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31 JANVIER 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 21/01995 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FVT6
S.A.S. [O] [P] ET FILS, SELARL MANDATUM en qualités de mandataire liquidateur de la SAS [O] [P] ET FILS
/
[S] [O], UNEDIC Délégation AGS, CGEA D'[Localité 5]
Arrêt rendu ce TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
S.A.S. [O] [P] ET FILS
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 18]
[Localité 3]
Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Véronique MARCEL de la SELARL PYXIS AVOCATS, avocat au barreau d’AVIGNON, avocat plaidant
SELARL MANDATUM en qualités de mandataire liquidateur de la SAS [O] [P] ET FILS
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emilie BLAS de la SELARL VALLIS AVOCATS, avocat au barreau d’AVIGNON et par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTES
ET :
M. [S] [O]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Karine PAYS, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, avocat constitué, substitué par Me Pierre ROBILLARD de la SELARL PARALEX, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, avocat plaidant
CGEA GESTIONNAIRE DE L’AGS D'[Localité 5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Emilie PANEFIEU, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMES
Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 14 Novembre 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS [O] [P] ET FILS (RCS 342 714 524), dont le siège social est situé à [Localité 11] (43), était spécialisée dans le secteur d’activité des travaux de menuiserie bois et pvc, charpente, ébénisterie. Monsieur [S] [O] était l’actionnaire principal et le président de cette société depuis la démission de Monsieur [P] [O] le 29 mai 1995.
Monsieur [S] [O], né le 27 novembre 1959, a été embauché le 13 avril 1981 par la SAS [O] [P] ET FILS, suivant un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de gérant cadre salarié.
Le 27 novembre 2015, l’assemblée générale extraordinaire de la société [O] [P] ET FILS a donné son accord pour la cession de l’intégralité des actions à la SAS [W] & [O] ASSOCIES (RCS 814 610 598). Monsieur [Y] [W] a été élu président de la société [O] [P] ET FILS en remplacement de Monsieur [S] [O], démissionnaire. En mars 2017, si la SAS HOLDING [W] (représentant légal : Monsieur [Y] [W]) était l’actionnaire majoritaire de la société [W] & [O] ASSOCIES, Monsieur [S] [O] était actionnaire minoritaire de cette société (cf procès-verbal assemblée générale extraordinaire du 30 mars 2017).
Le 1er décembre 2015, Monsieur [S] [O] a signé un avenant à son contrat de travail avec la société [O] [P] ET FILS, cette dernière représentée par Monsieur [Y] [W]. Cet avenant mentionne que Monsieur [S] [O] exercera la fonction de directeur (cadre) à compter du 1er décembre 2015, avec application de la convention collective nationale des cadres du bâtiment. À la même date, l’employeur accordait à Monsieur [S] [O] une délégation de pouvoirs (ressources humaines et matière commerciale) ainsi qu’une délégation de signature (sauf opérations bancaires).
Le 5 avril 2016, Monsieur [S] [O] a été placé en arrêt de travail pour maladie (‘épisode dépressif’ selon le certificat médical) jusqu’au 1er mai 2016. L’arrêt de travail du salarié sera prolongé jusqu’à la rupture de son contrat de travail.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 12 avril 2016, l’employeur a notifié un avertissement à Monsieur [S] [O]. Le salarié a contesté cette sanction disciplinaire auprès de son employeur par courrier recommandé daté du 9 mai 2016.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 10 janvier 2017, Monsieur [S] [O] a été convoqué a un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 janvier 2017. Dans ce cadre, l’employeur a notifié au salarié une mise à pied conservatoire.
Le 6 février 2017, Monsieur [S] [O] a été licencié pour faute grave.
Selon les documents de fin de contrat de travail établis par l’employeur, Monsieur [S] [O] a été employé par la société [O] [P] ET FILS du 13 avril 1981 au 6 février 2017. Le salarié n’a pas perçu l’indemnité compensatrice de préavis ni l’indemnité de licenciement
Suivant jugement rendu en date du 15 février 2017 par le tribunal de commerce du PUY-EN-VELAY, la société [O] [P] ET FILS a été placée sous procédure de sauvegarde (plan de sauvegarde arrêté par jugement du 6 avril 2018). La SELARL [D], représentée par Maître [F] [D], a été désignée en qualité d’administrateur judiciaire. La SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Le 27 juillet 2017, Monsieur [S] [O] a saisi le conseil des prud’hommes du PUY-EN-VELAY aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de voir prononcer l’annulation de l’avertissement notifié le 12 avril 2016, outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.
Suite à une décision de radiation, Monsieur [S] [O] a sollicité (le 29 août 2018) et obtenu la réinscription de l’affaire.
Les parties ont été convoquées directement devant le bureau de jugement. Le défendeur a signé l’accusé de réception de la lettre recommandée avec avis de réception le convoquant devant le bureau de jugement le 20 septembre 2018, et le demandeur le 26 septembre 2018.
Par jugement contradictoire en date du 5 avril 2019 (audience du 8 février 2019), le conseil de prud’hommes du PUY-EN-VELAY a :
– annulé l’avertissement notifié à Monsieur [S] [O] le 12 avril 2016 ;
– dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
– condamné la SAS [O] [P] ET FILS à payer à Monsieur [S] [O] les sommes de :
* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’avertissement injustifié,
* 107.311,05 euros net à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 15.861,87 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.586,18 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 42.298,32 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.183,45 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de retraite complémentaire contractuelle,
* 10.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,
* 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d’indemnités ;
– dit que le présent jugement sera transmis au Pôle Emploi ;
– rappelé l’exécution provisoire de droit ;
– dit que le salaire moyen des trois derniers mois est de 5.287,29 euros ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement concernant la condamantion à des dommages-intérêts en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– condamné la SAS [O] [P] ET FILS aux dépens.
Le 12 avril 2019, la société [O] [P] ET FILS a interjeté appel de ce jugement. La procédure d’appel a été enregistrée sous le numéro RG 19/00756 et distribuée à la chambre sociale de la cour d’appel de Riom.
Le 17 décembre 2019, la chambre sociale de la cour d’appel de RIOM a ordonné la radiation de l’instance du rang des affaires en cours. Cette affaire a ensuite été réinscrite le 28 septembre 2021 sur demande de la SELARL MANDATUM sous les numéros RG 21/01995 et 21/01996. Par ordonnance du magistrat de la mise en état rendue en date du 12 octobre 2021, les procédures d’appel ont été jointes sous le seul numéro RG 21/01995.
Suivant jugement rendu en date du 14 octobre 2020 par le tribunal de commerce du PUY-EN-VELAY, la société [O] [P] ET FILS a été placée en redressement judiciaire (résolution du plan de sauvegarde). La SELARL [D], représentée par Maître [F] [D], a été désignée en qualité d’administrateur judiciaire.
Suivant jugement rendu en date du 16 décembre 2020 par le tribunal de commerce du PUY-EN-VELAY, la société [O] [P] ET FILS a été placée en liquidation judiciaire et la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Selon exploit d’Huissier en date du 5 août 2021, Me [V], Mandataire liquidateur a été assigné en intervention forcée.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 4 novembre 2021par la SELARL MANDATUM,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 22 novembre 2021 par l’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA D'[Localité 5],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 1er février 2022 par Monsieur [S] [O],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 17 octobre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] [P] ET FILS, conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
Au fond :
– dire et juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouter Monsieur [S] [O] de l’ensemble ses demandes ;
Reconventionnellement :
– condamner Monsieur [S] [O] à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat ;
– condamner Monsieur [S] [O] à lui payer la somme de10 000 euros pour procédure abusive ;
A titre infiniment subsidiaire, si la Cour venait à fixer une somme au passif de la société [O] [P] ET FILS ;
– ramener les sommes octroyées à de plus justes proportions ;
– déclarer l’arrêt à venir commun et opposable au CGEA qui devra garantir le paiement des sommes éventuellement fixées au passif de la société [O] [P] ET FILS ;
En tout état de cause : condamner Monsieur [S] [O] à lui payer la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître RAHON.
Le liquidateur judiciaire soutient tout d’abord, concernant l’avertissement notifié au salarié le 12 avril 2016 par l’employeur, que les fautes qui sont imputées au salarié sont constitutives d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur et reflètent en outre une absence totale de prospection commerciale en contrariété avec les dispositions de son contrat de travail. Il considère ainsi qu’elles auraient pu parfaitement, à elles seules, justifier un licenciement pour faute grave.
Il explique plus spécialement :
– concernant le chantier [A], l’employeur a reçu un courrier de l’inspection du travail daté du 20 février 2016 au terme duquel il lui était reproché des manquements en matière de sécurité sur ce chantier (port de charges lourdes) et d’hygiène (conditions de prise des repas sur le chantier), étant rappelé que Monsieur [O] était personnellement en charge de ce chantier. Elle ajoute avoir en outre reçu une plainte du donneur d’ordre, soit la mairie du [Localité 14] dénonçant diverses carences constatées sur place et mettant de la sorte en exergue son insatisfaction quant à sa réalisation, une telle circonstance étant de nature à impacter négativement l’image de l’entreprise. Elle conteste par ailleurs que la responsabilité du chantier ait incombé à Madame [M], et rappelle qu’en sa qualité de directeur il incombait à Monsieur [O] de contrôler le travail de celle salariée récemment recrutée (embauche le 4 janvier 2016) ainsi que d’assurer sa formation, ce qu’il n’a pas fait de manière effective. Il est fait enfin grief au salarié d’avoir eu recours à des sous-traitants sans qu’aucun devis ne soit établi et signé, étant précisé que cet aspect administratif des chantiers incombait également à Monsieur [O] ;
– concernant le chantier ESEPAC à [Localité 15], elle fait valoir que Monsieur [O] a une nouvelle fois contrevenu aux règles élémentaires de sécurité présidant l’exécution de tout chantier et explique que des salariés chargés d’installer des menuiseries sur la partie haute de l’atelier et l’amphithéâtre sont intervenus alors même qu’ils étaient dépourvus de tout harnais de sécurité. Il est également reproché à Monsieur [O] de ne pas avoir permis aux salariés concernés de suivre la formation pourtant requise pour le montage et démontage des échafaudages.
Il conclut ainsi au bien fondé de l’avertissement qui a été notifié à Monsieur [O] le 12 avril 2016.
S’agissant du licenciement pour faute grave critiqué par Monsieur [O], la SELARL MANDATUM conteste tout d’abord toute prescription des griefs de licenciement. Elle rappelle que le délai de prescription de deux mois doit être calculé à partir du jour où la procédure disciplinaire a été engagée, soit le jour de la convocation à l’entretien préalable à licenciement, étant précisé qu’en l’espèce elle porte date du 10 janvier 2017, en sorte que l’employeur était bien fondé à se prévaloir de faits remontant jusqu’au 10 novembre 2016 ou ayant été portés à la connaissance de l’employeur postérieurement à cette date, ce qui est le cas en l’espèce.
Sur le bien fondé du licenciement, elle soutient que Monsieur [O] a conclu des marchés à perte dès lors que les dépenses engendrées par le matériel et le coût global de la main d’oeuvre étaient significativement supérieurs au prix total du marché alors même qu’il lui incombait de veiller, conformément à la délégation de pouvoir qu’il a reçu en suite de sa nomination au poste de directeur de l’entreprise, au seuil de rentabilité de l’entreprise dans la réalisation de sa mission de négociation commerciale et de réalisation des devis et études subséquents prévue à son contrat de travail. Elle considère même que Monsieur [O] a délibérément commis des erreurs de chiffrage afin d’obérer la santé financière de l’entreprise. Elle relève enfin les conséquences, considérées désastreuses, des fautes commises par le salarié dès lors qu’elles ont conduit la société à être placée en liquidation judiciaire le 16 décembre 2020. Elle considère ainsi que ces différentes fautes ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail de Monsieur [O] et justifient parfaitement le licenciement pour faute grave qui lui a été notifié.
A titre reconventionnel, la SELARL MANDATUM sollicite l’indemnisation du préjudice subi à raison de la déloyauté du salarié dans l’exécution de son contrat de travail, telle qu’elle ressort des différentes fautes qu’il a commises, dont certaines délibérément afin de nuire à l’entreprise.
Elle réclame en outre une indemnité à raison du caractère abusif de la procédure prud’homale engagée par Monsieur [O] au regard de l’absence de bien fondé de sa contestation et des circonstances du litige.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [S] [O] demande à la cour de :
Sur l’annulation de l’avertissement notifié le 12 avril 2016 :
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il annulé cette sanction et alloué 2 000 euros de dommages intérêts ;
– juger que cette somme sera inscrite au passif de la société [O] [P] & FILS ;
Sur le licenciement :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué les sommes suivantes :
* 95 171.22 euros nets de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel lié à la perte de l’emploi,
* 20 000 euros de dommages intérêts en réparation du préjudice moral ;
– juger que ces sommes seront inscrites au passif de la société [O] [P] & FILS ;
Demandes diverses :
– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes adverses ;
– condamner la SELARL MANDATUM à lui la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– condamner la SELARL MANDATUM aux entiers dépens ;
– décider que la décision sera déclarée opposable aux AGS CGEA.
Monsieur [S] [O] soutient que l’avertissement du 12 avril 2016 doit être annulé, étant argué de l’absence de tout motif valable invoqué à son soutien. Il conteste tout d’abord avoir fait travailler sur plusieurs chantiers des sous-traitants sans avoir au préalable solliciter l’établissement d’un devis et explique que le dossier [A] litigieux était géré par Madame [M] en sa qualité de conductrice des travaux et que pour l’hypothèse ou ce défaut serait avéré, la responsabilité incomberait exclusivement à cette dernière, étant précisé qu’elle a bénéficié de son accompagnement personnel dès lors qu’elle ne justifiait pas des compétences utiles à l’exercice des fonctions qui lui étaient confiées.
Il conteste ensuite avoir fait travailler un sous-traitant sur le chantier [G] [I] non en règle administrativement et non agréé par le client. Il explique qu’afin d’éviter toute prise de retard, l’architecte a autorisé le sous-traitant concerné à démarrer immédiatement son intervention en sorte que le défaut de conformité administratif n’a été constaté que postérieurement, soit lors de la réception des pièces administratives.
Il réfute ensuite toute responsabilité dans le défaut de dénonciation des répercussions financières attachées au travail défectueux réalisé par le professionnel en charge du désamiantage sur le chantier [A]. Il fait plus spécialement valoir que Madame [M], qui était en charge de ce chantier, ne l’a pas informé des problèmes ainsi rencontrés avec le sous-traitant, étant toutefois précisé que lorsqu’il en a été informé, celui-ci avait déjà été réglé de sa prestation.
Il fait ensuite valoir qu’aucun grief ne peut lui être imputé à raison d’un défaut d’information de Monsieur [W] dès lors qu’en sa qualité de directeur il exerçait ses fonctions en autonomie et indépendance, ce qui exclut toute obligation de rapporter de quelconques difficultés à l’employeur dont il était en tout état de cause parfaitement informé.
Il conteste également toute responsabilité personnelle s’agissant du travail de personnel sur le chantier ESEPAC sans qu’une convention de prêt n’ait été établie, et sans qu’une habilitation n’ait été donnée et en l’absence de tout harnais de sécurité dès lors que seul le conducteur de travaux était en charge de ces vérifications, qualité qu’il n’occupait pas. Il ajoute enfin que les équipements de sécurité étaient dûment mis à disposition des salariés.
Il réfute encore le bien fondé du grief tenant à l’absence de prospection commerciale et fait valoir avoir obtenu un chantier significatif en terme de chiffre d’affaires avec le Conseil Régional.
Il déduit de l’ensemble de ces éléments que la sanction disciplinaire qui lui a été notifiée est mal fondée et, en tout état de cause, manifestement disproportionnée.
Il conteste ensuite le bien fondé du licenciement qui lui a été notifié. Il se prévaut à ce titre de la prescription des faits qui lui sont imputés par l’employeur, outre de l’absence de toute matérialité.
Il explique plus spécialement :
– concernant le chantier ‘[Localité 13] LIMOUSIN’, que la perte de chiffre d’affaires engendrée par l’erreur de chiffrage litigieuse résulte de la seule responsabilité de Monsieur [W] lequel a préféré recourir à de la sous-traitance extérieure en lieu et place d’utiliser la main d’oeuvre interne par principe moins onéreuse et qu’il a par ailleurs modifié les termes du contrat initialement conclus ;
– concernant le chantier à [Localité 16], il explique que la perte de chiffre d’affaires qui lui est imputée au terme d’une comparaison entre le chiffrage qu’il a effectué de ce chantier et celui réalisé par Monsieur [J] n’est pas pertinente en l’absence de toute objectivité de la comparaison ainsi opérée en considération des expériences et méthodes de travail respectives ;
– concernant le chantier ‘LA GLUNIERE’ à [Localité 17], il conteste qu’une quelconque faute puisse lui être imputée et réfère comme précédemment à l’absence d’objectivité du chiffrage réalisé par Monsieur [W] en comparaison de celui qu’il a établi personnellement.
Il en déduit que le licenciement qui lui a été notifié ne repose sur aucun élément matériel et sollicite ainsi, à titre principal qu’il soit requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à titre subsidiaire, à supposer les faits établis, que ceux-ci soient considérés comme reflétant une simple insuffisance professionnelle. Il réclame en outre les rappels de salaires afférents et indemnisation du préjudice subi.
Il réfute ensuite le bien fondé des demandes reconventionnelles présentées par l’employeur. S’agissant de l’exécution déloyale du contrat de travail dont excipe l’employeur, il indique n’avoir jamais commis de faute, n’avoir jamais fait l’objet de sanction disciplinaire à l’exception de l’avertissement du 12 avril 2016 présentement contesté et rappelle avoir exercé ses fonctions durant 35 années.
Concernant le caractère abusif de la procédure, dont il conteste la réalité, il se prévaut de l’absence de bien fondé des sanctions qui lui ont été notifiées, à savoir un avertissement et un licenciement pour faute grave, pour en déduire au contraire qu’il rapporte la preuve des manoeuvres dont a usé l’employeur pour l’évincer de la société.
Dans ses dernières écritures, l’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA d’ORLÉANS demande à la cour de :
A titre principal :
– réformer le jugement entrepris ;
Se faisant et statuant à nouveau :
– déclarer irrecevables les demandes de condamnation de la SAS [O] [P] ET FILS présentées par Monsieur [S] [O] en application de l’article L.622-21 du Code de Commerce ;
– déclarer la garantie de l’UNEDIC, AGS/CGEA exclue en l’absence de demandes formulées à son encontre ;
– débouter Monsieur [S] [O] de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions ;
A titre subsidiaire :
– réformer le jugement entrepris ;
Se faisant et statuant à nouveau :
Si par impossible la Cour devait confirmer la requalification du licenciement pour faute grave :
– déclarer le contrat de travail de Monsieur [S] [O] suspendu à compter du 29 mai 1995 et ce jusqu’au 27 novembre 2015 ;
– fixer l’ancienneté de Monsieur [S] [O] à 15 ans, 3 mois et 25 jours ;
– limiter à la somme de 32.516,83 euros l’indemnité de licenciement de Monsieur [S] [O] ;
– débouter Monsieur [S] [O] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– débouter Monsieur [S] [O] de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions ;
A titre infiniment subsidiaire :
– déclarer l’arrêt à intervenir opposable à l’UNEDIC, AGS/CGEA d'[Localité 5] en qualité de gestionnaire de l’A.G.S, dans les limites prévues aux articles L.3253-1 et suivants (Article L.3253-8), D.3253-5 du Code du travail et du Décret n° 2003-684 du 24 juillet 2003 ;
– déclarer que la garantie de l’UNEDIC, AGS/CGEA est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, au plafond 6 défini à l’article D.3253-5 du Code du Travail ;
– déclarer que les limites légales et jurisprudentielles de la garantie de l’UNEDIC sont applicables ;
– déclarer que l’arrêt à intervenir ne saurait prononcer une quelconque condamnation à leur encontre ;
– déclarer que l’UNEDIC, AGS/CGEA ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-1 et suivants du Code du Travail (article L.3253-8 du Code du Travail) que
dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-1 et suivants du Code du Travail (article L.3253-8 du Code du Travail) ;
– déclarer que l’obligation de l’UNEDIC, AGS/CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafonds applicables, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire ;
– arrêter le cours des intérêts à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective (articles L.622-28 du Code de Commerce et suivants).
L’association UNEDIC relève à titre liminaire l’irrecevabilité des demandes présentées par le salarié, lequel sollicite la condamnation de la société [O] [P] ET FILS en personne, alors même que celle-ci a été placée en liquidation judiciaire et que seule une fixation au passif de la liquidation peut être réclamée. Elle rappelle qu’il est constant que la règle de l’arrêt des poursuites individuelles est d’ordre public et souligne l’absence de demande de garantie formulée par l’intimé.
Elle conclut, se référant aux explications du liquidateur judiciaire, au bien fondé des sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre du salarié, tant s’agissant de l’avertissement du 12 avril 2016 que du licenciement pour faute grave notifié à Monsieur [O].
L’association UNEDIC soutient que Monsieur [S] [O] ne peut se prévaloir du cumul d’un contrat de travail avec son mandat social de gérant pendant la période du 29 mai 1995 au 27 mai 2015, que l’ancienneté du salarié doit être minorée en conséquence. A titre subsidiaire, elle indique que les montants sollicités par le salarié au titre de l’indemnité de licenciement et des dommages et intérêts doivent être minorés.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
En application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions des parties.
– Sur la recevabilité des demandes de Monsieur [S] [O] –
Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées, Monsieur [S] [O] ne demande pas la condamnation de la société [O] [P] & FILS à lui verser des sommes, mais de juger que les sommes qu’il réclame seront inscrites au passif de la procédure collective de la société [O] [P] & FILS, et de déclarer l’arrêt à intervenir opposable aux AGS CGEA.
L’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 5] sera donc déboutée de sa demande afin de déclarer irrecevables les demandes de condamnation de la SAS [O] [P] ET FILS présentées par Monsieur [S] [O] en application de l’article L.622-21 du Code de Commerce.
– Sur la sanction disciplinaire d’avertissement –
Monsieur [Y] [W], en qualité de dirigeant de la société [O] [P] ET FILS, et Monsieur [S] [O], en qualité de directeur salarié de cette entreprise, n’ont travaillé ensemble de façon effective que du 1er décembre 2015 au 5 avril 2016.
Les relations entre les deux hommes, le nouveau et l’ancien dirigeant de l’entreprise, se sont rapidement dégradées. L’employeur soutient que Monsieur [S] [O] a sciemment effectué un travail de mauvaise qualité, en tout cas très négligé ou insuffisant, alors que le salarié ne supportait pas sa nouvelle situation de subordination. Monsieur [S] [O] affirme que le nouveau dirigeant l’a mis sous pression, voire harcelé, et a formulé moult reproches fallacieux dans le but de se débarrasser rapidement de lui.
Pour la période antérieure au 1er décembre 2015, la cour ne dispose d’aucun document établissant les tâches contractuelles de Monsieur [S] [O], ni même d’un quelconque contrat de travail ou avenant contractuel signé entre Monsieur [S] [O] et la société [O] [P] ET FILS.
À compter du 1er décembre 2015, vu l’avenant signé par les parties, Monsieur [S] [O] était notamment en charge des missions suivantes :
– prospection commerciale tous départements ;
– rendez-vous de négociation ;
– mise au point technique et commerciale ;
– réalisation des devis et études, encadrement du bureau d’études ;
– gestion de certains chantiers en qualité de conducteur de travaux ;
– encadrement des directeurs et conducteurs de chantiers dans les départements 43, 07, 69, 63 et 42 ;
– contrôle de l’application des règles de sécurité par l’ensemble du personnel de l’entreprise et les sous-traitants, en tous lieux (ateliers et chantiers notamment) ;
– contrôle de la qualité des ouvrages (ateliers et chantiers) ;
– validation des fiches de travail et des fiches horaires ;
– responsabilité de la conclusion des marchés avec les sous-traitants et contrôle de la régularité avec la législation fiscale et sociale ;
– représentation de la société aux expertises et suivi de celles-ci.
À compter du 1er décembre 2015, Monsieur [S] [O] avait reçu de l’employeur une délégation de pouvoirs :
– en matière de ressources humaines (choix et proposition d’embauche, gestion, direction, proposition de sanction, sécurité et hygiène, respect du règlement intérieur et des directives, organisation…) ;
– en matière commerciale (négociation des marchés et réponse aux appels d’offres, établissement des devis, vérification de la rentabilité et de la qualité de l’offre, appel aux sous-traitants et contrôle de ceux-ci…).
À compter du 1er décembre 2015, Monsieur [S] [O] avait reçu de l’employeur une délégation de signature pour les contacts avec les tiers, l’administration du personnel (sur autorisation préalable de l’employeur pour la signature des contrats de travail et avenants ainsi que pour la notification des sanction disciplinaires), la gestion commerciale, à la seule exclusion des opérations bancaires.
L’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire du droit de sanctionner les fautes commises par ses salariés à l’occasion de l’exécution de leur contrat de travail. L’employeur qui se place sur le terrain disciplinaire est tenu par l’analyse ainsi faite, et il ne saurait prétendre par la suite justifier la mesure prise par des motifs non disciplinaires. Le comportement fautif du salarié doit, en principe, se manifester par un acte positif ou une abstention de nature volontaire, l’insuffisance professionnelle ne constituant pas un motif de sanction disciplinaire. La faute ne peut résulter que d’un fait avéré, imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail.
L’employeur est, en principe, libre de choisir la sanction qui lui paraît adaptée au comportement fautif du salarié. Ainsi, sauf détournement de pouvoir ou discrimination, il peut, en vertu de son pouvoir d’individualisation des mesures disciplinaires, sanctionner différemment les salariés ayant participé à une même faute ou ne pas sanctionner l’un d’entre eux. La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur doit être proportionnée à la faute commise par le salarié.
Un salarié peut contester devant la juridiction prud’homale, dans le délai de prescription de deux ans visé par l’article L. 1471-1 du code du travail, toute mesure disciplinaire prise à son encontre. Le juge prud’homal apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier la sanction disciplinaire contestée. L’employeur doit fournir au juge les éléments retenus pour prendre la sanction disciplinaire. Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations. Si le doute subsiste, il profite au salarié. Le juge n’est pas lié par les dispositions du règlement intérieur ni par les dispositions conventionnelles ou contractuelles. Le juge doit vérifier si les faits ne sont pas prescrits et rechercher s’ils présentent un caractère fautif. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés. En revanche, il ne peut pas annuler une sanction disciplinaire qu’ils estime trop clémente. Le juge ne peut pas modifier une sanction disciplinaire et en prendre une autre. Le juge doit annuler la sanction disciplinaire s’il en constate le caractère disproportionné ou injustifié.
Le courrier d’avertissement du 12 avril 2016 contient les griefs suivants :
– l’absence de prospection commerciale ;
– les réclamations adressées par les clients sur les chantiers ‘les bleuets’ d'[Localité 7] et ‘abri à sel’ de [Localité 12], l’absence de réponse ;
– sur le chantier [A] à [Localité 11] : avoir fait travailler des sous-traitants sans avoir au préalable signé un devis, avoir fait travailler un sous-traitant qui n’était pas en règle avec l’administration et n’était pas agréé par le client, ne pas avoir adressé de correspondance recommandée pour dénoncer les répercussions financières du fait du mauvais travail accompli par un sous-traitant en charge du désamiantage et ne pas avoir tenu informé Monsieur [Y] [W] du problème, un non-respect des règles de sécurité concernant le port de charges lourdes relevé par l’inspection du travail ;
– sur le chantier [G] [I] : avoir fait travailler un sous-traitant qui n’était pas en règle avec l’administration et n’était pas agréé par le client ;
– sur le chantier ESEPAC à [Localité 15] : avoir fait travailler le personnel sur l’échafaudage du plaquiste, sans convention de prêt, sans habilitation et sans harnais de sécurité ;
– des carences en matière d’organisation, de management et de suivi des chantiers ;
– ne pas avoir rendu compte de ses missions et des problèmes à Monsieur [Y] [W] ;
– un achat de pneus d’un montant de 1.066 euros TTC pour son véhicule personnel avant la cession de parts.
Les questions de prescription et de régularité de la procédure disciplinaire ne faisant pas litige, la cour va d’abord s’attacher à déterminer si des griefs sont matériellement établis.
– Sur la matérialité des faits –
La cour, comme le premier juge, relève que s’agissant de plusieurs griefs mentionnés dans la lettre d’avertissement, la matérialité des faits dénoncés par l’employeur n’est pas établie, ou le doute doit profiter au salarié.
La cour retient par contre les éléments matériels qui suivent.
‘ Le chantier [A] dans le 43
Par courrier du 3 mars 2016, la commune de [Localité 11] signalait directement à Monsieur [S] [O] des dysfonctionnements sur le chantier, imputables selon lui à l’intervention de la société [O] [P] ET FILS.
Dans un rapport en date du 18 février 2016, adressé à l’employeur, l’inspection du travail relatait que lors de son déplacement sur le chantier [A] en date du 17 février 2016, elle avait constaté les manquements suivants concernant les salariés de la société [O] [P] ET FILS : port de charges trop lourdes sans aide à la manutention présentant un risque pour la santé, mauvais décompte du temps de travail effectif, non-versement de l’indemnité de repas.
Monsieur [L] indique avoir travaillé sur le chantier [A] et avoir constaté des problèmes de fabrication mais il en impute la responsabilité à Madame [M] qui aurait mal retranscrit des dimensions prises par Monsieur [S] [O]. Il relève le manque d’expérience et de compétence de Madame [M] pour suivre un tel chantier qui lui avait été confié par Monsieur [S] [O].
‘ Le chantier ESEPAC dans le 43
Monsieur [H] expose que sur ce chantier Monsieur [S] [O] ne lui a pas fourni d’équipement de protection pour monter sur les échafaudages, qu’il est donc monté sans harnais de sécurité sur des échafaudages sans garde-corps. Il indique que les harnais de sécurité n’ont été fournis par l’employeur que lorsque Monsieur [Y] [W] a découvert la situation à l’occasion d’une visite surprise sur le chantier.
Monsieur [Y] [W] a, par courriel du 9 mars 2016, enjoint de faire un rappel de sécurité au sous-traitant dont les salariés de l’entreprise utilisaient l’échafaudage, et demander à ce que les règles de sécurité soient respectées sur le chantier ESEPAC. Une facture en date du 31 mars 2016 pour l’achat de harnais de sécurité est versée aux débats.
Monsieur [K] relate qu’il a travaillé en mars 2016 avec Monsieur [H] sur ce chantier en utilisant des échafaudages de l’entreprise munis de garde-corps selon les instructions de Monsieur [S] [O].
‘ Madame [M] a été embauchée à compter du 4 janvier 2016 par la société [O] [P] ET FILS en qualité de conductrice de travaux (période d’essai jusqu’au 4 juin 2016).
Madame [M] témoigne de ce que, embauchée le 4 janvier 2016 et sans expérience en menuiserie intérieure et suivi des chantiers, elle devait en principe être formée et assistée par Monsieur [S] [O]. Elle indique que Monsieur [S] [O] ne l’a pourtant jamais sérieusement formée ni assistée et lui a confié des chantiers beaucoup trop lourds ou complexes pour une débutante, sans instructions ni documentations suffisantes et adaptées.
Elle expose avoir finalement constaté que Monsieur [S] [O] n’avait en réalité pas les compétences requises par sa fonction, ni sur le plan technique ni pour gérer les chantiers, qu’en conséquence son supérieur hiérarchique lui avait sciemment confié des chantiers difficiles. Elle ajoute que les promesses irréalistes de Monsieur [S] [O] faites aux clients ou autres intervenants l’ont souvent mise en difficulté.
Elle indique en avoir finalement parlé, au bout de trois mois de travail, à Monsieur [Y] [W], notamment pour se plaindre de l’absence d’assistance et des dysfonctionnements imputables à Monsieur [S] [O]. Monsieur [Y] [W] aurait découvert cette situation avec surprise. Madame [M] conclut que, découragée par cette expérience professionnelle, elle a préféré démissionner fin mai 2016.
– Sur l’appréciation des griefs –
Vu l’opposition des versions de Monsieur [K] et de Monsieur [H] concernant le respect des règles de sécurité sur le chantier ESEPAC, le doute doit, sur ce point également, profiter à Monsieur [S] [O].
Il est par contre établi des carences et dysfonctionnements dans le suivi du chantier [A], relevés notamment par un client, un sous-traitant ou artisan intervenant, et l’inspection du travail.
Monsieur [S] [O] se défend en indiquant qu’il n’était pas directement en charge du suivi de ce chantier [A] qu’il avait confié à Madame [M].
Monsieur [S] [O] est pourtant intervenu directement à quelques reprises, par visites et courriels notamment, concernant ce chantier.
En outre, Monsieur [S] [O] ne pouvait ignorer l’inexpérience et le manque de compétences spécifiques de Madame [M] pour assurer le suivi d’un tel chantier.
L’encadrement des directeurs et conducteurs de chantiers dans les départements 43, 07, 69, 63 et 42, le contrôle de l’application des règles de sécurité par l’ensemble du personnel de l’entreprise et les sous-traitants sur tous les chantiers, le contrôle de la qualité des chantiers, le contrôle de l’activité des sous-traitants faisaient partie des tâches contractuelles de Monsieur [S] [O] qui ne saurait s’en décharger sur Madame [M] qu’il devait former et encadrer.
Ces défaillances de Monsieur [S] [O] dans le suivi ou le contrôle du chantier [A] comme dans le management et l’encadrement de Madame [M] sont constitutives d’une faute contractuelle.
Dans la mesure où ce manquement de Monsieur [S] [O] à ses obligations contractuelles a notamment conduit à une violation des règles de sécurité faisant courir un risque pour la santé des salariés travaillant sur le chantier [A] (port de charges trop lourdes sans aide à la manutention), la sanction disciplinaire d’avertissement était justifiée et proportionnée.
La cour infirme le jugement en ce que le conseil de prud’hommes du PUY-EN-VELAY a annulé l’avertissement notifié à Monsieur [S] [O] le 12 avril 2016 et condamné la SAS [O] [P] ET FILS à payer à Monsieur [S] [O] la somme 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’avertissement injustifié.
– Sur le licenciement –
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
‘Cher Monsieur,
Selon avenant conclu le 1er décembre 2015, vous avez pris les fonctions de Directeur de la SAS [O] [P] ET FILS.
A ce titre, vous êtes notamment en charge de la négociation commerciale et de la réalisation de devis et d’études.
Vous avez conclu une délégation de pouvoirs rappelant que vous avez été Gérant de la SAS [O] [P] ET FILS et disposez des compétences techniques et professionnelles nécessaires pour mener à bien vos missions de Directeur.
Ce document prévoyait notamment l’obligation de tenir l’employeur régulièrement informé au moins une fois par semaine de la façon dont vous exécutez vos missions.
Il y est rappelé que vous disposez de pouvoirs étendus en matière de gestion des ressources humaines mais également commerciale ‘le Directeur aura en charge la négociation de marchés privés et la participation aux appels d’offres des marchés publics. A ce titre, il devra établir des devis qui engagent l’entreprise. Il devra donc veiller notamment à ce que l’offre proposée aux clients potentiels soit avantageuse par rapport à la concurrence, mais également de qualité. En outre, il devra respecter, dans ses offres de prix, le seuil de rentabilité de l’entreprise’.
Vous avez reçu un avertissement le 12 avril 2016 pour avoir notamment :
– Fait travailler des sous-traitants sans avoir validé de devis au préalable ;
– Fait travailler un sous-traitant sans avoir vérifié qu’il était en règle avec l’administration, ce qui a engendré une interdiction de chantier et un retard subséquent ;
– Omis de demander l’agrément du sous-traitant par le client ;
– Manqué a vos obligations de suivi de chantier (désamiantage mal effectué par le prestataire sans aucune réclamation de l’entreprise) ;
– Manqué au respect des règles de sécurité des salariés (port de charges lourdes, absence
convention de prêt échafaudage, absence de harnais de sécurité) ;
– Omis d’informer l’employeur de toutes ces difficultés (courriers de réclamations clients,
Inspection du travail etc.).
Par la suite, vos dossiers ont été repris par différents conducteurs de travaux durant votre absence pour maladie.
Plusieurs d’entre eux m’ont récemment informé de graves difficultés concernant des dossiers que vous aviez chiffrés et validés.
Notamment, le 14 décembre 2016, Monsieur [Z], Conducteur de travaux, me faisait part d’un problème de chiffrage concernant le chantier ‘[Localité 13] Limousin’ : 13 380 € d’achat contre 9 300 € vendus. Il s’agit donc d’une prestation à perte, ce qui est interdit et surtout non viable pour l’entreprise. L’entreprise n’a pas pu se soustraire à cet engagement et a dû honorer les travaux commandés pour ne pas perdre sa crédibilité et son image de marque.
Egalement, selon courrier en date du 15 décembre 2016, Monsieur [J] portait a notre connaissance un problème de chiffrage concernant le chantier [Localité 16] :’ Monsieur, …’
Il ressort donc de cette analyse du dossier une différence de chiffrage d’au moins 113 791 €.
Le montant que vous avez chiffré ne suffit même pas à couvrir le montant des débours !
Nous avons été contraints de dénoncer ce marché et avons perdu le bénéfice du contrat si celui-ci avait été correctement chiffré et exécuté, sans compter la dépréciation de l’image de marque de l’entreprise, son sérieux étant irrémédiablement entaché auprès de la Commune.
Le 21 décembre 2016, Monsieur [U], Conducteur de travaux, nous informait d’une autre difficulté concernant le chantier LA GLUNIERE [Localité 17] :’J’ai pu constater une anomalie très importante …’
Là encore la différence s’élève a plus de 125 000 €.
D’autres marchés n’ont pas été correctement évalués :
– Résidence Séniors de [Localité 10] : insuffisance de chiffrage de plus de 29 000 € ;
– Cabinet Docteur [O] : bénéfice de seulement 8 % (alors que le minimum requis pour être a l’équilibre est de 20 %) ;
– [Localité 8] – Préau College de [9] : bénéfice de 596 € seulement (2,33 % contre 20% requis).
Ces négligences gravement fautives mettent en péril la Société et rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail.
Elles sont d’autant plus inacceptables au regard de votre expérience dans le métier.
Les différences de chiffrages précédemment énumérées sont si grossières qu’il est même possible de se demander si ceux-ci n’ont pas été effectués avec l’intention manifeste de nuire à la Société.
C’est pourquoi, au regard de tout ce qui précède, et selon courrier recommandé en date du 10 janvier 2017, vous avez été convoqué a un entretien préalable devant se tenir le 26 janvier 2017 à 17h30 afin de pouvoir présenter vos observations sur les faits qui vous sont reprochés.
Votre absence lots de l’entretien préalable ne nous a pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Cette mesure prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de la présente, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Nous vous rappelons que vous faites 1’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 10 janvier 2017 à ce jour, nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement ne sera pas rémunérée.
Par courrier séparé, nous vous adresserons vos documents de fin de contrat (certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte, attestation Pole emploi, attestation Caisse de Congés payés).
L’avenant que vous avez signé avec notre entreprise 1e 1er décembre 2015 comportait une clause de non-concurrence. Nous vous dispensons expressément de l’application de cette clause. I1 vous est donc permis de travailler pour toute entreprise de votre choix ou d’exercer toute activité de votre choix. Bien entendu, dans ces conditions, l’indemnité compensatrice de non-concurrence ne vous est pas due.
Vous Voudrez bien prendre contact au plus tôt avec le service des ressources humaines pour la restitution des documents et du matériel en votre possession et récupérer l’ensemble de vos affaires personnelles.
Nous vous prions d’agréer, Cher Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.
Pour la SAS [O] [P] ET FILS
Monsieur [Y] [W], Président.’
L’employeur a bien notifié à Monsieur [S] [O] un licenciement pour faute grave, soit un licenciement pour motif disciplinaire.
Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l’employeur d’invoquer de nouveaux ou d’autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.
Pour que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c’est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l’existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c’est-à-dire que les faits invoqués par l’employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.
Si l’employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu’il considère comme fautif, il doit s’agir d’un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l’employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d’autres personnes, même proches.
En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, donc abusif. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité de licenciement, du préavis ou de l’indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).
Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l’employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu’il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l’indemnité compensatrice de congés payés reste due.
La sanction disciplinaire prononcée par l’employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l’employeur à l’encontre du salarié n’est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d’une faute n’est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à avertissement préalable.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l’employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié.
En revanche, il importe peu que l’employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n’aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l’indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l’employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l’employeur, en revanche, d’établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.
Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail : ‘Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.’.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l’entretien préalable ou de prononcé d’une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai, l’employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.
En l’espèce, à l’exclusion des griefs déjà invoqués dans la lettre d’avertissement du 12 avril 2016, la lettre de licenciement mentionne des fautes importantes, voire grossières, commises par Monsieur [S] [O] pour les chiffrages ou évaluations des chantiers suivants : ‘[Localité 13] LIMOUSIN’ (1), à [Localité 16] (2), à LA GLUNIERE [Localité 17] (3), Résidence Séniors de [Localité 10] (4), Cabinet Docteur [O] (5), [Localité 8] – Préau College de [9] (6), avec en conséquence des pertes ou bénéfices insuffisants pour l’entreprise.
La société [O] [P] ET FILS a choisi de notifier un licenciement pour faute grave en relevant le caractère volontaire des anomalies, voire l’intention manifeste de Monsieur [S] [O] de nuire à la société.
– Sur la prescription –
La procédure de licenciement a été engagée le 10 janvier 2017.
S’agissant des chantiers ‘[Localité 13] LIMOUSIN’, [Localité 16], LA GLUNIERE [Localité 17], l’employeur, en la personne de Monsieur [Y] [W], n’a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés à Monsieur [S] [O] qu’en décembre 2016 (cf infra : courriers ou mails de messieurs [J], [U] et [Z]).
C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes a considéré que ces griefs n’étaient pas prescrits.
– Sur la matérialité des faits et l’appréciation des griefs –
À titre liminaire, la cour relève qu’il n’est versé aucune pièce aux débats concernant les chantiers Résidence Séniors de [Localité 10], Cabinet Docteur [O], [Localité 8] – Préau College de [9]. La matérialité des griefs invoqués dans la lettre de licenciement concernant ces chantiers n’est donc pas établie.
La cour constate que les pièces produites concernent uniquement les chantiers ‘[Localité 13] LIMOUSIN’, [Localité 16], LA GLUNIERE [Localité 17].
‘ Le chantier de [Localité 13]-LIMOUSIN (deux portes de garage)
Par courriel daté du 14 décembre 2016, Monsieur [Z] a signalé à Monsieur [Y] [W] que ce chantier avait coûté 13.380 euros en achat contre 9.300 euros en vente.
Il n’est pas contesté que Monsieur [S] [O] est l’auteur du devis du 21 septembre 2016 d’un montant 10.800 euros HT.
Toutefois, comme le relève le premier juge, la comparaison de ces deux estimations réalisées à des dates différentes pour des prestations différentes avec un recours à des sous-traitants non identifiés comme identiques, ne caractérise pas une faute imputable à Monsieur [S] [O]. En tout cas, le doute doit profiter au salarié sur ce point.
‘ Le chantier de la construction d’une salle de sport à [Localité 16] (lot bardage bois)
Le 15 janvier 2016, Monsieur [S] [O] a adressé au client (commune) une offre de prix de 114.168,10 euros HT.
Par la suite, Monsieur [J] (courrier non daté) a signalé à Monsieur [Y] [W] une anomalie importante en ce que le chiffrage réalisé par Monsieur [S] [O] était inférieur aux débours qu’il évaluait à au moins 182.367 euros, proposant un prix de 227.959 euros pour une marge de 1,25%. Ce courrier était accompagné notamment de devis datés de début décembre 2016.
Monsieur [Y] [W] a finalement dénoncé amiablement ce marché auprès de la commune de [Localité 16] et retiré son offre.
Le repreneur du lot a contracté pour un montant de 157.370 euros HT.
Comme le relève le premier juge, la comparaison de deux estimations réalisées à des dates différentes pour des prestations non suffisamment précisées pour être qualifiées de similaires, avec un recours à des sous-traitants non identifiés comme identiques, ne caractérise pas une faute imputable à Monsieur [S] [O]. En tout cas, le doute doit profiter au salarié sur ce point.
‘ Le chantier de la construction de logements à LA GLUNIERE [Localité 17]
Par courrier daté du 21 décembre 2016, Monsieur [U] a signalé à Monsieur [Y] [W] une anomalie très importante concernant le chiffrage réalisé par Monsieur [S] [O] pour un prix de 67.650 euros HT. Monsieur [U] fait état de débours prévisibles à hauteur de 193.306 euros HT sur ce chantier selon son estimation.
Monsieur [U] a renégocié le montant du marché avec Métropole Habitat qui, le 20 janvier 2017, a donné son accord pour un projet d’avenant complémentaire à hauteur de 35.3874,29 euros HT.
Dans une attestation datée du 17 décembre 2018, Monsieur [U] a loué les qualités et compétences de Monsieur [S] [O], mais a critiqué le comportement de Monsieur [Y] [W].
Là encore, comme le relève le premier juge, la comparaison de ces deux estimations réalisées à des dates différentes pour des prestations non suffisamment précisées pour être qualifiées de similaires, avec un recours à des sous-traitants non identifiés comme identiques, ne caractérise pas une faute imputable à Monsieur [S] [O]. En tout cas, le doute doit profiter au salarié sur ce point.
– Sur les conséquences en matière de rupture du contrat de travail-
Le jugement déféré sera confirmé en ce que le licenciement de Monsieur [S] [O] a été jugé sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse a droit notamment à un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, à l’indemnité de licenciement, à l’indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, ainsi qu’à des dommages-intérêts en réparation du ou des préjudices subis.
La reprise d’ancienneté au 13 avril 1981 pour Monsieur [S] [O] a été contractualisée par l’employeur, à savoir la société [O] [P] ET FILS représentée par Monsieur [Y] [W], dans l’avenant du (ou à compter du) 1er décembre 2015, de façon expresse et parfaitement explicite, et en parfaite connaissance du mandat social de dirigeant exercé du 29 mai 1995 au 27 novembre 2015 par Monsieur [S] [O].
Cette ancienneté au 13 avril 1981 apparaît sur tous les bulletins de paie délivrés par l’employeur à compter du 1er décembre 2015 ainsi que sur les documents de fin de contrat de travail. Dans les conclusions du liquidateur judiciaire, il est indiqué que Monsieur [S] [O], avant le 1er décembre 2015, exerçait déjà notamment les fonctions techniques à lui expressément confiées comme directeur salarié dans le cadre de l’avenant contractuel précité. Monsieur [Y] [W] a d’ailleurs motivé sanction disciplinaire et licenciement pour motif disciplinaire en relevant que Monsieur [Y] [W] avait déjà exercé les mêmes fonctions techniques au sein de l’entreprise, et ce pendant 20 ans avant le 1er décembre 2015.
Vu cette contractualisation d’ancienneté intervenue après la fin du mandat social de Monsieur [S] [O] et avec l’accord, exprès et éclairé, du nouveau dirigeant de société [O] [P] ET FILS, le débat (exercice de fonctions techniques distinctes de celles menées dans le cadre du mandat social et donnant lieu à une rémunération distincte, existence d’un lien de subordination vis-à-vis de la société, absence de fraude à la loi) sur la suspension ou l’inopposabilité du contrat de travail de Monsieur [S] [O] entre le 29 mai 1995 et le 27 novembre 2015 est inopérant s’agissant des conséquences attachées au licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 5], sera donc déboutée de ses demandes aux fins de déclarer le contrat de travail de Monsieur [S] [O] suspendu à compter du 29 mai 1995 et ce jusqu’au 27 novembre 2015, et de fixer l’ancienneté de Monsieur [S] [O] à 15 ans, 3 mois et 25 jours.
Pour le surplus, le premier juge a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause ainsi que des droits et obligations des parties en évaluant la créance de Monsieur [S] [O] aux sommes suivantes : 107.311,05 euros net à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 15.861,87 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.586,18 euros brut au titre des congés payés afférents, 42.298,32 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5.183,45 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de retraite complémentaire contractuelle, 10.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct.
Aucune condamnation ne pouvant être prononcée à l’encontre de la société [O] [P] ET FILS en raison de la procédure collective intervenue, la créance de Monsieur [S] [O] peut seulement donner lieu à fixation au passif de la liquidation judiciaire de cette société. Le jugement sera réformé sur ce point.
– Sur les demandes reconventionnelles du liquidateur judiciaire –
Vu les attendus qui précèdent, la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] [P] ET FILS, sera déboutée de ses demandes de dommages-intérêts à l’encontre de Monsieur [S] [O] pour exécution déloyale du contrat de travail et procédure abusive.
– Sur les intérêts –
En application des dispositions des articles 1153 ancien du code civil (désormais article 1231-6) et R. 1452-5 du code du travail, les sommes allouées dont le principe et le montant résultent de la loi, d’un accord collectif ou du contrat (indemnité de préavis et indemnité compensatrice de congés payés, indemnité de licenciement), portent intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation du conseil de prud’hommes valant mise en demeure. Les sommes fixées judiciairement (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) produisent intérêts au taux légal à compter de la date du prononcé du jugement en cas de confirmation, à compter de la date du prononcé du présent arrêt en cas de réformation.
Il y a lieu, toutefois, de rappeler, en application des dispositions de l’article L. 622-28 du code de commerce, le principe de l’arrêt du cours des intérêts à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective pour les créances ayant leur origine avant ledit jugement.
– Sur la garantie de l’AGS –
Selon l’article L. 3253-8 1° du code du travail, l’AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.
Selon l’article L. 3253-8 2° du code du travail, l’AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant : a) Pendant la période d’observation ; b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ; c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ; d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.
Selon l’article L. 3253-8 3° du code du travail, l’AGS couvre les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposé le contrat de sécurisation professionnelle, sous réserve que l’administrateur, l’employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé ce contrat aux intéressés au cours de l’une des périodes indiquées au 2°, y compris les contributions dues par l’employeur dans le cadre de ce contrat et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié.
Selon l’article L. 3253-8 5° du code du travail, lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues : a) Au cours de la période d’observation ; b) Au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ; c) Au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés ; d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.
Le présent arrêt est opposable à l’UNEDIC, CGEA d’ORLÉANS, en qualité de gestionnaire de l’AGS.
La garantie de l’AGS s’exercera dans la limite des plafonds légaux, s’agissant de sommes dues au titre de l’exécution comme de la rupture du contrat de travail.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Les dépens comme les sommes dues en application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas dues au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail et ne peuvent donc être garanties par l’AGS.
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.
La SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] [P] ET FILS, supportera les dépens d’appel et devra verser une somme de 1.000 euros à Monsieur [S] [O] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Infirme le jugement déféré en ce que le conseil de prud’hommes du PUY-EN-VELAY a annulé l’avertissement notifié à Monsieur [S] [O] le 12 avril 2016 et condamné la SAS [O] [P] ET FILS à payer à Monsieur [S] [O] la somme 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’avertissement injustifié, et, statuant à nouveau de ces chefs, dit que cette sanction disciplinaire était justifiée et proportionnée ;
– Réformant, fixe la créance de Monsieur [S] [O] à inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société [O] [P] ET FILS aux sommes suivantes :
*107.311,05 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 15.861,87 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.586,18 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 42.298,32 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.183,45 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de retraite complémentaire contractuelle,
* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
– Y ajoutant, condamne la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] [P] ET FILS, à verser une somme de 1.000 euros à Monsieur [S] [O] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– Condamne la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [B] [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [O] [P] ET FILS, aux dépens d’appel ;
– Dit le présent arrêt opposable à l’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA d’ORLÉANS, dont la garantie s’exercera dans la limite des plafonds légaux ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN