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N° RG 21/01217 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXBP
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 08 SEPTEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
18/00368
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 16 Février 2021
APPELANTE :
Société [7]
[Adresse 9]
[Adresse 8]
[Localité 5]
représentée par Me Chrystelle MICHEL, avocat au barreau d’AVIGNON
INTIMES :
Monsieur [J] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Sandra MOLINERO de la SELARL MOLINERO QUESNEL STRATEGIES, avocat au barreau de ROUEN
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 3] – [Localité 4] – [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
dispensée de comparaître
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 13 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 13 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Septembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 08 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [X], engagé au sein de la société [7] (la société) à compter du 26 novembre 2007, a subi un accident du travail le 24 mars 2015.
Une déclaration a été transmise à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 3]-[Localité 4]-[Localité 6] (la caisse) mentionnant les circonstances suivantes : ‘En remontant les barres duplex de la remorque, la barre à droite s’est bloquée et M. [X] s’est tordu le pouce et l’index’.
Un certificat médical initial était joint à l’appui de cette déclaration, faisant état d’une ‘contusion pouce et index de la main droite’.
Par décision du 1er avril 2015, la caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation relative aux risques professionnels.
M. [X] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 3] d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable de la société.
Le dossier a été transféré au pôle social du tribunal de grande instance de Rouen, devenu tribunal judiciaire, lequel a, par jugement du 16 février 2021 :
déclaré recevable l’action de M. [X],
dit que l’accident du travail dont a été victime M. [X] le 24 mars 2015 avait pour cause la faute inexcusable de la société,
fixé au maximum légal la majoration de la rente allouée à M.A [X], conformément à l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, dit que la majoration maximale de la rente suivrait le taux d’incapacité permanente partielle en cas d’aggravation de l’état de santé de M. [X],
Avant-dire droit,
ordonné une expertise médicale et a commis, pour y procéder, le Docteur [D], avec la mission suivante :
examiner M. [X], décrire son état, décrire les lésions dont il est atteint qui sont imputables à l’accident du travail dont il a été victime le 24 mars 2015 en mentionnant l’existence d’éventuels états antérieurs,
dire si les lésions sont consolidées et le cas échéant en déterminer la date,
dire s’il y a lieu de prévoir de manière nécessaire, en lien avec l’accident du travail, d’éventuelles dépenses de santé futures non prises en charge au titre de l’assurance maladie,
dit que les frais d’expertise seraient avancés par la caisse,
accordé à M. [X] une provision d’un montant de 2 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices découlant de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale,
renvoyé M. [X] devant la caisse pour le paiement de la provision et la majoration au maximum légal de la rente accident du travail,
déclaré opposable à la société la prise en charge de l’accident du travail du 24 mars 2015 dont M. [X] a été vicitme, ainsi que les conséquences financières de la faute inexcusable reconnnue,
dit que l’action récursoire de la caisse pourrait s’exercer contre la société,
dit que la société devrait s’acquitter, auprès de la caisse, des conséquences financières de la faute inexcusable reconnue,
débouté les parties de leurs autres demandes contraires ou plus amples,
ordonné l’exécution provisoire,
condamné la société à payer à M. [X] 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
réservé les dépens.
La décision a été notifiée à la société le 24 février 2021. Elle en a relevé appel le 19 mars 2021.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions remises le 13 juin 2023, soutenues oralement à l’audience, la société demande à la cour de :
infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire le 16 janvier 2021,
statuant à nouveau,
juger irrecevables les demandes de M. [X] et l’en débouter, ainsi que de tout appel incident,
condamner M. [X] à rembourser les sommes perçues,
juger qu’elle n’a pas commis de faute inexcusable,
à titre subsidiaire, limiter l’indemnisation aux préjudices fixés par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
à titre infiniment subsidiaire, ramener à de plus justes proportions l’indemnisation des préjudices, laquelle ne saurait excéder 2 360 euros et y déduire la provision de 2 000 euros versée,
condamner M. [X] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Par conclusions remises le 21 mars 2023, soutenues oralement à l’audience, M. [X] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il lui a accordé une provision à valoir sur ses préjudices d’un montant de 2 000 euros,
– lui accorder une provision d’un montant de 5 000 euros à ce titre,
– dire que la caisse en récupérera le montant sur la société,
– condamner la société à lui payer une indemnité de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– condamner la société aux dépens d’appel.
Par conclusions remises le 16 mars 2023, la caisse, qui a sollicité une dispense de comparution, demande à la cour de :
lui donner acte qu’elle s’en rapporte à justice en ce qui concerne la reconnaissance d’une faute inexcusable de la société,
en cas de confirmation de l’existence d’une faute inexcusable par la cour, confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire en ce qu’il a condamné la société à lui rembouser, conformément aux dispositions des articles L.452-2, L.452-3 et L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, le montant de l’ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la recevabilité de la demande de M. [X]
La société soutient que la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable par M. [X] est irrecevable faute pour ce dernier d’avoir, préalablement à la saisine du pôle social, sollicité une phase amiable de conciliation.
Elle observe que le salarié a saisi la juridiction plus de 3 ans après son accident du travail.
Elle indique que le tribunal a jugé recevable l’action du salarié comme non prescrite alors qu’aucune prescription n’était soulevée, seule l’absence de tentative de conciliation préalable étant invoquée.
M. [X] conclut au rejet de ce moyen. Il indique qu’il résulte des dispositions de l’article L 142-1 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable à l’espèce que la compétence des juridictions du contentieux de la sécurité sociale ne se limite pas aux recours portant sur une contestation de décision, qu’il est de jurisprudence constante qu’en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la saisine de la juridiction n’a pas à être obligatoirement précédée d’un recours amiable ou d’une tentative préalable de conciliation.
Sur ce ;
L’article L 452-4 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable à l’espèce dispose qu’à défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie, d’en décider. La victime ou ses ayants droit doivent appeler la caisse en déclaration de jugement commun ou réciproquement.
Il est cependant de jurisprudence constante que cette tentative de conciliation n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité de l’instance contentieuse.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de l’irrecevabilité.
2/Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail
La société soutient que le tribunal judiciaire a fait une appréciation erronée de la situation en confondant les barres destinées à entreposer le chargement du camion et les tringles nécessaires pour déplacer ces barres en considérant qu’il n’était pas justifié que ‘les tringles de secours coulissaient correctement’.
Elle considère que le salarié a effectué un geste imprévisible en décidant de ne pas utiliser les tringles qui sont spécifiquement destinées à débloquer les barres de chargement et en tapant avec sa main sur la barre.
Elle soutient que le salarié ne démontre pas qu’elle aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, affirme que M. [X] s’est soustrait aux règles de sécurité, rappelle l’ensemble des mesures prises en matière de sécurité.
Elle expose qu’au sein du camion, afin de permettre des chargements sur plusieurs niveaux, des barres sont réglables en hauteur pour favoriser un chargement en duplex. Ces barres sont verrouillées sur les glissières et des tringles et crochets permettent de les déverrouiller pour les positionner à la hauteur souhaitée. Elles ne peuvent être débloquées et manipulées qu’avec les tringles destinées à cet effet, celles-ci se trouvant dans les camions ou sur le quai de chargement/déchargement.
La société soutient qu’en décidant de ne pas utiliser ces tringles et en forçant la barre avec sa main, le salarié a commis un geste imprévisible à l’origine de son accident.
La société conteste les allégations du salarié selon lesquelles aucune tringle à crochet n’était disponible précisant d’une part que chaque camion en est équipé et, d’autre part, qu’en l’absence de tringle dans la remorque les personnels de manutention savent parfaitement que des tringles sont disponibles dans le bureau du responsable de la plateforme et qu’ils doivent les demander à leur supérieur hiérarchique.
Elle verse aux débats des attestations de salariés aux fins d’établir qu’aucun problème de fonctionnement lors de l’utilisation des tringles n’a été constaté ainsi que l’attestation de M. [I], ancien responsable de M. [X], qui indique que ce dernier a fait une manipulation manuelle interdite de la barre.
Elle produit le tableau récapitulatif des accidents du travail depuis 2014 au sein de l’entreprise aux fins d’établir qu’aucun accident du travail n’est en lien avec les barres duplex.
La société indique que le salarié avait déjà été sanctionné pour non respect des règles de sécurité.
Enfin la société produit le registre d’évaluation des risques aux fins d’établir qu’elle a toujours respecté ses obligations en termes de prévention et qu’elle est vigilante au respect de la sécurité pour ses salariés.
M. [X] indique que lors de son accident le système permettant de descendre et monter les barres au sein du camion étant absent du véhicule, qu’il a été contraint de remonter ces barres manuellement, ce qui a été à l’origine de son accident.
Il indique que les glissières de sécurité étaient en mauvais état, que l’accident était prévisible, que le mauvais état de ces glissières était connu de l’employeur. Il indique n’avoir jamais été informé de la mise à disposition de tringles de substitution et précise que des instructions relatives à l’utilisation des barres duplex ne lui ont pas davantage été communiquées.
Il verse aux débats des attestations aux fins d’établir que cette situation existait et perdurait depuis plusieurs années.
Il observe que le document d’évaluation des risques produit par la société a été établi postérieurement à l’accident du travail dont il a été victime et qu’il ne prend pas en considération le risque lié à l’opération chargement/déchargement d’un camion selon la méthode duplex.
La caisse s’en remet à justice quant à la reconnaissance de la faute inexcusable.
Sur ce ;
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il suffit que la faute de l’employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d’autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage.
La preuve de la faute inexcusable incombe à la victime ou à ses ayants droit.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier qu’en voulant débloquer une barre duplex de la remorque, M. [X], le 24 mars 2015, s’est tordu le pouce et l’index de la main droite.
C’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’employeur ne pouvait ignorer le danger auquel était soumis le salarié lors des opérations de chargement/déchargement en duplex des camions en ce qu’il ressort des attestations versées aux débats que le système de tringles nécessaires au coulissage des barres au sein des camions était souvent absent des remorques.
Ainsi, M. [I], responsable du salarié, confirme qu’au jour de l’accident, les tringles étaient ‘manquantes’ dans le véhicule. M. [M] relate le fait que les rails de coulissement des barres étaient souvent endommagées.
Comme justement constaté par les premiers juges, le geste de la victime pour débloquer la barre sensée être mobile ne saurait être retenu comme une maladresse, un geste imprévisible, dès lors qu’il s’inscrit dans une cinétique naturelle pour remédier à ce type de situation, à savoir débloquer un élément résistant par une impulsion réflexe.
Si l’employeur s’appuie sur des témoignages indiquant que des tringles de secours, nécessaires à la manoeuvre, existaient, il n’est pas établi que des tringles étaient présentes au sein du camion et que les glissières surlesquelles coulissent les barres fonctionnaient correctement.
S’agissant des mesures prises par l’employeur pour préserver le salarié du risque, la cour constate que si l’employeur affirme que des tringles de rechange étaient à la disposition des salariés dans le bureau du responsable de la plateforme, il n’en justifie pas et n’établit pas avoir informé les salariés de ce fait.
S’il verse aux débats le document relatif à la méthodologie de chargement des camions en duplex, il n’est pas établi que ce document ait été porté à la connaissance de M. [X].
Le registre d’évaluation des risques versé aux débats par la société porte la date du 17 mai 2019 et ne comporte aucune mention relative aux risques encourus lors des chargements/déchargements des camions en duplex et par conséquent aux mesures de préventions.
Il résulte de ces éléments que le jugement qui a retenu que la société avait manqué à son obligation de sécurité et a fait droit à la demande de reconnaissance de la faute inexcusable doit être confirmé.
3/ Sur les conséquences de la faute inexcusable
La faute inexcusable de la société étant caractérisée, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a fait droit à la demande de M. [X] de majoration à son maximum de la rente, en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale.
Le jugement qui a ordonné une expertise aux fins d’évaluer les préjudices allégués par la victime est également confirmé.
Les points figurant dans la mission confiée à l’expert par le tribunal sont conformes aux règles d’indemnisation en matière de faute inexcusable.
M. [X] sollicite l’infirmation du jugement entrepris concernant le montant de la provision accordée et demande que celle-ci soit fixée à la somme de 5 000 euros.
Au regard des conclusions du rapport d’expertise déposé par le docteur [D] le 31 mai 2021, de l’entorse bénigne du pouce sans lésion radiologique, ni lésion capsulaire, sans lésion musculaire relevée par l’expert, la somme de 2 000 euros accordée par les premiers juges a été justement évaluée.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société [7], partie succombante, est condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [X] les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.
Il convient en l’espèce de condamner la société à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Rouen du 16 février 2021 ;
Y ajoutant:
Condamne la société [7] à verser à M. [J] [X] la somme de 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société [7] aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE