Tentative de conciliation : 5 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/09795

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Tentative de conciliation : 5 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/09795
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 05 MAI 2023

N° 2023/ 163

Rôle N° RG 19/09795 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEOJW

[J] [X]

C/

SAS MARTIN BROWER FRANCE

Copie exécutoire délivrée

le : 05 mai 2023

à :

Me Thomas HUET, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Pierre-Yves IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 352)

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AIX-EN-PROVENCE en date du 02 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/01077.

APPELANT

Monsieur [J] [X], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Thomas HUET, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SAS MARTIN BROWER FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Rachid CHENIGUER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 08 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Mai 2023,

Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

La société par actions simplifiée MARTIN BROWER FRANCE a pour activité la coordination et la logistique du transport de denrées alimentaires et de produits divers pour un client unique, les restaurants Mac Donald’s.

Monsieur [J] [X] a été embauché par la société MARTIN BROWER FRANCE par contrat à durée indéterminée en date du 10 mai 1999 en qualité de conducteur super poids lourds, statut ouvrier, coefficient 138 de la convention collective nationale des transports routiers.

Monsieur [X] est titulaire de divers mandats syndicaux sous 1’étiquette CFTC (délégué syndical, représentant syndical au CE et conseiller du salarié).

Il a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 16 décembre 2016, le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence pour voir reconnaître une situation de harcèlement moral, de discrimination, ainsi qu’une exécution fautive de son contrat de travail, solliciter l’annulation d’une sanction disciplinaire et diverses sommes à caractère indemnitaire.

Le conseil de prud’hommes s’est déclaré en partage de voix, par procès-verbal du 31 mai 2018.

Par jugement du 2 mai 2019 notifié le 28 mai 2019, le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, en sa formation de départage, a ainsi statué :

– dit n’y avoir lieu à annulation de la sanction disciplinaire du 2 novembre 2016,

– déboute Monsieur [X] de toutes ses demandes,

– dit n’y a voir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejette toute autre demande ou plus ample,

– condamne Monsieur [X] aux dépens.

Par déclaration du 19 juin 2019 notifiée par voie électronique, Monsieur [X] a interjeté appel du jugement dont il a sollicité l’infirmation pour chacun des chefs du dispositif.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 8 décembre 2020, Monsieur [J] [X], appelant, demande à la cour de :

infirmer dans toutes ses dispositions le jugement de départage du conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence (section commerce) du 2 mai 2019,

constater que la sanction disciplinaire prononcée à son encontre est nulle et de nul effet, eu égard à la prescription des faits et à l’absence de fait fautif en l’absence d’une quelconque intention fautive de sa part,

constater que la société MARTIN BROWER a changé ses conditions de travail sans son accord préalable, en violation de la jurisprudence relative à l’obligation de recueillir le consentement d’un salarié protégé en cas de simple changement des conditions de travail, et ce, en vue de protéger le droit syndical du salarié,

constater que la société MARTIN BROWER a modifié son contrat de travail sans son accord préalable, sur les éléments contractuels suivants : heures de nuit, travail du dimanche, rémunération contractuelle,

constater les faits de discrimination syndicale à l’encontre du délégué syndical CFTC, eu égard à sa situation tout à exceptionnelle, se trouvant être le seul salarié à se voir retirer du jour au lendemain le bénéfice de toutes ses heures supplémentaires,

constater les nombreux agissements répétés de la société MARTIN BROWER visant à porter atteinte à sa santé, à son honneur et à sa dignité,

condamner en conséquence la société MARTIN BROWER à lui payer :

au titre de l’exécution fautive du contrat de travail,

– 1 001,00 euros à titre de réparation du préjudice subi pour le prononcé d’une sanction disciplinaire manifestement injustifiée à son égard en sa qualité de simple salarié (1 euro symbolique) et de salarié protégé (1 000 euros),

– 23 520,00 euros de rappel de salaire au titre des heures de nuit et du dimanche qu’il aurait refusé de ne plus accomplir si la société lui avait préalablement demandé son accord,

– 15 000,00 euros à titre de réparation du préjudice subi d’un point de vue professionnel et personnel à la suite des changements de condition de travail, et/ou modification du contrat de travail,

au titre de la discrimination syndicale,

23 520,00 euros en réparation du préjudice subi pour discrimination syndicale,

au titre du harcèlement moral,

– 50 000,00 euros en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral,

– 4 750,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui de son recours, l’appelant fait valoir en substance que :

– il a subi les représailles de sa direction après ses demandes demeurées vaines en vue de la création d’un Comité Central d’Entreprise ;

sur l’annulation de la sanction disciplinaire :

– le ‘rappel à l’ordre’ s’apparente à une sanction disciplinaire, celui-ci ayant été notifié après une convocation à un entretien préalable ;

– la sanction disciplinaire est intervenue plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien préalable étant précisé que le report du premier entretien préalable résulte d’une initiative de l’employeur et non d’une demande de sa part ;

– les faits reprochés consistent en une insuffisance professionnelle (par ailleurs non démontrée) et non en une faute disciplinaire ;

– en sa qualité de délégué syndical et conseiller salarié, il a subi une image désastreuse à l’égard des autres salariés et représentants du personnel à la suite de cette sanction disciplinaire, alors même que le véhicule était manifestement défectueux ;

sur le changement imposé de ses conditions de travail :

– la société a modifié le trajet de ses tournées ;

– l’employeur ne peut imposer au salarié protégé un simple changement des conditions de travail ou une modification de son contrat de travail ni sans son accord préalable ;

– il peut prétendre à un rappel de salaire constitué par la perte des primes et majorations pour travail de nuit et travail du dimanche que la société MARTIN BROWER lui a fait perdre en s’exonérant de son obligation de recueillir son consentement exprès ;

sur la modification de son contrat de travail :

– au retour de ses congés d’août 2016, la société a modifié sans son accord ses tournées relatives aux restaurants Mac Donald’s de [Localité 5] et [Localité 3] (suppression des heures de nuit et des heures du dimanche) entraînant une modification de sa rémunération contractuelle ;

– il a subi un véritable choc et un bouleversement dans sa vie professionnelle et par suite, dans sa vie personnelle ;

sur la discrimination syndicale,

– les éléments de faits à l’appui d’une discrimination syndicales sont la suppression totale des heures supplémentaires en 2017 et la suppression des heures de nuit et du travail du dimanche ;

sur le harcèlement moral,

– il a subi une pression psychologique forte du fait des agissements délétères répétés de la société Martin BROWER consistant dans l’absence de réponse à ses courriers adressés en tant que délégué syndical pour la création d’un comité central d’entreprise, le prononcé d’une sanction disciplinaire en novembre 2016, le changement de ses conditions de travail, la modification de son contrat de travail sans son accord préalable pour lui faire subir une sanction pécuniaire avec la perte de primes (dimanche, nuit, …) qu’il percevait depuis de nombreuses années, une moquerie de Monsieur [N] au cours d’une réunion syndicale, une mise en demeure en mars 2017 de justifier de l’utilisation d’heures de délégation sans aucune raison objective, renouvelée en 2020.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 19 décembre 2019, la société MARTIN BROWER demande à la cour de :

– débouter Monsieur [X] des fins de son appel,

– confirmer purement et simplement le jugement entrepris, au besoin par substitution de motifs,

– condamner Monsieur [X] à lui payer la somme de 2 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner en outre aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl LEXAVOUE [Localité 2], sur justification d’en avoir fait l’avance.

La société intimée réplique que :

sur l’annulation de la sanction disciplinaire :

– le rappel à l’ordre notifié à Monsieur [X] ne constitue pas une sanction disciplinaire ;

– à tout le moins, la mesure employée était justifiée et proportionnée au regard de la négligence du salarié à l’origine de la panne du véhicule ;

sur la modification du contrat de travail :

– l’établissement des tournées, plannings et horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur ;

– la rémunération de base du salarié n’a pas été modifiée ;

sur le harcèlement moral,

– Monsieur [X] n’établit pas qu’elle ait pris en compte son activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière de conduite et de répartition du travail, alors même que la décision de le changer de tournée se justifie notamment par la formation d’un conducteur sur cette même tournée pendant ses congés ;

sur la discrimination,

– aucun agissement constitutif de discrimination ne peut donc être caractérisé à l’égard de Monsieur [X] que ce soit s’agissant de la date de prise de ses repos compensateurs, des heures supplémentaires, du positionnement sur son planning des jours de délégation, des interrogations relatives à l’utilisation de ses heures de délégation.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 6 février 2023, renvoyant la cause et les parties à l’audience des plaidoiries du 8 mars suivant.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d’annulation du rappel à l’ordre du 2 novembre 2016 :

Sur la nature du courrier du 2 novembre 2016 :

Selon l’article L. 1331-1 du code de travail ‘constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié, considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération’.

La notion de sanction disciplinaire suppose donc la prise en compte par l’employeur d’un fait fautif imputable au salarié (Soc., 28 janvier 1998) et la mesure adoptée affecte la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération (Soc., 27 fév. 1985).

Pour retenir le caractère d’une sanction disciplinaire, il convient de rechercher si l’employeur a entendu imputer des fautes au salarié et formuler des mises en garde ou injonctions.

En l’espèce, le courrier recommandé avec accusé de réception du 2 novembre 2016 est rédigé comme suit :

‘Monsieur,

Vous êtiez convoqué le lundi 03 octobre 2016 dans le cadre d’un entretien préalable à une sanction. Pour mémoire vous étiez convoqué initialement le mardi 30 août 2016 toutefois en raison de votre absence à cette date l’entretien n’a pu se tenir. À cette occasion vous avez eu la possibilité de vous expliquer sur les faits qui vous sont reprochés, à savoir :

Le 10 iuillet 2016 vous avez pris la tournée du restaurant Cagnes sur Mer / Restaurant Grand Ouest, sans avoir contrôlé le niveau d’AD BLUE du véhicule hybride immatriculé [Immatriculation 4] qui vous avait été affecté. Le véhicule est tombé en panne et un remorquage a été nécessaire.

Durant l’entretien vous avez indiqué que le dépanneur intervenu sur place aurait évoqué un problème électrique et non une panne liée au niveau d’AD BLUE.

Pour autant, vos explications n’ont pas modifié notre appréciation de la situation. En effet, les élèments dont nous disposons nous permettent de constater à l’inverse de ce que vous affirmez que la panne du véhicule ne résultait pas d’un probléme mécanique mais bien de l’absence d’AD BLUE dans le réservoir.

Nous vous racpelons que vous bénéficiez du temps nécessaire pour effectuer le check véhicule et que vous devez utiliser ce temps, qui vous est rémunéré, pour vérifier l’état de votre véhicule et signaler toute anomalie. Dans le cas présent, si vous aviez été attentif à votre check vous auriez constaté que les pleins n’avaient pas été effectués cela nous aurait évité le coût d’un dépannage. En effet, la panne n’étant pas d’origine mécanique mais liée à votre négligence, la garantie du véhicule ne couvre ni la réparation ni le remorquage et le devis s’élève à 1 208.27€.

Dans ces conditions nous sommes amenés à vous notifier un rappel à l’ordre’.

Ce courrier de ‘rappel à l’ordre’ constitue, ainsi que l’ont relevé les premiers juges à juste titre, une sanction disciplinaire au regard de la procédure adoptée (convocation à un ‘entretien préalable à une sanction’), de sa forme (écrit adressé par lettre recommandée avec accusé de réception) et de sa rédaction.

Monsieur [X] est donc fondé à solliciter l’annulation de cette sanction.

Sur la régularité de la procédure :

L’article L.1332-2 alinéa 4 du code du travail prévoit que ‘La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien’.

En cas de report de l’entretien préalable, il est jugé que le point de départ du délai d’un mois ne court à compter du second entretien préalable qu’à la condition que le report ait été sollicité par le salarié ou que l’employeur informé de ce que le salarié était dans l’impossibilité de se présenter, a reporté le rendez-vous.

En dehors de ces hypothèses, même si l’employeur juge nécessaire de convoquer le salarié à un second entretien préalable, la sanction doit être notifiée dans le mois qui suit la date du premier entretien.

En l’espèce, il est constant et rappelé dans le courrier de sanction que l’employeur a d’abord convoqué Monsieur [X] à un entretien préalable fixé au 30 août 2016 puis a reporté celui-ci en l’absence du salarié à l’entretien au 3 octobre 2016 et notifié le rappel à l’ordre, s’analysant en un avertissement, le 2 novembre 2016.

Il n’est pas justifié que le premier entretien préalable fixé au 30 août 2016 ait été reporté à la demande du salarié. Celui-ci constitue donc le point de départ du délai d’un mois de l’employeur pour sanctionner.

La cour constate par conséquent que la sanction disciplinaire a été notifiée plus d’un mois après le jour fixé par l’entretien préalable du 30 août 2016, soit le 2 novembre 2016.

Il convient par conséquent d’annuler la sanction du 2 novembre 2016. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Par voie d’infirmation, il convient d’octroyer à Monsieur [X] la somme globale de 1 000,00 euros en réparation du préjudice subi au titre de la sanction prononcée indument à son encontre.

Sur le changement des conditions de travail du salarié protégé sans son accord :

Une modification du contrat de travail ou un changement des conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et ce, quel que soit le motif de cette modification ou de ce changement.

Monsieur [X] expose qu’à son retour de congés d’été en 2016, la société MARTIN BROWER lui a soudainement modifié ses conditions de travail sans son accord. Il explique qu’alors qu’il effectuait depuis plusieurs années les mêmes trajets de livraison (livraison des restaurants Mac Donald’s situés à [Localité 5] et [Localité 3]) plusieurs fois par semaine en travaillant en partie de nuit (15h00-1h00) et le dimanche, son employeur l’a affecté sur de nouvelles tournées impliquant moins d’heures de nuit et aucune heure le dimanche, ce alors que sa précédente tournée existait toujours. Il explique avoir alerté sur ces points la société MARTIN BROWER par courrier du 24 octobre 2016.

Le salarié verse aux débats pour en justifier les pièces suivantes :

– son courrier en date du 24 octobre 2016 ayant pour objet ‘changement des conditions de travail et préjudice financier’ asressé à son employeyr et en copie à l’inspection du travail et aux différents syndicats de l’entreprise ;

– un ordre de mission relatif à un transport du 22 avril 2017 mentionnant un départ de la société MARTIN BROWER [Localité 2] à ’15h30″ pour des livraisons à [Localité 5] (’19h30″) et [Localité 3] (’21h00″) ;

– des bulletins de salaire de janvier et février 2016 mentionnant le paiement d’heures de nuit, d’heures le dimanche et d’heures supplémentaires :

– bulletin de salaire de janvier 2016 :

Heures Nuits 20% : 124,12 euros

H. Nuit Conduct. 5% : 41,52 euros

Hres Dimanche 100 : 327,59 euros

Heures sup. 125% : 231,23 euros

Heures sup. 150% : 328,08 euros

– bulletin de salaire de février 2016 :

Heures Nuits 20% : 119,30 euros

H. Nuit Conduct. 5% : 39,91 euros

Hres Dimanche 100 : 328,53 euros

Heures sup. 125% : 432,23 euros

Heures sup. 150% : 683,21 euros.

La société MARTIN BROWER FRANCE conteste tout changement des conditions de travail du salarié protégé. Elle expose que l’établissement des tournées, plannings et horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur et que le salarié, en qualité de conducteur, peut être affecté à différentes tournées sans avoir de droit acquis sur une tournée précise. Elle ajoute que sa rémunération de base n’a pas été modifiée pour son horaire annuel contractuel de 1 607,58 heures s’agissant du seul horaire liant les parties. Elle précise avoir répondu à Monsieur [X] dans un courrier du 31 octobre 2016 qu’il ne bénéficiait d’aucun privilège particulier consistant à lui réserver la tournée de son choix et/ou des horaires à sa convenance.

L’employeur ne conteste donc pas le changement des tournées du salarié après l’été 2016 et pointe l’absence d’évolution du salaire de base du salarié (qui n’intégre ni les majorations pour les dimanches travaillés, ni les heures de nuits ou les heures supplémentaires). Il est relevé toutefois que le jugement des premiers juges que la société demande à la cour de ‘confirmer purement et simplement’ ‘au besoin par substitution de motifs’ précise qu’il ‘fait état d’une baisse de rémunération en 2017 suite au changement de tournée, ne bénéficiant plus de certaines heures de nuit ni de celles majorées du dimanche, s’élevant à 316 € par mois et non 1.000 € par mois comme le soutient le salarié’, ce que rappelle le salarié dans ses conclusions (page 13).

Il sera donc retenu que la réorganisation des tournées du salarié protégé après l’été 2016, qui a eu un impact notable à la fois sur son rythme de travail et sa rémunération, constituait un changement de ses conditions de travail qui exigeait son accord préalable.

Monsieur [X] sollicite un rappel de salaire à hauteur de 23 520,00 euros au titre des heures de nuit et du dimanche non accomplies, calculé sur la base d’une perte de salaire qu’il estime à 490,00 euros par mois, soit 5 880,00 euros par an pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020. Il se réfère aux bulletins de salaire de janvier et février 2016 qu’il produit pour justifier de son manque à gagner suite au changement de ses conditions de travail.

Au regard des éléments parcellaires produits par le salarié et de la reconnaissance par l’employeur d’une perte de rémunération brute de 316,00 euros par mois en 2017, il y a lieu de fixer la perte de salaire de Monsieur [X] à la somme de 3 792,00 euros. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice subi à la suite des changements de condition de travail, et/ou modification du contrat de travail :

Monsieur [X] fait valoir que le travail régulier de nuit et du dimanche, en dehors de l’horaire collectif, sont des éléments contractuels de la relation de travail. Il considère dès lors que la suppression des heures de nuit et heures du dimanche constitue une modification de son contrat de travail. Il dit avoir subi un choc et un bouleversement dans sa vie professionnelle et, par suite, dans sa vie personnelle en apprenant qu’il allait une part importante de sa rémunération contractuelle.

Force est de constater que le salarié invoque les mêmes éléments à l’appui du changement des conditions de travail que de la modification du contrat de travail. Par ailleurs, il ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui occasionné par le retard de paiement des rappels de salaires accordés, lequel sera réparé par les intérêts de retard. Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution fautive du contrat de travail (changements des conditions de travail, et/ou modification du contrat de travail).

Sur l’existence d’un harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Monsieur [X] expose avoir subi une forte pression psychologique et des agissements répétés de la société MARTIN BROWER FRANCE en réaction aux revendications syndicales qu’il a portées en 2015 et 2016 avec le soutien notamment de l’inspection du travail.

Il fait état des faits suivants :

– l’absence totale de réponse aux courriers qu’il a adressés en qualité de délégué syndical en faveur de la création d’un comité central d’entreprise, ce qu’il considère comme une forme évidente de mépris et de pression psychologique et dit s’être senti totalement démuni ;

– le prononcé d’une sanction disciplinaire en novembre 2016 pour un fait qui était manifestement prescrit visant uniquement à exercer un peu plus une pression psychologique sur lui alors qu’il venait de perdre d’importants éléments de rémunération (heures supplémentaires, primes et majorations pour travail de nuit et du dimanche ;

– le changement de ses conditions de travail à son retour de congé en septembre 2016 sans son accord en qualité de salarié protégé, ni même information préalable ;

– la modification de ses éléments contractuels (travail dimanche, travail en soirée…) sans son accord préalable pour lui faire subir une sanction pécuniaire avec la perte de primes (dimanche, nuit, ‘) qu’il percevait depuis de nombreuses années ;

– une moquerie de Monsieur [N] au cours d’une réunion syndicale en répétant à plusieurs reprises que ‘Monsieur [X], de confession musulmane, était le représentant syndical des Chrétiens’ dans un contexte de négociation d’un protocole d’accord préélectoral qu’il a refusé de signer, à défaut d’avoir obtenu le respect de la mise en place d’un CCE ;

– une mise en demeure en mars 2017 de justifier de l’utilisation d’heures de délégation sans aucune raison objective, mais simplement pour exercer une pression qu’il dit avoir été le seul à subir ;

– une nouvelle demande d’explications en 2020 concernant l’utilisation d’heures de délégation alors qu’il avait apporté des explications entre temps, son avocat conseil ayant envoyé des courriers au DRH de la société MARTIN BROWER FRANCE auxquels l’employeur a refusé de répondre.

Monsieur [X] communique les pièces suivantes :

– un courrier avec accusé de réception daté du 18 mai 2015 ayant pour objet ‘reconnaissance d’établissements distincts et création d’un CCE’ qu’il a adressé à la société MARTIN BROWER FRANCE, avec copie à la ‘DIRECCTE du 91″ et aux ‘syndicats CFDT, CFE, CGC, CGT, FNCR’ aux termes duquel il indique en sa qualité de délégué syndical CFTC : ‘nous vous demandons, en application de l’Article L.2324-1, d’ouvrir des négociations en vue de la reconnaissance d’établissements distincts, et de la détermination des sièges pour le Comité central d’Entreprise’ ;

– un courrier avec accusé de réception daté du 4 novembre 2015 ayant pour objet ‘reconnaissance d’établissements distincts et création d’un CCE’ avec copie à la ‘DIRECCTE du 91, 13″ et aux ‘syndicats CFDT, CFE, CGC, CGT, FNCR’ aux termes duquel le délégué syndical CFTC relance la société concernant la création d’un Comité Central d’Entreprise ;

– un courrier du 4 janvier 2016 adressé à Monsieur [X] dans lequel l’inspection du travail dit avoir adressé un courrier à l’employeur suite à sa demande de création d’un comité central d’entreprise et sollicité un point sur cette question en rappelant les critères à retenir pour la mise en place d’un comité central d’entreprise et qu’une ‘inertie ou des manoeuvres dilatoires suite à une demande’ pouvaient être susceptibles de ‘constituer un délit d’entrave à la constitution de cette instance’ ;

– un courriel du 16 juin 2016 de Maître [I] au nom du syndicat CFTC et de Monsieur [X] délégué syndical adressé à la société MARTIN BROWER FRANCE indiquant intervenir suite à son inertie concernant la mise en place d’un comité d’établissement à [Localité 2] ;

– un courrier en date du 24 octobre 2016 qu’il a adressé à la société MARTIN BROWER FRANCE, avec copie à l’inspection du travail et aux syndicats de l’entreprise, ayant pour objet ‘changement des conditions de travail et préjudice financier’ ;

– un courrier du 31 octobre 2016 de la société MARTIN BROWER FRANCE de réponse au courrier du salarié du 24 octobre 2016 indiquant notamment : ‘D’une part nous sommes étonnés par votre propos selon lequel vos conditions de travail auraient été modifiées.

Nous vous renvoyons à votre échange du 7 octobre 2016 avec votre hiérarchie, échange au cours duquel vote planning a été évoqué.

Il semble également nécessaire de vous rappeler que vous occupez un emploi de conducteur au sein de notre entreprise et qu’à ce titre vous êtes appelé à remplir vos missions à l’identique des autres salariés. Vous ne bénéficiez par conséquent d’aucun privilège particulier qui consisterait à vous réserver la tournée de votre choix et/ou des horaires à votre seule convenance.

Si nous mettons tout en ‘uvre pour favoriser les demandes de nos salariés, nous ne pouvons vous garantir uné affectation et un planning que vous auriez déterminé en fonction de vos besoins personnels.

D’autre part nous vous rappelons que la tournée que vous revendiquez a été confiée au conducteur qui assurera les livraisons durant la période pendant laquelle vous bénéficierez de vos récupérations. Il est en effet nécessaire que nous puissions accompagner et préparer votre collègue sur cette tournée puisqu’il ne la connait pas.

Par ailleurs je vous rappelle que vous avez déjà engagé deux actions devant le Conseil de prud’hommes au motif que l’entreprise ne vous fournit pas suffisamment d’heures de travail malgré un compteur d’heures supplémentaires qui a atteint systématiquement dés les premiers mois son plafond de 250 heures annuelles.

Nous n’entendons pas reprendre les discussions sur ce point et vous renvoyons à la décision de justice qui interviendra prochainement,

En revanche je relève à cette occasion vos propos tenus auprès de votre hiérarchie selon lesquels vous allez ‘pourrir notre planning’ avec vos heures de délégation et constate avec stupéfaction que vous avez mis à exécution ces menaces. Cette situation est trés grave et particulièrement préoccupante’ ;

– un courrier en date du 2 novembre 2016 de la société MARTIN BROWER FRANCE lui notifiant un rappel à l’ordre ;

– ses bulletins de salaire de janvier et février 2026 ;

– un document appelé ‘Bilan social individuel édition 2019″ mentionnant l’évolution de salaire annuel brut sur les années 2016 à 2019 (2016 : 42 179 € ; 2017 : non lisible ; 2018 : 38 393 € ; 2019 : 42 443 €).

Le salarié se réfère sinon à des pièces n° 22, 23, 24, 25, 26, 27 non produites en cause d’appel (bulletin de salaire du mois de décembre 2016 ; attestation de salariés sur les propos tenus par Monsieur [N] ; courrier en date du 8 mars 2017 de la société MARTIN BROWER FRANCE de demande d’explication sur l’utilisation d’heures de délégation syndicale ; courrier de la société MARTIN BROWER FRANCE de demande d’explication sur l’utilisation d’heures de délégation syndicale ; courrier de son conseil ; courrier de relance de son conseil).

S’agissant du rappel à l’ordre du 2 novembre 2016, il a été analysé en une sanction disciplinaire et annulé aux termes des développements précédents eu égard à sa notification en dehors des délais légaux. S’agissant de son bien-fondé, l’employeur, qui doit fournir au juge les éléments qu’il a retenus pour prendre la sanction, ne produit aux débats aucune pièce à l’appui de cette sanction.

Au regard de ces éléments, Monsieur [X] n’établit pas la matérialité des faits invoqués relatifs aux demandes d’explications sur l’utilisation de ses heures de délégation syndicale, à une moquerie dirigée contre lui lors d’une réunion syndicale.

Par contre, il établit la matérialité de faits précis s’agissant des courriers sans réponses à la demande de création de comité central d’entreprise, de la notification d’une sanction disciplinaire prescrite et non fondée et du changement de ses conditions de travail sans son accord.

Ces éléments précis et concordants, pris ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sein de l’entreprise à l’égard de Monsieur [X].

Et en réponse, l’employeur ne fournit aucun élément de nature à justifier objectivement les faits ainsi établis puisqu’il ne produit aucune pièce en cause d’appel.

Il résulte de l’ensemble de ces circonstances que des faits de harcèlement moral du dernier trimestre 2016 à fin 2017 sont démontrés.

Il convient dès lors d’infirmer le jugement entrepris qui a débouté Monsieur [X] de sa demande de reconnaissance du harcèlement moral et de condamner la société MARTIN BROWER FRANCE à lui verser, compte tenu des circonstances du harcèlement et de sa durée (un peut plus d’une année) une somme de 5 000,00 euros en réparation du préjudice subi.

Sur l’existence d’une discrimination syndicale :

En application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de ses activités syndicales.

L’article L.1134-1 du code du travail dispose qu’en cas de survenance d’un litige au sujet d’une discrimination invoquée par un salarié, celui-ci doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, les éléments apportés par le salarié devant être examinés dans leur ensemble, et il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

A l’appui d’une discrimination syndicale, Monsieur [X] invoque les éléments suivants :

– la suppression totale de toute heure supplémentaire en 2017 ;

– la suppression des heures de nuit et du travail du dimanche.

Il se réfère s’agissant de la suppression totale des heures supplémentaires en 2017 aux termes de ses écritures à son bulletin de salaire du mois de décembre 2017, pièce non produite dans le cadre de l’appel (cf. Bordereau de pièces de l’appelant).

Il résulte cependant des développements précédents qu’il a été justifié d’une baisse de rémunération brute du salarié protégé à hauteur de 316,00 euros par mois en 2017 suite au changement de ses conditions de travail après l’été 2016.

Au regard de ces éléments, le salarié présente des éléments de fait précis laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale.

L’employeur répond que si le salarié n’a accompli aucune heure supplémentaire en 2017, contrairement aux années 2015, 2016 et 2018 , l’accomplissement d’heures supplémentaires n’est pas un droit pour le salarié, même protégé.

La société, qui ne verse aux débats aucune pièce en cause d’appel, ne justifie donc pas par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination la suppression en 2017 de toute heure supplémentaire pour le salarié dont il n’est pas contesté qu’il en effectuait régulièrement (cf. courrier de l’employeur du 31 octobre 2016) et la diminution de sa rémunération brute eu égard à la suppression d’heures de nuit et le dimanche.

En considération des éléments du dossier, le conseil dispose des éléments suffisants pour fixer à la somme de 5 000,00 euros le montant de la réparation du préjudice subi par Monsieur [X] au titre de la discrimination syndicale. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

En l’espèce, faute d’indication, dans les dossiers fournis par les parties et dans celui envoyé par le conseil des prud’hommes, de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation, les créances salariales objets de la demande initiale ont été connus de l’intimée lors de la tentative de conciliation du 2 février 2017, qui est donc, pour ces créances, la date de départ des intérêts légaux.

Il y a lieu d’infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner la société MARTIN BROWER FRANCE aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Monsieur [X] la somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.

La demande de la société MARTIN BROWER FRANCE fondée sur ce texte est rejetée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [J] [X] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution fautive du contrat de travail (changements de condition de travail, et/ou modification du contrat de travail),

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

ANNULE la sanction disciplinaire notifiée à Monsieur [J] [X] par courrier du 2 novembre 2016,

DIT que Monsieur [J] [X] a été victime de harcèlement moral et de discrimination syndicale de la part de la société MARTIN BROWER FRANCE,

CONDAMNE la société MARTIN BROWER FRANCE à payer à Monsieur [J] [X] les sommes suivantes :

– 1 000,00 euros de dommages et intérêts au titre de la sanction disciplinaire annulée,

– 3 792,00 euros de rappel de salaire au titre des heures de nuit et du dimanche non accomplies,

– 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

DIT que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter du 2 février 2017 et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

CONDAMNE la société MARTIN BROWER FRANCE aux dépens de première instance et d’appel,

CONDAMNE la société MARTIN BROWER FRANCE à payer à Monsieur [J] [X] la somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

DEBOUTE la société MARTIN BROWER FRANCE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

 


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