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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/00274 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CE5JR
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 novembre 2021 -Tribunal de commerce de Paris RG n° 2021006711
APPELANTE
S.A.S. JILL
Immatriculée au R.C.S. d’Avignon sous le n° 529 179 384
Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP CAROLINE REGNIER AUBERT – BRUNO REGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0050
Assistée de Me Florence BONS, avocat au barreau de Paris, toque : K182
INTIMEE
S.A.S. A.C.K.
Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 523 810 471
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Guillaume AKSIL, avocat au barreau de Paris, toque : P0293
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 17 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nathalie Recoules, présidente de chambre
Mme Sandra Leroy, conseillère
Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 12 septembre 2014, la société Jill a pris à bail des locaux commerciaux sis [Adresse 5] à [Localité 7] pour une durée de 9 années à compter du 12 septembre 2014, en vue de l’exploitation d’un magasin de vente de prêt-à-porter.
Souhaitant arrêter son activité, elle a donné mandat à la société GBail pour trouver un cessionnaire de son droit au bail. La société GBail lui a présenté la société A.C.K.
Le 4 décembre 2019, la société A.C.K. a signé un engagement de cession sous conditions suspensives pour le prix net vendeur de 135 000 euros.
Après discussion avec le bailleur qui exigeait notamment une augmentation de loyer et une indemnité de déspécialisation de 15 000 euros, un projet de promesse synallagmatique de cession du droit au bail sous conditions suspensives relatives à l’accord du bailleur a été établi pour un montant de 98 750 euros par le conseil de la société A.C.K. et adressée pour signature à la société Jill le 3 mars 2020. Le 6 mars 2020, la société A.C.K. a informé la société qu’elle se voyait contrainte d’abandonner ce projet et qu’elle ne signerait pas la promesse de cession.
Le 10 mars 2020, la société Jill a fait signifier à son bailleur un congé pour la fin de la deuxième période triennale, s’achevant le 11 septembre 2020.
Début juin 2020, la société A.C.K. a ouvert une nouvelle boutique [Adresse 8] à côté de celle de la société Jill.
Le 28 janvier 2021, la société Jill, disant avoir été contrainte de résilier son bail et avoir subi un préjudice causé par le renoncement de la société A.C.K., a fait assigner cette dernière devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 134 344,66 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 septembre 2020, ainsi que leur capitalisation.
La société A.C.K. lui a opposé principalement l’irrecevabilité de la demande par suite du non-respect par celle-ci de la procédure convenue de tentative de conciliation préalablement à toute instance judiciaire et a conclu, à titre subsidiaire, au débouté des demandes.
Par jugement en date du 22 novembre 2021, le tribunal a déclaré la société Jill irrecevable en ses demandes et n’a pas accordé d’indemnité de procédure.
La société Jill a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24 décembre 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D’APPEL
Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :
Vu les conclusions récapitulatives de la société Jill, en date du 9 septembre 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement attaqué, sauf en qu’il a débouté la société A.C.K. de sa demande relative à l’article 700 du code de procédure civile, statuer à nouveau, déclarer la société Jill recevable en ses demandes, condamner la société A.C.K. à lui payer la somme de 134 344,66 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2020,
ordonner leur capitalisation, condamner la société A.C.K. à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel, dont la distraction est demandée, débouter la société A.C.K. de ses demandes ;
Vu les conclusions récapitulatives de la société A.C.K., en date du 21 septembre 2023, tendant à voir la cour infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes « dans la mesure où il a considéré que la promesse était parfaite », statuer à nouveau, débouter la société Jill de l’ensemble de ses demandes « dans la mesure où le projet de promesse de cession du droit au bail n’a produit aucun effet entre les parties », la condamner aux dépens dont la distraction est demandée, la condamner au versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré les demandes de la société Jill irrecevables, à titre encore plus subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour ferait droit à la demande de la société Jill relative à l’irrecevabilité de sa demande, renvoyer l’instance devant le tribunal de commerce de Paris afin qu’il statue sur le fond, dans l’hypothèse d’une évocation, la débouter de l’ensemble de ses demandes ;
DISCUSSION
Sur la validité de la promesse de cession, qui est préalable :
L’article 1113 du code civil dispose que le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager et que cette volonté peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur.
La société A.C.K. soutient que la promesse de cession n’était pas valable puisque sa validité était subordonnée à sa signature par les parties, qu’il n’y a pas eu de commencement d’exécution établissant l’intention des parties de s’obliger et que la société Jill n’a pas accompli les diligences permettant de réaliser les conditions suspensives.
Cependant, comme le soutient la société Jill et l’a retenu le premier juge, l’avocat de la société A.C.K., rédacteur de l’acte, a adressé, le 18 février 2020, à la société Jill un premier projet de promesse de cession, que ce projet a fait l’objet de divers échanges entre les parties pour aboutir, le 3 mars 2020 à l’envoi par ce même conseil d’un projet d’acte en quatre exemplaires pour signature et l’envoi, le lendemain d’un courriel indiquant « Les actes vous ont été adressés hier par courrier pour signature. Dès retour de ceux-ci nous recueillerons la signature de Monsieur [J] [le gérant] ».
Ainsi que l’énonce l’alinéa 1er de l’article 1172 du code civil, les contrats se formant, par principe, par le seul effet de la rencontre des consentements, ce n’est que par exception que la validité d’un contrat est soumise à un certain formalisme. En l’espèce, la validité ou la conclusion d’une promesse de cession de droit au bail n’est soumise à aucun formalisme et la société A.C.K. ne rapporte pas la preuve de ce que les parties auraient en l’espèce entendu déroger au principe du consensualisme et soumettre la validité de la promesse à sa signature. Les échanges entre les parties rapportés plus haut démontrent leur accord sur les conditions de la promesse, peu important pour sa validité, que les conditions suspensives n’aient pas été réalisées puisque sa rupture, le 6 mars 2020, est antérieure au délai fixé pour leur réalisation, soit le 31 mars 2020.
Sur la fin de non-recevoir :
Le projet de promesse de cession stipule en son article 20 :
« Les Parties aux présentes s’obligent, dans l’hypothèse où la présente cession donnerait lieu à un litige concernant sa validité, son interprétation, son exécution ou sa résolution, à se réunir en présence de leur Conseil respectif, sur convocation adressée par lettre recommandée avec accusé de réception par la Partie la plus diligente à l’autre Partie afin de trouver un accord amiable. Ledit accord devant intervenir au plus tard dans le mois qui suivra la première réunion des Parties et de leur Conseil.
Passé ce délai, sans que les Parties aient pu trouver une solution amiable, leur différend sera soumis au Tribunal de commerce de Paris auquel les Parties déclarent faire attribution de compétence.
Dans ce cas, chacune des Parties s’interdit de faire état de tout acte ou document relatif à la procédure amiable décrite ci-dessus ».
à l’appui de sa demande de confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action de la société Jill, la société A.C.K. soutient que cette clause était manifestement contraignante dans la mesure où la saisine du tribunal de commerce de Paris ne pouvait se faire qu’après le respect de la procédure dont les modalités étaient explicitement détaillées, que la mise en demeure adressée le 23 septembre 2020 par la société Jill ne saurait être examinée comme une convocation à un rendez-vous de conciliation amiable selon les modalités de l’article 20 de la promesse, pas plus que la lettre du 3 décembre 2021, que le non-respect des modalités prévues à cette clause entraîne l’irrecevabilité de la demande de la société Jill.
L’appelante soutient que cet article n’institue ni une procédure de conciliation préalable, ni une procédure de médiation préalable ni une procédure d’arbitrage, seules susceptibles, à défaut de leur mise en ‘uvre, d’être sanctionnées par une irrecevabilité.
Elle ajoute qu’en soumettant sa réclamation à la société A.C.K. par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 23 septembre 2020, plutôt que par une assignation en justice, elle avait bien entrepris une démarche amiable, renouvelée par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 décembre 2021.
Cependant, cette clause, qui n’imposait pas le recours préalable à un médiateur, conciliateur ou arbitre ne faisait que rappeler aux parties l’obligation générale d’exécuter de bonne foi les contrats et de tenter, avec l’aide de leurs conseils respectifs, une résolution amiable des litiges et n’avait pas de caractère contraignant, étant ajouté que l’assignation a été délivrée à la société A.C.K., le 28 janvier 2021 à la requête de la société Jill, soit plus de 4 mois après la mise en demeure adressée par son conseil, le 23 septembre 2020, à laquelle celui de la société A.C.K. avait répondu, le 6 octobre 2020, en contestant la réclamation de la société Jill et en déniant toute portée à la promesse de cession litigieuse, et par conséquent à son article 20, dont il réclame à présent l’application.
Il en résulte que l’action de la société Jill était recevable.
Sur l’évocation :
Invoquant à son bénéfice le principe du double degré de juridiction, la société A.C.K. s’oppose à l’évocation du litige par la cour.
Les parties ayant conclu au fond sur les points susceptibles d’évocation, la cour estime de bonne justice, en application de l’article 568 du code de procédure civile, de donner une solution définitive au litige.
Sur la réparation du préjudice né de la rupture :
La société A.C.K. n’invoque, fût-ce à titre subsidiaire, aucun motif relatif à la rupture, de son fait, de la promesse de vente, parfaite, ainsi qu’il a été dit plus haut. Notamment, elle n’invoque pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Elle se borne à rappeler que, par lettre du 6 octobre 2020, soit 7 mois après la rupture et en réponse à la mise en demeure du conseil de la société Jill, elle avait précisé, outre un rappel de la situation épidémique, qu’elle n’avait pas obtenu les financements bancaires nécessaires pour donner suite à la promesse de cession et qu’elle avait pu contracter un nouveau bail afin d’ouvrir une boutique au [Adresse 6] sans acquitter de droit de porte ni quelconque indemnité.
Pour s’opposer à la demande de dommages-intérêts formée par la société Jill, la société A.C.K. soutient, en premier lieu, que la promesse était caduque en application de l’article 1304-6, alinéa 3 du code civil, les conditions suspensives n’ayant pas été réalisées, pas plus que celle tenant à la réitération de la promesse par acte authentique, qu’en outre, le 10 mars 2020, la société Jill avait fait signifier congé à son bailleur.
Cependant, comme le relève à juste titre la société Jill, la rupture de la promesse par la société A.C.K. est en date du 6 mars 2020, antérieure à la date butoir du 31 mars 2020 pour la réalisation des conditions suspensives et à la date du 30 avril 2020 prévue pour la signature de l’acte authentique de sorte que la non-réalisation de ces conditions ne peut être invoquée à l’appui de l’imputabilité de la rupture. En outre la signification du congé pour la fin de la période triennale s’achevant le 11 septembre 2020, postérieure à la rupture, est la conséquence nécessaire de celle-ci.
La société A.C.K. doit donc être condamnée, en application des articles 1231-1 à 1231-3 du code civil, à indemniser la société Jill des conséquences prévisibles de la rupture de la promesse.
La société Jill soutient que son préjudice s’élève à la somme de 134 344,66 euros, se décomposant ainsi :
-prix de la cession du droit au bail : 98 750 euros
-charges d’exploitation pour la période du 1er mai au 27 juillet 2020 : 35 209 euros
-coût du congé : 385,66 euros HT.
Elle produit une attestation de son commissaire aux comptes relatives au montant de ces charges d’exploitation.
Les chances qu’avait la société Jill de céder son bail aux conditions convenues avant le 30 avril 2020 étaient très importantes, proches de 90 %, dès lors que son bailleur l’avait dispensée de l’appeler pour concourir à la promesse, sans émettre la moindre objection sur cette cession, ainsi qu’il résulte de l’annexe 3 de la promesse.
Par ailleurs, la société Jill, si elle produit un justificatif de ses charges d’exploitation pour la période du 30 avril au 27 juillet 2020, ne justifie pas de ses produits d’exploitation, certes partiellement affectés par le confinement, ni du détail des charges salariales, notamment de celles relatives au coût d’un licenciement, inévitable puisque l’accord ne comportait aucune reprise de salarié.
Au vu de ces éléments, la cour est en mesure d’évaluer le préjudice de la société Jill à la somme globale de 110 000 euros qui portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 septembre 2020, ces derniers étant capitalisés pourvu qu’ils soient dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite le 28 janvier 2021.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
L’intimée qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à l’appelante, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Infirme le jugement attaqué ;
Statuant à nouveau,
Dit valide la promesse de cession du droit au bail ;
Déclare recevable l’action de la société Jill ;
Évoquant,
Condamne la société A.C.K. à payer à la société Jill la somme de 110 000 à titre de dommages-intérêts ;
Dit que les intérêts courent à compter du 23 septembre 2020 et seront capitalisés, pourvu qu’ils soient dus pour une année entière, à compter du 28 janvier 2021 ;
Condamne la société A.C.K. à payer à la société Jill la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,