Tentative de conciliation : 9 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 19/05364

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Tentative de conciliation : 9 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 19/05364
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ARRET

N°463

[M]

C/

CPAM DE [Localité 3] [Localité 4]

S.E.L.A.S. [11]

[Z]

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 09 MAI 2023

*************************************************************

N° RG 19/05364 – N° Portalis DBV4-V-B7D-HM57 – N° registre 1ère instance : 18/01070

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE EN DATE DU 27 mai 2019

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [C] [N] [M] pris en la personne de son tuteur, l’Association pour le soutien et l’action personnalisée dans le département du Nord – ASAPN (sise [Adresse 7])

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me MEDRAN, substituant Me Eve THIEFFRY de l’AARPI PANTONE AVOCATS, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0297

ET :

INTIMES

CPAM DE [Localité 3] [Localité 4]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Mme [U] [E], dûment mandatée

S.E.L.A.S. [11] prise en la personne de Maître [W] [J] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [10] (SAS)

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 9]

Non-comparante

PARTIE INTERVENANTE E

Madame [S] [Z] épouse [M], agissant tant en son nom personnel, qu’en qualité de représentante légale de ses fils mineurs [A] [M] né le 02/09/2016 et [F] [M] né le 11/02/2019 et de sa fille mineure [L] [M] N2E LE 30 Mars 2021

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me MEDRAN, substituant Me Eve THIEFFRY de l’AARPI PANTONE AVOCATS, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0297

DEBATS :

A l’audience publique du 09 Mars 2023 devant Mme Véronique CORNILLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 09 Mai 2023.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Audrey VANHUSE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 09 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Audrey VANHUSE, Greffier.

*

* *

DECISION

Saisi par M. [C] [N] [M] d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, le tribunal de grande instance de Lille, pôle social, par jugement du 27 mai 2019, a :

– débouté l’ASAPN, agissant en qualité de tuteur de M. [M], de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la SAS [10],

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision,

– condamné l’ASAPN, agissant ès qualités, aux dépens.

M. [M] représenté par l’ASAPN a interjeté appel du jugement le 8 juillet 2019.

Par un arrêt du 10 mai 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé plus ample du litige, la présente cour a :

– déclaré recevable l’appel interjeté par M. [M],

– infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du tribunal de grande instance de Lille le 27 mai 2019,

Statuant à nouveau,

– dit que l’accident du travail dont M. [M] a été victime le 3 mai 2012 est dû à la faute inexcusable de la SAS [10],

– fixé au maximum prévu par la loi le montant de la majoration de la rente attribuée à M. [M] en suite de son incapacité permanente partielle,

– dit que cette majoration sera payée par la caisse,

– dit que la majoration de la rente devra suivre l’évolution du taux d’incapacité de la victime,

Avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices complémentaires de M. [M], les dépens étant réservés,

– ordonné une expertise médicale judiciaire et désigné pour y procéder le docteur [B] [V] (…) avec pour mission, les parties convoquées :

– prendre connaissance de tous documents utiles, en ce compris les éléments du dossier médical,

– examiner M. [M],

– décrire les lésions occasionnées à M. [M] par l’accident du travail dont il a été victime le 3 mai 2012,

– dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier une indemnisation au titre des chefs de préjudices personnels prévus à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, à savoir : les souffrances physiques et morales endurées avant consolidation, le préjudice esthétique subi avant et après consolidation, préjudice d’agrément, le déficit fonctionnel temporaire, le préjudice sexuel, le cas échéant indiquer si l’assistance d’une aide humaine a été nécessaire et décrire les besoins en tierce personne, et évaluer le cas échéant le préjudice d’établissement et le préjudice lié à une perte de chance des possibilités de promotion professionnelle, ainsi que les besoins d’aménagement du véhicule et/ou du logement,

– dire s’il existe sur le plan médical un préjudice permanent exceptionnel lequel peut être défini comme un préjudice atypique directement lié aux séquelles de l’accident du travail dont reste atteint M. [M],

– dire s’il existe sur le plan médical un préjudice scolaire ou universitaire consécutif à l’accident consistant à la perte d’années d’études scolaires, universitaires ou de formation, le retard scolaire suivi ou la modification d’orientation,

(…),

– alloué à M. [M] une provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices d’un montant de 10 000 euros, qui lui sera directement versée par la caisse,

Avant dire droit sur l’action récursoire de la caisse,

– invité la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] et Maître [J], mandataire liquidateur de la SA [10], à faire valoir leurs observations sur le moyen relevé d’office tiré de l’obligation de déclaration de la créance de recours au liquidateur de l’employeur et, le cas échéant, sur les conséquences à tirer d’une absence de déclaration,

– condamné Maître [J], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [10], à payer à M. [M] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– renvoyé l’affaire à l’audience du 10 janvier 2022 (13h30) pour plaidoiries ou à défaut fixation d’un calendrier de procédure.

A cette audience, l’affaire a été renvoyée à celle du 5 septembre 2022 dans l’attente du rapport d’expertise.

L’expert, le docteur [Y], désigné par ordonnance de changement d’expert, a effectué l’expertise le 14 avril 2022 et a déposé le 26 août 2022 son rapport en date du 25 juillet 2022.

Par un arrêt du 12 décembre 2022, la présente cour a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 9 mars 2022 au vu des difficultés de communications de pièces rencontrées par le conseil de M. [M].

A cette audience, par conclusions réceptionnées le 19 décembre 2022, M. [M], appelant, Mme [S] [Z] épouse [M] intervenant volontairement tant à titre personnel qu’en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, [A], [F] et [L] [M], demandent à la cour de :

– condamner la SAS [10], prise en la personne de son mandataire ad hoc la SELAS [11] représentée par Me [W] [J], à indemniser M. [M] à hauteur des préjudices subis du fait de l’accident résultant de manière directe et certaine de la faute inexcusable de l’employeur non indemnisés par la rente majorée versée par la sécurité sociale :

préjudices patrimoniaux temporaires :

– frais d’assistance tierce personne : 70 978 euros,

– frais d’adaptation du logement : mémoire,

préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

– déficit fonctionnel temporaire : 18 169,50 euros,

– souffrances endurées : 35 000 euros,

– préjudice esthétique temporaire : 6 500 euros,

préjudices patrimoniaux permanents :

– frais d’adaptation du logement : mémoire,

– incidence professionnelle : 134 120,70 euros,

préjudices extrapatrimoniaux permanents :

– préjudice d’agrément : 10 000 euros,

– préjudice esthétique permanent : 8 000 euros,

– préjudice sexuel : 20 000 euros,

– condamner la SAS [10], prise en la personne de son mandataire ad hoc la SELAS [11] représentée par Me [W] [J], à verser à Mme [S] [Z] la somme de 20 000 euros et à [A], [F] et [L], la somme de 15 000 euros chacun au titre de leurs préjudices moraux respectifs,

– dire que les dommages et intérêts produiront des intérêts au taux légal à compter du jour de l’accident,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

– ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal à compter du jour de l’accident de travail,

– dire qu’il conviendra de déduire de l’indemnisation la somme de 10 000 euros versée à titre provisionnel,

– ordonner que les sommes objets des condamnations soient avancées par la CPAM,

– condamner la SAS [10], prise en la personne de son mandataire ad hoc la SELAS [11] représentée par Me [W] [J], à verser à M. [M] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

La CPAM de [Localité 3] [Localité 4] indique s’en rapporter aux termes du courrier du 25 mai 2021 qu’elle a adressé à la cour en réponse à sa demande d’observations dans l’arrêt du 10 mai 2021 et dans lequel elle a fait valoir son impossibilité de déclarer sa créance, la liquidation de la SAS [10] étant intervenue le 29 avril 2013 selon jugement d’ouverture de liquidation judiciaire, soit antérieurement à sa saisine par la victime le 18 décembre 2015 pour tentative de conciliation en faute inexcusable et à celle du tribunal le 3 février 2017. Elle soutient qu’elle était hors délai pour déclarer sa créance auprès du liquidateur. Elle sollicite le bénéfice de son action récursoire à l’encontre de la SAS [10] ou à tout le moins demande de lui faire injonction par le biais de son liquidateur de communiquer les coordonnées de son assurance responsabilité civile pour le risque ‘faute inexcusable’, ses courriers adressés sur ce point au liquidateur étant restés sans réponse.

A l’audience, la CPAM de [Localité 3]-[Localité 4] a soutenu la demande tendant au bénéfice de l’action récursoire et à la communication des coordonnées de l’assureur. Elle a demandé que l’employeur lui rembourse la somme de 1 008 euros consignée pour l’expertise.

La SELAS [11] prise en la personne de Me [J] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société [10], a été désignée par ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille en date du 6 février 2020 aux fins de représentation et de défense des intérêts de la société dans l’instance l’opposant à M. [M], la société ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés le 13 septembre 2018.

La SELAS [11] ès qualités, régulièrement convoquée, n’était ni présente ni représentée à l’audience.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé plus ample des moyens.

MOTIFS

Sur l’indemnisation des préjudices de M. [M]

Il est rappelé que le 3 mai 2012, M. [M], alors âgé de 35 ans comme étant né le 11 octobre 1976, a fait une chute de plusieurs mètres (5 à 6 mètres) alors qu’il retirait un isolant en laine de verre en sous plafond d’un bâtiment industriel.

Les lésions résultant notamment d’un polytraumatisme grave avec coma, ont été déclarées consolidées au 14 février 2014 et un taux d’incapacité permanente partielle de 73% dont 5% pour le taux professionnel a été alloué à M. [M] selon décision de la CPAM du 3 juillet 2014 en réparation des séquelles suivantes : ‘troubles cognitivo-comportementaux importants associés à une hémiparésie gauche séquellaires d’un traumatisme crânien grave ; boiterie et légère raideur de la hanche gauche séquellaire d’une fracture sous tronchantérienne du fémur gauche opérée’.

L’expert judiciaire, le docteur [Y], note dans son rapport un ‘polytraumatisme du bassin, du membre inférieur gauche et un traumatisme crânio-encéphalique avec séquelles cognito-comportementales marquées, trouble de la marche et raideur du membre inférieur gauche et de la hanche’, une absence d’état antérieur, une absence de modification envisageable.

Il est précisé que par jugement du 14 juin 2013 du juge des tutelles du tribunal d’instance de Roubaix, M. [M] a été placé sous tutelle pour une durée de 60 mois.

Il convient d’examiner les demandes indemnitaires formées par M. [M] et ce, pour chaque poste de préjudice sollicité.

Sur les préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux temporaires

Sur le déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Ce poste de préjudice vise à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère privée avant la consolidation, c’est à dire l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et de joies usuelles de la vie courante.

L’expert a retenu :

– un DFT total correspondant aux périodes d’hospitalisation du 3 mai 2012 au 22 mars 2013, soit un total de 323 jours se décomposant comme suit :

-du 3 mai 2012 au 26 juin 2012 (hospitalisation au CHU de [Localité 9] en réanimation avec réveil de coma à partir du 5 juin 2012 et ablation de la canule de trachéotomie le 21 juin 2012),

-du 26 juin 2012 au 20 août 2012 (hospitalisation au SSR [8] au CH de [Localité 3] pour rééducation à la marche, pour une hémiparésie gauche et des troubles cognitivo-comportementaux),

-du 20 août 2012 au 30 août 2012 (pour reprise chirurgicale du fémur gauche),

– du 30 août 2012 au 22 mars 2013 (hospitalisation au SSR [8] au CH de [Localité 3] pour poursuite de la prise en charge rééducative avec hospitalisation de jour au CHU de [Localité 9] en imagerie vasculaire pour ablation du filtre cave le 20 mars 2013),

– puis un DFT partiel à 85% (compte tenu d’un trouble cognitif majeur avec apragmatisme et perte de l’autonomie en y ajoutant la composante fonctionnelle de déambulation du membre inférieur gauche et l’hémiparésie gauche) pour la période du 23 mars 2013 au 14 février 2014, date de consolidation, soit un total de 328 jours.

M. [M] sollicite la somme de 18 169,50 euros sur la base de 30 euros par jour.

En considération des séquelles décrites, de la durée des hospitalisations, de l’âge de la victime, la cour retient une indemnisation sur la base de 27 euros par jour le jour d’incapacité temporaire totale, soit 16 248,60 euros.

[(323 x 27) + (328 x 27 x 85%) = 8 721 + 7 527,60]

Sur les souffrances physiques et morales endurées

Ce poste de préjudice indemnise les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, sa dignité et des traitements, interventions et hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident ou la maladie jusqu’à la consolidation.

L’expert a estimé ce préjudice à 5 sur une échelle de 7, compte tenu de plusieurs mois d’hospitalisation (en réanimation avec coma et trachéotomie, puis en SSR au CH [Localité 3]), de rééducation sur plusieurs mois également et de deux interventions orthopédiques.

Au vu des éléments du dossier, il sera fait droit à la demande d’indemnisation à hauteur de

35 000 euros correspondant à la fourchette haute du référentiel indicatif pour un tel préjudice.

Sur le préjudice esthétique temporaire

L’expert a évalué le préjudice esthétique temporaire avant consolidation à 5/7 pour la période d’hospitalisation et 3/7 après l’hospitalisation (soit du 23 mars 2013 au 13 février 2014).

Il décrit ce poste ainsi : ‘le préjudice esthétique sur les périodes d’hospitalisation était marqué par les lésions tégumentaires en lien avec le polytraumatisme, les incisions chirurgicales et leur évolution et les éléments de boiterie avec le béquillage. Au décours des périodes d’hospitalisation, le préjudice esthétique est constitué par des cicatrices chirurgicales, de l’amyotrophie du membre inférieur gauche et des éléments de boiterie, de raccourcissement du membre inférieur gauche et de déambulation avec une canne anglaise’.

Ces éléments permettent de justifier l’indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de

4 000 euros.

Sur les frais d’assistance tierce personne

L’expert a retenu la nécessité de l’aide d’une tierce personne non qualifiée pour assister M. [M] entre la sortie d’hospitalisation le 23 mars 2013 et la consolidation du 14 février 2014 en lien avec les troubles cognitifs au premier plan et les troubles de la marche avec l’hémiparésie :

– aide humaine sanitaire 1h/ jour non spécialisé + 2 h/semaine non spécialisé :

aide à la toilette, aide à l’habillage, entretien du linge

– aide à l’entretien du logement (réalisé par son frère puis par sa compagne) 3h/semaine non spécialisé

– aide alimentaire (stimulation notamment +++) 2 h/jour non spécialisé : préparation des repas, courses

– aide à la dynamisation et surveillance quotidienne, aide à la socialisation et mise à disposition des soignants et de l’étayage psycho-social 1h/jour non spécialisé,

soit un total d’aide humaine de 4h/jour non spécialisée tous les jours ainsi que 5 heures par semaine non spécialisée pour toute la période hors hospitalisation avant consolidation.

Il ressort donc du rapport d’expertise un besoin d’aide tierce personne au quotidien de 4h sur la période concernée de 328 jours représentant 1 312 heures, outre 5 heures par semaine représentant sur cette même période, 234 heures, soit un total de 1 546 heures.

M. [M] sollicite un taux de 23 euros de l’heure sur une période erronée de 654 jours puisqu’il considère toute la période précédant la consolidation y compris la période d’hospitalisation. Or il ne justifie pas de la nécessité d’une aide tierce personne extérieure pendant l’hospitalisation.

Il n’est pas contesté que l’aide apportée relevait d’une aide non spécialisée pour la toilette/habillage, les repas, l’entretien du logement et du linge mais également d’une aide à la socialisation. Ces éléments justifient de retenir un taux horaire de 18 euros.

La somme de 27 828 euros est donc accordée au titre des frais d’assistance tierce personne

(1 546 heures x 18 euros).

Sur les frais d’adaptation temporaire du logement

Aucune demande chiffrée n’étant formulée et aucun justificatif de dépenses n’étant versé au dossier, ce chef de demande ne peut qu’être rejeté.

Sur les préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux permanents

Sur le préjudice esthétique définitif

Il ressort du rapport d’expertise que le préjudice esthétique séquellaire définitif est constitué des cicatrices chirurgicales, de l’amyotrophie du membre inférieur gauche et des éléments de boiterie, de raccourcissement du membre inférieur gauche et de déambulation avec une canne anglaise correspondant à une évaluation de 3 sur 7.

M. [M] évalue l’indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 8 000 euros en ajoutant qu’il convient également de prendre en compte l’apathie qui le caractérise désormais, l’absence de sourire et le regard distant qui sont la résultante de l’accident et qui sont souvent oubliés dans l’évaluation de ce préjudice.

En l’absence d’éléments autres que ceux rapportés par l’expert et en considérant la description du préjudice esthétique dans le rapport d’expertise, l’indemnisation de ce chef de préjudice est justifiée à hauteur de 7 000 euros.

Sur le préjudice d’agrément

Ce poste de préjudice tend à indemniser l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu’elle pratiquait antérieurement au dommage. Ce poste inclut également la limitation de la pratique antérieure.

M. [M] invoque la pratique hebdomadaire du vélo de course et du football qu’il ne peut plus avoir et au-delà de ses aptitudes physiques, la perte d’envie ainsi que la limitation des interactions sociales résultant des conséquences neurologiques et psychologiques de son traumatisme crânien.

A l’appui de sa demande, il se prévaut d’une étude intitulée ‘les troubles neuropsychologiques des traumatisés crâniens sévères’ de [X] [H] selon laquelle ‘les patients traumatisés crâniens présentent des modifications du comportement et de l’expression émotionnelle qui retentissent durablement sur leur insertion sociale et professionnelle, et sont à distance l’objet des plaintes les plus fortes des patients eux-mêmes et de leur famille, qui se retrouvent progressivement dans une grande solitude relationnelle’.

Il verse en outre au dossier :

– l’attestation de M. [O] [K] qui le décrit avant l’accident comme étant autonome, faisant du sport, jouant au football, aimant le cinéma, la piscine et comme étant un bon vivant et après l’accident comme quelqu’un dont la vie a changé, qui se fatigue vite et qui s’énerve rapidement.

– l’attestation de M. [I], un ami d’enfance, qui déclare qu’il faisait régulièrement du sport avec M. [M] avant l’accident et que depuis, il est nerveux et renfermé, préférant être seul, il a des difficultés de déplacement.

– l’attestation de M. [G] [K] qui témoigne de ce que M. [M] était autonome, faisait du sport, conduisait, travaillait, avait beaucoup de projets qu’il ne peut plus faire ; qu’il ne conduit plus depuis son accident, se fatigue rapidement lors d’une marche, qu’il oublie beaucoup.

– l’attestation de M. [R] qui déclare que M. [M] ne peut plus rien faire tout seul, pas même ses courses.

L’expert indique dans son rapport que les éléments médicaux sont compatibles avec un arrêt des activités alléguées.

En considération des témoignages produits, de l’âge de M. [M] lors de l’accident (35 ans), des séquelles et des observations de l’expert qui établissent la réalité du préjudice d’agrément, il y a lieu d’allouer la somme de 5 000 euros au titre de son indemnisation, étant observé qu’il n’est pas non plus démontré la pratique régulière d’un sport spécifique.

Sur le préjudice sexuel

Le préjudice sexuel vise à indemniser, soit l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ; soit la perte du plaisir lié à l’acte sexuel (perte de libido, perte de la capacité à réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ou le préjudice lié à une impossibilité ou à une difficulté à procréer.

M. [M] qui sollicite une indemnisation à hauteur de 20 000 euros, fait valoir un retentissement de l’accident sur sa libido qui est une conséquence ordinaire du traumatisme crânien, ainsi que son inhibition sociale, son irritabilité et ses sautes d’humeur qui altèrent fortement ses relation sociales et familiales.

L’expert indique dans son rapport qu’il est rapporté un trouble de la libido compatible avec les éléments de retentissement psychologique, ainsi qu’une difficulté à réaliser l’acte ‘je n’y arrive pas’ qui peut à la fois avoir une origine autre mais peut également entrer dans le cadre des séquelles (à la fois psychologique et en lien avec la corticothérapie au long cours). Il note néanmoins que malgré ces éléments, M. [M] a eu deux enfants après le traumatisme du 3 mai 2012.

Il conclut qu’il n’est pas possible d’affirmer le caractère direct, exclusif et certain entre l’allégation d’une perte de libido et le fait dommageable initial.

L’expert a en outre précisé en réponse à un dire qu’aucun élément relatif à une perte de libido n’est mentionné dans les nombreux documents médicaux et que M. [M] donnait peu d’informations sur le caractère physique ou sur le caractère psychologique du fait de ne pas être dans les conditions permettant la survenue d’un acte sexuel.

Compte tenu du caractère permanent de ce poste de préjudice, les éléments du rapport d’expertise ne permettent pas de caractériser le préjudice sexuel étant observé que l’étude sur les troubles des traumatisés crâniens versée au dossier n’est pas suffisante pour établir la réalité du préjudice qui s’apprécie in concreto.

La demande est rejetée.

Sur les frais d’aménagement du logement

L’expert mentionne dans son rapport qu’aucun aménagement n’est décrit par M. [M] ou par son conseil et que pour autant la montée des marches d’escalier peut être difficile. Il indique que les éléments médicaux justifieraient une prise en compte future au titre de l’accident d’un éventuel aménagement du logement pour accès pour personne à mobilité réduite.

M. [M] demande l’inscription de ce poste de préjudice pour mémoire. Cette demande ne peut qu’être rejetée. Il appartenait à M. [M] d’étayer sa demande par des devis.

Sur l’incidence professionnelle

M. [M] fait valoir que lors de l’accident, il était en contrat à durée indéterminée en qualité d’ouvrier depuis 2008 ; qu’étant alors âgé de 35 ans, sa carrière avait nécessairement vocation à évoluer dans le secteur du bâtiment; qu’à la suite de l’accident, il a été déclaré inapte à toute activité professionnelle et empêché de bénéficier de toute augmentation ou évolution de carrière. Il demande à la cour de retenir une incidence professionnelle à titre viagère au taux de 15% ayant vocation à englober la perte de retraite consécutive à l’impossibilité de connaître une promotion professionnelle et partant de cotiser davantage auprès des caisses de retraite, ainsi que la perte de s’épanouir à travers son emploi, de se socialiser. Il sollicite la somme de 134 120,70 euros.

M. [M] entend ainsi réclamer la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle dont la réparation est effectivement prévue par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. La réparation de ce préjudice suppose toutefois que la victime démontre que ses possibilités de promotion professionnelle existaient avant l’accident. Or tel n’est pas le cas en l’espèce. L’expert note qu’il n’est rapporté aucun élément permettant d’envisager une promotion professionnelle à l’époque de l’accident. Et dans le cadre de la présente instance, il n’est pas davantage produit de pièces justifiant d’un tel préjudice.

Il convient de rappeler que la rente majorée servie à la victime d’un accident du travail présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels, y compris la perte des droits à la retraite, et l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation.

L’incidence professionnelle est donc un préjudice distinct de celui résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. L’inaptitude au travail résultant des séquelles est établie et l’incidence professionnelle n’est pas contestable. La rente dont M. [M] bénéficie en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale indemnise d’une part la perte de gain professionnel et l’incidence professionnelle de l’incapacité et d’autre part le déficit fonctionnel permanent.

Faute pour M. [M] de démontrer qu’il a subi un préjudice qui ne serait pas déjà réparé par l’allocation de la rente, la demande d’indemnisation au titre de l’incidence professionnelle ou au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ne peut qu’être rejetée.

Sur l’indemnisation du préjudice moral de Mme [M] et des enfants

Le préjudice moral causé aux proches par ricochet en raison des blessures, souffrances, handicap de la victime directe peut être indemnisé même s’il n’a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l’importance du dommage corporel de la victime directe et sa réparation implique l’existence d’une relation affective réelle avec le blessé. L’indemnité allouée à un proche d’un très grand handicapé peut être supérieure à celle fixée en cas de décès lorsqu’il y a communauté de vie.

La commission Dintilhac a également défini en page 46 le préjudice d’affection des victimes indirectes en cas de survie de la victime directe :

‘Il s’agit d’un poste de préjudice qui répare le préjudice d’affection que subissent certains proches à la suite de la survie handicapée de la victime directe. Il s’agit du préjudice moral subi par certains proches à la vue de la douleur de la déchéance et de la souffrance de la victime directe. Il convient d’inclure à ce titre le retentissement pathologique avéré que la perception du handicap de la victime survivante a pu entraîner chez certains proches’.

Ce poste de préjudice n’est pas soumis aux dispositions de l’article L.451-1 du code de la sécurité sociale.

Par conclusions du 19 décembre 2022, Mme [Z] épouse [M] sollicite la condamnation de la SAS [10] prise en la personne de son mandataire ad hoc la SELAS [11] à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral et d’affection et celle de 15 000 euros pour chacun des trois enfants. Elle invoque la réduction d’autonomie de M. [M] qui nécessite qu’elle l’aide, les variations d’humeur de ce dernier, sa sensibilité accrue au bruit et à la lumière qui impactent sa relation avec son entourage en particulier ses enfants qu’il ne peut plus accompagner dans les actes ordinaires tels que les conduites, les jeux, ainsi que les inquiétudes générées par les lésions importantes de son époux.

Il ressort du dossier que M. [M] s’est marié avec Mme [S] [Z] le 24 mars 2015 soit près de trois ans après l’accident du 3 mai 2012 et que les enfants sont nés respectivement le 2 septembre 2016, 11 février 2019 et 30 mars 2021. Le rapport d’expertise (en page 4, compte rendu du 13 mars 2013 d’évaluation neuropsychologique) indique que lors de l’accident, M. [M] arrivé en France en 2000 vivait seul, qu’une procédure de divorce était en cours avec sa femme vivant en Tunisie, qu’il était aidé par son frère et son cousin.

Ces éléments établissent que l’épouse et les enfants n’ont connu la victime que plusieurs années après l’accident alors qu’il était déjà atteint de graves séquelles.

Or le préjudice d’affection a pour objet de réparer la souffrance qu’endurent les proches du fait de la dégradation physique ou morale de la victime.

En conséquence, le lien de causalité direct entre les préjudices allégués et l’accident n’est pas établi et les demandes de Mme [S] [Z] seront rejetées.

Sur la demande de condamnation en paiement de la société [10] et sur les intérêts au taux légal

En vertu des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices, comme la majoration de la rente, est versée directement par la CPAM qui en récupère le montant auprès de l’employeur. La demande de condamnation en paiement de la société prise en la personne de son mandataire ad hoc ne peut donc aboutir.

En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, s’agissant d’indemnités allouées, les sommes dues porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

La demande tendant à ce que les intérêts au taux légal remontent au jour de l’accident et celle relative à la capitalisation des intérêts à compter du même jour seront rejetées.

Sur l’action récursoire de la CPAM

Il ressort du dossier que l’ancien employeur de M. [M], la société [10], a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire selon jugement d’ouverture de liquidation judiciaire en date du 29 avril 2013 désignant Me [J] en tant que liquidateur, puis d’une radiation du registre du commerce et des sociétés.

Il est rappelé que la CPAM bénéficie d’une action récursoire à l’encontre d’une société en liquidation. Si la CPAM n’a pas déclaré sa créance au passif, elle garde la possibilité de diriger son action contre l’assureur de la société, laquelle ne relève pas de la compétence de la présente cour.

Sur la demande d’injonction de communication des coordonnées de l’assureur de la société, la cour ne peut qu’inviter le mandataire représentant la société à communiquer à l’organisme lesdites coordonnées faute de certitude quant à la souscription d’une assurance pour faute inexcusable par l’employeur.

Sur l’exécution provisoire

Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais non compris dans les dépens exposés par lui en cause d’appel. La somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SELAS [11] prise en la personne de Me [J] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société [10] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

Le Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Fixe l’indemnisation des préjudices de M. [M] comme suit :

– déficit fonctionnel temporaire :16 248, 60 euros.

– souffrances endurées : 35 000 euros

– préjudice esthétique temporaire : 4 000 euros.

– assistance tierce personne : 27 828 euros

– préjudice esthétique permanent : 7 000 euros

– préjudice d’agrément : 5 000 euros

Déboute M. [M] de ses demandes au titre du préjudice sexuel, des frais d’aménagement du logement, de l’incidence professionnelle,

Dit que la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] doit payer à M. [M] les sommes fixées ci-dessus en application des dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, après déduction de la provision d’un montant de 10 000 euros précédemment allouée,

Dit que la CPAM de [Localité 3] [Localité 4] bénéficie d’une action récursoire à l’encontre de la société [10], comprenant les frais d’expertise,

Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute Mme [S] [Z] épouse [M] intervenant volontairement tant à titre personnel qu’en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, [A], [F] et [L] [M], de ses demandes,

Invite la SELAS [11] prise en la personne de Me [J] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société [10] à communiquer à la CPAM de [Localité 3]-[Localité 4] les coordonnées de l’assureur et les références du contrat faute inexcusable souscrit par la société,

Dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la décision,

Condamne la SELAS [11] prise en la personne de Me [J] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société [10] à payer à M. [C] [N] [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SELAS [11] prise en la personne de Me [J] agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société [10] aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier, Le Président,

 


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