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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 OCTOBRE 2023
N° RG 21/02752
N° Portalis DBV3-V-B7F-UXUQ
AFFAIRE :
[A] [C] épouse [J]
C/
Société TRANSDEV IDF
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 août 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de ST GERMAIN EN LAYE
Section : C
N° RG : F 20/00047
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
M. [Y] [F] (défenseur syndical)
Me Oriane DONTOT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [A] [C] épouse [J]
née le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 10]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : M. [Y] [F] (défenseur syndical)
APPELANTE
****************
Société TRANSDEV IDF
N° SIRET : 383 607 090
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l’AARPI NMCG AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 et Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [J] a été engagée selon contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 1996 en qualité de conducteur receveur par la société CGEA, aux droits de laquelle se trouve la société Veolia transport devenue Transdev IDF. Elle occupait en dernier lieu les fonctions d’adjointe d’exploitation.
Cette société est spécialisée dans le transport routier de voyageurs dans le cadre d’une mission de gestion de service public. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, d’au moins 11 salariés. Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires.
A la suite d’un différend avec le directeur de site, Mme [J] a déposé une main courante auprès des services de gendarmerie et a été placée en arrêt maladie.
Le 21 janvier 2013, Mme [J] a été mise à pied à titre conservatoire, et placée en arrêt maladie le même jour. Le 12 mars 2013, elle a été licenciée pour faute grave pour des faits d’insubordination.
Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint Germain-en-Laye d’une demande d’annulation de son licenciement fondée sur le harcèlement moral qu’elle subissait de la part du directeur.
Par jugement du 6 février 2014, le conseil de prud’hommes de Saint-Germain en Laye a fait droit aux demandes de Mme [J] et ordonné sa réintégration, et a condamné la société Transdev IDF à lui payer une indemnité compensatrice égale aux salaires bruts perdus entre la date d’effet du licenciement et la réintégration effective sur la base d’un salaire mensuel brut de 2 931,14 euros.
La demande de suspension de l’exécution provisoire formée par l’employeur ayant été rejetée par le premier président de la cour d’appel, Mme [J] a été réintégrée à son poste le 4 mars 2014, puis a été en arrêt maladie à compter du 19 mars 2014.
Par arrêt du 10 février 2015, la cour d’appel de Versailles a rejeté la demande de renvoi présentée par le défenseur syndical de Mme [J], écarté des débats les pièces 47 à 77 communiquées par la société Transdev IDF et les pièces 59 à 64 communiquées par Mme [J] en raison de leur tardiveté au regard des délais de communication fixés par la Cour, confirmé le jugement du 6 février 2014 en ce qu’il a rejeté les demandes au titre de la discrimination salariale. Infirmant le jugement pour le surplus, la cour d’appel a rejeté la demande de nullité du licenciement fondée sur un prétendu harcèlement moral, dit que le licenciement du 12 mars 2013 était sans cause réelle et sérieuse, et condamné la société Transdev IDF à verser à Mme [J] la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rejetant ses autres demandes.
Elle a par ailleurs déclaré irrecevable l’intervention volontaire de l’Union Locale CGT de [Localité 6] et ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [J] à concurrence de 6 mois.
Par arrêt du 10 novembre 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt du 10 février 2015 et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles. La réintégration de la salariée a été effective le 9 mai 2017.
Par un arrêt du 12 décembre 2018, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye en ce qu’il a annulé le licenciement de la salariée, ordonné sa réintégration et condamné la société Transdev IDF à lui verser une indemnité
compensatrice égale aux salaires bruts perdus entre le 12 mars 2013 et sa réintégration effective sur la base d’un salaire brut mensuel de 2 931,14 euros, outre une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral dont elle a été victime lors de sa réintégration.
Mme [J] a de nouveau saisi le conseil des prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye le 21 février 2020 pour faire établir des faits de harcèlement moral et sollicité diverses condamnations à ce titre.
Par jugement du 31 août 2021, le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye (section commerce), en sa formation de départage, a :
– dit irrecevable en raison de la prescription la demande en paiement au titre de la prime de résultat pour les années 2014 à 2017 formée par Mme [J],
– condamné la société Transdev IDF à verser à Mme [J] les sommes suivantes :
. 2 000 euros nets au titre de la prime de résultat pour 2018 et 2019,
. 1 329,72 euros bruts au titre des heures supplémentaires accomplies,
– condamné la société Transdev IDF à délivrer à Mme [J] un duplicata de son bulletin de salaire de mars 2019 ainsi que sa carte de qualification conductrice,
– rappelé que par application de l’article R 1454-28 du code du travail, l’exécution provisoire est de droit pour la remise des documents et pour les indemnités énoncées à l’article R 1454-14 dans la limite de neuf mois de salaires et fixe pour ce faire la moyenne des trois derniers mois à la somme de 2 515 euros,
– condamné la société Transdev IDF à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 26 février 2020 date de réception par le défendeur de la convocation à l’audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus,
– débouté Mme [J] de ses autres demandes,
– dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que les parties conserveront la charge des dépens par elles avancés.
Par déclaration adressée au greffe le 17 septembre 2021, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 11 avril 2023.
Par arrêt du 17 mai 2023, la 17ème chambre de la cour d’appel de Versailles, constatant que le défenseur syndical n’a pas été avisé de la date d’audience, a ordonné la re’ouverture des de’bats a’ l’audience du vendredi 16 juin 2023 a’ 14h afin de permettre aux parties de pre’senter oralement leurs conclusions et réservé les dépens.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions remises au greffe en main propre le 13 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [J] demande à la cour de :
– confirmer les condamnations entreprises par le jugement déféré,
– infirmer pour le surplus le jugement déféré,
– la déclarer bien fondée en son appel et les demandes y afférentes,
– juger qu’est caractérisé et avéré l’existence d’un harcèlement moral continu de la part de la société Transdev IDF à son endroit postérieurement à l’arrêt d’appel du 12 décembre 2018,
– juger qu’est caractérisée, de par les agissements de la société Transdev IDF, une violation de l’obligation de sécurité et de prévention contre les agissements de harcèlement moral,
– condamner la société Transdev IDF à lui payer les condamnations suivantes aux titres suivants :
. 50 000 euros (N) au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral,
. 10 000 euros (N) au titre des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé de la salariée,
. 2 000 euros (N) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– en cause d’appel, porter le montant alloué pour le chef suivant de la demande à la somme :
. 4 925 euros (N) au titre des dommages et intérêts pour absences répétées de l’entretien professionnel annuel pour les années 2014 et de 2017 à 2019 impactant la prime de résultat,
– assortir d’une astreinte d’un montant de 200 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision la délivrance des documents ordonnés en première instance,
– dire que la cour se réservera le droit de procéder à la liquidation de l’astreinte en application de l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution,
– en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile, condamner la société Transdev IDF aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant la signification de l’arrêt à intervenir par voie d’huissier de justice ainsi qu’à ses suites,
– dire qu’au cas de la mise en ‘uvre d’une telle nécessité, il sera fait application des dispositions de l’article R. 1423-53 du code du travail par l’huissier de justice,
– déclarer mal fondée en ses éventuelles prétentions la société Transdev IDF et, en conséquence de quoi, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de la salariée.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 février 2022 , auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Transdev IDF demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il :
. l’a condamne’e a’ verser a’ Mme [J] les sommes suivantes :
* 2 000 euros nets au titre de la prime de re’sultat pour 2018 et 2019,
* 1 329,72 euros bruts au titre des heures supple’mentaires accomplies,
. l’a condamne’e a’ de’livrer a’ Mme [J] un duplicata de son bulletin de salaire de mars 2019 ainsi que sa carte de qualification conductrice,
. l’a condamne’e a’ payer les inte’re’ts de droit sur les salaires et e’le’ments de salaire a’ compter du 26 fe’vrier 2020 date de re’ception par le de’fendeur de la convocation a’ l’audience du bureau de conciliation et du prononce’ pour le surplus,
. l’a de’boute’e de sa demande de condamnation de Mme [J] a’ lui verser des dommages et inte’re’ts pour proce’dure abusive,
. dit n’y avoir lieu a’ faire application des dispositions de l’article 700 du code de proce’dure civile,
. dit que les parties conserveront la charge des de’pens par elles avance’es,
en conse’quence,
– juger que le harce’lement moral dont se pre’vaut Mme [J] n’est pas e’tabli,
– juger qu’elle n’a commis aucun manquement a’ son obligation de se’curite’,
statuant a’ nouveau,
– débouter Mme [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et pre’tentions,
– condamner Mme [J] a’ lui verser la somme de 1 000 euros a’ titre de dommages et inte’re’ts pour proce’dure abusive,
– condamner Mme [J] a’ lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [J] en tous les de’pens qui seront recouvre’s par Me Dontot, JRF & Associés conforme’ment aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditionsde
travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, la salariée présente les éléments suivants comme contribuant, selon elle, au harcèlement moral dont elle se dit victime :
. un maintien de la dégradation des responsabilités en regard de ses attributions originelles (1),
. le maintien d’une mise à l’écart et une attitude vexatoire (2),
. la dégradation de son état de santé (3).
(1) Il n’est pas discuté que la salariée est adjointe d’exploitation. En cette qualité, la salariée était investie de missions diverses comprenant des tâches de management, de contrôle de la conformité des traitements de prépaie au vu de l’activité réalisée des salariés et de contribuer à améliorer la qualité de service sur l’ensemble du réseau (pièce 22 S).
La salariée montre (pièce 54 liste des attributions confiées aux onze salariés, dont Mme [J], en charge de l’exploitation) qu’elle était désignée comme interlocuteur :
. des salariés remplaçants pour les questions relatives à « Bus 8 », « Express 16 », « Resalys », « R4 », « 9 », « R5 », « 18 », « 21 »,
. de tous les salariés « en cas d’absence et si urgent »,
. de tous les salariés pour les questions en lien avec la prépaie, la paie, toutes questions relatives aux indemnisations, les congés payés annuels de longues périodes (au-delà d’une semaine, paternité, maternité, congés sans solde, parentaux) étant précisé que pour les demandes de congés ponctuels, Mme [J] n’était pas désignée comme interlocuteur des salariés.
Les fonctions qui lui sont confiées entrent dans le champ des attributions de la salariée. Comparativement aux attributions confiées aux dix autres salariés en charge de l’exploitation, les fonctions qui lui sont confiées ne traduisent nullement la dégradation prétendue de ses responsabilités. C’est donc à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges ont estimé que le fait, ici étudié sous le numéro (1), n’est pas démontré.
(2) La salariée invoque d’abord l’intervention des élus du personnel et conclut à l’inertie de l’employeur. A cet égard, il ressort du procès-verbal de « réunion extraordinaire Transdev [Localité 9] [Localité 8] » du mercredi 11 juillet 2018 (pièce 69 S) que la salariée a « alerté un membre du CHSCT concernant ses conditions de travail » ‘ sans plus de précision sur le contenu de l’alerte ‘ et que les membres du CHSCT ne souhaitant pas se contenter de l’enquête diligentée par l’employeur quelques jours plus tôt (enquête du 6 juillet 2018 ‘ pièce 79 S), ont sollicité la réalisation d’une enquête par le CHSCT. Cette question a été mise au vote et adoptée de telle sorte qu’une nouvelle enquête a été confiée au CHSCT, devant débuter le 13 juillet 2018 et être conduite par deux salariés (MM. [E] et [X], élus du CHSCT) et un troisième membre que la direction devait désigner. Pour établir la réalité de l’inertie de l’employeur, la salariée produit les courriels adressés par M. [E] à la direction entre le 12 juillet 2018 et le 10 septembre 2018 (pièce 74 S). Pour sa part, la société produit les réponses de la direction (pièces 27 à 30 E). Ces pièces associées les unes aux autres ne caractérisent pas l’inertie dénoncée par la salariée mais montre des difficultés calendaires tant de l’employeur que de M. [E].
La salariée invoque ensuite le fait que les élus du personnel ont alerté la direction à propos de risques psycho-sociaux au sein des établissements d'[Localité 7] et de [Localité 9], établissement au sein duquel travaillait la salariée. Ce fait est établi par le procès-verbal de la séance du 7 novembre 2018 de la commission nationale HSSCT (pièce 24 S). Ce procès-verbal montre que la situation de la salariée y a été évoquée, en particulier au regard des conditions dans lesquelles sa réintégration ‘ effective le 9 mai 2017 ‘ avait été réalisée. En particulier, M. [E] indique à propos de Mme [J] : « Cette salariée a été licenciée puis réintégrée, et comme vous dites (note de la cour : M. [E] s’adresse à M. [L], DRH), chacun met un peu du sien pour travailler avec elle, je suis d’accord avec vous. Elle est adjointe d’exploitation, elle a des prérogatives. On lui attribue un bureau où elle se retrouve face à un mur avec une grande planche et où personne ne la voit. (‘) ».
La salariée se fonde encore sur la lettre qu’elle a adressée au CHSCT le 12 novembre 2018 dans laquelle elle dit être harcelée par M. [T], son supérieur hiérarchique et demande une nouvelle enquête sur ses conditions de travail (pièce 23). C’est dans ces conditions que le 15 novembre 2018, les membres du CHSCT ont sollicité une nouvelle réunion extraordinaire pour demander la mise en ‘uvre d’une nouvelle enquête (pièce 25). Cette réunion extraordinaire s’est tenue le 26 novembre 2018 (pièce 37). Soumise une nouvelle fois au vote, une nouvelle enquête a été décidée. Mais il n’est pas discutée que cette enquête n’a pu être menée et, si effectivement, l’employeur montre qu’en lieu et place, il a proposé à la salariée une médiation entre elle et M. [T] (cf. lettre du 3 décembre 2018 ‘ pièce 33 E), il demeure qu’il n’a pas donné au CHSCT les moyens de procéder à l’enquête qui y avait été décidée le 26 novembre 2018.
Cette médiation a achoppé dans la mesure où, comme le montre le courriel du médiateur du 18 décembre 2018 (pièce 34 E), la salariée ne répondait pas à ses tentatives d’appel téléphonique.
La salariée invoque en outre les déclarations d’un élu au cours d’une réunion du CSE le 19 février 2020 (pièce 57). Cet élu s’étonnant de ce que 60 % des salariés ayant posé des congés ont été invités à modifier leurs dates, a demandé que Mme [J], qui, selon lui, avait été en charge des congés, reprenne cette activité. La salariée déplore le fait qu’il n’ait pas été donné de suite à cette demande. Toutefois, ainsi que l’ont relevé avec pertinence les premiers juges, dont la cour adopte de ce chef les motifs, le fait n’est pas établi dès lors qu’il n’apparaît pas que la gestion courante des congés avait effectivement été confiée à la salariée. La cour ajoute que la pièce 57 de la salariée ne permet pas de déterminer quels congés étaient en cause, étant rappelé que la salariée avait en charge les congés de longue durée alors que les congés ponctuels, eux, étaient gérés par le responsable de secteur (pièce 54).
La salariée dénonce encore le dédain qu’elle subissait, illustré selon elle par le fait que, lors d’un déjeuner au restaurant au cours d’une formation, le formateur a payé le repas de l’apprenti mais a refusé de régler le sien. Ce fait n’est pas contesté par l’employeur.
La salariée se fonde en outre sur l’attestation de M. [G], un collègue, qui (pièce 64) témoigne ainsi : « lors d’une conversation avec ma N+1 [M] [V] m’informe et confirme qu’aucun document ni rien en lien avec la société ne doit être transmis, remis ni échangé avec Mme [J] [A] car elle n’était pas une personne fiable ni de confiance, c’était une personna non grata pour Transdev [Localité 9] [Localité 8] ». Cette attestation est cependant démentie par le témoignage de Mme [V] qui, dans son attestation (pièce 37), nie avoir tenu de tels propos. Le fait n’est donc pas établi.
La salariée dénonce le fait que son responsable d’exploitation, M. [T] et la société ont contribué à sa mise à l’écart en :
. ne correspondant pas avec elle par courriel en omettant systématiquement de la mettre en destinataire de ses courriels ‘ fait que la salariée ne démontre pas par les courriels dont elle se prévaut ;
. prévoyant des réunions d’équipe le mercredi alors qu’il sait qu’elle est régulièrement amenée à siéger, précisément, le mercredi dans le cadre de ses vacations judiciaires de son mandat de conseillère prud’homale ‘ fait non contesté et donc établi ;
. étant « écartée intentionnellement du versement d’un acompte sur 13ème mois alors que son N+1 en a formulé la demande auprès des autres agents d’exploitation comme le révèle son mail du 11/12/19 (pièce n°33) » ‘ fait non établi par la pièce 33 dont il ne ressort pas que le N+1 de la salariée a formulé la demande auprès des autres agents d’exploitation ;
. ne recevant aucune réponse de son directeur d’établissement alors qu’elle lui avait écrit le 21 février 2019 un courriel très circonstancié par lequel elle dénonçait sa mise à l’écart par M. [T] ‘ fait non établi dès lors que l’employeur montre qu’il a réagi à ce courriel du 21 février 2019, le directeur d’établissement ‘ qui a pris ses fonctions le 3 mars 2019 ‘ ayant reçu la salariée en entretien le 23 mars 2019 et ayant lancé une nouvelle procédure de médiation auprès de l’inspectrice du travail ;
. transformant en « parcours de l’impossible » la délivrance d’un duplicata du bulletin de salaire du mois de mars 2019 ‘ Par la production de ses nombreux échanges de courriels de décembre 2019 (pièces 34 et 36), la salariée établit avoir dû relancer à de multiples reprises son interlocutrice de la paie pour obtenir un simple duplicata de son bulletin de paie de mars 2019, mais la cour ne peut analyser ces échanges en un « parcours de l’impossible » puisqu’au contraire, la salariée a obtenu son duplicata le 9 janvier 2020 (pièce 40 E), de sorte que le fait présenté par la salariée n’est pas établi ;
. tardant à accueillir sa demande tendant à ne plus rattacher son mari et ses enfants à sa mutuelle ‘ il ressort de l’échange de courriels entre la salariée et le service de paie qu’elle avait demandé à ce service, courant novembre 2019, de modifier le rattachement de sa famille à sa mutuelle et il n’est pas discuté que la modification n’a été effective qu’au mois d’avril 2020 après plusieurs relances de la salariée ;
. ne sollicitant qu’elle pour être au chômage partiel durant la crise sanitaire ‘ fait non établi dès lors que l’employeur démontre que la salariée n’a pas été la seule à être assujettie à un chômage partiel au sein de la société ;
. lui demandant, après un arrêt de travail, de communiquer une adresse courriel et un numéro de téléphone valide pour pouvoir être jointe pour le rendez-vous à prévoir à la médecine du travail alors que son adresse courriel et son numéro de téléphone n’avaient pas changés puisqu’ils étaient professionnels ‘ fait non contesté et donc établi ;
. annulant sa prise de congé du 22 mai 2020 ‘ fait non contesté et donc établi ;
. lui adressant le 18 juin 2020 ‘ de la part du directeur et non du service des ressources humaines ‘ une lettre par laquelle il lui était demandé de régulariser un problème administratif en lien avec un arrêt de travail ‘ fait non contesté et donc établi ;
. ne résolvant pas un bug récurrent ‘ fait établi par l’attestation de M. [X] (pièce 65 S) qui témoigne de la persistance d’un bug informatique sur l’ordinateur de la salariée, ayant pour effet de déclencher en double certaines primes ou au contraire de ne pas déclencher certaines autres primes automatiquement ;
. ne la conviant pas au moment convivial de remise de la médaille du travail ‘ fait non contesté et donc établi.
(3) La salariée établit, par sa pièce 75, avoir fait l’objet d’un arrêt de travail (de prolongation) le 22 juillet 2019 pour « état anxio dépressif lié à un harcèlement sur le lieu de travail ». Elle montre en outre (pièce 67 S ‘ attestation de paiement des indemnités journalières de sécurité sociale) qu’elle a fait l’objet de très nombreux arrêts maladie entre 2018 et 2020.
En synthèse de ce qui précède, la salariée établit :
. que les élus du personnel ont alerté la direction le 7 novembre 2018 à propos de risques psycho-sociaux au sein de l’établissement de [Localité 9] et ont évoqué la situation de Mme [J] en évoquant à son égard une situation de harcèlement moral,
. que la société n’a pas donné de suite à l’enquête pourtant décidée par le CHSCT lors de sa réunion extraordinaire du 26 novembre 2018,
. que, lors d’un déjeuner au restaurant au cours d’une formation, le formateur a payé le repas de l’apprenti mais a refusé de régler le sien,
. que des réunions de service ont été organisées les mercredis alors qu’elle siégeait ces jours-là au conseil de prud’hommes,
. que sa demande, formulée en novembre 2019, tendant à la fin du rattachement de son mari et de ses enfants à sa mutuelle n’a été satisfaite qu’au mois d’avril 2020,
. que l’employeur lui a demandé de communiquer une adresse courriel et un numéro de téléphone valide pour pouvoir être jointe pour le rendez-vous à prévoir à la médecine du travail,
. que l’employeur a annulé sa prise de congé du 22 mai 2020,
. que le directeur et non le service des ressources humaines lui a adressé une lettre par laquelle il lui était demandé de régulariser un problème administratif en lien avec un arrêt de travail,
. qu’un bug informatique n’a pas été réparé sur son ordinateur,
. que l’employeur ne l’a pas conviée au moment convivial de remise de sa médaille du travail,
. ainsi que la dégradation de son état de santé.
Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptible d’avoir altéré sa santé. Il incombe en conséquence à l’employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En ce qui concerne le fait que les élus du personnel ont alerté la direction le 7 novembre 2018 à propos de risques psycho-sociaux au sein de l’établissement de [Localité 9] et ont évoqué la situation de Mme [J] en évoquant à son égard une situation de harcèlement moral : ce fait est décorrélé de toute décision de l’employeur. Il n’y a donc pas matière à vérifier que la décision de l’employeur est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En ce qui concerne le fait que la société n’a pas donné de suite à l’enquête pourtant décidée par le CHSCT lors de sa réunion extraordinaire du 26 novembre 2018, il apparaît, certes, qu’une enquête avait déjà eu lieu le 6 juillet 2018, mais dès lors que la salariée se plaignait toujours, en novembre 2018, de ses conditions de travail après sa réintégration, l’employeur ne justifie pas par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral des raisons pour lesquelles cette enquête n’a pas eu lieu.
En ce qui concerne le repas à l’occasion duquel un formateur a payé le repas de l’apprenti mais a refusé de régler celui de la salariée, il ressort du courriel de M. [B], apprenti d’exploitation que « pour le déjeuner du vendredi 4 octobre 2019, j’ai demandé à [D] si je pouvais venir et il a accepté. (‘) Le déjeuner s’inscrivait dans le cadre de la FCO passée cette semaine-là (‘). Mme [J] (‘) n’était pas en FCO à ce moment là » (pièce 35). Il se déduit de ce courriel mais également de l’attestation de M. [B] (pièce 36) que les repas ne sont pris en charge par la société que lorsque le salarié est en formation, ce qui n’était pas le cas de Mme [J] et qui explique donc par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral la décision de l’employeur.
En ce qui concerne les réunions du mercredi, l’employeur justifie avoir entendu prendre en compte la difficulté résultant de ce que la salariée siégeait en même temps au conseil de prud’hommes. En effet, le directeur de l’établissement de [Localité 9] [Localité 8] a saisi l’inspection du travail dans le
dessein de résoudre les difficultés rencontrées par Mme [J]. Dans un courriel du 30 octobre 2019, l’inspectrice du travail (pièce 38 E) dressait la liste des points évoqués lors d’une rencontre du 29 octobre 2019. Au rang des engagements de la société Transdev, il était prévu que celle-ci s’oblige à « organiser les réunions de service hors des lundis et mercredis pour que Mme [J] puisse y assister sans compromettre l’exercice de son mandat de conseillère prud’homale ». Néanmoins, le 31 octobre 2019, la même inspectrice du travail écrivait à l’employeur pour lui faire savoir que la salariée avait « rejeté en bloc l’ensemble » des propositions qu’elle lui avait faites dans le cadre de la médiation entreprise par la DIRECCTE. L’inspectrice du travail ajoutait « par conséquent, n’ayant pas recueilli d’éléments susceptible de caractériser une situation infractionniste et n’étant pas en mesure de proposer d’autres solutions, (‘) le dossier est clos ». Par ailleurs, il ressort de la pièce 66 de l’employeur qu’à partir de janvier 2020, les réunions de service se sont tenues un autre jour que le mercredi. En revanche, pour la période antérieure, aucun élément objectif n’est avancé par l’employeur pour justifier que les réunions de service devaient se tenir le mercredi plutôt qu’un autre jour de la semaine. Il ne justifie donc pas pour l’ensemble de la relation contractuelle de raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral propres à expliquer pourquoi, en dépit des demandes de la salariée, les réunions de service ont été organisées les mercredis alors qu’elle ne pouvait y être présente en raison de son mandat de conseiller prud’hommes.
En ce qui concerne le fait que la demande de la salariée, formulée en novembre 2019, tendant à la fin du rattachement de son mari et de ses enfants à sa mutuelle n’a été satisfaite qu’au mois d’avril 2020, il ressort des échanges de courriel produits (pièce 58) que l’interlocutrice interne de la salariée lui expliquait qu’elle attendait « juste le retour de la cpms pour la prise en compte de la modification du contrat (‘) ». Le fait que la société ait dû attendre le retour de la mutuelle explique par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral le retard pris dans la modification.
En ce qui concerne le fait que l’employeur a demandé à la salariée de communiquer une adresse courriel et un numéro de téléphone valide pour pouvoir être jointe pour le rendez-vous à prévoir à la médecine du travail, ce fait s’explique par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral, l’employeur n’ayant fait cette demande à la salariée que dans l’intérêt de celle-ci.
En ce qui concerne le fait que l’employeur a annulé la prise de congé de la salariée du 22 mai 2020, il ressort des débats que ce jour était un vendredi compris entre le jeudi qui était un jour férié et le week-end à suivre de sorte que de nombreux salariés avaient posé une journée de congé le 22 mai 2020. L’employeur montre que d’autres salariés avaient posé ‘ avant Mme [J] ‘ leurs congés ce jour-là ce qui explique, par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral, la décision de l’employeur.
En ce qui concerne le fait que le directeur et non le service des ressources humaines lui a adressé une lettre par laquelle il lui était demandé de régulariser un problème administratif en lien avec un arrêt de travail : dès lors que le directeur de l’établissement assure la direction de tous les services, le fait que ce soit lui plutôt que les services qui lui sont subordonnés, qui ait adressé à la salariée la lettre litigieuse est justifié par un élément objectif étranger à tout harcèlement moral.
En ce qui concerne le fait qu’un bug informatique n’a pas été réparé sur l’ordinateur de la salariée, il ressort des courriels produits par l’employeur que le 29 mai 2019, M. [T], a écrit à la salariée pour lui proposer son aide afin de régler le dysfonctionnement (pièce 64) et, surtout, pour lui reprocher de ne pas lui laisser accès à son ordinateur pour qu’il puisse apporter les corrections nécessaires. Dès lors, il apparaît que la persistance du bug litigieux tient à l’attitude de la salariée ce qui caractérise une raison objective étrangère à tout harcèlement moral.
En ce qui concerne le fait que l’employeur n’a pas convié la salariée au moment convivial de remise de sa médaille du travail, l’employeur invoque un oubli de M. [T] ; oubli qui ne concerne pas que Mme [J] mais d’autres salariés. Néanmoins, un tel oubli ne constitue pas une raison objective.
En définitive, l’employeur ne démontre pas pour tous les faits retenus que ses décisions étaient caractérisées par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.
Le harcèlement moral est donc établi.
Il en est résulté, pour la salariée, un préjudice qu’il convient, par voie d’infirmation du jugement déféré, de réparer par une indemnité de 3 000 euros.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé de la salariée
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Ces articles disposent :
Article L. 4121-1 : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
Article L. 4121-2 « L’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
L’article L. 1152-4 alinéa 1 du code du travail prescrit que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
En l’espèce, la salariée reproche à l’employeur de ne pas avoir pris de dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement moral dont elle a été victime alors qu’il avait connaissance de ce harcèlement moral.
Cependant, il ressort des pièces et des débats que la société a diligenté une enquête le 6 juillet 2018 et qu’elle a, à cette occasion, formulé des propositions concrètes visant à améliorer les conditions de travail de la salariée.
La société a proposé à la salariée une médiation en décembre 2018 par l’intermédiaire d’un médiateur professionnel, ce que la salariée a refusé.
La société a saisi l’inspection du travail fin 2019 pour que ses services réalisent une médiation ce qui a achoppé car la salariée a refusé la mise en ‘uvre des engagements pris par les deux parties, étant relevé d’une part que l’inspecteur du travail n’avait alors pas relevé de situation caractérisant une infraction et d’autre part qu’en dépit du refus par la salariée de mise en ‘uvre les engagements prévus par l’inspection du travail, l’employeur, lui, les a mis en ‘uvre.
La société a donc pris des mesures pour faire cesser le harcèlement moral.
En revanche, l’employeur ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail notamment en matière de harcèlement moral par la mise en ‘uvre d’action d’information et de prévention propres à en prévenir la survenance.
Dès lors il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef de demande et, statuant à nouveau, de condamner l’employeur à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur l’absence d’entretien professionnel et la prime de résultat
La salariée conteste la prescription qui lui est opposée, exposant que la prescription salariale ne court pas lorsque la créance dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter des informations nécessaires au calcul de la créance que le débiteur détient.
Au fond, elle se fonde sur l’article L. 6315-1 du code du travail prévoyant l’organisation d’un entretien professionnel tous les deux ans. Elle soutient que la société a mis en place un système de réception de chaque salarié pour discuter de son activité annuelle et non pas un entretien professionnel mais que l’employeur ne l’organise plus pour elle. Elle fait valoir que cela a une incidence sur sa prime annuelle. Elle y voit une discrimination et une violation du principe d’égalité de traitement. Elle sollicite en conséquence des dommages-intérêts qu’elle évalue à 4 925 euros nets correspondant au montant total des primes qu’elle a perçues entre 2014 et le montant qu’elle aurait dû percevoir (1 500 euros) chaque année pour les années 2014 puis 2017 à 2019.
L’employeur, se fondant sur l’article L. 1471-1 du code du travail, oppose à la salariée la prescription pour les années 2014 et 2017, rappelant qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes le 21 février 2020. Concernant les années 2018 et 2019, l’employeur objecte que la salariée ne peut prétendre à la prime dès lors qu’elle n’a pas rempli ses missions de manière satisfaisante.
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Sur la prescription
A titre liminaire, la cour observe qu’elle est saisie par la salariée d’une demande, non pas de rappel de salaire qui aurait conduit à l’application de l’article L. 3245-1 du code du travail, mais de dommages-intérêts fondée sur une inégalité de traitement en raison de l’absence d’entretien de nature à déclencher le versement d’une prime annuelle. La salariée invoque aussi une discrimination, utilisant plusieurs fois ce terme dans ses écritures, mais n’invoque aucun des motifs de discrimination prévus par l’article L. 1132-1 du code du travail.
Il en résulte que la prescription applicable est celle prévue par l’article L. 1471-1 du code du travail ainsi qu’en a jugé le conseil de Prud’hommes, dont les motifs sont adoptés par la cour.
Sur le fond
Le principe de l’égalité de traitement impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Il appartient d’abord au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une différence de traitement et il appartient ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence et dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
Si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique au regard de l’avantage en cause puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.
En l’espèce, la salariée expose qu’elle n’a pas bénéficié, comme tous ses autres collègues, d’un entretien sur son activité pour les années 2014, puis 2017 à 2019. Ce fait n’est pas contesté par l’employeur étant néanmoins observé que la cour ne statue que sur les primes de 2018 et de 2019, les demandes relatives aux années antérieures étant affectées par la prescription.
Selon l’avenant du 30 avril 2007, la rémunération de la salariée a été fixée à un montant fixe brut de 2 250 euros et à une « prime de résultat (‘) versée en fin d’année, prime qui sera définie par votre responsable d’exploitation d’année en année » (pièce 21).
Le montant de cette prime n’est pas fixé dans l’avenant, mais il ressort des explications de la salariée ‘ sur ce point précis non contestées par l’employeur ‘ que sa prime a varié entre 375 et 1 500 euros entre 2007 et 2019.
Il résulte de la lecture des pièces 5 à 12 de la salariée (« entretiens professionnels » de la salariée de 2007 à 2010 et lettres par lesquelles la salariée est avisée du montant de sa « prime de résultat ») qu’il existe au sein de la société un lien entre les « entretiens professionnels » et la gratification du salarié par une « prime de résultat ». En effet, les lettres adressées par l’employeur à la salariée précisent que « le montant de cette prime tient compte (‘) de l’appréciation qui a été portée sur votre activité » (lettres des 6 décembre 2017, 4 décembre 2008, 21 décembre 2009) ou que la « prime de résultat au titre de l’année 2018 [tient] compte de l’appréciation de votre performance individuelle » (lettre du 19 décembre 2018).
Compte tenu de ce qui précède, dès lors que la salariée pouvait contractuellement bénéficier d’une prime, que cette prime dépendait de l’évaluation de la salariée et que la salariée a été privée d’évaluation en 2014 puis entre 2017 et 2019 alors qu’il n’est pas discuté que ses autres collègues ont bénéficié d’une telle évaluation, la salariée soumet bien à la cour des éléments de fait
susceptibles de caractériser une différence de traitement.
Il appartient en conséquence à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence et dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
D’abord, l’employeur ne présente pas d’élément objectifs justifiant l’absence de tenue d’entretiens professionnels au bénéfice de la salariée.
Ensuite, si, manifestement, pour 2018, l’absence d’entretien professionnel n’a pas empêché la salariée d’être gratifiée d’une prime de 900 euros (pièce 12 S), il demeure que, comme elle le soutient à raison, le mode de calcul de la prime n’est pas précisé par l’employeur, lequel ne permet pas à la cour de déterminer pourquoi une prime de 900 euros est accordée à la salariée plutôt que 1 500 euros comme en 2011 et en 2012. Peu importe, dès lors, que l’employeur fasse état des erreurs commises par la salariée.
Ce n’est ainsi pas par des raisons objectives que l’employeur explique une différence de traitement.
Il en est donc résulté pour la salariée un préjudice qu’il convient d’évaluer à la somme de 2 000 euros ainsi qu’en a jugé avec pertinence le conseil de Prud’hommes.
Sur les heures supple’mentaires
La salariée expose que lorsqu’elle a réintégré son poste le 9 mai 2017, ses horaires de travail ont été définis par son N+1 de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00 soit 40 heures par semaine alors que la durée du travail dans l’entreprise est de 36h30 avec 11 jours de RTT. Elle soutient que l’effectivité des heures qu’elle a réellement effectuées résulte de la production de courriels échangés avec son N+1.
L’employeur objecte que seules les heures commandées par l’employeur peuvent être payées et qu’il n’a jamais demandé à la salariée de réaliser des heures supple’mentaires. Il soutient que le décompte produit par la salariée n’a jamais été validé en interne de sorte qu’il convient de l’écarter. L’employeur pointe en outre des erreurs dans le décompte de la salariée et précise qu’il n’a jamais été demandé à la salariée de travailler de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00 mais simplement selon l’horaire collectif de 36,60 heures avec 11 jours de RTT obligatoires.
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L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’« en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l’employeur de justifier des horaires de travail effectués par l’intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre l’instauration d’un débat contradictoire et à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, la salariée soutient avoir travaillé chaque semaine au moins de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00, ce qui est précis.
Elle produit en pièces 71 et 72 plusieurs courriels adressés à son supérieur hiérarchique après 18h00.
Elle présente enfin, dans ses conclusions, un décompte.
Même s’il n’est pas établi par la salariée que son N+1 lui a demandé de travailler de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00 de telle sorte qu’elle était soumise à l’horaire collectif de 36 heures 30 hebdomadaires, les éléments présentés par la salariée sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répliquer, étant précisé que la salariée ne contestant pas avoir été en mesure de prendre 11 jours de RTT par an, elle évalue, à raison ses heures supplémentaires à partir de 36,5 heures par semaine.
L’employeur, qui assure le contrôle des heures travaillées, ne présente pas d’élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Si seules les heures commandées par l’employeur peuvent être rémunérées, il demeure qu’un accord implicite suffit, lequel peut résulter des circonstances d’accomplissement des heures supplémentaires. Or, il apparaît que les courriels adressés par la salariée après 18h00 à son supérieur hiérarchique n’ont appelé de sa part aucun commentaire, ce qui caractérise l’accord implicite.
L’employeur invoque par ailleurs à juste titre des erreurs de décompte.
Compte tenu des éléments soumis à la cour, il convient d’évaluer à 637,88 euros le rappel dû à la salariée du chef de ses heures supple’mentaires.
Par voie d’infirmation, il conviendra en conséquence de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 637,88 euros à titre de rappel d’heures supple’mentaires.
Sur la délivrance, à la salariée, d’un duplicata du bulletin de salaire de mars 2019 ainsi que sa carte de qualification conductrice
Ainsi qu’il a été jugé plus haut, la salariée a obtenu un duplicata de son bulletin de salaire du mois de mars 2019 de telle sorte que le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Transdev IDF à délivrer à Mme [J] un duplicata de son bulletin de salaire de mars 2019.
En revanche, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que l’employeur a été condamné par les premiers juges à délivrer à la salariée sa carte de qualification conductrice. Ainsi qu’en ont jugé les premiers juges, une astreinte n’est pas nécessaire, de sorte que le jugement sera de ce chef confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens de la procédure d’appel et débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il conviendra de condamner l’employeur à payer à la salariée une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il condamne la société Transdev IDF à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros nets au titre de la prime de résultat pour 2018 et 2019, à délivrer à Mme [J], sans astreinte, un duplicata de sa carte de qualification conductrice, en ce qu’il condamne la société Transdev IDF à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 26 février 2020 date de réception par le défendeur de la convocation à l’audience du bureau de conciliation et du prononcé pour le surplus,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Transdev IDF à payer à Mme [J] les sommes suivantes :
. 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
. 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
. 637,88 euros à titre de rappel d’heures supple’mentaires,
REJETTE la demande de Mme [J] relative à la délivrance d’un duplicata de son bulletin de salaire du mois de mars 2019,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Transdev IDF à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Transdev IDF aux dépens de la procédure d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Régine Capra, Présidente et par Madame Marine Mouret, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente