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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 31 MARS 2023
N°2023/.
Rôle N° RG 21/13799 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BIEUN
Société [4]
C/
[P] [K] épouse [B]
Caisse MSA ALPES VAUCLUSE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me Joseph MAGNAN
– Me Claire FLAGEOLLET
– Me Stéphane MÖLLER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du TJ de DIGNE LES BAINS en date du 03 Septembre 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 20/00162.
APPELANTE
Société [4], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, Me Jean-eymeric BLANC, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
Madame [P] [K] épouse [B], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE
MSA ALPES VAUCLUSE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Stéphane MÖLLER de la SELARL SELARL D’AVOCATS STEPHANE MÖLLER, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Isabelle PERRIN, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Mme Isabelle PERRIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2023
Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 19 décembre 2014 à 17h00, Mme [P] [K] épouse [B], née le 8 août 1967, employée au sein de la [4] en qualité de secrétaire depuis le 1er avril 1999, a été victime d’une crise d’angoisse aux temps et lieux du travail.
Le certificat médical établi dans le cadre de la maladie ordinaire, du 20 décembre 2014, décrit
un ‘état anxiodépressif réactionnel aigu’.
Le certificat médical initial du 24 janvier 2015 fait état d’un état anxiodépressif majeur entrant dans le cadre d’une décompensation pour harcèlement professionnel.
L’employeur n’a pas rempli de déclaration d’accident du travail et la salariée a déclaré l’accident du travail auprès de la mutualité sociale agricole le 16 mars 2015.
Par décision en date du 26 mai 2015, la mutualité sociale agricole sociale agricole lui a opposé un refus de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels dudit accident.
Le 15 juillet 2015, Mme [K] épouse [B] a saisi la commission de recours amiable de la mutualité sociale agricole en contestation de cette décision.
En l’absence de décision explicite, l’assurée a porté son recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes de Haute Provence.
Elle a entre-temps fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 4 mai 2016.
Par jugement en date du 21 décembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes de Haute Provence a accueilli le recours de Mme [K] épouse [B] à l’encontre de la décision de refus de prise en charge par la mutualité sociale agricole de l’accident du travail du 19 décembre 2014.
Ce jugement a été confirmé par l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 16 mars 2018, devenu définitif.
Parallèlement, la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix en Provence a, par arrêt du 6 septembre 2019, a dit que le licenciement de Mme [K] épouse [B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné l’employeur à des dommages et intérêts pour préjudice moral et licenciement sans cause réelle et sérieuse, au paiement du rappel d’indemnité spéciale de licenciement, de l’indemnité compensatrice, de l’ indemnité compensatrice de congés payés et de rappel de primes de treizièmes mois.
Sur renvoi après cassation, la chambre sociale de ladite cour a par arrêt du 24 juin 2022, dans la limite de sa saisine, condamné l’employeur à un indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par décision du 29 avril 2019, la mutualité sociale agricole a informé Mme [B] de la fixation de la date de consolidation de son état de santé au 1er mai 2019 et par décision du 10 décembre 2019, a fixé son taux d’incapacité permanente partielle à 7%.
Par courrier en date du 7 janvier 2019, Mme [K] épouse [B] a saisi la commission de recours amiable de la mutualité sociale agricole en vue de la conciliation des parties dans le cadre d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par courrier du 8 janvier 2020, la mutualité sociale agricole a accusé réception d’un courrier de Mme [B] du 27 septembre 2019 sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et l’a informée de la mise en place d’une tentative de conciliation.
Par requête expédiée le 20 août 2020, Mme [K] épouse [B] a saisi le tribunal judiciaire de Digne les Bains aux fins d’obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de son accident du travail en date du 19 décembre 2014.
Par jugement en date du 3 septembre 2021, le tribunal a:
– rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription biennale de l’action en faute inexcusable opposée par la [4],
– dit que l’accident du travail dont Mme [K] épouse [B] a été victime le 19 décembre 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [4],
– condamné la société [4] à rembourser à la mutualité sociale agricole les sommes réglées à Mme [K] épouse [B],
– ordonné une expertise,
– a condamné ladite société à payer à Mme [K] épouse [B] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et mis à la charge de la MSA le règlement de la provision de 3 000 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.
La société [4] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
Par conclusions signifiées le 24 juin 2022, l’appelante sollicite l’infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
– dire que l’action de Mme [K] épouse [B] est prescrite par application des dispositions de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale,
– à titre subsidiaire, dire que l’accident du travail ne résulte pas d’une faute inexcusable imputable à l’employeur,
– débouter Mme [K] épouse [B] de ses demandes,
– condamner Mme [K] épouse [B] à lui verser la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 26 décembre 2022, Mme [K] épouse [B] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que l’accident du travail dont elle a été victime le 19 décembre 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur et ordonné une expertise,
– lui allouer une provision d’un montant de 10.000 euros à valoir sur le montant de ses préjudices,
– ordonner que cette provision soit réglée par la MSA,
– condamner la société [4] au paiement des entiers dépens,
– condamner la société [4] à lui régler la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 1er avril 2022, la mutualité sociale agricole demande à la cour de condamner la société [4] à lui rembourser les frais qu’elle viendrait à avancer dans le cadre de la présente instance, si la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.
MOTIFS
Sur la fin de non recevoir
L’appelante oppose à Mme [B] la prescription de son action en faute inexcusable, selon le moyen que le point de départ de celle-ci était en l’espèce la date de reconnaissance du caractère professionnel de son accident par arrêt du 16 mars 2018, que sa demande en conciliation a été adressée le 7 janvier 2019 à la commission de recours amiable incompétente en la matière de sorte qu’elle n’a pas interrompu la prescription, et que son action en faute inexcusable a été introduite devant le tribunal judiciaire alors que la prescription biennale était acquise.
Mme [B] objecte avoir au contraire déposé sa demande de conciliation, comme l’ont relevé les premiers juges, moins de deux ans après la date de reconnaissance du caractère professionnel de son accident auprès de la caisse qui en a d’ailleurs accusé réception, de sorte que la prescription n’était pas acquise au moment de sa saisine du tribunal judiciaire.
La mutualité sociale agricole ne conclut pas sur ce point.
Sur ce:
Aux termes de l’article L 431-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 17 avril 2004 au 1er janvier 2022, les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :
1°) du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière ;
2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l’article L. 443-1 et à l’article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;
3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l’article L. 443-1 ;
4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l’éducation surveillée dans le cas où la victime n’a pas droit aux indemnités journalières.
[…]
Toutefois, en cas d’accident susceptible d’entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d’indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l’exercice de l’action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident.
Lorsque la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident du travail résulte d’une décision judiciaire, la date de sa notification au salarié constitue le point de départ de la prescription biennale de l’action aux fins de reconnaissane de la faute inexcusable de son employeur dans cet accident.
Par ailleurs, l’initiative de la victime d’un accident du travail saisissant la caisse primaire d’assurance maladie d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription biennale , et le cours de celle-ci ne peut recommencer à courir tant que cet organisme n’a pas fait connaître à l’intéressée le résultat de la tentative de conciliation.
En l’espèce, le caractère professionnel de l’accident subi par Mme [B] le 19 décembre 2014 a été définitivement reconnu par arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence en date du 16 mars 2018 dont la notification constitue le point de départ du délai de la prescription biennale.
S’il est exact, comme le soutient l’appelante, qu’une demande de conciliation a été effectuée par la salariée le 7 janvier 2019 auprès de la commission de recours amiable de la mutualité sociale agricole, alors que la conciliation relève de la compétence exclusive de la caisse de sorte que cette demande n’a pu interrompre la prescription, Mme [B] verse aux débats un courrier émanant de la mutualité sociale agricole, daté du 8 janvier 2020, aux termes duquel elle accuse réception de sa demande de conciliation effectuée par courrier en date du 27 septembre 2019.
Il en résulte que la caisse a reconnu avoir été saisie le 27 septembre 2019, par la salariée, d’une demande de tentative de conciliation par ailleurs versée au débats,qui constitue un acte interruptif de la prescription biennale.
Il est également acquis que la mutualité sociale agricole n’a jamais fait connaître à son assurée le résultat de cette tentative de conciliation de sorte que le délai de deux ans, interrompu à la date du 27 septembre 2019, n’a pas recommencé à courir.
Aussi, en saisissantle 20 août 2020 le tribunal judiciaire de son action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, elle a engagé son action à une date à laquelle la forclusion biennale n’était pas acquise.
La fin de non recevoir sera en conséquence rejetée et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la faute inexcusable
L’appelante soutient en substance :
– que la salariée ne démontre aucunement la violation d’une obligation légale de sécurité et de prévention, le harcèlement moral dont elle se prévaut n’ayant jamais été reconnu par une juridiction tandis qu’elle-même n’a jamais commis d’actes déloyaux, vexatoires ou injustifés à l’encontre de sa salariée, qu’il s’agisse de la nature de ses fonctions ou de ses conditions de travail,
– que la salariée n’établit pas la conscience du danger que son employeur avait ou aurait dû avoir, dans la mesure où aucun danger n’était identifiable avant la survenue de l’accident au regard de son dossier de la médecine du travail et des documents médicaux produits par la salariée elle-même, qui démontrent l’absence d’antériorité de fragilité psychologique, tandis que Mme [B] a adopté une comportement démontrant qu’elle n’était nullement affaiblie,
– que le dossier de la médecine du travail ne fait état de prétendu harcèlement qu’à compter du 22 décembre 2014, qu’il ne donc peut lui être reproché de n’avoir pas mis en oeuvre de mesures préventives et qu’au contraire de ce qu’ont relevé les premiers juges, elle a multiplié les tentatives de dialogue avec sa salariée alors que celle-ci faisait preuve de véhémence répétée.
L’intimée répond que:
– la cour d’appel d’Aix en Provence, chambre prud’homale, a reconnu en son arrêt devenu définitif du 8 septembre 2019 les agissement déloyaux de l’employeur et le harcèlement moral subi par elle et a condamné ce dernier à des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
– que le harcèlement moral dont elle a été victime est caractérisé depuis 2004:
* par modification progressive de ses attributions par le président de la coopérative, à l’arrivée de son nouveau supérieur hiérarchique,
* par sa mutation-sanction à un poste de traçabilitité, sans aucune définition des tâches et pour lequel elle n’a reçu aucune formation, avec déménagement sans préavis de son bureau dans un local dépourvu de porte, de chauffage et d’outil de travail,
* par les moqueries répétées des présidents de la coopérative et ses collègues de travail, son isolement et une nouvelle éviction de son poste de travail à un nouveau poste situé en plein hall d’entrée sans outil de travail,
* par les courriers agressifs adressés par les deux présidents et leur refus catégorique de reconnaître la détérioration de son état de santé liée à ses conditions de travail ;
– que malgré ses diverses alertes à sa direction sur ces faits, cette dernière n’a jamais pris de mesure pour les empêcher et a même contribué à l’accident par choc émotionnel lié à l’usure psychologique à laquelle son employeur a contribué
– que dès lors, l’employeur, par manquements répétés à son obligation contractuelle et légale de sécurité, a causé son accident du 19 décembre 2014.
La mutualité sociale agricole ne conclut pas sur ce point.
Sur ce:
En vertu de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Dans le cadre de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’employeur a, en particulier, l’obligation d’éviter les risques et d’évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, de planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En outre, il suffit que la faute de l’employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d’autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage.
La cour relève en premier lieu qu’en l’espèce, le caractère professionnel de l’accident survenu le 19 décembre 2014 au préjudice de Mme [B] n’est pas contesté.
Il s’agit donc ici de rechercher si l’employeur a contribué, par une violation d’une obligation non pas contractuelle, mais légale de sécurité, à la survenance de l’accident survenu au préjudice de sa salariée.
Si déclaration d’accident du travail établie le 13 mars 2015 par Mme [B], versée par l’appelante, ne précise pas les circonstances dans lesquelles il est survenu, les pièces jointes annoncées à la déclaration pour les détailler n’étant pas produites par les parties, il résulte cependant tant de l’arrêt du 16 mars 2018 ayant confirmé le caractère professionnel de l’accident, que du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 21 décembre 2016 confirmé par ledit arrêt, que le contexte professionnel dans lequel évoluait la salariée était très difficile à vivre pendant des années et qu’il a provoqué le choc émotionnel du 19 décembre 2014.
Le certificat médical initial établi le 24 janvier 2015 fait en outre état d’un état anxiodépressif majeur entrant dans le cadre d’une décompensation pour harcèlement professionnel, tandis que le certificat médical d’arrêt de travail du 20 décembre 2014, lendemain de l’accident, qui n’est pas versé aux débats mais a été intégralement reproduit par la cour d’appel en son arrêt du 16 mars 2018, mentionnait un état anxiodépressif réactionnel aigu.
Mme [B] verse aux débats:
– des courriers adressés par lettre recommandée et remis en mains propres les 3 janvier et 10 février 2014 à M. [N], président de la cave de [Localité 6], aux termes desquels :
* depuis le 3 janvier 2014, date de sa reprise de travail après son congé maternité, elle n’a subi de sa part que des moqueries, agressivité et harcèlement ;
* elle n’a pas été bénéficiaire, entre 2010 et 2013, des formations notamment en matière de comptabilité pourtant dispensées dans le même domaine à ses collègues,
– un courrier de M. [N], co-président de la cave, en date du 14 février 2014 qui nie toute intention d’agression et de harcèlement, reconnaissant cependant vu le contexte difficile de l’entreprise n’avoir pas ‘le temps de faire très attention à ses expressions’ qu’on pourrait ‘peut-être qualifier de brute de décoffrage sans plus et sans acrimonie’ ;
– un courrier en date du 1er décembre 2014 qu’elle a adressé à la secrétaire comptable Mme [L], aux termes duquel elle se plaint des erreurs répétées dans ses fiches de paie sur l’année 2014 et au sujet desquelles les demandes d’explications rétitérées sont restées sans réponse ;
– un courrier recommandé adressé par les présidents de la cave du 3 décembre 2014 qui accusent Mme [B] de déloyauté et de contrevenir à son obligation de discrétion ;
– un procès-verbal de renseignement judiciaire du 17 décembre 2014 aux termes duquel Mme [B] expose à la brigade de gendarmerie de [Localité 5] des faits de harcèlement au travail par isolement, ironie, agressivité, éviction des formations, réflexions désobligeantes à compter de 2004 puis de 2014 à la suite du licenciement du comptable et particulièrement du 27 novembre 2014, précisant qu’elle ne souhaite pas déposer plainte mais que sa déclaration a pour but que les choses s’apaisent;
-le courrier de la mutualité sociale agricole du 6 mars 2015 indiquant à son assurée que malgré plusieurs relances, l’employeur n’a pas adressé la déclaration d’accident du travail et lui demandant en conséquence d’y procéder.
La chambre sociale de la cour de céans a, pour retenir le manquement de l’employeur à son obligation légale d’assurer la protection de la santé et de la sécurité de sa salariée dans l’entreprise, en son arrêt du 6 septembre 2019 , devenu au contraire de ce que soutient l’appelante, définitif sur ce point, analysé un certain nombre de documents versés tant par l’employeur que la salariée, certes non versés dans le cadre de la présente instance mais nécessairement soumis au débat contradictoire devant la chambre sociale, tels que:
– le courrier joint à la déclaration d’accident du travail mentionnant les circonstances de l’accident : ‘à partir du 27 novembre 2014 au sein de mon travail et, suite à des réprimandes continues, pressions morales, verbales et écrites, ricanements, humiliations, surcharge de travail, honnêteté bafouée, ainsi que même des pressions familiales et déstabilisantes, venant de mes Présidents, de M. [E] ainsi que de Mme [L] [X]’ ;
– le courrier recommandé adressé aux présidents de la coopérative, qui leur adresse copie du courrier adressé à Mme [L] le 1er décembre 2014 concernant les manquements répétés relevés sur ses bulletins de salaire, et relatant la discussion âpre qui s’en est suivie avec Mme [L] le 10 décembre 2014, au cours de laquelle cette dernière lui a reproché de s’adresser à elle pour des bulletins de salaire et lui remettre des courriers qui ne la concernaient pas ;
– une attestation du 1er juin 2015 de M. [M], comptable sous l’autorité duquel se trouvait Mme [B] jusqu’au départ de ce dernier en 2014, indiquant notamment que ‘l’employeur s’évertue à priver [Mme [B]] de la veille réglementaire en ne l’invitant pas à assister à des réunions de formation […] ce qui complique encore un peu plus la tâche quotidienne de la salariée. En avril 2013 Mme [B] a été écartée d’une formation sur le logiciel adhérents alos qu’elle était censée s’en occuper à terme. Le Président pratiquait sans cesse l’ironie vis-à-vis de Mme [B], ne se gênant pas pour lui opposer ses absences pour grossesse ou maladie en non réponse à la non organisation du travail et à l’arbitrage qui lui revient. Malgré toute sa bonne volonté, intégration du bureau ‘open space’ en 2013 Mme [B] n’a pu que subir en permanence ce harcèlement, qui est allé jusqu’à déplacer Mme [B] dans un local technique ne répondant pas aux normes en vigueur de locaux à usage de bureaux’;
– l’absence de définition de poste de travail à Mme [B] malgré les réclamations de cette dernière depuis 2010 ;
– les écritures de l’employeur qui reconnaît avoir déplacé pour 14 jours le bureau de la salariée dans le hall de la coopérative, bureau logistique, le 27 novembre 2014, ‘pour répondre à une problématique temporaire car elle ne parvenait pas à effectuer la déclaration de récolte pour laquelle elle avait été formée un mois auparavant pendant trois jours sur site, le logiciel étant uniquement installé sur son poste et M. [Z] et Mme [L] se voyant contraints d’effectuer sur son poste ladite déclaration’.
L’employeur ne verse aucune pièce susceptible de contredire ni de justifier :
– l’éviction de formation subie par l’intimée alors que les autres secrétaires en ont bénéficié, entre 2010 et 2013;
– les erreurs successives commises dans ses bulletins de paie en 2014 restées sans réponse ;
– les comportements d’ironie, d’agressivité des dirigeants de la cave à l’égard de la salariée et la remise en cause de sa loyauté, corroborés par l’attestation de M. [M], les termes mêmes du courrier de réponse de M. [N] du 14 février 2014 et le courrier véhément adressé par les dirigeants de l’entreprise à la salariée le 3 décembre 2014 ;
– le déplacement de poste du 27 novembre 2014.
En conséquence, c’est à bon droit que les premiers juges ont relevé que l’accident du travail était lié à un contexte professionnel délétère, usant et tendu depuis plusieurs années, la cour relevant que ce climat s’est encore particulièrement dégradé dans une période concomitante à l’accident lui-même.
L’employeur ne verse pas aux débats son document unique d’évaluation des risques et, faute de justifier avoir procédé à une évaluation des risques auxquels ses salariés étaient exposés, il ne peut utilement alléguer une absence de conscience du risque, d’autant que la salariée l’a alerté à plusieurs reprises de la dégradation de ses conditions de travail ayant un impact non seulement sur la qualité de celui-ci mais sur sa santé psychique, et qu’il ne peut ignorer l’obligation légale de prévenir les risques psychosociaux.
En outre, il résulte non seulement des éléments précités que l’employeur n’a mis en place aucune mesure pour éviter la réalisation du risque psychosocial sur lequel il avait été à plusieurs reprises alerté, mais encore que ses dirigeants y ont directement contribué.
En conséquence, le manquement de l’employeur à l’obligation susvisée, suffisamment établi par la salariée, caractérise une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail subi.
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières de la faute inexcusable
– à l’égard de Mme [B] :
L’expertise médicale ordonnée en première instance est effectivement nécessaire pour évaluer les conséquences dommageables de l’accident subi par Mme [B] de sorte que le jugement sera également confirmé de ce chef.
S’agissant de la demande de Mme [B] tendant à la majoration, à 10 000 euros, de la provision à valoir sur indemnisation de ses préjudices fixée à 4 000 euros par les premiers juges, elle n’est étayée par aucun moyen de sorte qu’elle sera rejetée et que le jugement sera confirmé sur ce point.
– concernant l’action subrogatoire de la mutualité sociale agricole :
Par application des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable.
Il résulte donc de ces dispositions que lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, ce dernier doit rembourser à la caisse la totalité des sommes dues à la victime, liées à la reconnaissance de la faute inexcusable.
Par conséquent, l’action subrogatoire de la caisse pour les sommes dont elle est tenue de faire l’avance doit être accueillie à l’égard de la société [4] et le jugement sera confirmé de ce chef.
Succombant, la société [4] sera condamnée aux dépens d’appel et ne saurait prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] épouse [B] les frais qu’elle a dû exposer pour sa défense et la société [4] sera condamnée à lui verser la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Déboute la société [4] de l’ensemble de ses demandes,
Déboute Mme [P] [K] épouse [B] de sa demande en majoration de la provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices,
Condamne la société [4] aux dépens d’appel,
Condamne [4] à payer à Mme [P] [K] épouse [B] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président