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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 08 Septembre 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 18/09744 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6IAB
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Juillet 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d’AUXERRE RG n° 16/00454
APPELANT
Monsieur [Y] [M]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Philippe ARION, avocat au barreau de substitué par Me Manon BIGOT, avocat au barreau de ROUEN, toque : 49
INTIMES
CPAM 89 – YONNE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
RKS SOC
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représenté par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305 substitué par Me Julie DELATTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par M. [Y] [M] d’un jugement rendu le 24 juillet 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Auxerre dans un litige l’opposant à la société [6] en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les faits de la cause ayant été correctement rapportés par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [M], salarié de la société en qualité de cariste de production, a été victime le 02 février 2011 d’un accident du travail, subissant un traumatisme dorsal suite à un mouvement brutal du chariot élévateur qu’il conduisait sur une chaussée en mauvais état; que cet accident a le 04 avril 2011 été pris en charge après instruction par la caisse au titre de la législation professionnelle ; que l’état de santé du salarié a été déclaré consolidé sans séquelles indemnisables le 09 septembre 2013; qu’après vaine tentative de conciliation, M. [M] a intenté le 25 février 2015 une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Yonne, lequel par jugement du 24 juillet 2018, l’a déclaré recevable en son action, l’a débouté de ses demandes et l’a condamné à payer à la société une somme 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. A la suite de l’appel formé par M. [M], par arrêt du 26 février 2021, la cour de céans a reconnu l’existence d’une faute inexcusable commise par la société [6] à l’origine de l’accident de travail survenu le 2 février 2011dont a été victime M. [M]. Dans ce même arrêt, la cour a ordonné une expertise médicale, qui a donné lieu à un constat de carence, puis à la désignation d’un second expert par arrêt du 11 février 2022. Le docteur [D] a déposé son rapport le 10 octobre 2022.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son avocat, M. [M] demande à la cour de lui allouer la somme de 6245 euros à titre de dommages et intérêts, déduction faite de la provision déjà allouée, se décomposant comme suit :
– déficit fonctionnel temporaire : 3 245 euros,
– souffrances endurées 2/7 : 3 500 euros,
– préjudice d’agrément : 1 500 euros.
– juger qu’il incombera à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne de faire l’avance de cette somme à M. [M] en application de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale et sous réserve de son recours à l’encontre de la société [6],
– juger que ces sommes seront productives d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la première demande de remboursement et jusqu’à paiement effectif,
– condamner la société [6] à verser à M. [M] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [6] aux dépens,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, la société [6] demande à la cour de :
– accorder la somme sollicitée par M. [M] en réparation du déficit temporaire fonctionnel à hauteur de 3 245 euros,
– réduire la somme sollicitée par M. [M] en réparation du préjudice des souffrances endurées à de plus justes proportions et à un maximum de 2 000 euros,
– débouter M. [M] de sa demande au titre du préjudice d’agrément,
– débouter M. [M] de toute autre demande,
En tout état de cause,
– déduire la somme de 2 000 euros déjà allouée à M. [M] en application de l’arrêt rendu le 26 février 2021 par la présente cour,
– dire et juger qu’il appartiendra à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne des sommes allouées à M. [M] en réparation de l’intégralité de ses préjudices.
La caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne indique qu’elle s’en rapporte à justice quant à la fixation des préjudices. Elle sollicite qu’il soit dit qu’elle est bien fondée à récupérer auprès de l’employeur les sommes dues, majoration de la rente et préjudices personnels, dont elle devra faire l’avance et dire que ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter de la date de paiement que la société [6] soit condamnée à rembourser lesdites sommes à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne et les sommes avancées en remboursement des frais d’expertise consignées.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience pour un plus ample exposé de leurs moyens.
SUR CE, LA COUR
1. Sur les demande indemnitaires
L’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies par les articles suivants et notamment à une majoration de la rente allouée.
Par ailleurs, l’article L. 452-2 alinéa 1er du même code dispose que dans le cas mentionné à l’article ci-dessus, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues.
En outre, dans une décision du 18 juin 2010 (n° 2010-8 QPC), le Conseil constitutionnel a énoncé que :
« Considérant, en outre, qu’indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l’employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».
La victime peut dès lors demander réparation de préjudices non couverts en tout ou partie par le Livre IV du code précité.
A ce titre, conformément aux dispositions de l’article L. 452-3, « la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation ».
Pour rappel, les postes de préjudices déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale sont :
– les dépenses de santé actuelles et futures (articles 431-1, L. 432-1 et L. 432-4), 6- les dépenses de déplacement (article L. 442-8),
– les dépenses d’expertise technique (article L. 442-8),
– les dépenses d’appareillage actuel et futur (article L. 431-1 et L; 432-5),
– l’incapacité temporaire et permanente (L. 431-1, L. 433-1, L. 434-2 et L. 434-15),
– les pertes de gains professionnels actuels et futurs (L. 433-1 et L. 434-2),
– l’assistance d’une tierce personne après consolidation (L. 434-2).
En cas de faute inexcusable de l’employeur et en application des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, l’indemnisation des préjudices personnels subis par la victime est avancée, directement, par la caisse primaire d’assurance maladie qui dispose d’une action récursoire contre l’employeur auteur de la faute inexcusable.
Le 6 octobre 2022, le docteur [D] a établi son rapport d’expertise dont les conclusions sont les suivants ;
– un déficit fonctionnel temporaire :
*20 % du 2 février 2011 au 3 octobre 2011
* 10% du 4 octobre 2011 au 16 décembre 2012
* 20% du 17 décembre 2012 au 26 février 2013
* 10% du 27 février 2013 au 8 août 2013
* 20% du 9 août 2013 au 9 septembre 2013
– souffrances endurées : 2/7
– préjudice d’agrément : arrêt de l’activité de musculation
Les autres chefs de préjudice étant cotés à zéro sur 7 ou qualifiés de néant.
1.1 Sur le préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire
La victime réclame le paiement de la somme de 3 245 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire. L’employeur ne conteste le montant réclamé à ce titre et la caisse indique s’en rapporter.
Il sera donc alloué à M. [M] la somme de 3 245 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.
1.2 Sur les souffrances endurées avant consolidation
L’expert a retenu des souffrances morales et physiques à hauteur de 2/7.
La victime sollicite des dommages et intérêts à ce titre à hauteur de 3 500 euros.
L’employeur sollicite la réduction de la somme à 2 000 euros en relevant que le rapport d’expertise indique les consultations de psychologues et de psychiatrie dont se prévaut la victime ne concernent pas les souffrances devant être évaluées car elles sont postérieures à la consolidation. Elle fait également valoir le « référentiel indicatif régional de l’indemnisation du préjudice corporel ».
La victime fait valoir qu’il subit des douleurs lombaires persistantes, tout au long de la journée et provoquant des insomnies.
Aux termes de l’article L.452-3, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, la victime a le droit de demander la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées du fait de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, à la condition qu’il ne soit pas déjà réparé au titre du déficit fonctionnel permanent par l’attribution de la rente.
En l’espèce, s’il convient de tenir compte dans l’évaluation du préjudice subi à ce titre par la victime de l’ensemble des douleurs qu’il invoque (douleurs lombaires persistantes en journée et entraînant des insomnies), les consultations de psychologie et de psychiatrie postérieures à la consolidation relèvent le cas échéant du déficit fonctionnel permanent.
En conséquence, il sera alloué une indemnisation de 2 500 euros à M. [M] au titre des souffrances physiques et morales qu’il a endurées.
1.3 Sur le préjudice d’agrément
L’expert judiciaire indique que la victime a mentionné qu’il faisait de la musculation avant l’accident, mais qu’il n’a fourni aucun justificatif sur ce point. Il relève qu’en son état de santé douloureux ne permet pas la pratique de la musculation en salle.
M. [M] sollicite à ce titre la somme de 1 500 euros au regard de l’activité précitée auquelle il a du renoncer.
La société sollicite le débouté de cette demande, dans la mesure où l’appelant ne produit aucune pièce démontrant la pratique d’une activité spécifique de loisirs avant l’accident.
La caisse indique qu’elle s’en rapporte sur ce point.
Il résulte de l’article 452-3 du code de la sécurité sociale que le préjudice d’agrément réparable en application de ce texte est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir.
En l’espèce, M. [M] ne rapporte pas la preuve qu’il se livrait régulièrement à la pratique de la musculation.
En conséquence, il sera débouté de sa demande au titre du préjudice d’agrément.
2. Sur la demande de fixation du point de départ des intérêts à la date de réception de la première demande
En application de l’article 1231-7 du code civil, en matière indemnitaire, les intérêts courent à compter de la décision.
3. Sur la prise en compte de la provision
La caisse, qui a exécuté l’arrêt rendu 26 février 2021 ordonnant une provision à valoir sur l’indemnisation de M. [M] d’un montant de 2 000 euros sollicite la déduction de cette provision de l’indemnisation du préjudice.
Il sera fait droit à cette demande.
4. Sur le recours de la caisse à l’encontre de l’employeur
La caisse sollicite qu’il soit rappelé qu’elle dispose d’un recours à l’encontre de la société, et dire qu’elle pourra récupérer à son encontre l’ensemble des sommes qui seront avancées en indemnisation du préjudice de M. [M].
Il résulte de la combinaison des articles L.451-1 à L.452-4 du code de la sécurité sociale que le versement de la majoration de rente et des indemnités allouées à la victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de son employeur incombe à la caisse primaire d’assurance maladie, mais que celle-ci a un recours contre la personne qui a la qualité juridique d’employeur. En conséquence, la caisse dispose d’un recours à l’encontre de la société et elle pourra récupérer à l’encontre de celle-ci l’ensemble des sommes qu’elle aura avancées en indemnisation des préjudices subis par M. [M].
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’exécution provisoire, dès lors qu’elle est de droit.
5. Sur l’article 700 du code de procédure civile
La société [6] sera condamnée à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
6. Sur les dépens
La société [6] , succombant en cette instance, devra en supporter les dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
FIXE l’indemnisation revenant à M. [Y] [M] aux sommes suivantes :
– 3 245 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire du 2 février 2011 au 9 septembre 2013,
– 2 500 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées,
DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne fera l’avance des paiements au titre des indemnités allouées et qu’elle en récupérera les montants sur l’employeur, la société [6],
DIT que la provision de 2 000 euros que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne a payée à titre de provision sera déduite des sommes qu’elle devra avancer,
CONDAMNE la société [6] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne l’ensemble des sommes qu’elle aura versées au profit de M. [Y] [M], y compris la consignation versée dans le cadre de l’expertise,
DÉBOUTE M. [Y] [M], la société [6] et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE la société [6] à payer la somme de 2 000 euros à M. [Y] [M] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [6] aux dépens, incluant les frais d’expertise judiciaire.
La greffière La présidente