Tentative de conciliation : 4 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02356

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Tentative de conciliation : 4 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02356
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MHD/LD

ARRET N° 236

N° RG 21/02356

N° Portalis DBV5-V-B7F-GKX6

[C]

C/

S.A.S. VM DISTRIBUTION

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 04 MAI 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 juillet 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHE-SUR-YON

APPELANTE :

Madame [W] [C]

née le 22 Avril 1975 à [Localité 4] (14)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON – YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS

Et ayant pour avocat plaidant Me Gilles TESSON de la SELARL GILLES TESSON AVOCAT, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

INTIMÉE :

S.A.S. VM DISTRIBUTION

N° SIRET : 337 587 422

[Adresse 6]

[Localité 2]

Ayant pour avocat plaidant Me Servane JULLIE, substituée par Me Marie-Laure QUIVAUX, toutes deux de la SELARL CAPSTAN OUEST, avocats au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, devant :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Damien LEYMONIS

GREFFIER, lors de la mise à disposition : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société VM Distribution exerce notamment une activité de négoce de matériaux de construction et de produits pour l’aménagement de l’habitat, relève de la convention collective du négoce de matériaux de construction et appartient au groupe Herige.

La société VM Distribution emploie environ 1 100 salariés répartis dans ses points de vente parmi lesquels l’agence de [Localité 5] (85).

Mme [W] [C], née en 1975, a été engagée par la société VM Distribution en qualité d’employée administrative et commerciale aux termes d’un contrat à durée déterminée du 11 février 2016, renouvelé le 12 août 2016 et poursuivi en contrat à durée indéterminée à compter du 13 août 2016 avec reprise d’ancienneté. Mme [C] relevait alors du coefficient 170, niveau II échelon A, catégorie Etam.

Mme [C] avait pour supérieur hiérarchique M. [K] [V], directeur du point de vente de [Localité 5] à partir de septembre 2016, lui-même placé sous la responsabilité de M. [H] directeur de secteur et de Mme [B] directrice commerciale.

Le 16 janvier 2018 M. [H], en visite dans l’agence de [Localité 5], a été informé par Mme [C] d’une agression sexuelle commise à son encontre par M. [V] le 12 janvier 2018 et ayant justifié un dépôt de plainte par la salariée le 15 janvier 2018.

Le 16 janvier 2018, à l’issue d’un entretien tenu entre Mme [C], M. [H] et Mme [B], la salariée a dénoncé les faits d’agression sexuelle par lettre recommandée avec accusé réception adressée à M. [A], directeur des ressources humaines. Une enquête interne a été diligentée, plusieurs salariés dont la plaignante et M. [V] étant convoqués pour le 23 janvier 2018 devant une commission composée de M. [A], d’un membre du Chsct et de Mme [O] juriste en droit social de la société. Mme [C] n’a pas comparu.

Le 19 janvier 2018 le médecin du travail a orienté Mme [C] vers un psychologue du travail et son médecin traitant a formalisé une déclaration d’accident de travail survenu le 12 janvier 2018 avec Itt de 8 jours et a prescrit un arrêt de travail jusqu’au 26 janvier 2018. Mme [C] a ensuite repris son poste.

M. [V], en arrêt de travail depuis le 12 janvier 2018 en raison d’un accident de la circulation routière survenu en fin d’après midi alors qu’il débauchait, a été convoqué à un entretien préalable fixé le 14 février 2018 puis a été licencié pour faute grave le 20 février 2018.

Le 24 mai 2018 le médecin du travail a déclaré Mme [C] temporairement inapte. La salariée a alors été placée en arrêt de travail régulièrement renouvelé, puis a été déclarée inapte le 29 juin 2021, le médecin du travail considérant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement. Mme [C] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 12 juillet 2021, auquel elle n’a pas comparu, puis a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec accusé réception du 25 juillet 2021.

Dans l’intervalle, selon décision du 14 août 2018 la caisse primaire d’assurance maladie de la Vendée a reconnu la réalité de l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018.

Le 12 juillet 2019 Mme [C] a saisi le conseil de prud’hommes de La Roche-Sur-Yon aux fins d’obtenir l’indemnisation de plusieurs manquements de l’employeur et le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail avec toutes conséquences de droit.

Le 20 décembre 2019 Mme [C] a saisi la caisse primaire d’assurance maladie de la Vendée puis après échec de la tentative de conciliation elle a saisi le 9 juin 2021 le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur avec toutes conséquences de droit.

Par jugement du 13 janvier 2020 désormais définitif, le tribunal correctionnel de La Roche-Sur-Yon, statuant sur la plainte déposée par Mme [C] le 15 janvier 2018, a déclaré M. [V] coupable des faits d’atteinte sexuelle commis le 12 janvier 2018 entre 16h45 et 17h sur Mme [C], pour avoir caressé ses parties intimes en lui maintenant le bras et en l’empêchant de sortir du local professionnel. M. [V] a été condamné à la peine de 8 mois d’emprisonnement assorti du sursis avec mise à l’épreuve, le délai d’épreuve étant fixé à 18 mois avec 9 obligations de suivi dont une obligations de soins. M. [V] a été reconnu intégralement responsable du préjudice subi par Mme [C] et par la caisse primaire d’assurance maladie de la Vendée dont les constitutions de partie civile ont été jugées recevables. M. [V] a été ensuite condamné à payer à la caisse primaire d’assurance maladie de la Vendée la somme provisoire de 22 279,23 euros au titre des prestations versées outre intérêts de droit ainsi que la somme définitive de 1 080,80 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion et celle de 200 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Par jugement du 1er juillet 2021 le conseil de prud’hommes de La Roche-Sur-Yon notamment :

* s’est déclaré incompétent sur la demande de réparation des préjudices relatifs aux conséquences d’un accident du travail déclaré par Mme [C], cette demande relevant matériellement du pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon, les parties étant invitées en conséquence à mieux se pourvoir,

* débouté Mme [C] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et en conséquence de l’ensemble de ses demandes,

* débouté la société VM Distribution de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné Mme [C] aux entiers dépens.

Vu l’appel régulièrement interjeté par Mme [C] ;

Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 6 février 2023 aux termes desquelles Mme [C] demande notamment à la cour d’infirmer la décision déférée et statuant à nouveau de :

* rejeter l’exception d’incompétence,

* juger que Mme [C] a été victime de déloyautés, fautes, actes sexistes, harcèlement moral et harcèlement sexuel et condamner la société VM Distribution à lui payer la somme nette de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* juger que la société VM Distribution n’a pas respecté ses obligations en matière de prévention des harcèlements et des risques professionnels et la condamner à lui payer la somme nette de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* prononcer en conséquence la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur du contrat travail, cette rupture produisant les effets d’un licenciement nul ou subsidiairement d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, juger que le régime des accidents de travail doit s’appliquer à cette rupture et condamner en conséquence la société VM Distribution, après avoir fixé le salaire de référence à 1 631,25 euros brut, à lui payer les sommes de :

– 3 265,50 euros net au titre de l’indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis,

– 4 600 euros net au titre de l’indemnité légale de licenciement doublée,

– 30 000 euros net au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en écartant le régime du barème prévu par l’article L 1235-3 du code du travail ou subsidiairement 8 156,25 euros net à titre de dommages et intérêts en retenant ce barème outre 21 843,75 euros net au titre des préjudices spécifiques d’espèce supportés par l’appelante et sa famille,

– 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en première instance et 2 000 euros pour ceux engagés en cause d’appel,

* ordonner à la société VM Distribution de lui remettre ses bulletins de salaire, son certificat de travail et l’attestation Pôle Emploi sous astreinte de 75 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours après le prononcé de l’arrêt,

* dire y avoir lieu aux intérêts de droit à compter du 12 janvier 2018, jour de l’agression, et ordonner l’application de l’article 1343-2 du code civil ;

Vu les dernières conclusions transmises au greffe de la cour le 2 mars 2023 aux termes desquelles la société VM Distribution demande notamment à la cour de révoquer l’ordonnance de clôture et déclarer ses conclusions recevables, de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, de débouter Mme [C] du surplus de ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 7 février 2023 ;

Vu la révocation de l’ordonnance de clôture, sur accord des parties et avant l’ouverture des débats, une nouvelle ordonnance de clôture étant décidée par mention au dossier avant l’ouverture des débats ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées. La cour ajoute que, par jugement en date du 1er juillet 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon a notamment jugé que l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018 et dont Mme [C] avait été victime était dû à la faute inexcusable de la société VM Distribution, ordonné une expertise médicale, alloué à Mme [C] une indemnité provisionnelle de 5 000 euros, dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Vendée devrait faire l’avance des sommes allouées à la victime et des frais d’expertise et pourrait en récupérer le montant auprès de la société VM Distribution, ordonné l’exécution provisoire et sursis à statuer sur l’indemnisation des préjudices de la victime. La société VM Distribution a interjeté appel de cette décision qui n’est donc pas définitive.

SUR CE

Sur l’exception d’incompétence :

Les premiers juges ont, par des motifs sommaires, satisfait l’exception d’incompétence soulevée par la société VM Distribution en retenant que la demande de Mme [C] visait la réparation des conséquences d’un accident du travail déclaré et qu’ainsi ses prétentions relevaient du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon d’ailleurs déjà saisi par la salariée.

Mme [C] demande à la cour d’infirmer cette appréciation alors que la société VM Distribution conclut à sa confirmation.

Il est constant que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relevait de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale et relève désormais du pôle social du tribunal judiciaire, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien fondé de la rupture du contrat de travail ou pour prononcer une résiliation judiciaire du contrat de travail et pour allouer le cas échéant des indemnités de rupture et une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs le licenciement pour inaptitude est jugé sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur.

De même il est constant que la législation en matière d’accident du travail et maladie professionnelle ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages-intérêts réparant le préjudice causé par le harcèlement moral dont un salarié a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail.

En l’espèce Mme [C] prétend à l’indemnisation, d’une part, des déloyautés, fautes, actes sexistes, harcèlement moral et harcèlement sexuel dont elle soutient avoir été victime, et, d’autre part, du manquement de la société VM Distribution dans le respect de ses obligations en matière de prévention des harcèlements et des risques professionnels. Mme [C] sollicite également la résiliation judiciaire de son contrat de travail compte tenu de l’ensemble des manquements précités de la société VM Distribution et demande à la cour de lui faire produire les effets d’un licenciement nul en l’état des harcèlements subis et subsidiairement les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société VM Distribution admet expressément le droit de Mme [C] à saisir la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, même si la salariée a engagé une procédure de reconnaissance de faute inexcusable devant le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon. En revanche, au visa notamment de l’article L 451-1 et des articles L 452-2 et -3 du code de la sécurité sociale, l’employeur affirme que Mme [C] demande devant la juridiction prud’homale la réparation des préjudices consécutifs à l’accident du travail puisque les faits dont elle se prévaut pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur sont les mêmes que ceux invoqués devant la cour à savoir des agissements de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, une exécution déloyale du contrat de travail et un manquement à l’obligation de prévention des risques professionnels.

L’accident du travail survenu le 12 janvier 2018 concerne une atteinte sexuelle subie par Mme [C] et commise par M. [V]. La cour rappelle que l’intéressé en a été définitivement reconnu coupable par jugement du tribunal correctionnel de La Roche-Sur-Yon en date du 13 janvier 2020.

Par requête du 20 décembre 2019 Mme [C] a saisi la caisse primaire d’assurance maladie de Vendée d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société VM Distribution en exposant qu’après avoir subi courant 2017 ‘un humour graveleux, des propos sexistes et un harcèlement sexuel de la part de M. [V], elle avait été agressée sexuellement par ce dernier le 12 janvier 2018″, qu’elle avait déposé plainte le 15 janvier et dénoncé les faits à son employeur le 16 janvier, qu’une enquête interne avait été diligentée, que l’entreprise ne lui avait apporté qu’un faible soutien, négligeant même de transmettre à la caisse primaire d’assurance maladie la déclaration d’accident de travail formalisée par son médecin traitant le 19 janvier 2018, que le 24 mai 2018 le médecin du travail avait constaté son inaptitude temporaire et qu’elle avait ensuite été placée en arrêt de travail par son médecin traitant sans être en mesure de reprendre son poste, que le 14 août 2018 la caisse primaire d’assurance maladie avait reconnu l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018, que la société VM Distribution avait tardé à prévenir les actes de harcèlement sexuel et de harcèlement moral et à déployer un dispositif d’alerte interne, que sa vie professionnelle, personnelle et intime avait été et restait bouleversée. A ce stade Mme [C] exposait être toujours en arrêt de travail et sollicitait la réparation des préjudices subis qu’une expertise médicale pourrait évaluer et qu’elle estimait alors à 50 000 euros.

Le jugement en date du 1er juillet 2022 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon, et non définitif à ce jour car frappé d’appel, a reconnu la faute inexcusable de la société VM Distribution. Les motifs développés ont retenu que l’employeur avait conscience du danger que représentait pour son personnel le harcèlement sexuel, d’une part, en raison du contexte médiatique (dont le mouvement # Me too), de la sensibilisation portée par la médecine du travail, des notes d’ailleurs diffusées dans l’entreprise le 26 août 2014 et le 30 juin 2017 et relatives à la prévention des actes de harcèlement sexuel, d’autre part, en raison du comportement déplacé de M. [V] à l’égard de Mme [C] antérieurement à l’agression du 12 janvier 2018 et caractérisé par des gestes, comportements et propos sexistes remarqués par des collègues de la salariée, parmi lesquels Mme [L] et M. [P], alors même que M. [V] s’était présenté à ses subordonnés comme le seul interlocuteur à saisir en cas de harcèlement sexuel, enfin, en raison aussi de la consommation d’alcool dans l’entreprise, les agents commerciaux mais aussi M. [V] revenant souvent dans l’agence en étant alcoolisés, ce que la direction ne pouvait ignorer, le règlement intérieur ayant été modifié sur ce point seulement après la plainte de Mme [C].

Les juges du pôle social en ont conclu que la société VM Distribution n’avait pas délivré à son personnel une information et une formation suffisantes sur le comportement à adopter en cas de harcèlement ou d’agression sexuelle et qu’elle avait toléré la consommation excessive d’alcool sur le lieu de travail ce qui caractérisait ses manquements constitutifs de la faute inexcusable, compte tenu de la conscience du danger.

En revanche les juges du pôle social ont expressément énoncé dans leur motivation que ni les conditions dans lesquelles avait été gérée la dénonciation par Mme [C] des faits dont elle avait été victime ni la réaction adoptée par la société VM Distribution ne pouvaient être prises en compte au titre des manquements constitutifs de la faute inexcusable puisqu’il s’agissait d’éléments postérieurs à la faute alléguée.

Le jugement du pôle social a ordonné une expertise afin de recueillir tous éléments permettant d’apprécier les préjudices de la victime énumérés par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale et, rappelant la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, a listé les préjudices indemnisables en cas de faute inexcusable de l’employeur, parmi lesquels les souffrances morales et physiques endurées et l’incidence professionnelle.

Aucune des parties ne sollicite de sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel saisie du jugement du pôle social.

Même si cette décision du pôle social n’est pas définitive les griefs articulés par Mme [C] contre la société VM Distribution et fondant ses demandes indemnitaires dans le présent litige ne concernent pas exclusivement les manquements constitutifs de la faute inexcusable de l’employeur tels que soutenus par la salariée devant le pôle social.

En effet Mme [C] argue également, d’une part, d’un harcèlement sexuel et d’un harcèlement moral et, d’autre part, de l’exécution déloyale du contrat de travail en raison de l’attitude de l’employeur postérieurement à l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018. Ces manquements autres que ceux susceptibles de constituer la faute inexcusable ont, selon Mme [C], provoqué des préjudices dont elle soutient qu’ils sont distincts de ceux indemnisés ou indemnisables par la juridiction de sécurité sociale, ce que la cour doit vérifier avant de se prononcer sur l’exception d’incompétence soulevée.

Sur les déloyautés, les actes sexistes, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel :

Mme [C] soutient avoir été victime de déloyautés voire de harcèlement moral de la part de la société VM Distribution et d’actes sexistes, d’agissements de harcèlement moral et de harcèlement sexuel de la part de M. [V] engageant la responsabilité de son employeur. Elle prétend que ces faits lui ont occasionné un profond traumatisme dont elle sollicite l’indemnisation à hauteur de 15 000 euros. La société VM Distribution résiste à cette prétention.

La société VM Distribution rappelle exactement que Mme [C] ne peut prétendre, devant la juridiction prud’homale, à l’indemnisation des préjudices consécutifs à la faute inexcusable de l’employeur. La cour se réfère aux motifs déjà développés au titre de l’exception d’incompétence et les reprend pour exclure l’examen des griefs afférents au déroulement de l’agression sexuelle du 12 janvier 2018 et à l’absence ou à l’insuffisance de mesures de prévention, d’information et de formation du personnel sur le harcèlement sexuel ayant abouti à cette agression.

En revanche Mme [C] peut exciper des agissements de M. [V], attitudes, gestes, propos et sms dont ont été témoins Mme [L] et M. [P], collègues de Mme [C], pour se prévaloir d’un harcèlement moral et harcèlement sexuel et en solliciter l’indemnisation spécifique, distincte des conséquences de l’accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur.

De même Mme [C] peut critiquer la réaction de la société VM Distribution à sa dénonciation de l’agression, l’analyser comme une exécution déloyale du contrat de travail et un harcèlement moral et en solliciter l’indemnisation spécifique, distincte des conséquences de l’accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur.

Mme [C] invoque divers préjudices dont elle sollicite l’indemnisation à hauteur de 15 000 euros en faisant valoir des éléments médicaux, une hausse importante de sa consommation électrique et de chauffage, le dépassement de son forfait kilométrique pour son véhicule électrique, l’impossibilité de faire un projet de renégociation, l’irrégularité du suivi administratif de son cas et la nécessité d’une aide financière importante.

Aux termes des articles L 1152-1 et L 1152-2 du code du travail le harcèlement moral d’un salarié se définit par des agissements répétés, ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l’article L 1153-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir de faits :

– soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés, qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou qui créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante,

– soit assimilés au harcèlement sexuel et consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou d’un tiers.

En application de l’article L 1154-1 du même code, en cas de litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, il incombe au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

L’article L 1152-3 du code du travail ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissances des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 est nulle de même que toute disposition ou tout acte contraire à ces articles.

En l’espèce, Mme [C] argue de propos sexistes, d’un harcèlement moral et d’un harcèlement sexuel subis de la part de M. [V].

Mme [C] produit les attestations de Mme [L] et de M. [P], aux termes desquelles la salariée leur avait confié depuis mai/juin 2017 subir des propositions à connotation sexuelle de la part de M. [V] au point d’appréhender de se retrouver seule avec lui. Mme [L] témoigne en outre avoir vu et entendu M. [V] faire des blagues à caractère sexuel envers Mme [C] et lui adresser des messages et des avances que sa collègue refusait sans pourtant parvenir à freiner son insistance. Mme [C] communique également le questionnaire d’enquête interne renseigné par Mme [L] laquelle mentionne que de manière récurrente, plusieurs fois par semaine, M. [V] faisait des sous-entendus sexistes à l’encontre de Mme [C] par exemple en lui disant si elle mangeait des chocolats ‘tu aimes avoir des boules dans la bouche ”. Mme [L] ajoute que M. [V] envoyait à Mme [C] des sms sur son téléphone portable, même pour lui donner des consignes professionnelles ce qu’il ne faisait pas avec les autres salariées.

Les deux témoins soulignent que M. [V] ne se sentait pas concerné par les notes diffusées par la direction au sujet du harcèlement sexuel et ne respectait pas plus l’interdiction d’utiliser son téléphone portable personnel durant les heures de travail et qu’il harcelait par ce moyen Mme [C].

Mme [C] s’appuie également sur deux attestations de son mari qui rapporte les confidences faites par sa femme au sujet du comportement de M. [V], celle-ci, au-delà du récit des faits du 12 janvier 2018, s’étant plainte que son supérieur hiérarchique persistait à l’appeler ‘la blonde’ et à lui tenir des propos à connotation sexuelle tels ‘un petit service mérite bien une petite pipe’. Le témoin décrit également les réactions angoissées de sa femme depuis les faits et les perturbations affectant leur vie sexuelle et familiale.

Mme [C] communique par ailleurs les Sms adressés par M. [V] entre le 12 et le 16 janvier 2018, celui du 12 janvier 2018 à 17 h 11, soit immédiatement après l’agression, énonçant ‘dsl mais je t’aime bien’ et les messages suivants insistant pour que Mme [C] rappelle M. [V].

Mme [C] verse aux débats le jugement du tribunal correctionnel de La Roche-Sur-Yon en date du 13 janvier 2020 et désormais définitif aux termes duquel M. [V] a été reconnu coupable des faits d’agression sexuelle commis

sur la salariée le 12 janvier 2018 entre 16h45 et 17h, les motifs développés dans cette décision qualifiant les explications du prévenu de ‘très embrouillées’, puisque M. [V] contestait les faits mais admettait avoir été alcoolisé au moment des faits reprochés, avoir l’habitude d’appeler Mme [C] ‘la blonde’, ‘pour la chambrer’ et restait dans l’incapacité d’expliquer pourquoi il s’était trouvé avec sa collègue dans le local des archives très exigu soit disant pour y ranger une facture en fin d’après-midi.

Enfin Mme [C] justifie de la dégradation de son état de santé, physique et morale, consécutive au comportement de M. [V] et à l’agression subie le 12 janvier 2018.

Ainsi Mme [C] établit la réalité de propos sexistes et présente des faits laissant supposer le harcèlement sexuel commis par M. [V] mais ne laissant pas supposer un harcèlement moral commis par M. [V].

La société VM Distribution échoue à combattre cette supposition.

En effet la propre réponse de M. [V] au questionnaire remis au cours de l’enquête interne a banalisé totalement les comportements adoptés avec Mme [C], le mis en cause reconnaissant ‘des blagues au-dessous de la ceinture, comme dans le milieu du bâtiment’ et ajoutant ‘je la chambre, c’est amical’, ‘pour l’ambiance, c’est de la taquinerie’ outre, dans la partie commentaire libre ‘elle m’a confié avoir été victime de harcèlement sexuel dans un ancien poste et aimer fréquenter des clubs libertins’ ce qui visait à discréditer la victime pour s’exonérer de ses propres comportements.

De même la synthèse de l’enquête interne a conclu à des propos maladroits tenus régulièrement par M. [V] avec ses collaborateurs et plus particulièrement à des propos grossiers à connotation sexuelle envers Mme [C], M. [V] recherchant selon les autres personnes entendues la proximité avec Mme [C] alors que celle-ci se plaignait de son attitude trop ‘collante’.

La société VM Distribution est défaillante à produire d’autres éléments.

En conséquence de ces motifs la cour juge que Mme [C] a subi des propos sexistes et un harcèlement sexuel de la part de M. [V], agissements engageant la responsabilité de la société VM Distribution en sa qualité d’employeur. Compte tenu des pièces versées aux débats la cour s’estime suffisamment informée pour apprécier à 3 000 euros l’indemnisation intégrale du préjudice ainsi subi par la salariée.

La cour réforme la décision déférée en ce sens.

S’agissant de la réaction de l’employeur à partir du 16 janvier 2018, de la déloyauté contractuelle, et du harcèlement moral commis par l’employeur, Mme [C] reproche à la société VM Distribution :

– une bienveillance inappropriée envers M. [V], en l’état d’un comportement trop amical de M. [H] à l’égard de ce salarié et d’une mansuétude habituelle de la société vis-à-vis des harceleurs,

– la communication à M. [V] de sa plainte sans son accord alors qu’il s’agissait d’un document confidentiel,

– l’organisation d’une réunion mensuelle le 31 janvier 2018 soit un mercredi après-midi jour de congé de Mme [C], l’employeur y ayant de surcroît mis en doute les accusations de la salariée en soulignant ne pas pouvoir faire la lumière sur la véracité ou non des faits,

– le déroulement d’une enquête interne déloyale à son encontre, notamment par le refus de laisser la déléguée syndicale Mme [D] l’assister le 16 et le 31 janvier 2018 et la synthèse de l’enquête ayant déterminé

le Chsct réuni le 6 février 2018 à conclure à l’absence de danger grave et imminent,

– des déclarations des représentants de l’entreprise le 26 février 2018 indélicates, déplacées et déloyales à son encontre,

– l’insuffisance des mesures accompagnement et d’assistance psychologique, seulement cinq séances ayant été prises en charge alors qu’au moins 25 au coût de 45 euros chacune avaient été nécessaires,

– l’absence de précaution pour éviter tout contact entre M. [V] et Mme [C],

– la déclaration à la caisse primaire d’assurance maladie le 30 mai 2018 seulement de l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018 en dépit d’un certificat médical établi le 19 janvier 2018 et d’un arrêt de travail persistant,

– une méconnaissance de ses droits durant son arrêt de travail, faute d’information suffisante sur la prévoyance, les chèques cadeaux, et compte tenu de difficultés de suivi administratif,

– la dégradation de son état de santé ayant abouti à son inaptitude puis son licenciement.

Mme [D] atteste avoir constaté le 16 janvier 2018 le mal être de Mme [C] laquelle lui a confié avoir été victime d’une agression commise par M. [V]. Mme [D] précise avoir informé la salariée qu’en sa qualité de déléguée syndicale elle pouvait l’assister, qu’au moment d’être entendue par M. [H] et Mme [B] Mme [C] était ‘en état de panique’, mais que son assistance lui a été refusée.

Mme [C] admet que dès le 17 janvier 2018 Mme [Z], chargée du développement RH, l’a informée de la création d’une ligne d’écoute psychologique mise en place pour une durée d’un mois et accessible 24/24. Elle ajoute avoir été contactée ensuite par les services concernés (Icas) et avoir appris que le contrat passé avec la société VM Distribution prévoyait un accompagnement à court terme à raison de cinq séances ce qui correspond selon elle à une mesure insuffisante.

Mme [C] critique le déroulement de l’enquête interne, produit les questionnaires remis à ses collègues, différents de celui lui ayant été remis, ainsi que les procès verbaux de la réunion tenue le 31 janvier 2018, du Chsct réuni le 6 février 2018, des propos tenus par Mme [B] le 26 février 2018. Mme [C] considère, en analysant les énonciations de ces documents, que l’employeur y mettait en doute la gravité des faits et de son traumatisme.

Mme [C] produit la lettre recommandée avec accusé réception adressée le 13 juin 2018 à M. [H] pour protester de la gestion de sa situation et des motifs de licenciement de M. [V].

Enfin Mme [C] produit des pièces médicales accréditant qu’elle a présenté un syndrome anxieux réactionnel important et persistant après les faits du 12 janvier 2018. Elle justifie avoir été placée en arrêt de travail à partir du 24 mai 2018, avoir été déclarée inapte le 29 juin 2021 sans avoir repris son poste et le médecin du travail concluant à l’impossibilité de reclassement. Elle soutient avoir ainsi subi une dégradation importante de son état de santé ayant abouti à son licenciement le 23 juillet 2021.

Mme [C] présente ainsi des faits laissant supposer d’un harcèlement moral.

En réponse, la société VM Distribution soutient tout d’abord exactement que Mme [C] n’a émis aucune doléance à l’encontre de M. [V] auprès des représentants de la société avant le 16 janvier 2018 et qu’informée des faits commis le 12 janvier 2016 la réaction de l’employeur a été immédiate et adaptée.

La société VM Distribution objecte ensuite exactement que dans le cadre d’un entretien informel comme celui du 16 janvier 2018 l’employeur n’était pas tenu de satisfaire la demande d’assistance par un délégué syndical.

La société VM Distribution rétorque de même à juste titre qu’elle n’était pas tenue, d’emblée et avant la déclaration d’accident du travail, de proposer une prise en charge de l’intégralité du soutien psychologique, la mesure d’accompagnement décidée en urgence étant alors suffisante et Mme [C] pouvant en tout état de cause prétendre à la prise en charge des séances supplémentaires dans le cadre de la procédure de reconnaissance de faute inexcusable initiée par la suite.

La société VM Distribution justifie également que M. [A], directeur des ressources humaines, a accusé réception le 19 janvier 2018 de la lettre recommandée avec accusé réception adressée le 16 par Mme [C] et reçue le 18 dans l’entreprise tout en informant la salariée qu’une enquête interne était diligentée et que des auditions, en ce inclus la sienne, étaient fixées le 23 janvier 2018. Il a été précisé à Mme [C] que la commission d’enquête serait composée de deux membres de la direction des ressources humaines et d’un membre élu du Chsct et qu’à ce stade aucune assistance des salariés entendus n’était prévue. Le code du travail ne prévoit aucun formalisme pour ce type d’enquête, Mme [C] a été informée à l’avance des modalités de l’organisation de l’enquête interne et le choix de l’employeur ne caractérise ni un manquement à ses obligations ni un défaut d’impartialité ou de loyauté.

L’exemplaire vierge du questionnaire remis aux salariés dans le cadre de cette enquête interne permet de vérifier qu’y était suffisamment abordés l’ambiance de travail générale, le comportement de M. [V] et plus particulièrement son attitude envers Mme [C] ou d’autres salariées, chaque personne entendue pouvant ajouter un commentaire ‘libre’. Effectivement le questionnaire remis à Mme [C] comportait d’autres éléments d’interrogations lesquels étaient adaptés à son statut de victime et permettaient d’apporter des précisions aux agissements reprochés à M. [V] et aux faits du 12 janvier 2018. Mme [C] n’a pas souhaité être auditionnée par la commission précitée. Par lettre recommandée avec accusé réception du 24 janvier 2018 M. [A] lui a indiqué respecter son choix et l’a invitée à une rencontre fixée le 1er février 2018 puisque la salariée avait mentionné le 16 janvier 2018 souhaiter être entendue. Il est admis que cet entretien a eu lieu et Mme [C] ne peut reprocher à l’employeur d’avoir accédé à son souhait. La situation de Mme [C] a donc été prise en compte avec précaution en tenant compte de son état de victime.

Le compte rendu d’enquête interne liste le nom des personnes entendues, à savoir Mme [L], M. [P] et M. [V] et leurs réponses au questionnaire précité sont versées aux débats. Ainsi que déjà discuté, la synthèse réalisée conclut notamment que les témoignages recueillis mettent en évidence l’attitude inappropriée de M. [V] lequel consommait de l’alcool de manière récurrente, tenait des propos maladroits à l’égard de l’ensemble des collaborateurs et plus particulièrement des propos grossiers à connotation sexuelle envers Mme [C], le mis en cause ayant reconnu ‘des blagues en dessous de la ceinture’, pour plaisanter, pratique selon lui courante dans le bâtiment. La synthèse précise que Mme [C] le trouvait ‘collant’ et s’en plaignait tout en refusant ses avances. Cette synthèse, conforme aux questionnaires, s’avère objective et n’encourt aucune critique.

Le compte rendu de la réunion mensuelle tenue le 31 janvier 2018 permet de vérifier tout d’abord que Mme [C] était absente mais sans pouvoir en tirer de conséquence particulière puisqu’il s’agissait manifestement d’une réunion afférente à l’activité commerciale et aux résultats 2017 et objectifs 2018 même si ‘un point RH’ figurait à l’ordre du jour. Il permet également de savoir que Mme [O], juriste en droit du travail chargée de communiquer sur le dossier de harcèlement géré par le service des ressources humaines, a ainsi (point RH) donné des précisions sur l’enquête interne diligentée et déclaré que ‘son objectif était de faire la lumière sur la véracité ou non des faits de harcèlement relatés’, ce qui était conforme à la réalité sans valoir suspicion sur la sincérité de la plainte déposée par Mme [C]. Mme [O] a mentionné que la gendarmerie menait également une enquête judiciaire, que l’inspection du travail était saisie et que le règlement intérieur réaffirmait la tolérance zéro sur la consommation d’alcool ce qui correspondait également à la réalité de la situation.

Le procès verbal de la réunion extraordinaire du Chsct en date du 6 février 2018 énonce comme ordre du jour ‘point sur la situation suite au dépôt de plainte d’une collaboratrice pour harcèlement à l’encontre d’un collaborateur’ et expose un rappel de la situation en cours et des dernières actions menées par l’entreprise. S’il est mentionné ‘qu’en l’absence de danger grave et immédiat le Chsct n’a pas été réuni dans les 24 heures’, il est précisé que l’absence de danger grave et immédiat résulte de l’absence du présumé harceleur sur le lieu de travail. Or il est incontestable que le 12 janvier 2018 en quittant l’entreprise après l’agression de Mme [C], M. [V] a occasionné un accident de la circulation et a été blessé, un arrêt de travail lui étant prescrit pour au moins deux mois, cette suspension du contrat de travail évitant radicalement durant cette période toute mise en contact avec la victime des faits et ne nécessitant pas une mesure de protection supplémentaire dans le cadre de l’activité professionnelle.

De même l’inspection du travail a été invitée à participer à cette réunion extraordinaire et n’a pas formulé de remarque particulière. En revanche elle a préalablement recommandé à la société VM Distribution de ‘tenir une réunion d’information sur le point de vente avec les salariés, non pas pour évoquer le fond du dossier mais pour annoncer les mesures mises en place et/ou éviter la propagation d’informations erronées’ ce qui a été fait à l’occasion de la réunion mensuelle du 31 janvier 2018 déjà évoquée.

De surcroît, la société VM Distribution établit que par lettre recommandée avec accusé réception du 18 janvier 2018 elle a informé M. [V] qu’une salariée, Mme [C], avait déposé plainte contre lui et qu’une enquête interne était engagée. Par ce même courrier M. [V] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 23 janvier 2018 et invité à ne pas contacter, par quelque moyen que ce soit, de façon directe ou indirecte Mme [C] et il lui a été rappelé que Mme [C] bénéficiait d’une protection légale particulière en application des dispositions L 1153-3 et L 1153-4 du code du travail.

La société VM Distribution a ensuite licencié M. [V] par lettre recommandée avec accusé réception du 20 février 2018 et pour faute grave aux motifs de propos sexistes, déplacés, graveleux envers des salariés placés sous son autorité et en particulier une collaboratrice, passivité face à l’emploi général du terme péjoratif  ‘la blonde’ pour désigner une collaboratrice du point de vente, comportements de nature non professionnelle envers une collaboratrice tels l’envoi de sms sur son téléphone portable personnel, absorption régulière d’alcool et en particulier un état anormal le 12 janvier 2018. L’employeur a considéré que M. [V] avait méconnu son devoir d’exemplarité attaché à ses fonctions de directeur de point de vente et la sécurité des biens et des personnes. Les griefs articulés contre M. [V] n’ont pas édulcoré les faits, peu important que le nom de Mme [C] n’ait pas été expressément cité.

La société VM Distribution conteste la valeur probante de l’enregistrement d’une partie de la réunion du 27 février 2018 retranscrit par un huissier de justice à la demande de Mme [C] (pièce 28 de la salariée) faute d’éléments d’identification garantissant l’authenticité et l’exactitude de l’enregistrement de surcroît effectué à l’insu des participants à la réunion. En tout état de cause, si lors de cette réunion, Mme [B] a communiqué sur le licenciement de M. [V] en insistant sur la consommation d’alcool reprochée au salarié plus que sur l’agression commise à l’encontre de Mme [C], elle a précisé que ‘les enquêtes n’étaient pas terminées’, ce qui était exact, la cour ajoutant qu’à cette date M. [V] était encore présumé innocent s’agissant de l’agression sexuelle. Mme [C] s’est plainte de cette présentation des motifs

de licenciement de M. [V] dans la lettre recommandée avec accusé réception adressée le 13 juin 2018 à M. [H] tout en lui reprochant d’avoir transmis sa plainte à M. [V].

En réponse, le 27 juin 2018 M. [H] a exactement insisté, compte tenu des motifs déjà développés, sur l’attention portée aux difficultés de Mme [C] et sur les mesures mises en oeuvre pour enquêter sur les faits tout en lui rappelant que le licenciement de M. [V] était une mesure individuelle ne devant pas susciter de commentaire et que Mme [C] lui avait remis sa plainte sans la déclarer confidentielle. M. [H] a également proposé à Mme [C] un rendez-vous au siège de la société.

La société VM Distribution rappelle qu’un certificat médical daté du 19 janvier 2018 vise un accident du travail survenu le 12 janvier 2018 et prescrit un arrêt de travail initial jusqu’au 26 janvier 2018, qu’examinée à sa demande par le médecin du travail le 28 février 2018 Mme [C] n’a pas été déclarée inapte, qu’une seconde visite a été préconisée pour mars 2018, que Mme [C] n’a pas été déclarée inapte à l’issue de la visite tenue le 29 mars 2018 et que c’est seulement le 24 mai 2018 que le Dr [F], médecin du travail, a déclaré Mme [C] inapte temporairement et l’a réorientée vers son médecin traitant, le Dr [U], lequel a prescrit un arrêt de travail qu’il a ensuite renouvelé jusqu’à la déclaration d’inaptitude. Au vu de la pièce 30 de Mme [C], la cour est en mesure de vérifier que, par courrier du 24 mai 2018, le Dr [F] a suggéré au Dr [U] de délivrer à Mme [C] un arrêt de travail dans le cadre d’un accident du travail, l’arrêt initial n’ayant pas été clôturé, ce qui explique l’arrêt de prolongation délivré à partir du 24 mai 2018. Il est démontré par Mme [C] que la déclaration d’accident du travail a été transmise à la caisse primaire d’assurance maladie le 30 mai 2018 seulement, sans que la société VM Distribution n’explique ce retard. Toutefois la prise en charge des arrêts de travail postérieurs au 24 mai 2018 au titre d’un accident du travail survenu le 12 janvier 2018 n’en a pas été retardée alors même que Mme [C] avait repris son activité professionnelle entre le 26 janvier et le 24 mai 2018, et que toutes les dépenses de santé dont elle justifie sont intervenues postérieurement au 24 mai 2018. En outre les difficultés financières alléguées par Mme [C] et dont elle demande indemnisation ne se rattachent pas directement à la gestion de l’agression par l’employeur et ne peuvent constituer, même prises dans leur ensemble, des agissements de harcèlement moral, leurs conséquences financières restant de surcroît très limitées et pouvant être indemnisables dans le cadre de la procédure de reconnaissance de faute inexcusable.

En conséquence de ces motifs, la société VM Distribution combattant utilement la supposition de harcèlement moral, Mme [C] ne peut se prévaloir d’un harcèlement moral et soutient tout aussi vainement que la société VM Distribution a exécuté déloyalement le contrat de travail en gérant la dénonciation des faits commis par M. [V].

La cour déboute Mme [C] de sa demande indemnitaire fondée sur un harcèlement moral ou une exécution déloyale du contrat de travail imputable à la société VM Distribution.

La cour réforme la décision déférée en ce sens.

Sur les manquements à l’obligation de prévention des harcèlements et risques professionnels :

Aux termes des articles L 4121-1 et suivants du code du travail l’employeur est tenu d’une obligation de santé et sécurité au travail et doit prendre les mesures nécessaires pour y satisfaire, en ce inclus des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Aux termes des articles L 1152-4, L 1152-5 et L 1153-5 et L 1153-6 du code du travail l’employeur doit prendre toute mesure de nature à prévenir le harcèlement moral et sexuel d’un salarié et prendre des sanctions disciplinaires contre les salariés auteurs de tels agissements.

Mme [C] soutient avoir subi des préjudices consécutifs aux manquements de la société VM Distribution laquelle a laissé les salariés installer un bar clandestin sur le lieu de travail et a toléré la consommation d’alcool dans l’entreprise, n’a pas sérieusement sanctionné des comportements de harcèlement antérieurs à ceux de M. [V] et n’a pas géré les risques professionnels ni prévu un dispositif d’alerte interne efficace. Mme [C] soutient que ces préjudices sont distincts de ceux déjà indemnisés.

La société VM Distribution qui conclut principalement à l’incompétence de la juridiction prud’homale au profit de la juridiction de sécurité sociale conteste subsidiairement tant les manquements discutés que la réalité des préjudices allégués.

Or, Mme [C] a soutenu devant le pôle social que la passivité de l’employeur, sa tolérance relative à la consommation d’alcool sur le lieu de travail, l’absence de procédure d’alerte, l’inefficacité des mesures de prévention, d’information et de formation caractérisaient des manquements constitutifs de la faute inexcusable. Ainsi sous couvert de demandes indemnitaires fondées sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité Mme [C] demande en réalité la réparation par la société VM Distribution de préjudices nés de son accident du travail et de la faute inexcusable de l’employeur, prétention ne pouvant être formée que devant le pôle social du tribunal judiciaire ou la formation de la cour statuant en contentieux de sécurité sociale.

En conséquence la cour confirme sur ce point la décision déférée sur l’incompétence.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci empêchant la poursuite du contrat de travail.

Si les griefs invoqués contre l’employeur sont fondés la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire d’un licenciement nul, avec toutes conséquences de droit.

Si le salarié qui a sollicité la résiliation judiciaire est licencié en cours de procédure, la juridiction saisie doit tout d’abord statuer sur la demande de résiliation judiciaire, avant d’apprécier le bien fondé du licenciement, la résiliation judiciaire éventuellement prononcée prenant alors effet non pas à la date de la décision judiciaire mais à la date du licenciement.

Il est constant que les juges du fond peuvent tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour où ils statuent et considérer qu’à cette date les faits allégués sont trop anciens pour empêcher la poursuite du contrat de travail, ou qu’ils ont cessé, ou qu’ils ont été régularisés et qu’ainsi la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est mal fondée.

Mme [C] soutient avoir été victime de harcèlements moral et sexuel, de déloyautés et de comportements sexistes rendant impossible la poursuite de son contrat de travail compte tenu de leur gravité, que le médecin du travail l’a d’ailleurs reconnue inapte le 29 juin 2021 alors qu’elle était en arrêt de travail depuis le 24 mai 2018, que la société VM Distribution est responsable de carences en matière de prévention des harcèlements et risques professionnels en matière de santé au travail, que les conséquences durables et profondes induites par ces comportements et manquements de l’employeur justifient de prononcer la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur et de lui faire prendre effet au jour du licenciement pour inaptitude soit le 25 juillet 2021.

En l’état du harcèlement subi Mme [C] demande à la cour de juger que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul, de fixer son salaire de référence à la somme de 1 631,25 euros brut calculée sur la base des

3 mois précédents son arrêt de travail, de lui faire application des mesures spécifiques prévus en cas d’inaptitude d’origine professionnelle et d’écarter le barème prévu par l’article L 1235-3 du code du travail pour apprécier son indemnisation de perte d’emploi puisqu’il contrevient à l’article 10 de la convention de l’organisation internationale du travail, à l’article 24 de la charte sociale européenne, et au droit à un procès équitable prévu par la convention européenne des droits de l’homme.

La société VM Distribution rétorque avoir respecté ses obligations, Mme [C] étant défaillante à démontrer que l’employeur a commis les manquements reprochés. La société VM Distribution, sans discuter le salaire de référence mentionné, ajoute que Mme [C] ne peut prétendre aux indemnités prévues par l’article L 1226-14 du code du travail exclusivement réservées au salarié déclaré inapte à son poste suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle et dont le reclassement est impossible, que l’appelante conteste vainement la conventionnalité du barème énoncé par l’article L 1235-3 du code du travail, que la cour n’est pas compétente pour apprécier les demandes indemnitaires présentées dans le cadre d’une résiliation judiciaire du contrat de travail pour obtenir la réparation de l’agression sexuelle du12 janvier 2018 reconnue comme accident du travail et que subsidiairement la cour doit les limiter et rejeter les préjudices incertains ou hypothétiques.

L’avis d’inaptitude n’a pas visé une inaptitude d’origine professionnelle et plus particulièrement n’a pas mentionné que l’inaptitude était consécutive à l’accident du travail survenu le 12 janvier 2018.

La cour se réfère aux motifs déjà développés pour discuter des prétentions de l’appelante et ayant conclu que Mme [C] ne pouvait se prévaloir d’un harcèlement moral commis par la société VM Distribution ni d’une exécution déloyale du contrat de travail dans la gestion de l’agression du 12 janvier 2018 mais pouvait seulement se prévaloir d’un harcèlement sexuel commis par M. [V].

Or M. [V] a été licencié pour faute grave et ne se trouve plus dans l’entreprise ce qui exclut toute nouvelle mise en présence de Mme [C] et toute réitération des faits dans ce contexte.

De même la société VM Distribution a mis en place de nouveaux dispositifs pour prévenir les agissements de harcèlement sexuel et faciliter leur dénonciation et vérifier le respect de la tolérance zéro de consommation d’alcool dans l’entreprise, mesures de prévention des risques professionnels adaptées à ceux redoutés par Mme [C].

Les reproches articulés par Mme [C] contre la société VM Distribution ne correspondent plus à la situation de travail au jour où la cour statue ni même au jour où le licenciement pour inaptitude de Mme [C] a été prononcé et la salariée ne peut plus arguer de manquements graves de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

En conséquence de ces motifs la cour confirme la décision déférée en ce qu’elle a débouté Mme [C] de sa demande de résiliation judiciaire.

Sur les autres demandes :

Les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables.

Les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l’article L 1231-7 du code civil.

L’issue de l’appel, l’équité et les circonstances économiques commandent de faire droit à l’indemnité prévue par l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [C], à hauteur de la somme de 2 000 €.

La société VM Distribution qui succombe est condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Réforme la décision déférée en ce qu’elle s’est déclarée incompétente pour apprécier les demandes indemnitaires de Mme [C] fondées sur un harcèlement sexuel, un harcèlement moral, des actes sexistes et une exécution déloyale du contrat de travail et statuant à nouveau de ces chefs :

Se déclare compétente pour apprécier les demandes indemnitaires de Mme [C] fondées sur des actes sexistes, un harcèlement moral et sexuel commis par M. [V] et sur un harcèlement moral et une exécution déloyale du contrat de travail imputables à la société VM Distribution ;

Juge que Mme [C] a subi des actes sexistes et un harcèlement sexuel de la part de M. [V] et condamne la société VM Distribution à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute Mme [C] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral de la part de M. [V] ;

Déboute Mme [C] de sa demande de dommages intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail de la part de la société VM Distribution ;

Confirme pour le surplus la décision déférée ;

Y ajoutant :

Condamne la société VM Distribution à payer à Mme [C] une somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables et que les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l’article L 1231-7 du code civil ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne la société VM Distribution aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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