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7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°219/2023
N° RG 20/01385 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QQQT
SCOP TREBARA
C/
Mme [C] [H]
M. [F] [H]
M. [E] [H]
M. [N] [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 Février 2023
En présence de Madame [A], médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Mai 2023 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 11 Mai 2023
****
APPELANTE :
SCOP TREBARA
[Adresse 1]
[Localité 5]/FRANCE
Représetée par Me Pauline COIRIER, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Laurent PEQUIGNOT de la SARL PÉQUIGNOT AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Madame [C] [H] Mère de Mme [X] [H] décédée
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Isabelle GUIMARAES de la SELARL GUIMARAES & POULARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Jean-david CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [F] [H] Père de Madame [X] [H] (DECEDEE)
[Adresse 8]
[Localité 7]/FRANCE
Représenté par Me Isabelle GUIMARAES de la SELARL GUIMARAES & POULARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [E] [H] Frère de Madame [X] [H] (DECEDEE)
[Adresse 6]
[Localité 3]/FRANCE
Représenté par Me Isabelle GUIMARAES de la SELARL GUIMARAES & POULARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représenté par Me Jean-david CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [N] [H]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Isabelle GUIMARAES de la SELARL GUIMARAES & POULARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représenté par Me Jean-david CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SCOP Trébara est une société coopérative ayant une activité de boulangerie artisanale.
Mme [X] [H] avait été embauchée par la société Trébara selon un contrat à durée indéterminée en date du 23 mars 2015. Elle exerçait les fonctions de boulangère, statut ouvrier, à temps plein.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de la boulangerie-pâtisserie.
Le 23 août 2016, l’employeur a autorisé la salariée à s’absenter une semaine avec maintien de salaire.
Le 31 août 2016, les parties ont vainement négocié les conditions d’une rupture conventionnelle du contrat de Mme [H] au cours d’un entretien.
Par courrier en date du 29 septembre 2016, Mme [H] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 10 octobre suivant, assorti d’une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 18 octobre 2016, Mme [H] s’est vue notifier un licenciement pour insuffisance professionnelle aux motifs suivants :
– Dégradation de l’investissement et de la rigueur de la salariée,
– Irrégularités et lacunes importantes,
– Impossibilité à respecter les fiches de commandes et diagrammes de fabrication,
– Lacunes en matière de communication de nature à désorganiser la production.
Mme [X] [H] a mis fin à ses jours le 31 octobre 2016.
***
Contestant la rupture du contrat de travail de Mme [X] [H], ses ayants-droit, Mme [C] [H], M. [F] [H], M. [E] [H] et M. [N] [H], ont saisi le conseil de prud’hommes de Rennes par requête en date du 05 octobre 2018 afin de voir :
– Dire que la SCOP Trébara a violé les dispositions relatives au temps de travail.
– En conséquence, condamner la SCOP Trébara prise en la personne de ses représentants légaux à leur verser la somme de 2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au temps de travail.
– Dire que le licenciement de Madame [H] est dénué de cause réelle et sérieuse.
– En conséquence, condamner la SCOP Trébara prise en la personne de ses représentants légaux à leur verser la somme de 9 000 euros nets (6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts dus pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
– La condamner à leur remettre un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et tous documents conformes à la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le conseil de prud’hommes se réservant compétence pour liquider cette astreinte ;
– La condamner à leur verser la somme de 3 000 euros nets, à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Dire que ces sommes porteront intérêts de droit à compter de l’introduction de l’instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes.
– Dire que les intérêts se capitaliseront en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– Débouter la SCOP Trébara de toutes ses demandes.
– Fixer la moyenne mensuelle brute des salaires de Madame [H] a la somme de 1 575,85 euros et le préciser dans la décision à intervenir.
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir pour toutes les sommes pour lesquelles cette dernière n’est pas de droit, en application des articles 514 et 515 du code de procédure civile.
– Dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la Société défenderesse,
– Condamner la SCOP Trébara prise en la personne de ses représentants légaux aux entiers dépens.
La SCOP Trébara a demandé au conseil de prud’hommes de :
– Dire et juger les demandes des ayants droits de Madame [H] irrecevables et en tout état de cause infondées.
– Dire et juger que la législation sur la durée du travail a été respectée.
– Dire et juger le licenciement fondé.
– En conséquence rejeter toutes les demandes plus amples ou contraires des ayant droits de Madame [H].
– Condamner les ayant droits à verser la somme de 1 500 euros à la SCOP Trébara au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner les mêmes aux dépens.
Par jugement en date du 04 février 2020, le conseil de prud’hommes de Rennes a :
– Dit et jugé que la SCOP Trébara a violé les dispositions relatives à la durée quotidienne du temps de travail.
– Dit et jugé que le licenciement de Madame [X] [H] est sans cause réelle et sérieuse.
– Condamné la SCOP Trébara à verser aux ayants-droit de Madame [X] [H] les sommes suivantes :
– 2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au temps de travail,
– 9 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Dit que ces sommes porteront intérêts de droit à compter du prononcé de la présente décision, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
– Débouté les ayants-droit de Madame [X] [H] de leur demande de remise d’un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et tous documents conformes à la décision du conseil de prud’hommes, ainsi que de leur demande d’astreinte afférente.
– Débouté la SCOP Trébara de toutes ses demandes, fins ou conclusions.
– Condamné la SCOP Trébara à verser aux ayants-droit de Madame [X] [H] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– Débouté les ayants-droit de Madame [X] [H] de leur demande d’exécution provisoire du présent jugement.
– Débouté les ayants-droit de Madame [X] [H] de leur demande en fixation du salaire mensuel moyen.
– Débouté la SCOP Trébara de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamné la SCOP Trébara au paiement des entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution du présent jugement.
***
La SCOP Trébara a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 26 février 2020.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 13 février 2023, la SCOP Trébara demande à la cour de :
– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Rennes du 4 février 2020 et
En conséquence :
– Dire et juger le licenciement pour insuffisance professionnelle du 18 octobre 2016 de Madame [X] [H] fondé ;
– Dire et juger que la législation sur la durée du travail a été respectée ;
– Débouter de toutes leurs demandes plus amples ou contraires les ayants-droits de Madame [X] [H] ;
– Condamner les ayants-droits de Madame [X] [H] à verser la somme de 2 000 euros à la SCOP Trébara au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner les ayants-droits de Madame [X] [H] aux dépens.
En l’état de leurs dernières conclusions transmises par leur conseil sur le RPVA le 14 février 2023, M. [F] [H], M. [E] [H] et M. [N] [H], ès qualités d’ayants droit de Mme [X] [H], décédée, demandent à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Rennes,
– Juger que les sommes allouées porteront intérêts de droit à compter de l’introduction de l’instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes ;
– Juger que les intérêts se capitaliseront en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– Débouter la SCOP Trébara de toutes ses demandes
– Condamner la SCOP Trebara à leur payer la somme de 3 000 euros nets, à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la SCOP Trébara prise en la personne de ses représentants légaux aux entiers dépens.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 31 janvier 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 20 février 2023.
Par ordonnance en date du 02 février 2023, le conseiller de la mise en état a révoqué l’ordonnance de clôture du 31 janvier 2023, fixé une nouvelle date de clôture au 14 février 2023 et renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 20 février 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande indemnitaire pour violation de la durée quotidienne du temps de travail
La Scop Trebara critique le jugement entrepris en ce que, pour accorder des dommages et intérêts de ce chef, le conseil des prud’hommes s’est fondé sur l’article L3121-18 du code du travail qui dispose que la durée quotidienne de travail effectif par le salarié ne peut excéder 10 heures sauf dans les 3 cas prévus par ledit article, et sur l’article L3171-4 du code du travail qui dispose qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, alors que, fait-elle valoir, le fait que l’employeur ne produise aucune preuve relative à l’horaire effectué par le salarié ne signifie pas pour autant que la thèse de ce dernier doit être nécessairement acceptée et qu’en l’espèce il ne fait aucun doute que les pièces communiquées par la partie adverse ont été conçues pour les besoins de la cause tandis qu’elle produit pour sa part les attestations de salariés et associés qui confirment l’application d’un temps de travail conforme à la réglementation et la prise de congés afférents dans le même cadre de légalité.
Les consorts [H] répliquent qu’il ressort des plannings de Mme [H] que celle-ci a régulièrement effectué des journées de travail supérieures à 10 heures, qu’au mois de juillet 2016 elle a travaillé 186 heures, que pendant l’absence de M. [P] de juillet à décembre 2015 les effectifs, pour la fabrication du pain, étaient réduits ; que c’est faire preuve d’une particulière mauvaise foi que d’affirmer que M. [Z] aurait remplacé M. [P] pendant l’absence de celui-ci ; qu’il est curieux que la société, après après avoir soutenu que les plannings n’avaient pas été conservés, produise une pièce 14 intitulée ‘plannings de janvier 2015 à Juillet 2016″, sans explication, plannings qui ont été modifiés pour ce qui est de la colonne concernant Mme [H].
***
La charge de la preuve du respect de la durée maximale journalière de travail des salariés repose sur l’employeur.
Les ayants cause de Mme [H] affirment que cette dernière a effectué des journées de travail excédant 1e maximum journalier de 10 heures, en produisant à l’appui de cette affirmation des attestations de proches et des plannings.
La Scop Trebara produit pour sa part :
– des attestations de salariés et associés qui font état du fonctionnement général de la société et de l’organisation du travail qui les satisfait tous, mais n’apportent aucun élément sur les journées de travail de Mme [H],
– une note sur le fonctionnement de la société Trebara doublée par les attestations de ses signataires qui mentionnent qu’ils en approuvent la teneur, note qui précise que certaines semaines, un peu chargées, permettent d’absorber les pics de production pour répondre à la demande, tandis que d’autres, plus légères, laissent beaucoup de temps libre et que la moyenne hebdomadaire ne dépasse jamais les 35 heures,
-un planning, pièce 14, qui fait apparaître des dépassements de la durée maximale journalière, pour ‘Manu'(Emmanuelle [H]) mais également pour d’autres salariés.
Il est donc établi que les plafonds journaliers de travail ont été dépassés concernant Mme [H], notamment les samedis, jour de marché à [Localité 9], mais également ponctuellement certains jeudis et vendredis.
Les plafonds légaux étant édictés dans l’intérêt de la protection de la santé du salarié, Mme [H] a subi de ce fait un préjudice, dont l’ampleur a été justement évaluée par le conseil de prud’hommes qui a condamné l’employeur à payer en réparation à ses ayants droit la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement sera confirmé en cette disposition.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :
Vous étes embauchée en qualité d’ouvrier, coefficient 185, pour exercer les fonctions de Boulangère depuis le 23 mars 2015.
Nous vous avons convoquée pour le 5 octobre 2016. A votre demande, nous avons repoussé au 10 octobre 2016 cet entretien préalable à un Iicenciement suite à plusieurs événements. Vous êtes venue accompagnée au cours de cet entretien.
Nous vous informons par la présente avoir décidé de vous licencier pour insuffisance professionnelle. En conséquence, nous vous réglerons la mise à pied notifiée par courrier de convocation à entretien préalable.
Nous avons décidé de vous licencier entre autre, pour les motifs suivants :
Vous avez un CAP de boulangerie et nous attendions une maitrise des différents procédés de boulangerie de la SCOP après formation ce qui n’a pas été le cas. Force est de constater que vous n’arrivez pas à acquérir les compétences nécessaires pour tenir votre poste. Votre investissement s’est dégradé et votre rigueur au travail également.
Selon la convention collective, vous devez pouvoir tenir tous les postes et assurer, avec ou sans le concours du chef d’entreprise, l’ensemble de la fabrication.
Pourtant, nous avons constaté des irrégularités et des lacunes importantes apres 18 mois au sein de l’entreprise.
Vous avez bénéficié, tout au long de votre présence au sein de l’entreprise, d’entretiens réguliers avec une des associés. Ces entretiens avaient pour objectifs de vous permettre de vous améliorer.
Malheureusement, nous devons constater que cela n’est pas le cas. La qualité de votre prestation s’est dégradée depuis quelques mois. Nous vous avons fait la remarque sans aucune amélioration possible. Votre investissement et votre rigueur au travail se sont deteriorés sans raison apparente et sans explication de votre part.
Nous avons dû constater votre impossibilité à respecter les fiches de commandes, les diagrammes de fabrication ainsi que la simple cuisson du pain.
Vous avez reconnu avoir commis des erreurs comme la cuisson du pain.
Vous ne communiquez pas avec vos collègues et vous ne semblez pas vous inquiéter de la transmission des informations ce qui désorganise la production et la met également en péril quelque fois.
En raison de l’ensemble de ces éléments, nous sommes contraints de vous licencier pour insuffisance professionnelle.
Votre préavis d’une durée d’un mois démarrera à la date de la première présentation de cette lettre. Nous entendons vous dispenser de l’exécution de votre préavis, votre rémunération vous étant integralement payée aux échéances habituelles.’
La Scop Trebara reproche au conseil de prud’hommes de ne pas être allé au bout de ses constatations, rien ne venant selon elle confirmer, au-delà de simples allégations des ayants droit de Mme [H], l’absence d’entretien de recadrage afin de permettre à cette dernière d’expliquer les raisons de ses insuffisances professionnelles ou de repartir sur de nouvelles bases, ‘la réalité étant précisément l’inverse’. Elle soutient qu’il est constant qu’elle a toujours été en contact avec Mme [H] afin de lui proposer la meilleure solution possible et une éventuelle adaptation de son poste de travail tout au long de l’exécution de son contrat de travail et qu’il est également constant que la salariée ne communiquait plus depuis quelques mois avec ses collègues empêchant ainsi de pouvoir apporter une réponse adaptée, la société ne pouvant imaginer le niveau de souffrance personnelle qu’elle vivait. Elle conteste les compte rendus d’entretien en vue de rupture conventionnelle et d’entretien préalable non datés ni signés, rédigés par des amies de Mme [H] et produits par les ayants droit de cette dernière, dont le conseil de prud’hommes s’est inspiré pour requalifier le licenciement ; conteste également le caractère probant des autres attestations produites par la partie adverse, en raison de la trop grande partialité de leurs auteurs. Elle fait valoir que Mme [H] elle-même n’a jamais contesté les insuffisances constatées, notamment dans un courrier qu’elle a adressé à l’employeur, mais que, s’étant isolée depuis plusieurs mois et abandonnant progressivement dans ce contexte l’exécution normale de son contrat de travail, laissant sans explication son employeur qui ne comprenait pas les manquements constatés, alors qu’elle était titulaire d’un CAP de boulangerie et avait eu également sa propre boulangerie avant d’intégrer la Scop, elle n’a eu d’autre choix, à contre coeur, que de mettre un terme au contrat de travail.
Les ayants droit de Mme [H] répliquent que, alors qu’en vertu des statuts de la Scop, le candidat à l’association qui exerce au sein de la coopérative voit sa demande de devenir associé, ce qui était le but d'[X] [H], obligatoirement soumise à la prochaine assemblée générale, tel n’a pas été le cas pour elle, et que les associés sont restés évasifs ou mutiques sur la raison de cet état de fait; que Mme [H] a alors adressé en juin 2016 un courrier à l’Arescop, ce que lui ont reproché les associés ; que la relation s’est brusquement dégradée à son retour de congés en août 2016, alors qu’elle avait été félicitée fin 2015 pour le travail accompli, notamment pendant l’arrêt de travail de 6 mois de M. [P]; qu’alors qu’aucun reproche ne lui avait jamais été formulé, elle a été informée que ses employeurs souhaitaient qu’elle quitte la coopérative et menacée d’un licenciement pour faute grave en cas de refus d’une rupture conventionnelle, l’employeur la dispensant de travail pendant une semaine pour qu’elle y réflechisse, mais que ses prétentions n’ayant pas été acceptées, sans possibilité de négociation, la procédure de licenciement a été mise en place.
Ils admettent que lors de l’entretien préalable Mme [H] a reconnu avoir trop cuit un pain et trop hydraté une pâte, mais pas ‘la plupart des faits reprochés’ comme le soutient l’employeur, et que ces faits ne peuvent justifier un licenciement ; que la Scop, qui procède par affirmations, n’apporte aux débats aucun élément allant dans le sens du bien-fondé de la rupture du contrat de travail.
***
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux du motif invoqué par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi l’administration de la preuve, en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Au soutien des insuffisances visées dans la lettre de licenciement, la Scop ne produit qu’un exposé intitulé ‘1 le fonctionnement de la Scop Trebara’, ‘2 notre histoire avec [X] [H]’ signé par les 3 associés et par 2 salariés. Il convient toutefois de relever que les associés signataires représentent l’employeur, que les deux salariés ont signé un texte dans sa globalité, texte exposant des éléments dont il n’apparaît pas qu’ils aient été en mesure de les vérifier ou constater personnellement, s’agissant d’un exposé par les associés de mises au point, entretiens et propositions relatives à la rupture conventionnelle, dont ces salariés n’ont pas été personnellement témoins. Les faits reprochés à Mme [H] : maladresses, oublis, négligences : cuisson du pain, aspect du produit fini, propreté au travail, suivi du process de fabrication, prise de décision sans concertation collégiale, perte de matériel de marché, visés dans cette note, ne sont ni datés ni circonstanciés et n’apportent donc aucun élément par rapport à la lettre de licenciement.
Si Mme [H] a demandé dans son courrier du 26 août 2016 à l’employeur ‘une nouvelle chance’, elle n’y précise pas quels faits elle reconnait et l’amie qui l’a assistée lors de l’entretien préalable au licenciement, qui a rédigé un compte rendu particulièrement détaillé qui n’est contredit par aucune pièce adverse, a noté qu’elle n’a reconnu qu’une fournée de pâte trop hydratée et une fournée de pain brûlé, le tout en juillet 2016 ; elle mentionne également le reproche d’une fournée de brioches laissée devant le four, en pleine chaleur, sans noter quelle a été la réponse de Mme [H] sur ce point.
En définitive, les faits reconnus et établis se limitent à une fournée brûlée et une fournée trop hydratée, le tout sur une brève période, alors que Mme [H] subissait quelques journées de travail particulièrement chargées, que les consorts [H] produisent l’attestation d’une boulangère de profession indiquant que des incidents de fabrication peuvent arriver à tous, ce qui conforte la mention figurant dans le compte rendu d’entretien préalable rédigé par Mme [R] de ce que les associés ont admis que cela pouvait leur arriver de trop cuire une fournée. Ces faits sont insuffisamment sérieux pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle. L’impossibilité de respecter les fiches de commandes, les diagrammes de fabrication, le défaut de transmission des informations qui désorganiserait la production ne sont pas caractérisés ni établis par des pièces qui permettraient d’en vérifier la matérialité. S’il avait été remarqué, en interne, que Mme [H] avait commencé à s’isoler, il ressort de l’attestation de Mme [S], salariée qui dit avoir été la plus proche d’elle, qu’elle avait à plusieurs reprises évoqué une tentative de suicide qu’elle avait faite avant son entrée à Trebara, à l’époque où elle avait sa propre boulangerie. Dans une toute petite entreprise de quelques salariés, dans laquelle l’information ne pouvait donc manquer de circuler, cet isolement était indicateur non d’une insuffisance professionnelle, mais d’un malaise, voire d’une situation de souffrance.
Le jugement entrepris qui a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié à Mme [H] doit donc être confirmé. Il doit également être confirmé en ce qu’il a fait une juste appréciation du préjudice que la rupture a occasionné à celle-ci en condamnant la Scop Trebara à lui payer, sur le fondement de l’article L1235-5 du code du travail, la salariée comptant moins de 2 ans d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés, la somme de 9000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu de rappeler que les sommes à caractère salarial produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et les sommes à caractère indemnitaire à compter de la décision les ordonnant ; il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts légaux conformément aux dispositions légales (ancien article 1154 du code civil, 1343-2 nouveau du code civil), en complément du dispositif qui contient une erreur matérielle sur ce point.
Il est inéquitable de laisser à la charge des consorts [H] leurs frais irrépétibles d’appel, qui doivent être mis à hauteur de 2000 euros à la charge de la Scop Trebara, en sus de la somme allouée par le premier juge. L’appelante, qui succombe, doit être déboutée de sa propre demand esur le même fondement et condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Rappelle que les sommes à caractère salarial allouées produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et les sommes à caractère indemnitaire à compter de la décision les ordonnant,
Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne la Scop Trebara à payer aux ayants droit de Mme [X] [H] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
Déboute la Scop Trebara de ses demandes,
Condamne la Scop Trebara aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président