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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 06 Octobre 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/10569 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA2ED
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance d’AUXERRE RG n° 19/354
APPELANT
Monsieur [F] [R]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Isabelle-marie DELAVICTOIRE, avocat au barreau de DIJON, toque : 53
INTIMES
Monsieur [U] [W], en qualité de mandataire ad hoc de la société [7]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Christelle SIGNORET, avocat au barreau d’AUXERRE
CPAM DE L’YONNE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substitué par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Juin 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Gilles BUFFET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC , présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, conseiller
Madame Natacha PINOY, conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Gilles BUFFET, conseiller pour Mme Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par M. [F] [R] d’un jugement rendu le 18 septembre 2019 par le tribunal de grande instance d’Auxerre, dans un litige l’opposant à M. [U] [W] ès-qualités de mandataire ad hoc de la société [7] et à la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Il est rappelé que M. [F] [R], salarié de la société [7] (la société) en qualité d’agent de traitement des déchets, a été victime d’un accident du travail le 23 janvier 2012 à 9 heures 10, la déclaration d’accident du travail souscrite par son employeur à cette même date mentionnant : ‘en soulevant un seau de produit, le salarié a ressenti une douleur dans le dos’ ; qu’une lombalgie avec sciatalgie a été constatée médicalement à la suite de l’accident ; que l’accident a été pris en charge par la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne (la caisse) au titre de la législation sur les risques professionnels ; que l’état de santé de la victime a été déclaré consolidé le 20 mars 2013, un taux d’incapacité permanente partielle de 5% lui étant attribué ; qu’après vaine tentative de conciliation, M. [R] a saisi le 18 juillet 2013 le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Yonne d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; que la société a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du 3 février 2014 du tribunal de commerce d’Auxerre, cette procédure ayant été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 7 novembre 2014, Me [O] [L] ayant été désigné en qualité de liquidateur.
Par jugement du 18 septembre 2019, le tribunal de grande instance d’Auxerre a déclaré recevables en la forme les prétentions de M. [R], débouté M. [R] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable et de ses prétentions subséquentes, soit le doublement de la rente et l’expertise judiciaire, débouté M. [R] de sa prétention au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le condamnant à payer à Me [L] en qualité de liquidateur judiciaire de la société la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance.
Pour statuer ainsi le tribunal a retenu que M. [R] dirige sa demande de majoration de capital à l’encontre de la caisse et ses autres prétentions contre Me [L] ès-qualités ; que M. [R] ne rapporte pas la preuve que son employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel il l’exposait et qu’il n’a pas pris toutes les mesures pour l’en protéger ; qu’à cet égard, lors de l’accident, M. [R] ne faisait l’objet d’aucune restriction de port de charges, tandis que le poste de travail de M. [R] n’a pas été modifié par l’employeur, aucune pièce n’établissant qu’il devait porter des charges de plus de 15 kg ; que M. [R] n’a pas dénoncé le non respect des préconisations du médecin du travail avant l’accident du 23 janvier 2012, l’inspecteur du travail ne relevant le 26 septembre 2011 aucune difficulté concernant le poste de travail de M. [R], lequel ne rapporte pas la preuve de ce que l’employeur n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail relatives au port de charges lourdes.
Le jugement a été notifié à M. [R] le 19 septembre 2009, lequel en a interjeté appel par déclaration par la voie électronique du 17 octobre 2019.
Par ordonnance du président du tribunal de commerce d’Auxerre du 8 octobre 2022, M. [U] [W] a été désigné es qualités de mandataire ad hoc de la société pour la représenter devant la cour d’appel de Paris, la liquidation judiciaire ayant été clôturée pour insuffisance d’actif le 28 février 2022.
Aux termes de ses conclusions visées à l’audience et développées oralement par son avocat, M. [R] demande à la cour de :
– dire et juger recevable et bien fondé son appel,
– infirmer le jugement,
statuant à nouveau :
– dire et juger que la société en qualité d’employeur a commis une faute inexcusable,
– condamner la caisse à payer à M. [R] le doublement de son indemnité en capital,
– désigner tel expert afin de déterminer la nature et l’étendue des préjudices subis par M. [R],
– condamner solidairement la caisse et M. [W] ès-qualités à verser à M. [R] une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
M. [R] fait valoir qu’il travaillait pour la société en qualité d’agent de traitement des déchets à compter du 17 mai 2010 ; qu’il bénéficiait du statut de salarié protégé en sa qualité de membre du CHSCT ; que le médecin du travail, appelé à se prononcer sur l’aptitude de M. [R] à ses fonctions de manutentionnaire déchets lors d’une visite de reprise après maladie (opération d’une hernie discale) du15 juin 2011, a conclu qu’il était apte à la reprise avec limitation du port de charges à 15 kg ; que, malgré cette recommandation, l’employeur n’a pas aménagé son poste de travail, M. [R] devant continuer à porter des charges de plus de 15 kg, ce qui a causé son accident du travail du 23 janvier 2012 ; que l’employeur a donc été défaillant dans la protection de la santé de M. [R], lequel ne pouvait ignorer les préconisations de la médecine du travail, qui avait alerté l’employeur sur ses carences en matière de santé et sécurité au travail, le CHSCT n’ayant pas été régulièrement réuni et le document unique d’évaluation des risques n’ayant pas été mis à jour, ce document n’étant pas versé aux débats par M. [W] ès-qualités; que le poste de travail de M. [R] n’a jamais été adapté aux contraintes de charges maximales imposées par la médecine du travail.
Aux termes de ses conclusions visées à l’audience et soutenues oralement par son avocat, M. [W] ès-qualités demande à la cour de :
– confirmer le jugement,
– constater que M. [R] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la faute alléguée,
– débouter M. [R] de ses demandes,
à titre subsidiaire et pour le cas où la faute inexcusable serait retenue,
– constater le défaut de déclaration de créance de la caisse,
– dire, dans ces conditions, la caisse privée du droit de récupérer sur l’employeur les compléments de rente et indemnités versées,
en tout état de cause,
– condamner M. [R] à verser à M. [W] ès-qualités la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
M. [W] ès-qualités fait valoir que M. [R], s’il a été déclaré apte le 15 juin 2011 avec une limitation de port de charges à 15 kg, a été ultérieurement déclaré, lors des visites de la médecine du travail des 13 octobre 2011et 16 novembre 2011, apte sans aucune restriction ; que l’employeur n’a effectué aucune modification de poste et qu’il a toujours appliqué la restriction de la médecine du travail ; que M. [R] n’a jamais eu d’obligation de port de charges, ainsi qu’il résulte du compte rendu de visite de l’inspecteur du travail venu dans les locaux le 8 février 2013 ; qu’il n’y a jamais eu de dépassement des charges prescrites tandis que M. [R] disposait de moyens de transport adéquats mis à sa disposition ; que les documents versés aux débats concernant de prétendus manquements de l’entreprise dans la prévention des risques ne concernent pas M. [R], les courriers produits étant antérieurs au compte rendu du 8 février 2013 qui ne relève pas d’anomalies; que M. [R] avait développé une activité parallèle de marchand ambulant depuis 2009 l’amenant à porter des charges ; qu’enfin, la caisse n’ayant pas déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société, ne peut exercer son action récursoire contre celle-ci.
Aux termes de ses conclusions visées à l’audience et soutenues oralement par son avocat, la caisse demande à la cour de :
– prendre acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice quant à la recevabilité de la présente instance ainsi que sur l’appréciation des responsabilités et la fixation des préjudices éventuels,
dans l’hypothèse où la faute inexcusable de l’employeur serait retenue,
– prendre acte du fait que la caisse s’en rapporte à justice sur les demandes indemnitaires présentées par l’assuré ainsi que sur la demande d’expertise médicale sollicitée,
– sur le recours récursoire de la caisse à l’encontre de l’employeur, constater la production tardive par la caisse de sa créance éventuelle entre les mains du liquidateur et en tirer toutes les conséquences de droit.
La caisse fait valoir qu’elle n’a pas déclaré sa créance dans les délais légaux et n’a pas sollicité un relevé de forclusion et qu’ainsi, toute créance à l’encontre de la société, en restitution des indemnités que la caisse serait tenue de verser au salarié, serait en tout état de cause éteinte.
En application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties déposées à l’audience du 19 juin 2023 et soutenues oralement pour un plus ample exposé de leurs moyens.
SUR CE :
L’employeur est tenu envers son salarié d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l’obligation de veiller à l’adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l’origine déterminante de l’accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes y compris la faute d’imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
Il est rappelé que M. [R], chargé du traitement des déchets, a été victime d’un accident du travail le 23 janvier 2012 (production M. [W] n°4), la déclaration d’accident du travail indiquant qu’en soulevant un seau de produit, M. [R] a ressenti une douleur dans le dos, cet objet étant manipulé habituellement au poste même du travail.
Il incombe à M. [R], demandeur à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de justifier que ce dernier avait, à la date de cet accident, conscience du danger auquel son salarié était exposé et n’avait pris aucune mesure pour l’en protéger, les considérations relatives aux conditions de travail de M. [R] mises en place postérieurement à sa reprise d’activité à la suite de cet accident étant indifférentes.
M. [R] justifie qu’aux termes d’une fiche de visite du 15 juin 2011 (production appelant n°3), le médecin du travail l’a déclaré apte à la reprise du travail après maladie, le médecin du travail précisant : ‘apte à la reprise du travail en limitant le port de charges à 15 kg actuellement’.
Cependant, M. [W] ès-qualités produit trois fiches de visite dans le cadre du suivi de M. [R] par le médecin du travail des 13 octobre 2011, 16 novembre 2011 et 16 janvier 2012 déclarant M. [R] apte à son poste de travail, aucune restriction n’étant prévue (production M. [W] n°11).
Aussi, il apparaît qu’à la date de l’accident, l’employeur n’était plus tenu à veiller à une restriction de port de charges par le salarié, cette restriction ayant été levée à compter du 13 octobre 2011.
Par conséquent, M. [R] ne peut se prévaloir utilement du fait, contesté par l’employeur, qu’avant l’accident, celui-ci n’aurait pas aménagé son poste de travail en lui imposant le port de charges supérieures à 15 kg, l’employeur, au regard des préconisations de la médecine du travail, ne pouvant, un peu plus de trois mois avant l’accident, avoir conscience du risque lié au port de charges présenté par le salarié.
En tout état de cause, M. [R] ne démontre aucunement que l’employeur n’aurait pas limité, conformément à l’avis de la médecine du travail, le port de charges à moins de 15 kg.
M. [R] produit un courrier de l’inspection du travail au directeur de la société du 26 septembre 2011(production n°7) concernant une visite dans les locaux du 15 avril 2011 aux termes duquel l’inspecteur du travail fait valoir que le CHSCT n’est pas réuni trimestriellement en contradiction avec l’article L.4614-7 du code du travail, ayant noté la mise en place du dernier CHSCT en mai 2011 et que le document unique d’évaluation des risques doit être mis à jour. Concernant l’évaluation des risques, l’inspecteur conclut que l’entreprise laisse apparaître d’importantes déficiences en termes de prévention des risques professionnels et notamment la protection des équipements de travail, modes opératoires non sécurisés, non respect des vérifications réglementaires sur certaines machines.
Mais l’inspecteur du travail ne relève pas que M. [R] subissait un port de charges excessif au regard des préconisations de la médecine du travail ni que son poste serait exposé à des risques particuliers dont l’employeur n’aurait pas tenu compte, M. [R] ne pouvant uniquement se prévaloir à ce titre du fait que l’employeur n’aurait pas produit aux débats le document unique d’évaluation des risques.
Enfin, M. [R] produit (production n°4) des photographies de palettes non datées insuffisantes à établir qu’il était amené à porter des charges de plus de 15 kg et ne produit aucun témoignage en ce sens.
Le jugement déféré sera donc confirmé.
M. [R] sera condamné aux dépens d’appel.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DECLARE l’appel de M. [F] [R] recevable,
CONFIRME le jugement rendu le 18 septembre 2019 par le tribunal de grande instance d’Auxerre (RG 18/00114) en toutes ses dispositions,
CONDAMNE M. [F] [R] aux dépens d’appel,
DIT n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière Pour la présidente empêchée