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8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°221
N° RG 20/1651 (et 20/01706 joints) –
N° Portalis DBVL-V-B7E-QRUE
Mme [T] [S]
C/
S.A.R.L. CABINET A.P.C. ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me Anne-laure BELLANGER
– Me Alexandre TESSIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 Février 2023
En présence de Madame [N] [D], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [T] [S]
née le 17 Octobre 1971 à [Localité 3] (44)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Clémentine PICORIT substituant à l’audience Me Anne-laure BELLANGER de la SARL LA BOETIE, Avocats au Barreau de NANTES
INTIMÉE :
La S.A.R.L. CABINET A.P.C. ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Marine DUCLOS, Avocat plaidant du Barreau de NANTES
Mme [T] [S] a été embauchée par la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL le 8 septembre 2008 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité d’assistante administrative et commerciale.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la Convention collective Nationale des entreprises de courtage d’assurances et/ou de réassurances, Mme [T] [S] occupait des fonctions d’attachée de direction, statut employée depuis 2013.
Le 10 janvier 2017, la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL a rencontré Mme [S] pour son entretien professionnel individuel pour l’année écoulée. A cette occasion, l’employeur lui a fait part de son souhait de lui proposer une modification de son contrat de travail, en ramenant son temps de travail à 35 heures au lieu de 37,50 heures.
Mme [S] a refusé et confirmé par mail le 16 janvier 2017.
L’employeur a ensuite demandé à Mme [S] de faire preuve de retenue dans son comportement en cessant notamment ses sautes d’humeur auprès de ses collègues.
Le 31 janvier 2017, Mme [S] a été placée en arrêt maladie.
Par courrier du 5 février 2017, Mme [S] a contesté une partie des termes de son entretien et a affirmé être victime de harcèlement moral de la part de M. [Z], l’un des co-gérants de la société.
Par courrier du 7 février 2017, l’employeur lui a adressé l’avenant, en lui précisant qu’elle disposait d’un délai d’un mois pour prendre sa décision.
Par mail en date du 9 février 2017, l’employeur aurait annoncé à Mme [S] le retrait d’une partie de son portefeuille, pour protéger ‘les intérêts du cabinet’.
Le 6 mars 2017, la salariée a demandé à son employeur les conséquences du refus de l’avenant proposé. Elle n’aurait pas reçu de réponse selon elle ( page 17 ccl )
Par courrier du 16 mars 2017, l’employeur a maintenu que le harcèlement moral dénoncé était infondé et a pris note du refus de Mme [S] concernant la modification de son contrat de travail, lui précisant que faute d’avoir obtenu son accord, son contrat de travail se poursuivait dans les mêmes conditions.
Le 27 avril 2017, Mme [S] prenait acte du refus de mettre en place toute mesure d’évaluation des problèmes évoqués, empêchant toute reprise du travail selon elle, et joignait une prolongation de son arrêt de travail.
Les arrêts de maladie de Mme [S] se sont poursuivis jusqu’au 16 février 2018.
A la suite de la visite de reprise intervenue le 16 janvier 2018, Mme [S] a été déclarée inapte à son poste de travail, le médecin du travail précisant que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise.
Par lettre 31 janvier 2018, la société a informé Mme [S] de l’impossibilité de la reclasser.
Par lettre du 3 février 2018, Mme [S] a été convoquée à un entretien préalable.
Par courrier du 12 février 2018, Mme [S] a informé son employeur qu’elle ne se présenterait pas à son entretien préalable.
Par lettre du 16 février 2018, Mme [S] a été licenciée pour inaptitude.
Le 26 septembre 2018, Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de voir :
‘ Constater l’existence de faits relevant d’un harcèlement moral,
‘ Constater les manquements graves de l’employeur à l’origine de l’inaptitude médicale prononcée en date du 16 janvier 2018,
‘ Dire et juger que le licenciement pour inaptitude en date du 16 février 2018 produit les effets d’un licenciement nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
‘ Fixer le salaire moyen mensuel à la somme de 4.000,01 € bruts,
‘ Condamner la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à verser :
– 8.000,02 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
– 800 € bruts de congés payés afférents,
– 48.000 € nets de dommages-intérêts pour licenciement nul (ou subsidiairement au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse),
– 10.000 € nets de dommages-intérêts pour exécution déloyale des obligations contractuelles et l’attitude particulièrement vexatoire et négligente de l’employeur,
– Intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil pour les sommes ayant une nature salariale et à compter du jugement à intervenir pour les autres sommes, avec capitalisation,
‘ Ordonner la remise d’une attestation Pôle Emploi et des bulletins de paie rectifiés conformes à la décision à intervenir, ainsi que la réalisation des déclarations rectificatives aux différents organismes sociaux dans les 15 jours de la décision à intervenir,
‘ Ordonner la remise des documents ci-dessus sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,
‘ Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
‘ Condamner la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à verser 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la partie défenderesse en tous les dépens.
La cour est saisie de l’appel formé le 10 mars 2020 par Mme [T] [S] contre le jugement du 7 février 2020, par lequel le Conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Débouté Mme [S] de l’intégralité de ses demandes,
‘ Débouté la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamné Mme [S] aux dépens.
Par ordonnance du Conseiller de la mise en état, la procédure enregistrée sous le numéro RG 20/01607 a fait l’objet d’une jonction avec la procédure enregistrée sous le numéro RG 20/01651
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 août 2022, suivant lesquelles Mme [S] demande à la cour de :
‘ Ordonner la jonction des instances répertoriées sous le numéro de RG 20/01706 et RG 20/01651,
‘ Infirmer en toutes ces dispositions le jugement du conseil de prud’hommes du 7 février 2020,
Statuant à nouveau,
‘ Constater l’existence de faits relevant d’un harcèlement moral et d’un harcèlement sexuel,
‘ Dire et juger que :
– ces faits sont à l’origine de l’inaptitude médicale prononcée en date du 16 janvier 2018 et ce faisant, du licenciement pour inaptitude notifié en date du 16 février 2018,
– le licenciement est nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
– ce licenciement produit les effets d’un licenciement nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
‘ Fixer le salaire moyen mensuel de Mme [S] à la somme de 4.000,01 € bruts,
‘ Condamner la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à lui payer la somme de :
– 8.000,02 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 800,00 € bruts au titre des congés payés afférents,
– 48.000 € nets à titre de dommages et intérêts résultant du licenciement nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,
– 10.000 € nets sur le fondement des articles 1104 et 1231 du code civil à titre de dommages et intérêts pour l’exécution déloyale des obligations contractuelles et l’attitude particulièrement vexatoire et négligente de l’employeur,
‘ Dire que les sommes ayant une nature salariale porteront intérêts à compter de la saisine du Conseil et que les autres sommes porteront intérêt à compter du jugement à intervenir, avec capitalisation,
‘ Ordonner la délivrance de l’attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire rectifiés conforme à la décision à intervenir, ainsi que la réalisation des déclarations rectificatives aux différents organismes sociaux, dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,
‘ Condamner la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à payer une somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la même en tous les dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 1er septembre 2020, suivant lesquelles la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL demande à la cour de :
‘ Ordonner la jonction entre les instances répertoriées sous les numéros RG 20/01706 et 20/01651,
‘ Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nantes le 7 février 2020 en toutes ses dispositions,
‘ Débouter Mme [S] de l’ensemble de ses demandes,
‘ Condamner Mme [S] à régler, à la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la même aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 9 février 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire :
– Quant à l’application de l’article 954 du Code de procédure civile :
Il convient de rappeler à titre liminaire que par application de l’article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties en cause d’appel, ce que ne sont pas au sens de ces dispositions des demandes visant seulement à ‘dire’ ou ‘constater’ un principe de droit ou une situation de fait, voire ‘juger’ quand ce verbe, utilisé comme synonyme des deux premiers, n’a pour effet que d’insérer dans le dispositif des écritures, des éléments qui en réalité constituent un rappel des moyens développés dans le corps de la discussion.
– Quant à la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 20/01706 et 20/01651:
Les parties sollicitent que soit prononcée la jonction des procédures sus-visées alors qu’elle a été prononcée par ordonnance du Conseiller de la mise en état le 20 septembre 2020. Cependant, ladite jonction ayant été prononcée sous le numéro de RG le plus récent, il y a lieu de la rectifier et de prononcer la jonction des deux procédures sous le numéro RG 20/1651.
Sur l’exécution du contrat de travail :
– Quant au harcèlement moral et aux agissements sexistes invoqués :
A l’appui de ses prétentions à ce titre, Mme [T] [S] invoque à l’encontre de son employeur une attitude obscène, des insultes et de la violence ainsi qu’une intimidation et des représailles au travers de tentatives de modification du contrat de travail et de rétrogradation après qu’elle a dénoncé en février 2017 le comportement de M. [Z] à son égard ou à l’égard d’un autre salarié.
La salariée ajoute que l’employeur tout en reconnaissant implicitement ces faits, n’a cessé de les minimiser de sorte qu’en mai 2017, elle a été contrainte de dénoncer la présence sur le bureau de son employeur et l’usage régulier d’une sonnette portant l’inscription “pour sexe sonnez ici”, qu’il en est résulté une détérioration de son état de santé, ainsi que le rapportent le médecin traitant et le psychologue du travail et en témoigne son placement en arrêt de travail ainsi que l’accompagnement régulier et les traitements rendus nécessaires par la souffrance psychique induite, outre sa déclaration d’inaptitude par le médecin du travail.
Mme [T] [S] estime par ailleurs, que l’employeur déjà condamné pour harcèlement sans avoir fait appel, ne peut se prévaloir d’attestations de salariés placés sous sa subordination qui ne remettent pas en question la matérialité des faits, ni ne permettent d’en déduire que les décisions de l’employeur étaient étrangères à tout harcèlement, qu’il ne peut s’agissant des comportements à caractère sexuel soutenir qu’il n’avait pas conscience de leur gravité, que l’absence d’intervention de l’employeur pourtant régulièrement alerté, traduit un manquement à son obligation de santé et de sécurité qui a aggravé son malaise, au point d’être placée en arrêt de travail et déclarée inapte à son poste.
La SAS CABINET APC objecte que les accusations de la salariée ne reposent que sur ses courriers, sur un échange de courriers avec une autre salariée, sur des certificats médicaux et des attestations mensongères de deux autres salariées en litige avec la société , alors que l’intéressée n’avait jamais dénoncé de faits de harcèlement auparavant, ni évoqué la moindre difficulté avec M. [Z] ou les autres associés y compris lors de l’entretien annuel de janvier 2017, ni évoqué de telles difficultés devant le médecin du travail, qu’en réalité ses accusations sont une réaction à l’analyse de son entretien annuel et la proposition de réduire son temps de travail.
La SAS CABINET APC indique en outre que les propos non datés, attribués à M. [Z], le sont dans des termes qui ne permettent pas d’y répondre, qu’aucun élément probant n’est produit, qu’ils n’ont jamais été tenus ni reconnus, que les formules humoristiques employées par M. [Z] ne peuvent être assimilées à des actes d’humiliation, que les attestations mensongères des deux autres salariées sont contredites par M. [M] qui atteste n’avoir jamais été témoin de tels actes de harcèlement ou d’agissements sexistes, qu’elle ne peut se prévaloir de propos au demeurant contestés, qui ne lui étaient pas destinés.
La SAS CABINET APC fait par ailleurs valoir que la sonnette dont l’intéressée fait état tardivement, n’a jamais été utilisée pour appeler les salariées, qu’elle a été posée sous ses écrans pendant une ou deux semaines, que les attestations croisées des trois salariées procèdent de la construction du dossier, qu’elles ne sont pas concordantes avec leurs écritures et discordantes en ce qui concerne les dates, que l’attestation de M. [J] ne peut être discréditée au seul motif que Mme [K] était en congé dès lors qu’il lui arrivait de venir dans la société pendant son congé de maternité, que les violences et menaces alléguées sont en contradiction avec le souhait formulé par la salariée de plus de repas d’entreprise, qu’il ne lui a jamais été imposé la modification de son contrat de travail, le changement d’intitulé du poste n’induisant pas une quelconque rétrogradation, que la validation de son entretien annuel, conforme à celle des autres salariés, ne saurait constituer une mesure de représailles, de même que le courriel du 30 janvier 2017 concernant des propos qu’elle aurait déformés ou la décision d’attribuer le dossier OCEANIC à une autre salariée.
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En application des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.
Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
L’article L.1152-4 du même code oblige l’employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ;
L’article 26 de la Charte sociale européenne dispose que :
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de tous les travailleurs à la protection de leur dignité au travail, les Parties s’engagent, en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs :
[…]
2. à promouvoir la sensibilisation, l’information et la prévention en matière d’actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements ».
Il suit de ces dispositions que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral ; l’absence de faute de sa part ou le comportement fautif d’un autre salarié de l’entreprise ne peuvent l’exonérer de sa responsabilité à ce titre ; les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L.1152-3 du code du travail, un licenciement intervenu dans ce contexte est nul.
Mme [T] [S] produit son compte rendu d’entretien individuel du 10 janvier 2017 ainsi que les échanges postérieurs concernant son refus de renoncer à ses heures supplémentaires, le courriel du 30 janvier 2017 de M. [Z] qui reprend une partie des échanges figurant dans le premier compte rendu du 10 janvier mais qui contient toute une partie non véritablement abordée concernant son comportement de râleuse du fait des difficultés rencontrées dans l’exécution de ses tâches dont la persistance pourrait être sanctionnée. Le même courrier comprend une seconde menace de sanction à l’égard de l’intéressée pour les propos tenus à ses collègues mettant en cause la confidentialité d’entretiens avec des clients sans plus de précision mise à part l’intention de déstabiliser sa hiérarchie.
Mme [T] [S] verse également au débat son courrier du 5 février 2017 par lequel elle conteste le contenu du courriel du 30 janvier précédent, paragraphe par paragraphe, attribuant l’expression de son insatisfaction aux difficultés informatiques liées à la mise en place de l’extranet, estimant que l’atteinte alléguée à la confidentialité concernait un sujet qui n’en relevait pas, que les propos de son supérieur concernant une collègue musulmane étaient déplacés, de même que les propos tenus pour justifier le retrait de ses heures supplémentaires, tout en évoquant au visa de l’article L.1152-1 du Code du travail, le fait que le management de M. [Z] se résumait à des menaces et à des insultes, le fait qu’à la suite d’une alerte à l’égard de son comportement, il a convoqué individuellement tous les gestionnaires pour les interroger sur le manque de respect rapporté et la mauvaise ambiance dans le service, le fait qu’alertée la direction aurait indiqué ne rien faire, le fait que devant plusieurs collègues, il aurait dit ‘ce client en pince pour elle et ce week-end, il va lui en mettre un coup et cela va lui faire du bien’, le fait qu’il ait rabroué méchamment une salariée qui s’était interposée, de la part de M. [Z] des emportements violents pour des vétilles, des propos inadaptés tenus devant des salariés à l’encontre d’une salariée absente, de manière générale menaçants en particulier à son encontre ‘vous, taisez vous car je n’ai qu’une envie : vous défoncer la tête et vous faire passer par la fenêtre’, le fait qu’il lui ait été retirée la gestion de son plus gros client, avec la menace de ne plus lui attribuer de client VIP, compte tenu des réserves qu’elle avait exprimées sur le délai à tenir.
Au terme de ce courrier la salariée informe son employeur que cette situation a conduit son médecin à la placer en arrêt de travail et demande que cesse à son égard ce qu’elle qualifie de harcèlement de la part de M. [Z].
Il est également produit la lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2017 par laquelle l’employeur lui confirme sa volonté de ramener son temps de travail à 35 heures, en réduisant sa rémunération proportionnellement et de modifier l’intitulé de son poste en poste de gestionnaire de sinistres, niveau D de la Convention collective des entreprises de courtage, avec un mois pour lui répondre, le courriel du 9 février 2017 par lequel M. [Z] informe l’intéressée de sa décision de confier un dossier VIP (OCEANIC) à Mme [K], le courriel du 1er février 2017 par lequel M. [Z] avait informé les correspondants de cette société de ce changement, une lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2017 de l’employeur contestant les propos du courrier du 5 février 2017 qu’il considère mensongers, un courriel de Mme [K] du 26 février 2017 mettant en cause le management de M. [Z], un échange de courriers entre le 6 mars et le 27 avril 2017 entre Mme [T] [S] et son employeur concernant le harcèlement invoqué par la salariée, la modification de son contrat de travail et la renonciation de l’employeur à lui soumettre cet avenant, un courrier du 29 mai 2017 de Mme [K] concernant l’absence de prise en compte des problèmes qu’elle avait dénoncés, concernant notamment les sous-entendus grossiers, l’attitude contradictoire à l’égard des salariées, des propos grossiers sur des collègues et modifications organisationnelles qu’elle qualifie de mesquines telles que la promotion promise ayant fait l’objet d’un retrait.
Mme [T] [S] produit en outre :
– un certificat médical du 29 juin 2016 du docteur [O] au terme duquel il a constaté que depuis 2015, l’intéressée présente toutes les caractéristiques de souffrance au travail, se plaignant de l’hostilité et du mépris de son employeur et décrit les symptômes présentées par Mme [T] [S] qu’il qualifie d’épisode dépressif majeur que l’intéressée attribue à son vécu au travail,
– un certificat du 25 avril 2017 de Mme [R] indiquant que les consultations suivies par Mme [T] [S] depuis février 2017 s’inscrivent dans le cadre d’un vécu professionnel et d’une souffrance psychique concomitante que la salariée attribue à son relationnel avec ses directeurs associés, en particulier de la part de deux nouveaux directeurs en 2015 et la mise en place d’une réduction de ses responsabilités, des remarques humiliantes et dégradantes sans réaction de quiconque, avant de décrire les symptômes de cette souffrance psychique liée à sa situation professionnelle et nécessitant un accompagnement régulier,
– l’avis d’inaptitude du 16 janvier 2018 après étude de poste, indiquant que l’état de santé de la salariée fait obstacle à son reclassement dans l’entreprise.
Ces éléments rapportés par la salariée, pour ceux qui la concernent directement, notamment les modalités particulières de son évaluation professionnelle, le retrait d’un client VIP au regard des réserves qu’elle avait émises sur les modalités de leur suivi, l’usage de propos dégradants ou grossiers, voire empreint de violence ou de menace, y compris de sanction dans la reprise a posteriori du compte rendu de l’entretien d’évaluation et ce, dans un contexte sexualisé par la présence d’une sonnette sur le bureau de M. [Z] portant la mention ‘Pour SEXE sonnez ici’ ou la tenue de propos à connotation sexuel tel que ‘je ne vais pas me faire niquer’, pris dans leur ensemble, accentués après avoir relaté de tels agissements ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à sa dignité et d’altérer sa santé mentale, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
S’il peut être admis que dans la recherche d’optimisation de son fonctionnement et de sa réactivité à l’égard de ses clients les plus importants, l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ait décidé de décharger Mme [T] [S] du portefeuille d’un de ces clients dès lors qu’elle avait émis des réserves sur sa capacité à y répondre dans le délai imparti et par conséquent sur des bases objectives, il en va autrement en ce qui concerne la réduction de son temps de travail que l’employeur a tenté de lui imposer comme du changement d’intitulé de son poste, sans justification objective et pour des motifs tenant selon les différents échanges, soit à une harmonisation des horaires des trois personnes concernées, soit d’une charge de travail qui ne le justifiait plus, voire d’équité et par conséquent sans justification objective.
En outre, se bornant à soutenir que la salariée échouait à établir la matérialité des faits et des agissements dont elle s’estimait victime, qu’elle ne les a dénoncé qu’après l’entretien d’évaluation professionnelle, que ses accusations étaient contradictoires avec le contenu de cet entretien au cours duquel elle admettait devoir améliorer son comportement et louait l’amélioration de la communication et souhaitait qu’il y ait plus de repas d’entreprise, qu’elle ne pouvait se prévaloir de propos grossiers ou sexistes tenus hors sa présence et qui n’avaient pas été reconnus par la société, que les anciens salariés attestent n’avoir jamais constaté de harcèlement de la part de M. [Z], que les salariés engagés en 2017 louent sa disponibilité à leur égard, que reçue par la médecine du travail en 2015, elle n’a jamais fait état du harcèlement qu’elle fait remonter à cette période, qu’elle se contredit en les faisant remonter à 2013 et/ou 2015, que les attestations de Mmes [K] et [F] sont mensongères, que les propos qu’elle impute à M. [Z] sur une salariée de confession musulmane et qu’elle a déformés au lendemain de son entretien professionnel, n’étaient pas discriminatoires, que les éléments médicaux produits ne permettaient pas de présumer le harcèlement allégué, a fortiori établis sur la base de ses déclarations, l’employeur échoue à démontrer que les agissements invoqués, en particulier les méthodes de gestion mises en oeuvre par M. [Z] ne sont pas constitutives d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte des développements qui précèdent que Mme [T] [S] a effectivement été victime de harcèlement moral de la part de son employeur, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.
– Quant à l’exécution déloyale du contrat de travail :
Pour infirmation et bien fondé de ses prétentions à ce titre, Mme [T] [S] soutient qu’elle a dénoncé avec précision les faits de harcèlement qu’elle subissait, qu’au lieu de réagir, la société a préféré ignorer les problèmes évoqués, en les niant, ce qui outre le manquement à ses obligations, caractérise une exécution déloyale du contrat de travail.
La SAS CABINET APC entend rappeler qu’elle conteste la réalité du harcèlement moral allégué, que l’ensemble des salariés ont été interrogés oralement à ce sujet en février 2017, qu’il ne peut être soutenu qu’elle n’a rien fait, pour estimer que la société aurait manqué à son obligation de sécurité.
En application des dispositions de l’article L. 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l’exécution de mauvaise foi dudit contrat incombe à celui qui l’invoque.
Outre les dispositions de l’article L.1152-4 du même code qui oblige l’employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il doit en application de l’article L.4121-1 du code du travail, prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des
circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, il résulte des échanges entre Mme [T] [S] et son employeur que dès le 5 février 2017 elle l’a alerté notamment sur le fait que le management de M. [Z] se résumait à des menaces et à des insultes, qu’à la suite de cette alerte à l’égard de son comportement, M. [Z] a convoqué individuellement tous les gestionnaires pour leur demander de s’exprimer à ce sujet, en sorte que l’enquête ultérieure conduite par l’employeur consistant à interroger les salariés pour savoir s’ils ont été témoins de harcèlement, ne peut à elle-seule constituer une mesure nécessaire pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale des salariés, qu’il n’est rapporté de la part de l’employeur aucune mesure tendant à infléchir le management particulier de M. [Z], dans le contexte sexualisé décrit, minimisé par l’employeur comme participant à une ambiance détendue, pour accepter de s’adapter à son style de management.
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Dans ces conditions, il appert que la SAS CABINET APC, avisée des comportements et des propos tenus par M. [Z] dont elle minimisait la portée, a non seulement manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral et son obligation de sécurité mais s’est abstenue d’exécuter de bonne foi le contrat de travail de la salariée.
Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement entrepris de ce chef de condamner la SAS CABINET APC à verser 6.000 € à Mme [T] [S] à ce titre.
Sur la rupture du contrat de travail :
En l’espèce, il est établi que la dégradation de l’état de santé de Mme [T] [S] est consécutive à la dégradation de ses conditions de travail, induites par le harcèlement moral subi dans les circonstances précédemment rappelées, de sorte que le licenciement consécutif à l’avis d’inaptitude procédant de la dégradation de cet état de santé, doit être annulé.
Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement entrepris de ce chef et de prononcer la nullité du licenciement de Mme [T] [S] en raison du harcèlement moral subi.
En application des articles L.1152-3 et L.1235-3 du code du travail, si le licenciement est nul et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l’employeur, en plus des indemnités de rupture, une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale aux six derniers mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise.
Le licenciement étant nul, le barème d’indemnisation de l’article L.1235-3 du Code du travail, dans sa version postérieure à l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, n’est pas applicable.
Compte tenu de la perte d’une ancienneté de plus de 9 ans pour une salariée âgée de 46 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement l’égard de l’intéressée qui justifie avoir été bénéficiaire de l’ARE du 26 mars 2018 au 9 mars 2020 et d’une situation fiscale traduisant une perte conséquente de revenus, sans autre justification sur ses difficultés à retrouver un emploi que sa domiciliation chez un proche, il lui sera alloué, en application des articles L.1152-3 et L.1235-3 du code du travail du Code du travail une somme de 42.000 € net à titre de dommages-intérêts ;
Selon l’article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, ou si l’inexécution résulte du commun accord des parties, à une indemnité compensatrice.
Le licenciement étant nul, la salariée peut donc prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents tel qu’il est dit au dispositif, pour les sommes non autrement contestées.
Sur la capitalisation des intérêts :
En application de l’article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu’elle est régulièrement demandée ; il doit être fait droit à cette demande’;
Sur la remise des documents sociaux :
La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu’il y ait lieu à astreinte ;
Sur l’article 700 du Code de procédure civile :
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la société intimée qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser l’appelante des frais irrépétibles qu’elle a exposés pour assurer la défense de ses intérêts en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
PRONONCE la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 20/01706 et RG 20/01651 sous le numéro RG 20/01651,
INFIRME partiellement le jugement entrepris,
et statuant à nouveau,
DÉCLARE nul le licenciement de Mme [T] [S] ,
CONDAMNE la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à payer à Mme [T] [S] :
– 42.000 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
– 8.000,02 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis,
– 800 € bruts de congés payés afférents,
– 6.000 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes, à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue,
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
CONDAMNE la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à remettre à Mme [T] [S] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,
CONDAMNE la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à payer à Mme [T] [S] 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
ORDONNE le remboursement par la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL à l’organisme social concerné des indemnités de chômage payées à Mme [T] [S] dans les limites des six mois de l’article L 1235-4 du code du travail.
CONDAMNE la SAS CABINET APC ASSURANCE PLACEMENT CONSEIL aux entiers dépens de première instance et d’appel,
LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT empêché
Ph. BELLOIR, Conseiller