parfaitement pu constater les dégâts depuis la propriété des intimés. Enfin, Monsieur [N] [M] a déclaré être passé sur place courant novembre 2017 et avoir notamment constaté que le sol était jonché de gravats et déchets de chantier, tombés au droit du chantier dans le jardin de Monsieur et Madame [O].
S’il est exact que certaines des attestations ne sont pas totalement conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile en ce qu’il manque notamment la pièce d’identité de Monsieur [Z] ou qu’elles sont dactylographiées, comme celle de Monsieur [P], il convient de relever que les témoignages concordants se corroborent et qu’elles font donc suffisamment preuve de ce que le chantier, par sa situation en limite de propriété et en ce qu’il n’a pas été suffisamment protégé, a généré des chutes de débris et a conduit les intimés à installer un grillage à environ un mètre à l’intérieur de leur terrain, l’ensemble de ces éléments
les privant, ainsi que leurs trois jeunes enfants, de la jouissance complète et sereine de leur terrain.
Leurs doléances résultent de même des photographies de leur terrain, versées aux débats, qui font apparaitre sur le chantier :
des palettes de tuiles placées en rebord du toit en construction, avec une protection assez minime ;
un poteau cassé ;
un grillage temporaire entre les nouvelles constructions et le jardin des consorts [O] ;
des échelles posées, sans être fixées ou sécurisées, depuis le terrain des consorts [O] sur le mur voisin en cours de construction ;
Une absence de protection entre le chantier et le jardin des consorts [O].
La Sci Les Vergers ne peut arguer de ce que dans un premier temps, les intimés auraient accepté qu’elle passe sur leur terrain pour les besoins de son chantier, monopolisant ainsi le fond de leur parcelle, pour réfuter tout trouble de jouissance. De même, bien que non datées, les photographies versées aux débats par les intimés ont été manifestement prises pendant la durée du chantier et justifient donc également les désagréments subis. Enfin, les photographies prises par l’architecte de l’appelante lors de diverses phases du chantier ne sauraient faire preuve, contre les éléments précités, de ce que les terrains des voisins sont restés en état de propreté constante.
L’appelante fournit certes des attestations de témoins (de Monsieur [D] [J], Monsieur [F] [A], Monsieur [Y] [C] et Monsieur [X] [I]) qui contredisent les intimés sur la question de savoir qui était à l’origine de l’installation du grillage de protection entre le chantier et le reste du terrain de Monsieur [O]. Cependant, le grillage, tel qu’il apparait sur les photographies produites, n’est manifestement pas suffisamment haut pour protéger le reste du terrain des consorts [O] des éventuelles chutes ou débris susceptibles d’émaner du chantier, ni constituer une protection efficace de leur parcelle. Ainsi, la Sci ne démontre pas avoir veillé à la sécurité du terrain des intimés pendant le chantier, de sorte que la preuve d’une faute de sa part, ayant entraîné un préjudice pour ses voisins, est rapportée.
Le premier juge a calculé la réparation du préjudice sur la durée du chantier, du 1er avril 2017 au 1er octobre 2018, soit pendant dix-huit mois.
La Sci Les Vergers relève cependant à juste titre que le déroulement de ce chantier a été retardé par le refus des époux [O] de la laisser accéder à leur terrain pour qu’elle puisse procéder au crépissage de son immeuble et qu’elle a dû solliciter en justice, par assignation du 18 juin 2018, une servitude de tour d’échelle, qui lui a été accordée par ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg du 27 septembre 2018.
Les intimés font valoir vainement que cet argument est sans emport, en ce qu’ils ne solliciteraient indemnisation que pour leur préjudice subi antérieurement à la réalisation de travaux de crépissage, dans la mesure où le premier juge a fait droit intégralement à leur demande indemnitaire de ce chef, en considération de la durée totale des travaux.
Il convient en conséquence de tenir compte de la résistance opposée par les intimés à la demande légitime de la société, qui justifiait de l’impossibilité technique de procéder autrement, d’accéder à leur terrain pour terminer définitivement son chantier, en ce qu’elle a eu pour conséquence d’allonger sa durée pour une raison indépendante de la volonté de l’appelante.
De ce fait, l’indemnisation des intimés au titre de leur préjudice moral et de jouissance sera ramenée à la somme de 3 000 €.
Sur la suppression de la fenêtre matérialisée en peinture :
Il résulte des éléments du dossier que la Sci Les Vergers avait construit son extension en incorporant une ouverture à verre dormant située à moins de 1,90 mètres de la dalle du premier étage, en contravention aux dispositions de l’article 677 du code civil.
Il est tout aussi constant que la société a occulté cette ouverture ; que lors du crépissage de son immeuble, elle a matérialisé une bande à cet emplacement, peinte en une différente teinte de gris, distincte de la couleur uniforme de l’immeuble.
Pour autant, en vertu de son droit de propriété, l’appelante est libre du choix qu’elle fait de la couleur des façades de son immeuble et il incombe aux intimés de rapporter la preuve d’un usage abusif de ce droit pour la contraindre à la modifier, sans qu’ils puissent simplement se prévaloir, en l’absence d’infraction dûment constatée, de ce que cette bande d’une nuance différente serait contraire aux énonciations du permis de construire, qui prévoit la mise en ‘uvre d’un enduit minéral de teinte gris clair, ce dont ils déduisent que le crépi devait être uniforme.
À cet égard, aucune pièce au dossier ne tend à démontrer que la matérialisation en peinture de l’ouverture occultée procède d’une intention malveillante, alors que l’appelante soutient qu’elle n’a été mise en ‘uvre que pour structurer la façade.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté les intimés de leur demande de ce chef.
Sur le déplacement des groupes de climatisations :
Il incombe également aux époux [O] de rapporter la preuve de ce qu’ils subissent un trouble anormal de voisinage du fait de l’implantation de climatiseurs par la société civile immobilière.
Ils se prévalent à cet égard du règlement municipal de la commune de [Localité 6] du 18 mai 2016, qui indique effectivement que « les occupants et les utilisateurs des locaux d’habitation ou de leurs dépendances doivent prendre, de jour comme de nuit, toutes dispositions pour éviter que le voisinage soit gêné par leur comportement, leurs activités, les bruits émanant de dispositifs de ventilation ou de climatisation ».
Force est pourtant de constater qu’ils ne versent aux débats aucune pièce de nature à démontrer qu’ils subiraient une gêne provenant des climatiseurs de l’appelante, dont aucun relevé ou constat, ni même aucune attestation de témoin, ne vient décrire le fonctionnement ou le niveau de bruit, de sorte qu’ils ne justifient pas en quoi leur déplacement ou la mise en place d’un dispositif antibruit seraient nécessaires.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur le remboursement de frais de constat d’huissier :
Il sera relevé que les constats versés aux débats sont relatifs essentiellement aux dégradations reprochées par les époux [O], dont le premier juge a réservé l’indemnisation.
Il n’y a donc pas lieu de statuer en appel de ce chef sur cette demande, qui n’a pas été encore examiné en première instance.
Sur les frais et dépens :
Chacune des parties succombant totalement ou quasi totalement sur son appel, principal ou incident, il sera dit que chacune d’entre elles supportera la charge de ses propres frais irrépétibles et dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a fixé à la somme de 3 500 € l’indemnisation du préjudice moral et de jouissance de Monsieur et Madame [O],
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE la Sci Les Vergers à payer à Monsieur [S] [O] et Madame [G] [U] épouse [O] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et de jouissance, portant intérêts au taux légal à compter du jugement déféré,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
DIT n’y avoir lieu de statuer sur la demande au titre de frais de constat,
REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que chacune des parties supportera la charge de ses dépens et frais irrépétibles d’appel.
La Greffière La Présidente