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ARRET
N°
S.C.I. DIZONOR
C/
[B]
MS/VB
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU SEPT FEVRIER
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/00147 – N° Portalis DBV4-V-B7E-H6RJ
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU JURIDICTION DE PROXIMITE D’AMIENS DU SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT
PARTIES EN CAUSE :
S.C.I. DIZONOR agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me TURPIN, avocat au barreau d’AMIENS substituant Me Damien DELAVENNE de la SCP EMERGENCE AVOCATS, avocat au barreau de LAON
APPELANTE
ET
Monsieur [E] [B]
né le 31 Janvier 1957 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me LECOCQ substituant Me Daniel GAUBOUR de la SELARL RDB ASSOCIES, avocats au barreau d’AMIENS
INTIME
DEBATS :
A l’audience publique du 29 novembre 2022, l’affaire est venue devant Mme Myriam SEGOND, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 février 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de M. Pascal BRILLET, Président, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L’ARRET :
Le 07 février 2023, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
*
* *
DECISION :
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [B] est usufruitier et occupant d’un immeuble situé à [Adresse 5], contigu d’un immeuble situé au n° 12 de la même rue appartenant à la SCI Dizonor et donné en location à Mme [Y].
Courant 2018, un conflit de voisinage a débuté. M. [B] s’est plaint du dépassement de la haie de sa voisine située en limite séparative des deux fonds. Puis M. [U], le gérant de la SCI Dizonor, a reproché à M. [B] d’avoir, le 20 juin 2018, fait dégrader sa haie par des personnes s’étant introduites sur son terrain. Il s’est par ailleurs plaint des nuisances occasionnées par le bouleau de son voisin dont les feuilles chutant sur son terrain bouchent les gouttières et tuyaux d’évacuation.
Courant 2020, une tentative de conciliation a eu lieu à la mairie de [Localité 6] qui a abouti à un échec, la SCI Dizonor refusant de tailler sa haie tant que les nuisances causées par les arbres de son voisin continueront.
Par acte du 13 octobre 2020, M. [B] a assigné la SCI Dizonor devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Amiens afin qu’elle procède, sous astreinte, à la coupe taille et l’élagage de ses arbres. La SCI Dizonor n’a pas comparu.
Par jugement du 7 décembre 2020, le juge des contentieux de la protection :
– a ordonné à la SCI Dizonor d’élaguer à hauteur de deux mètres maximum les haies situées en limite séparative de son fonds avec celui de M. [B] et de supprimer tout empiètement de ces haies, du lierre et de son noyer sur le fonds de M. [B], cela dans un délai de deux mois à compter de la siginification du jugement,
– dit que passé ce délai, la SCI Dizonor sera redevable d’une astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un mois,
– s’est réservé la liquidation de l’astreinte,
– a condamné la SCI Dizonor à payer à M. [B] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par déclaration du 29 décembre 2020, la SCI Dizonor a fait appel.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 septembre 2022.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 25 mars 2022, la SCI Dizonor demande à la cour :
– d’infirmer le jugement,
– condamner M. [B] à réaliser les obligations suivantes :
* mettre un terme à la chute de feuilles du bouleau situé à l’avant de sa maison, sous astreinte de 50 euros par infraction constatée,
* araser à la hauteur réglementaire de 2 mètres le laurier et le sapin situés à l’avant de sa maison dans le mois de la signification de l’arrêt, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard,
* supprimer toute souche de lierre poussant en bordure de la propriété de la SCI Dizonor, dans le mois de la signification de l’arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
– condamner M. [B] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d’agrément lié aux troubles anormaux de voisinage,
– condamner M. [B] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,
– condamner M. [B] à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que :
– les travaux de mise en conformité des haies séparatives seront réalisés au plus tard le 1er août 2022,
– elle est recevable à demander, à titre reconventionnel, la réparation des troubles anormaux de voisinage causés par M. [B],
– la chute de feuilles des bouleaux de son voisin lui cause un trouble anormal de voisinage caractérisé par un envahissement végétal et la nécessité d’un nettoyage régulier des déchets végétaux,
– la présence du bouleau lui cause une perte d’ensoleillement,
– M. [B] ne respecte pas les distances légales de plantations.
Par conclusions du 28 avril 2022, M. [B] demande à la cour de :
– confirmer le jugement,
– à titre subsidiaire, condamner la SCI Dizonor à procéder à l’arrachage des haies situées à une distance inférieure à 50 cm de la limite séparative des deux fonds, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de l’arrêt,
– déclarer irrecevables les demandes reconventionnelles de la SCI Dizonor,
– l’en débouter,
– condamner la SCI Dizonor à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts,
– condamner la SCI Dizonor à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens comprenant les frais de constat d’huissier et avec paiement direct au profit de la SCP Briot.
Il réplique que :
– les travaux de mise en conformité des haies séparatives n’ont pas été exécutés,
– les demandes reconventionnelles de la SCI Dizonor sont irrecevables faute de lien suffisant avec les prétentions originaires et de préjudice moral personnellement subi,
– la SCI Dizonor est mal-fondée en ses demandes en ce que la chute de feuilles du bouleau ne peut être empêchée et relève des inconvénients normaux du voisinage, les arbres de plus de deux mètres ont cette taille depuis plus de trente ans et la demande de réduction est donc prescrite, le lierre provient de la SCI Dizonor,
– l’attitude de la SCI Dizonor est constitutive d’une résistance abusive lui ayant causé un préjudice.
MOTIVATION
1. Sur la demande de M. [B] aux fins de réduction et élagage des arbres de la SCI Dizonor
Vu les articles 671 à 673 du code civil,
Le propriétaire d’un héritage peut avoir des arbres à la distance de moins de deux mètres de l’héritage voisin à la double condition qu’ils soient plantés à un demi-mètre au moins de cet héritage et qu’ils soient tenus à une hauteur de deux mètres au plus. En cas de contravention, le propriétaire voisin peut exiger que les arbres ainsi plantés à plus d’un demi-mètre soient arrachés ou réduits à la hauteur de deux mètres.
En cas de dépassement des branches des arbres sur sa propriété, le propriétaire voisin peut en demander l’élagage.
Le premier juge s’est fondé sur le constat d’huissier réalisé le 11 juin 2020 à la demande de M. [B]. Il a exactement relevé que dans le jardin arrière côté sud, la haie de conifères de la SCI Dizonor est plantée à 40 cm du bord de la clôture et sa hauteur est de 3,30 mètres, que dans le jardin avant côté nord, cette haie est plantée à 42 cm du bord de la clôture et sa hauteur est de 4 mètres et que les branches des conifères ainsi que d’un noyer dépassent sur la propriété de M. [B].
Ces constatations ont été confirmées par le même huissier les 8 février et 2 septembre 2021.
L’engagement pris par la SCI Dizonor dans ses conclusions d’appel manifeste sa reconnaissance du bien-fondé des obligations prescrites par le premier juge.
Malgré cet engagement, la SCI Dizonor ne prouve pas la réalisation des travaux de réduction et d’élagage de ses arbres ainsi que de suppression du lierre dépassant sur le fonds de M. [B].
La contravention de la SCI Dizonor, relevée par le premier juge, persiste en cause d’appel.
Le jugement sera, par conséquent, confirmé.
2. Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de la SCI Dizonor
Vu les articles 31 et 70 du code de procédure civile,
L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.
Les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
La SCI Dizonor, en sa qualité de proprétaire, a un intérêt légitime à agir en réparation de troubles anormaux de voisinage.
Ces demandes reconventionnelles se rattachent par un lien suffisant aux demandes de M. [B] en ce que l’ensemble des demandes relève d’un conflit de voisinage qu’il est de bonne justice de traiter dans sa globalité.
Les demandes de la SCI Dizonor seront déclarées recevables.
3. Sur la responsabilité de M. [B] du fait de troubles anormaux de voisinage
Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage.
S’agissant de la violation de domicile et des dégradations de la haie le 20 juin 2018, la SCI Dizonor a porté plainte pour ces faits le 5 août 2018. La locataire de la SCI, Mme [Y], atteste avoir été témoin des faits commis, selon elle, par des proches de M. [B], indiquant que cette intrusion à son domicile l’a profondément affectée ainsi que son fils de 7 ans. Cependant, la procédure a été classée sans suite le 27 novembre 2018. La SCI Dizonor ne fournit aucun élément sur le préjudice qui est résulté des prétendues dégradations de la haie. Les faits ne sont pas suffisamment établis.
S’agissant de la chute des feuilles du bouleau situé sur le fonds de M. [B], il est constant que cet arbre perd ses feuilles en hiver. Mme [Y] et M. [N] attestent des nuisances occasionnées par les feuilles du bouleau, à savoir l’obstruction des gouttières et des conduits d’évacuation, l’envahissement de la terrasse, l’augmentation du niveau d’humidité et le pourrissement des caches-moineaux. Cependant, la SCI Dizonor ne fournit aucun élément sur son préjudice, que ce soit par des frais de nettoyage de la terrasse ou d’entretien des couvertures. Il n’est donc pas établi que les nuisances liées à la chute des feuilles excède les inconvénients normaux du voisinage. L’anormalité du trouble n’est pas établie.
S’agissant de la perte d’ensoleillement, un constat d’huissier établi le 8 juin 2021 à la demande de la SCI Dizonor note que le bouleau d’une hauteur supérieure à deux mètres a un impact sur le niveau d’ensoleillement. Cependant, il n’est donné aucune précision concrète permettant de mesurer la perte et de déterminer si elle excède les inconvenients normaux du voisinage. Une fois encore, l’anormalité du trouble n’est pas établie.
Les demandes en réparation doivent, par conséquent, être rejetées.
4. Sur la demande de la SCI Dizonor aux fins de réduction des arbres de M. [B]
Vu l’article 672 du code civil,
Le propriétaire auquel est demandé la réduction, pour ses arbres plantés au mépris des distances légales, peut opposer une prescription acquisitive.
Le point de départ de la prescription trentenaire de l’action en réduction des arbres à la hauteur déterminée conformément à l’article 671 du code civil, n’est pas la date à laquelle les arbres ont été plantés, mais celle à laquelle ils ont dépassé la hauteur maximale autorisée.
Le constat d’huissier établi le 8 juin 2021 à la demande de la SCI Dizonor mentionne, dans le jardin de M. [B] à l’avant de sa propriété, la présence de deux sapins situés à 80 cm de la limite séparative qui ont une hauteur de plus de deux mètres, environ cinq mètres.
Selon les constats établis les 8 février et 2 septembre 2021 à la demande de M. [B], seul un sapin pose problème au regard de sa grande hauteur.
Cependant, deux voisins, M. [R] au n° [Adresse 2], M. [X] ayant habité au n° 14 à partir de 1986, attestent que l’arbre atteint depuis trente ans une hauteur supérieure à deux mètres. Ces constatations sont confirmées par une attestation de M. [R], technicien forestier à la retraite.
Il en résulte que le sapin est protégé par la prescription acquisitive, la preuve du non-respect des distances légales de plantations n’étant pas rapportée pour les autres arbres.
Les demandes aux fins de réduction des arbres seront, par conséquent, rejetées.
5. Sur la demande en réparation pour résistance abusive
Selon l’article 1240 du code civil, toute faute dans l’exercice du droit d’agir en justice est susceptible d’engager la responsabilité du justiciable. Il appartient alors à son adversaire de prouver qu’il a commis une faute, que la faute a entraîné pour lui un préjudice et qu’il existe un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice.
Le non-respect des distances légales de plantations par la SCI Dizonor perdure depuis 2018. En dépit du jugement et de son engagement à procéder aux travaux de mise en conformité, l’injonction judiciaire n’est toujours pas exécutée. Au contraire, la SCI Dizonor a alimenté le conflit de voisinage en formulant des demandes reconventionnelles infondées. Cependant, M. [B] ne justifie pas d’un préjudice consécutif au retard d’exécution de l’injonction, laquelle est assortie d’une astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un mois, soit 3 000 euros, somme à laquelle s’ajoute l’indemnisation des frais du procès comme suit.
6. Sur les frais du procès
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être confirmées.
Partie perdante, la SCI Dizonor sera en outre condamnée aux dépens d’appel avec paiement direct au profit de la SCP Briot et à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros, en ce compris les frais de constat d’huissier, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement,
Y ajoutant :
Déclare recevables les demandes reconventionnelles de la SCI Dizonor et les rejette,
Rejette la demande de [E] [B] en réparation pour résistance abusive,
Condamne la SCI Dizonor aux dépens d’appel avec paiement direct au profit de la SCP Briot,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI Dizonor à payer à [E] [B] la somme de 3 000 euros.
LE GREFFIER LE PRESIDENT