Tentative de conciliation : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Bastia RG n° 21/00033

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Tentative de conciliation : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Bastia RG n° 21/00033
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ARRET N°

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06 Septembre 2023

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N° RG 21/00033 – N° Portalis DBVE-V-B7F-CABI

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[H] [C], [L] [X], [V] [X]

C/

Me SELAFA [10] ME [N] [Y] – Mandataire ad hoc de la Société [7] ([7]),

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD – contentieux,

FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE (FIVA)

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Décision déférée à la Cour du :

13 janvier 2021

Pole social du TJ d’AJACCIO

2096

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Copie exécutoire délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

APPELANTS :

Madame [H] [C]

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 11]

Monsieur [L] [X]

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 11]

Madame [V] [X] tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs [F] [M] né le 6 juillet 2011 et [D] [M] née le 28 juillet 2014

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Tous trois représentés par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Jean BERNARDOT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES :

Me SELAFA [10] – ME [N] [Y] – Mandataire ad hoc de la Société [7] ([7])

[Adresse 1]

[Localité 5]

non comparant, non représenté

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD – contentieux

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA

FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE (FIVA)

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 6]

non comparant, non représenté

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur JOUVE, Président de chambre

Madame COLIN, Conseillère

Madame BETTELANI, Conseillère

GREFFIER :

Madame CARDONA, Greffière lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 21 juin 2023 puis a été prorogé au 06 septembre 2023.

ARRET

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

– Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre et par Madame CHENG, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 03 mars 2017, M. [I] [C], salarié de la société [7] ([7]) sise à [Localité 8] en qualité d’archiviste puis de conducteur de pont roulant sur un chantier naval entre 1953 et 1987, a établi une déclaration de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Corse-du-Sud.

Le 27 novembre 2017, M. [I] [C] est décédé des suites d’une asbestose à l’âge de 82 ans.

Le 18 avril 2019, la CPAM a notifié Mme [H] [C], fille du défunt, sa décision de prendre en charge la pathologie déclarée au titre du tableau n°30 des maladies professionnelles relatif aux affections consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante.

Le 18 juin 2019, la CPAM a attribué à M. [I] [C], sur le fondement d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 100%, une rente d’un montant de 14 850,45 euros pour la période du 04 mars au 30 novembre 2017.

Le 12 décembre 2019, la CPAM a reconnu l’imputabilité du décès de M. [I] [C] à sa maladie professionnelle.

Le 24 janvier 2020, les ayants droit de M. [I] [C] ont saisi la CPAM d’une demande de mise en oeuvre de la procédure de conciliation visant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7].

Le 11 août 2020, au regard de l’échec de la tentative de conciliation, les consorts [C] ont saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’Ajaccio de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Par jugement contradictoire du 13 janvier 2021, cette juridiction a :

– dit que la pathologie affectant M. [I] [C], reconnue en lien avec son activité professionnelle, était due à la faute inexcusable de son employeur, la société [7] ;

– fixé à son maximum la majoration de l’indemnité en capital allouée à M. [I] [C] ;

– rappelé que la CPAM était fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de Me [N] [Y], en qualité de mandataire ad’hoc de la société [7], s’agissant des conséquences financières de la faute inexcusable ;

– fixé l’indemnisation des souffrances endurées par M. [I] [C] à la somme de 25 000 euros ;

– fixé l’indemnisation du préjudice d’affection de ses ayants droit comme suit :

10 000 euros au bénéfice de Mme [H] [C] ;

5 000 euros au bénéfice de M. [L] [X] ;

5 000 euros au bénéfice de Mme [V] [X] ;

2 500 euros au bénéfice de M. [F] [M] ;

2 500 euros au bénéfice de Mme [D] [M] ;

– renvoyé les ayants droit de M. [I] [C] devant la CPAM pour la liquidation de leurs droits ;

– rappelé que l’exécution provisoire du jugement était de droit.

Par lettre recommandée adressée au greffe de la cour le 1er février 2021, les consorts [C] ont interjeté appel de ce jugement uniquement en ce qu’il a :

– fixé l’indemnisation des souffrances endurées par M. [I] [C] à la somme de 25 000 euros ;

– fixé l’indemnisation du préjudice d’affection de ses ayants droit comme suit :

10 000 euros au bénéfice de Mme [H] [C] ;

5 000 euros au bénéfice de M. [L] [X] ;

5 000 euros au bénéfice de Mme [V] [X] ;

2 500 euros au bénéfice de M. [F] [M] ;

2 500 euros au bénéfice de Mme [D] [M].

Par courrier du 21 février 2022, la CPAM a indiqué au greffe de la cour n’avoir pas été destinataire des écritures des appelants ni des autres parties.

Par courrier du 07 mars 2022, les appelants ont sollicité le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure en vue de finaliser leurs conclusions.

L’affaire a été appelée à l’audience du 08 mars 2022, au cours de laquelle les consorts [C] n’étaient ni comparants ni représentés, à l’instar de la société [7] et du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA).

La CPAM, représentée, a sollicité la radiation de l’affaire.

Le 14 mars 2022, les appelants ont transmis des observations à la cour durant son délibéré.

Par arrêt avant dire droit du 21 septembre 2022, la présente cour a notamment ordonné la réouverture des débats à l’audience du 14 février 2023 afin de permettre la comparution ou la représentation de l’ensemble des parties, puis a réservé les dépens.

Lors de l’audience du 14 février 2023, les consorts [C] et la CPAM, non-comparants, étaient représentés par leurs conseils.

Le FIVA, la société [7] et la SELAFA [10], représentée par Me [N] [Y] en sa qualité de mandataire ad hoc, n’étaient en revanche ni comparants ni représentés, Me [Y] ayant avisé la cour, par courrier du 03 février 2023, qu’il était dans l’impossibilité de ‘participer à cette procédure’ ni de se faire représenter au regard de ‘l’impécuniosité de ce dossier’, en précisant qu”aucune demande en paiement ne pourr[ait] valablement prospérer’ compte tenu de la procédure de mandat ad hoc ouverte par la juridiction consulaire parisienne. Aucun jugement n’était toutefois produit à l’appui de ce courrier.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au terme de leurs conclusions, réitérées et soutenues oralement à l’audience, les consorts [C], appelants, demandent à la cour de’:

‘CONFIRMER le jugement du Pôle Social du Tribunal Judiciaire d’AJACCIO du 13 janvier 2021 en ce qu’il a :

– dit que la pathologie affectant M. [I] [C] et qui a été reconnue en lien avec son activité professionnelle est due à lafaute inexcusable de son employeur, la société [7].

– fixé à son maximum la majoration de l’indemnité en capital allouée à M. [I] [C].

STATUANT A NOUVEAU :

REFORMER le jugement du Pôle Social du Tribunal Judiciaire d’Ajaccio du 13 janvier 2021 concemant le quantum d’indemnisation des préjudices subis.

EN CONSEQUENCE :

Au titre de l’action successorale :

FIXER la réparation des préjudices extrapatrimoniaux subis par feu Monsieur [I] [C] de la façon suivante :

En réparation de sa souffrance physique : 60.000 euros,

En réparation de sa souffrance morale : 60.000 euros,

En réparation de son préjudice d’agrément : 60.000 euros,

En réparation de son préjudice esthétique : 15.000 euros,

Au titre de leurs préjudices personnels :

FIXER au taux maximum la majoration de la rente.

FIXER la réparation des préjudices moraux subis par les ayants droit de la manière suivante :

Madame [H] [C], sa fille : 25.000 euros

Madame [V] [X], sa petite-fille : 15.000 euros

Monsieur [L] [X], son petit-fils : 15.000 euros

Monsieur [F] [M], son arrière-petit-fils : 10.000 euros

Madame [D] [M], son arrière-petite-fille : 10.000 euros

ENJOINDRE à la CPAM de la Corse-du-Sud d’indemniser les ayants droit tant des préjudices qu’ils subissent personnellement du fait du décès de Monsieur [I] [C] que des préjudices subis par ce dernier et résultants de sa maladie.

DIRE que la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie de la Corse-du-Sud sera tenue de faire l’avance de ces sommes.

CONDAMNER en outre la Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie à verser aux ayants droit de Monsieur [C] la somme de 2.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel.’

Au soutien de leurs prétentions, les consorts [C] font notamment valoir, après avoir rappelé que leur appel était limité au quantum des montants alloués en réparation des préjudices subis, que :

– la Cour de cassation permet désormais aux victimes ou à leurs ayants droit d’obtenir une réparation complémentaire pour les souffrances physiques et morales endurées après consolidation, cette réparation pouvant être acquise sans que les requérants n’aient à fournir la preuve que la rente prévue par le code de la sécurité sociale ne couvre pas déjà ces souffrances ;

– indemniser les préjudices extrapatrimoniaux par une somme inférieure ou égale au barème du FIVA reviendrait à vider de sens le contentieux de la faute inexcusable de l’employeur, ce contentieux s’inscrivant nécessairement dans une dynamique de prévention des risques en entreprise ;

– les sommes allouées en première instance sont largement inférieures à celles figurant au sein du barème du FIVA et plus largement à la jurisprudence actuelle ;

– les ayants droit du défunt ont été marqués par la détresse et l’angoisse subies par ce dernier ;

– la CPAM a refusé de faire l’avance des sommes attribuées par le premier juge au titre de l’action successorale alors que la transmission aux héritiers de l’action en réparation est nettement affirmée par la jurisprudence.

*

Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l’audience, la CPAM de la Corse-du-Sud, intimée, demande à la cour de’:

‘RECEVOIR la Caisse en ses conclusions,

CONSTATER qu’elle s’en remet à la Cour sur la demande formulée par les consorts [C]/[X],

DIRE que la majoration de la rente et des indemnités éventuelles seront récupérées par la Caisse auprès de l’employeur conformément aux articles L. 452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale’.

L’intimée rappelle notamment que seuls les préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale peuvent faire l’objet d’une indemnisation complémentaire.

Elle précise que son interprétation du jugement attaqué l’a conduite à ne payer aux consorts [C] que la seule somme de 25 000 euros qui leur avait été allouée au titre de l’ensemble de leurs préjudices personnels, et que si son analyse était erronée, elle procèderait au règlement des sommes attribuées par la cour.

*

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, il sera rappelé que la portée de l’appel des consorts [C] est circonscrite au dispositif du jugement en ce qu’il a :

– fixé l’indemnisation des souffrances endurées par M. [I] [C] à la somme de 25 000 euros ;

– fixé l’indemnisation du préjudice d’affection de ses ayants droit comme suit :

10 000 euros au bénéfice de Mme [H] [C] ;

5 000 euros au bénéfice de M. [L] [X] ;

5 000 euros au bénéfice de Mme [V] [X] ;

2 500 euros au bénéfice de M. [F] [M] ;

2 500 euros au bénéfice de Mme [D] [M].

La cour n’est donc pas tenue de statuer sur les autres dispositions de cette décision.

– Sur l’indemnisation des préjudices

L’article 53-VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 dispose, en son quatrième alinéa, que ‘La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, à l’occasion de l’action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L’indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence.’

Il résulte des trois premiers aliénas de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale que ‘Dans le cas mentionné à l’article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.

Lorsqu’une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

Lorsqu’une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale.’

L’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale précise qu”Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d’accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l’employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.’

Il est en outre admis que les dispositions de l’article L. 452-3 susvisé, tel qu’interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, ne font pas obstacle à ce que la victime d’une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l’employeur puisse demander à ce dernier la réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Dès lors, les préjudices déjà couverts par le livre IV, ne serait-ce que partiellement, ne peuvent faire l’objet d’une indemnisation complémentaire.

Il sera rappelé que sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale les postes de préjudice suivants :

– les dépenses de santé actuelles et futures,

– les frais de déplacement,

– les dépenses d’expertise technique,

– les dépenses d’appareillage actuelles et futures,

– les incapacités temporaires et permanentes,

– les pertes de gains professionnels actuelles et futures,

– l’assistance d’une tierce personne après la consolidation.

Il est en outre désormais jugé que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, et que l’indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l’article L. 452-3 susvisé ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation de l’état de la victime ou de la démonstration que ces souffrances n’ont pas déjà été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, de sorte que doit être pris en compte l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident (Cass. Ass. Plén. 20 janvier 2023 n°21-23.947).

Sur les préjudices dont l’indemnisation est sollicitée au titre de l’action successorale

Il est acquis que les préjudices personnellement subis par la victime avant son décès sont entrés – par la voie de la transmission successorale – dans le patrimoine de ses ayants droit, qui sont donc recevables à exercer la présente action, à solliciter la réparation à la fois des préjudices subis par la victime et de leurs propres préjudices moraux et, en cas de condamnation de l’employeur fautif, à réclamer auprès de la CPAM le versement de l’ensemble des sommes dont le paiement a été ordonné par la juridiction de sécurité sociale.

C’est donc à tort que la CPAM a refusé, en dépit de l’exécution provisoire assortissant le jugement querellé, de verser aux consorts [C] la somme totale de 50 000 euros (25 000 euros au titre des souffrances endurées par M. [C] + 25 000 euros au titre des préjudices moraux de ses ayants droit) prononcée par le premier juge.

Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice recouvre les souffrances psychiques et physiques, l’anxiété d’une évolution péjorative de la pathologie liée à l’exposition à l’amiante ainsi que l’angoisse de mort endurées par la victime depuis la maladie traumatique.

En l’espèce, il ressort des pièces médicales produites que l’asbestose avec syndrome restrictif subie par M. [I] [C] a été diagnostiquée en février 2017, les premiers signes d’essoufflement étant apparus en 2014 selon les appelants, sans toutefois que cela ne ressorte clairement des documents versés aux débats.

Son état s’est fortement dégradé en novembre 2017 et M. [C] est décédé le 27 novembre 2017 à l’âge de 82 ans, soit moins d’un an après le diagnostic et à l’issue notamment de plusieurs scanners thoraciques avec et sans injection, d’une hospitalisation de 19 jours avec transfert en hélicoptère d’un établissement à un autre et d’une assistance respiratoire non invasive puis invasive durant les deux derniers jours (intubation trachéale).

Il s’en déduit que M. [C] n’a pu qu’éprouver d’importantes douleurs physiques accompagnées de souffrances psychologiques et d’une réelle angoisse de mort dont attestent également sa fille et sa petite-fille.

Les sommes allouées en première instance paraissent dès lors insuffisantes au regard de ces éléments, du barème du FIVA et de la jurisprudence habituelle de cette cour.

La cour appréciera ainsi les souffrances psychiques et physiques endurées par M. [I] [C] à hauteur de 45 000 euros.

Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu’il alloué à la victime la somme de 25 000 euros au titre de ce poste de préjudice.

Sur le préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs.

Ce préjudice concerne donc les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l’accident ou de la maladie traumatique. Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de justifier de la pratique de ces activités (licences sportives, adhésions d’associations, attestations…).

Les juridictions de sécurité sociale mettent en oeuvre cette approche restrictive du préjudice d’agrément depuis 2013 (Civ. 2e, 28 février 2013, n° 11-21.015).

En l’espèce, il ressort des attestations établies par Mme [H] [C] et Mme [V] [X] que la pratique de la marche, de la pêche, de la chasse, de la cueillette des champignons, du bricolage et du jardinage étaient devenues impossibles pour M. [I] [C].

Dans la motivation de la décision attaquée, le premier juge n’a pas fait droit à la demande de réparation de ce poste de préjudice formée par les consorts [C] à hauteur de 60 000 euros. Ce débouté ne figure cependant pas au dispositif du jugement.

Au regard de l’âge de M. [C] et de la période estimée à environ un an (faute de précision sur ce point par les appelants) durant laquelle la victime s’est trouvée dans l’incapacité de pratiquer les activités de loisirs susmentionnées, le préjudice d’agrément subi par M. [C] sera évalué à la somme de 4 000 euros.

Sur le préjudice esthétique

La fille de M. [C] fait état d’un teint gris et d’une toux permanente. L’existence de cette toux est confirmée par les pièces médicales établies durant l’hospitalisation de M. [C] en novembre 2017, pièces attestant également du recours à un appareillage respiratoire durant les deux derniers jours de vie de la victime. Il n’est en revanche pas fait état d’un amaigrissement extrême, de cicatrices ni d’une déformation thoracique.

Dans la motivation de la décision querellée, le premier juge n’a pas fait droit à la demande de réparation de ce poste de préjudice formée par les consorts [C] à hauteur de 15 000 euros. Ce débouté ne figure cependant pas au dispositif du jugement.

En l’espèce, au regard des éléments susmentionnés, le préjudice esthétique subi par M. [I] [C] sera évalué à hauteur de 3 000 euros.

Sur les préjudices personnels des consorts [C]

– Mme [H] [C], fille du défunt :

Il ressort des attestations établies par Mme [H] [C], domiciliée à [Localité 11], qu’elle a été présente aux côtés de son père durant sa maladie et qu’elle a assisté aux épisodes d’étouffement, d’essoufflement et de gêne respiratoire caractéristiques des pathologies liées à l’amiante.

Les pièces médicales démontrent également la présence de Mme [H] [C] durant les dernières semaines de vie de son père, notamment durant les journées d’hospitalisation.

La somme attribuée en première instance n’étant pas satisfactoire au regard de la jurisprudence habituelle en cette matière, de la proximité affective existant entre Mme [C] et son père et de l’implication de celle-ci durant la maladie traumatique, la cour fera une appréciation de son préjudice moral à hauteur de 20 000 euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a alloué à Mme [C] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice d’affection.

– Mme [V] [X], petite-fille du défunt :

Mme [V] [X], fille de [H] [C], était âgée de 31 ans lorsque son grand-père est décédé.

Aux termes des deux attestations qu’elle a rédigées dans le cadre de cette procédure, Mme [V] [X], qui résidait à proximité immédiate du défunt (identité de commune, de rue mais pas de numéro), indique avoir vu l’état physique et moral de son grand-père se dégrader progressivement (essoufflement, toux, douleurs thoraciques, difficultés de déplacement), l’avoir accompagné dans ses démarches et avoir entretenu son domicile.

La somme attribuée en première instance n’étant pas satisfactoire au regard de la proximité affective ayant existé entre Mme [X] et son grand-père et de l’implication de cette ayant droit durant la maladie traumatique, la cour fera une appréciation de son préjudice moral à hauteur de 15 000 euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a alloué à Mme [X] la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d’affection.

– M. [L] [X], petit-fils du défunt :

M. [L] [X], fils de [H] [C], était âgée de 28 ans lorsque son grand-père est décédé.

S’il a côtoyé son grand-père au vu de son âge, de sa domiciliation en Corse-du-Sud et des termes employés par Mme [X] dans l’une de ses attestations soulignant la crainte de M. [C] de ne plus ‘revoir ses petits-enfants et arrière-petits-enfants’ – et quand bien même cette cour n’entend pas remettre en cause la qualité des relations les ayant probablement unis – force est de constater qu’aucune pièce de la procédure ne démontre la nature du lien affectif existant entre M. [X] et son grand-père, ni l’implication de cet ayant droit durant la maladie traumatique de son ascendant.

Le jugement attaqué sera donc confirmé en ce qu’il a alloué à M. [X] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

– [F] [M] et [D] [M], arrière-petits-enfants du défunt :

[F] et [D] [M], enfants d'[V] [X], étaient respectivement âgés de 06 et 03 ans au moment du décès de leur arrière-grand-père.

Aucune pièce de la procédure ne démontre l’existence d’un préjudice moral subi par ces très jeunes enfants.

Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu’il a alloué à ces ayants droit la somme de 2 500 euros chacun et les appelants seront déboutés de leur demande d’allocation de la somme de 10 000 euros à chacun de ces arrière-petits-enfants.

– Sur l’avance des sommes par la CPAM

La CPAM fera l’avance des sommes dont le paiement a été ordonné par cette cour (pour un montant global de 92 000 euros, soit 52 000 euros au titre de l’action successorale et 40 000 euros en réparation des préjudices moraux des ayants droits) auprès des consorts [C] et en récupèrera le montant, dans la mesure du possible au regard de la situation économique de la société [7], auprès de cette dernière en application des dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

– Sur les dépens

L’alinéa 1er de l’article 696 du code de procédure civile dispose que ‘la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie’.

La société [7], représentée par Me [Y] en sa qualité de mandataire ad hoc, succombant, elle devra supporter la charge des entiers dépens exposés tant en première instance qu’en cause d’appel.

– Sur les frais irrépétibles

En l’espèce, les consorts [C] sollicitent, dans le dispositif de leurs conclusions reprises oralement, la condamnation de la ‘caisse primaire centrale d’assurance maladie’ à leur payer la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Toutefois, si la caisse est tenue de verser les sommes allouées à la victime ou à ses ayants droit avant d’en récupérer ensuite le montant auprès de l’employeur, cette avance ne concerne, en application du troisième alinéa de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les indemnités versées en réparation des préjudices visés aux alinéas précédents, dont sont exclues les sommes attrubuées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dès lors, la condamnation sur un tel fondement ne pouvait être dirigée que contre l’employeur de M. [C].

Les appelants seront donc déboutés de leur demande formée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME le jugement rendu le 13 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire d’Ajaccio en ce qu’il a fixé l’indemnisation du préjudice moral de M. [L] [X] à hauteur de 5 000 euros ;

L’INFIRME pour le surplus des dispositions déférées à la cour, soit en ce qu’il a :

– fixé l’indemnisation des souffrances endurées par M. [I] [C] à la somme de 25 000 euros ;

– fixé l’indemnisation du préjudice d’affection de ses ayants droit comme suit :

10 000 euros au bénéfice de Mme [H] [C] ;

5 000 euros au bénéfice de Mme [V] [X] ;

2 500 euros au bénéfice de M. [F] [M] ;

2 500 euros au bénéfice de Mme [D] [M].

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés,

CONDAMNE la société [7], représentée par Me [N] [Y] en sa qualité de mandataire ad hoc, à payer :

– aux ayants droit de M. [I] [C], en vertu de l’action successorale et en réparation des préjudices subis par la victime avant son décès, les sommes de :

45 000 euros au titre des souffrances endurées ;

4 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;

3 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

– à Mme [H] [C], Mme [V] [X] et M. [L] [X], en réparation de leur propre préjudice moral, les sommes suivantes :

20 000 euros à Mme [H] [C] ;

15 000 euros à Mme [V] [X] ;

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de la Corse-du-Sud fera l’avance de l’ensemble de ces sommes auprès des ayants droit de M. [I] [C] et en récupèrera le montant auprès de la société [7], représentée par Me [N] [Y] en sa qualité de mandataire ad hoc ;

DIT que les sommes d’ores et déjà versées par la caisse primaire d’assurance maladie de la Corse-du-Sud en application du jugement de première instance devront être déduites de celles qui sont allouées en vertu du présent arrêt ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [7], représentée par Me [N] [Y] en sa qualité de mandataire ad hoc, au paiement des entiers dépens exposés en première instance et en cause d’appel ;

DEBOUTE Mme [H] [C], Mme [V] [X] et M. [L] [X] de leurs demandes plus amples ou contraires ;

RAPPELLE qu’une expédition du présent arrêt sera adressée au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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