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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 08 SEPTEMBRE 2023
N° 2023/ 222
Rôle N° RG 19/17241 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFELW
[K] [D]
C/
SARL LUDO BALAYAGE
Copie exécutoire délivrée
le : 08/09/2023
à :
Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Pascale PALANDRI de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DRAGUIGNAN en date du 10 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00223.
APPELANT
Monsieur [K] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Pascale PALANDRI de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIME
Monsieur SARL LUDO BALAYAGE intervenante volontaire en lieu et place de la SARL LUDO RABOTAGE, sise [Adresse 2]
représenté par Me Catherine BERTHOLET, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 08 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2023
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] [D] a été engagé en qualité de chauffeur poids lourd mais également de chauffeur raboteuse se par la société Ludo Rabotage ayant une activité de rabotage de voiries, selon contrat à durée indéterminée du 22 août 2012.
Par courrier du 10 septembre 2016, il a démissionné.
Par requête du 29 septembre 2017, il a saisi le conseil des prud’hommes de Draguignan pour manquement de son employeur à ses obligations en matière de temps de travail.
Par jugement du 10 octobre 2019, le conseil des prud’hommes de Draguignan a :
– condamné la SARL Ludo rabotage prise en la personne de son représentant légal à lui verser les sommes suivantes :
* 2 798,68 euros brut au titre de la retenue injustifiée,
* 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [D] de toutes ses autres demandes,
– débouté la SARL Ludo rabotage de ses demandes reconventionnelles,
– mis les dépens à la charge de la partie défenderesse prise en la personne de son représentant
légal.
Le 8 novembre 2019, M. [D] a fait appel du jugement.
M. [D] a conclu le 21 juillet.
La société Ludo Rabotage a conclu le 22 avril 2020.
A l’audience de plaidoirie du 23 mai 2023, la cour a prononcé le rabat de la clôture prononcée le 14 avril 2023 en l’état du traité de fusion du 28 décembre 2022, par lequel la société Ludo Balayage a absorbé la société Ludo Rabotage, et dit que la clôture serait à nouveau prononcée le 7 juin 2023 pour permettre aux parties de conclure.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 juin 2023 auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [D] demande à la cour de :
CONFIRMER le jugement rendu entre les parties en ce qu’il a :
– Condamné la SARL LUDO RABOTAGE à verser à M. [K] [D] la somme de 2.798,68 euros au titre d’une retenue sur salaire injustifiée ;
– Condamné la SARL LUDO RABOTAGE à verser à M. [K] [D] la somme de 500,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Débouté la SARL LUDO RABOTAGE de ses demandes reconventionnelles
Et, compte tenu de la fusion intervenue :
Condamner la SARL LUDO BALAYAGE à verser à M. [K] [D] la somme de 2.798,68 euros au titre d’une retenue sur salaire injustifiée ;
Condamner la SARL LUDO BALAYAGE à verser à M. [K] [D] la somme de 500,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Débouter la SARL LUDO BALAYAGE de ses demandes reconventionnelles
INFIRMER le jugement de première instance en ce qu’il a :
Rejeté la demande indemnitaire de M. [K] [D] s’agissant de dommages et intérêts pour non-respect de la réglementation sur la durée du travail et les temps de repos ;
ET JUGEANT A NOUVEAU :
DIRE ET JUGER que la SARL LUDO RABOTAGE a largement manqué à ses obligations en matière de durée du travail et de temps de repos au détriment de M. [K] [D] ;
DIRE ET JUGER qu’au regard de la multiplicité des manquements de la société LUDO RABOTAGE, il sera accordé une somme de 150,00 € à titre de dommages et intérêts à M. [K] [D] par manquement dument justifié ;
En conséquence :
CONDAMNER SARL LUDO BALAYAGE à payer à M. [K] [D] la somme de 44.550,00 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la règlementation sur la durée du travail et les temps de repos ;
CONDAMNER SARL LUDO BALAYAGE à payer à M. [K] [D] la somme de 2.798,68 € bruts à titre de retenue injustifiée sur salaire ;
REJETER la demande reconventionnelle de la société LUDO BALAYAGE, au titre de répétition de salaire indu, en ce que la société défenderesse n’apporte pas la preuve de son étendue, de son exactitude, ni de sa légitimité ;
ASSORTIR les condamnations à intervenir de l’intérêt au taux légal à compter de la saisine de la juridiction ;
DIRE ET JUGER qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement, et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par SARL LUDO BALAYAGE, en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER SARL LUDO BALAYAGE à régler à la somme 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER SARL LUDO BALAYAGE aux plus entiers dépens’.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la société Ludo Balayage demande à la cour de :
‘ CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
– débouté M. [D] de sa demande en versement de dommages-intérêts pour non-respect de la réglementation sur la durée du travail et les temps de repos;
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
– débouté la société Ludo Rabotage de sa demande reconventionnelle tendant à la restitution du reliquat des indemnités compensatrices qui ont indûment été versées à M. [D] pour heures de nuit,
– condamné la SARL Ludo Rabotage à verser à M. [D] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
Statuant à nouveau :
DIRE ET JUGER que M. [D] a indûment bénéficié entre le mois de janvier 2015 et le mois de mai 2015 d’indemnité compensatrice pour des repos compensateurs non pris,
CONSTATER l’existence d’un reliquat de 20,25 heures indûment indemnisées à la date de sortie des effectifs, correspondant à un montant de 417,35 euros bruts,
Par conséquent
CONDAMNER M. [D] à verser à la société Ludo Balayage la somme de 417,35 euros,
CONDAMNER M. [D] à verser à la société Ludo Balayage la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.’
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il ressort du traité de fusion du 28 décembre 2022 que la société Ludo Balayage a absorbé la société Ludo Rabotage ; que la société absorbante est devenue débitrice des créanciers de la société absorbée aux lieux et place de celle-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard et qu’elle a tout pouvoir notamment pour exercer toute action d’ordre judiciaire et/ou assurer la défense dans toute action d’ordre judiciaire.
I. Sur les durées maximales de travail
Moyens des parties :
M. [D] sollicite la condamnation de la société à des dommages et intérêts pour manquements aux durées maximales de travail sur la période du mois de septembre 2014 au mois de septembre 2016 qu’il évalue à 150 euros par manquement, soit:
– 32 250 euros pour manquement à la durée quotidienne de travail (150 euros X 215 manquements)
– 4 200 euros pour manquement à la durée hebdomadaire de travail (150 euros X 28 manquements)
– 300 euros pour manquement à la durée hebdomadaire moyenne de travail (150 euros X 2 manquements)
Il fait valoir que pour déterminer les durées maximales de travail, son temps de travail effectif doit comprendre les temps durant lesquels il devait amener sur les chantiers la raboteuse au moyen d’un porte engin de 40 tonnes, la détacher de la machine et la décharger, effectuer le plein d’eau, piloter ensuite la raboteuse, et ramener la raboteuse après sa journée de travail qui ne doivent pas être considérés comme des temps de trajet ni comme des temps d’attente.
Il explique qu’il a dû mettre fin à son contrat de travail afin de concilier sa situation professionnelle avec ses aspirations personnelles.
Sollicitant la confirmation du jugement ayant débouté le salarié, la société réplique que pour justifier ses demandes et des dépassements en matière de durée du travail, le salarié se fonde sur les relevés horaires qu’elle lui a elle-même remis. Or, elle explique que le volume d’heures travaillées enregistrées sur le logiciel de décompte de la durée du travail ne correspond pas à la réalité du temps de travail effectif même si elle l’a considéré comme tel.
Elle soutient en effet que ces relevés comprennent les temps de déplacement entre le domicile du salarié et le lieu du chantier et des temps d’attente sur les chantiers durant lesquels le salarié n’effectue aucune prestation de travail ; que ces temps sont traités, et payés, comme du temps de travail effectif mais qu’en réalité, elle est allée au delà de ses obligations légales en cette matière dans la mesure où, en l’état de la réglementation applicable aux entreprises du bâtiment, aucune disposition conventionnelle n’était prévue pour les traiter autrement (comme des heures d’équivalence s’agissant des temps d’attente).
Elle soutient en conséquence qu’il ne s’agit pas de volume de travail devant être pris en compte pour calculer les durées maximales de travail.
La société soutient par ailleurs que M. [D] ne démontre pas l’existence d’un préjudice du seul fait du dépassement de la durée du travail et ne justifie pas d’une éventuelle dégradation de son état de santé liée à une surcharge de travail.
Elle indique que la demande consistant à réclamer sa condamnation à une amende par infraction est réservée à la juridiction pénale.
Elle soutient enfin que M. [D] ne s’est jamais plaint d’une quelconque difficulté liée au dépassement des durées maximales de travail.
Réponse de la cour :
Les dispositions sur les durées maximales de travail participent de l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
La preuve du respect des seuils et plafonds, prévus tant par le droit de l’Union européenne que par le droit interne, incombe à l’employeur.
Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, le dépassement de la durée maximale de travail cause nécessairement un préjudice au salarié. Il s’en déduit que le seul constat du dépassement ouvre droit à la réparation.
– Sur la durée quotidienne maximale de travail
Selon l’article L. 3121-34 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, la durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret.
Selon l’article 2 de l’accord collectif national du 12 juillet 2006 relatif au travail de nuit des ouvriers, des ETAM et des cadres des entreprises du bâtiment et des travaux publics, est considéré comme travailleur de nuit, pour application du présent accord, le salarié accomplissant au moins deux fois par semaine dans son horaire habituel, au moins trois heures de travail effectif quotidien entre 21 heures et 6 heures, ou effectuant, au cours d’une période quelconque de 12 mois consécutifs, au moins 270 heures de travail effectif entre 21 heures et 6 heures.
M. [D] produit un tableau, inséré dans ses conclusions, synthétisant notamment le nombre de fois où la durée quotidienne maximale de travail, la durée hebdomadaire maximale et la durée hebdomadaire moyenne de travail ont été dépassées durant la période de septembre 2014 à septembre 2016, et ce semaine par semaine.
L’employeur ne discute pas les éléments chiffrés indiqués dans le tableau susvisé, relevant que celui-ci a été réalisé à partir de ses propres décomptes du temps de travail issus du logiciel de gestion des horaires. Sont produits aux débats ces décomptes intitulés ‘Bilan pour la période précédente’. La société ne discute pas non plus le travail de nuit.
La cour relève que les arguments de l’employeur sur les temps de travail qu’il qualifie de temps d’attente et de temps de trajet ne sauraient prospérer dès lors d’une part, qu’ils sont comptabilisés dans ses propres décomptes comme du temps de travail tel qu’il l’indique dans ses écritures, et rémunérés comme tel, d’autre part, que par leur nature, ils répondent aux conditions de l’article L.3121-1 du code du travail sur la définition du temps de travail effectif. Les temps pendant lesquels le salarié se rend sur les chantiers au moyen d’engins de chantier et/ou pour y apporter du matériel sont en effet des temps pendant lesquels le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
La cour relève enfin que ces temps de trajet ne sont pas matérialisés dans les décomptes produits par l’employeur, pas plus que les temps d’attente dont il fait état.
Le fait que M. [D] ne se soit jamais plaint d’un dépassement des durées maximales pendant l’exécution contractuelle et n’en fasse pas état dans sa lettre de démission est inopérant.
Il s’ensuit que l’employeur disposait des éléments de preuve concernant l’organisation de temps de travail dans son établissement et ne démontre pas, ni ne prétend pas avoir respecté les durée maximales de travail journalier.
Il est donc établi que le salarié a dépassé à 215 reprises la durée quotidienne maximale de travail.
Le manquement est par conséquent constitué.
Au vu de ces éléments, la cour estime que le préjudice que le salarié a nécessairement subi est intégralement réparé par l’allocation d’une somme de 3 000 euros, M. [D] ne justifiant pas d’un préjudice dans les proportions qu’il réclame.
– sur la durée maximale hebdomadaire
L’article L. 3121-35, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l’article 6 b) de la directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 dispose qu’au cours d’une même semaine, la durée du travail ne peut dépasser quarante-huit heures.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53). Cette directive poursuivant l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé (CJUE,14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 54). La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que c’est au droit national des États membres qu’il appartient, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, d’une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l’octroi de temps libre supplémentaire ou d’une indemnité financière et, d’autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation (CJUE, 25 novembre 2010, Fuß c. Stadt Halle, C-429/09, point 94).
Il ressort du tableau synthétique susvisé, établi dans les conditions déjà détaillées par la cour, que M. [D] a dépassé à 28 reprises la durée hebdomadaire maximale de travail.
Il convient par conséquent de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 500 euros au titre du préjudice qu’il a nécessairement subi.
– Sur la durée moyenne hebdomadaire
Selon l’article L.3121-22 du code du travail, la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures sauf dans les cas des articles L.3121-23 à L.3121-25.
Selon l’article 3.6 de la convention collective, sauf dérogations éventuelles accordées par l’inspection du travail, la durée moyenne hebdomadaire du travail calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives ne peut pas dépasser 46 heures.
Il ressort du tableau synthétique susvisé, établi dans les conditions déjà détaillées par la cour, que M. [D] a dépassé à 2 reprises la durée hebdomadaire moyenne de travail.
Il convient par conséquent de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 200 euros au titre du préjudice qu’il a nécessairement subi.
II. Sur les temps de repos
– Les temps de repos journaliers
Conformément à l’article 3 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, qui édicte que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d’une période minimale de repos de onze heures consécutives, l’article L.3131-1 du code du travail édicte que tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives.
M. [D] soutient qu’il n’a pu bénéficier du repos journalier de 11 heures à 43 reprises durant la période du mois de septembre 2014 au mois de septembre 2016.
Il réclame des dommages et intérêts à hauteur de 6 450 euros (150 euros X 128).
L’employeur conteste les dépassement de temps de repos.
La cour relève que le salarié produit le tableau synthétisant les temps de repos qu’il estime non pris et réalisé à partir des propres décomptes de l’employeur dans les conditions sus énoncées.
L’employeur auquel il revient de démontrer que le salarié a pu bénéficier du repos susvisé, ne produit de son côté aucun autre élément pour justifier de la prise des temps de repos quotidiens.
Le manquement est donc caractérisé.
Cependant, il est de jurisprudence constante que le dépassement du temps de repos ne causait pas nécessairement un préjudice au salarié.
M. [D] ne démontre avoir subi aucun préjudice à ce titre, lequel ne peut être nécessaire mais doit être établi. La demande de dommages et intérêts sera rejetée et le jugement confirmé.
– Les temps de repos hebdomadaires
Selon l’article 3.12 de la convention collective, la semaine de travail des ouvriers des entreprises de travaux publics est fixée, en règle générale, à 5 jours consécutifs, sauf :
– en cas de circonstances imprévisibles, pour des travaux urgents en raison de la sécurité ou de la sauvegarde de l’outil ou de l’ouvrage ;
– en cas d’accord sur l’aménagement de l’horaire collectif sur quatre ou six jours dans la semaine en application de l’article 3.22 du présent titre, ou de mise en place d’équipes de suppléance de fin de semaine conformément à l’article 3.23 du présent titre, pour répondre à des situations particulières, exceptionnelles ou impératives.
Sous réserve de l’aménagement de l’horaire de travail pour répondre aux situations visées au précédent alinéa, le repos hebdomadaire a une durée de 48 heures correspondant à 2 jours consécutifs de repos dont l’un est le dimanche et l’autre le samedi en priorité, ou le lundi.
Toutefois, lorsqu’un des deux jours de repos hebdomadaire tombera un jour férié ou le 1er mai, il ne donnera pas lieu à l’attribution d’un jour de repos supplémentaire.
M. [D] soutient qu’il n’a pu bénéficier du repos hebdomadaire à 9 reprises durant la période du mois de septembre 2014 au mois de septembre 2016, ce que l’employeur conteste.
La cour relève cependant que la société ne démontre pas qu’elle a respecté les repos hebdomadaires.
Le manquement est donc caractérisé.
Cependant, M. [D] ne produit aucun élément de nature à démontrer le préjudice subi à ce titre, lequel ne peut être nécessaire mais doit être établi. La demande de dommages et intérêts sera rejetée et le jugement confirmé.
III. Sur la demande reconventionnelle et la répétition de l’indu
Moyens des parties
Sollicitant l’infirmation de la décision ayant rejeté sa demande reconventionnelle tendant à la restitution du reliquat des indemnités indûment versées au titre des heures de nuit, la société Ludo Balayage sollicite la condamnation de M. [D] au paiement de la somme de 417,35 euros brut.
Elle fait valoir qu’une erreur de programmation du logiciel de gestion des horaires a entraîné pour la période comprise entre le 1er janvier 2015 et le mois de mai 2016 une rémunération des heures de nuit à un taux erroné majoré de 100%, et un crédit inexact du repos compensateur de remplacement en ce qu’une heure de nuit accomplie est devenue une heure de repos compensateur de remplacement; qu’en raison de ces erreurs, le salarié s’est vu verser entre janvier 2015 et le 31 mai 2016 des indemnités compensatrices correspondant à 495 heures de repos compensateurs de remplacement alors que 214 heures n’auraient pas dû être indemnisées puisqu’elles correspondaient à des heures de nuit; que ces heures ont de surcroît été payées avec une majoration de 25% indue ; que lors de la démission de M. [D], le compteur repos compensateurs de remplacement affichait encore un solde débiteur de 20,25 heures; qu’il en résultait un trop perçu pour le salarié de 417,35 euros.
L’employeur ajoute qu’il a fait connaître à l’ensemble des salariés l’erreur informatique dans le calcul des repos compensateurs de remplacement et des heures de nuit dès qu’il l’a découverte soit le 14 juin 2016 par une note affichée dans ses locaux; qu’il n’y avait pas lieu à cette époque de chiffrer les montants indûment perçus et de procéder par voie de retenue sur salaire puisqu’il pouvait agir par voie de régularisation des repos compensateurs.
M. [D] demande confirmation du jugement ayant condamné la société à lui payer la somme de 2 798,68 euros au titre d’une retenue injustifiée et ayant rejeté la demande reconventionnelle en paiement au titre d’un trop perçu sur les repos compensateurs de remplacement.
Au soutien, il fait valoir qu’aucun fondement juridique, ni aucune précision n’a été apportée quant au type d’erreur qui aurait été commise par l’employeur dans le calcul et la gestion des horaires; qu’aucune procédure n’a été engagée par la société pour réclamer le paiement de la créance alléguée ; que la demande en paiement n’a été faite que dans le cadre de la présente instance par mesure de rétorsion à l’action en justice qu’il a lui-même intentée; que la preuve de l’exactitude des montants réclamés et leur légitimité n’est pas faite par l’employeur; que les repos compensateurs de remplacement mentionnés sur les bulletins de salaire ont été majorés de 25% et non de 100% comme faussement indiqué; que le règlement des heures de repos compensateurs de remplacement n’est pas un trop perçu mais tout simplement un détournement du droit au repos des salariés orchestré par la société; qu’enfin, au vu des multiples manquements de la société, la demande en paiement n’est pas justifiée.
Réponse de la cour
Selon l’article 1315 du code civil celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Aux termes de l’article 1302 du code civil, tout paiement suppose une dette, ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
La répétition de l’indu suppose que la preuve soit rapportée que ce qui a été payé n’est pas dû.
Il appartient à l’employeur, débiteur de l’obligation de paiement du salaire, de justifier du bien-fondé des retenues qu’il opère.
Selon la convention collective applicable, les contreparties prévues pour les salariés ayant le statut de travailleur de nuit, qui effectuent des heures de nuit sont les suivantes:
– une journée de repos compensateur si le salarié a effectué entre 270 et 349 heures de nuit sur une période de 12 mois consécutifs, porté à 2 jours s’il a effectué au moins 350 heures de nuit sur cette période;
– une compensation salariale pour les heures effectuées entre 21 heures et 6 heures à fixer au niveau de l’entreprise après consultation des instances représentatives.
– sur la demande reconventionnelle
Il ressort des relevés mensuels du logiciel de décompte des horaires, intitulés ‘Bilan pour la période précédente’, que le compteur repos compensateurs de remplacement (taux de fin de période) est passé de 160,42 heures au 31 mai 2016 à un débit de 54,25 heures au 1er juin 2016.
Or, c’est dans un temps contemporain à cette incohérence que la société Ludo Rabotage a informé ses salariés, par une note affichée dans ses locaux le 14 juin 2016, qu’une erreur avait été faite dans le calcul.
La note est en effet ainsi rédigée :
‘Nous vous informons qu’une erreur s’est produite dans notre logiciel de gestion des horaires. Depuis début 2015, il s’avère que des heures de nuit sont payées à 200% et également créditées dans votre compteur Crédit/Débit (RCR). Ces heures payées ayant dû être retirées du crédit/débit, votre solde de RCR est donc faux à ce jour. Vous trouverez ci-joint le dernier récapitulatif faisant état de votre compteur d’heures après déduction des heures de nuit qui vous ont été rémunérées’.
La cour relève que durant la période mentionnée dans cette note, la plupart des bulletins de salaire de M. [D] du mois de janvier 2015 au mois de mai 2016 mentionnent l’indemnisation de repos compensateurs de remplacement dans les proportions suivantes :
– février 2015 : 100 heures ,
– mars 2015 : 50 heures,
– avril 2015 : 50 heures,
– mai 2015 : 100 heures,
– juillet 2015 : 50 heures,
– octobre 2015 : 15 heures,
– février 2016: 50 heures,
– mai 2016 : 80 heures,
Soit un total de 495 heures indemnisées au titre des repos compensateurs de remplacement.
Par contraste, plus aucune heure de repos compensateur de remplacement ne figure sur les bulletins de salaire qui ont suivi.
A partir du mois de juin 2016, le compteur d’heures de repos compensateur de remplacement diminue de manière régulière pour passer de 177,50 heures à la fin du mois de mai 2016 à 8 en juillet 2016, suivant en cela les explications de la société sur la régularisation de ces heures à partir de la découverte de l’erreur (mai 2016) par un étalement mensuel.
M. [D] qui soutient que les chiffres avancés – les sommes réclamées par son ex employeur – ne sont pas fondés, s’est pourtant lui-même basé sur les relevés mensuels du logiciel de décompte des horaires tenus par l’employeur pour réaliser le tableau synthétique lui ayant permis de chiffrer les manquements de l’employeur sur les durées maximales de travail et les périodes de repos et de réclamer des dommages et intérêts.
La cour constate par ailleurs qu’aux termes de ses propres déclarations selon lesquelles le trop perçu au titre des heures de repos compensateurs de remplacement est une façon détournée pour l’employeur de rémunérer le droit au repos des salariés et qu’en raison des nombreux manquements de celui-ci, il n’y a pas lieu de faire droit à ses demandes en paiement, M. [D] admet qu’il a perçu des sommes indues au titre des repos compensateurs de remplacement.
Il se déduit de l’ensemble de ces éléments une erreur manifeste de comptage des heures de repos compensateurs de remplacement ayant faussé leur nombre et le paiement corrélatif qui en a été fait durant la période susvisée.
Au mois de septembre 2016, lors de la rupture du contrat de travail, le relevé mensuel du logiciel de décompte des horaires affichait 20,25 heures de repos compensateur de remplacement.
Il y a donc lieu de dire que les 20,25 heures de repos compensateurs de remplacement n’étaient pas dues.
L’employeur considère qu’une majoration de 25% indue a été appliquée au paiement de ces 20h25 heures, ce que la cour observe sur les bulletins de salaire, et qu’en conséquence, le salarié reste redevable d’une somme de 417,35 euros dont il réclame paiement.
Par infirmation du jugement, il convient donc de condamner M. [D] à payer à la société Ludo Balayage la somme de 417,35 euros.
– sur la somme de 2 798,68 euros
La société Ludo Balayage n’explique pas le montant de 2 798,68 euros qui a été retenu sur le salaire au titre d’ ‘heures trop payées’. Elle ne ressort pas des calculs susvisés soumis à la cour.
Il convient par conséquent de confirmer le jugement ayant condamné la société Ludo Rabotage à payer au salarié la somme de 2 798,68 euros, sauf à préciser que la condamnation concerne la société Ludo Balayage eu égard à la fusion.
IV. Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre de salaires portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur (présentation de la lettre recommandée) à l’audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 14 décembre 2017.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.
La société qui succombe même partiellement doit s’acquitter des dépens.
Il est équitable de voir mettre à la charge de la société une somme supplémentaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement’
RECOIT l’intervention volontaire de la société Ludo Balayage en lieu et place de la société Ludo Rabotage, suite au traité de fusion du 28 décembre 2022,
INFIRME le jugement entrepris SAUF s’agissant de :
– la condamnation de la société Ludo Rabotage à payer à M. [D] la somme de 2 798,68 euros au titre de la retenue injustifiée,
– du rejet des demandes de dommages et intérêts formées par M. [D] au titre des temps de repos journaliers et des temps de repos hebdomadaires,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, Y ajoutant, eu égard à la fusion intervenue et à l’intervention volontaire de la société Ludo Balayage:
CONDAMNE la société Ludo Balayage à payer à M. [K] [D] les sommes suivantes:
– 3 000 euros au titre du non respect de la durée quotidienne maximale de travail,
– 500 euros au titre du non respect de la durée hebdomadaire maximale de travail,
– 200 euros au titre du non respect durée moyenne hebdomadaire,
– 2 798,68 euros au titre de la retenue injustifiée,
DIT que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 14 décembre 2017,
CONDAMNE M. [K] [D] à payer à la société Ludo Balayage la somme de 419,17 euros au titre d’un trop perçu sur salaire,
ORDONNE la compensation judiciaire partielle entre les créances respectives des parties,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la société Ludo Balayage à payer à M. [K] [D] la somme de 1 500 euros en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Ludo Balayage aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT