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COUR D’APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 30 mai 2023
N° RG 21/01226 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTPZ
-LB- Arrêt n° 262
[K] [V], [O] [S] épouse [V] / [Y] [L], [W] [I] épouse [L]
Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 25 Mai 2021, enregistrée sous le n° 20/02613 + jugement rectificatif du 21 juin 2021
Arrêt rendu le MARDI TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [K] [V]
et Mme [O] [S] épouse [V]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentés par Maître Marius LOIACONO de la SCP LOIACONO-MOREL, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
APPELANTS
ET :
M. [Y] [L]
et Mme [W] [I] épouse [L]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentés par Maître Jean-michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
INTIMES
DÉBATS :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 02 février 2023, en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme BEDOS, rapporteur.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 30 mai 2023, après prorogé du délibéré initiallement prévu le 28 mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [Y] [L] et Mme [W] [I] épouse [L] sont propriétaires sur la commune de [Localité 5] (63) des parcelles cadastrées n° [Cadastre 1],[Cadastre 2] et [Cadastre 3], sur lesquelles est implantée leur maison, située [Adresse 4].
M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] sont propriétaires de la maison située sur la parcelle voisine, cadastrée n° [Cadastre 7], à l’adresse [Adresse 6] (63).
En 2011, M. [K] [V] a planté une haie de thuyas située à plus deux mètres de la limite entre les deux propriétés.
Se plaignant d’une perte de vue et d’ensoleillement constituant un trouble anormal de voisinage et impactant la valeur vénale de leur propriété, les époux [L] ont saisi leur assureur protection juridique, la compagnie Pacifica qui, après une démarche amiable auprès des époux [V] par courrier du 14 mars 2019, a diligenté une mesure d’expertise au mois de mai 2019.
Par ordonnance de référé en date du 22 octobre 2019, le président du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, saisi par les époux [L] d’une demande d’expertise, a rejeté cette demande en considérant que le règlement du litige opposant les parties ne nécessitait pas l’intervention d’un technicien alors que ‘la preuve des troubles allégués [pouvait] aisément être rapportée par d’autres modes accessibles au demandeur sans autorisation judiciaire’.
Les époux [L] ont obtenu, par ordonnance du 6 février 2020, la désignation d’un conciliateur de justice qui a constaté l’échec de la tentative de conciliation.
Par acte d’huissier en date du 20 juillet 2020, M. et Mme [L] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand M. [K] [V] pour obtenir sa condamnation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à procéder à l’arrachage de la haie litigieuse et, subsidiairement, à procéder à son élagage, sollicitant également l’indemnisation de leurs préjudices de jouissance et moral. Mme [O] [S] épouse [V] est intervenue volontairement à la procédure.
Par jugement du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a statué en ces termes :
-Dit que M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] devront supprimer, par arrachage ou tout autre procédé adapté de leur choix, la haie de huit résineux d’une hauteur avoisinant huit mètres, se trouvant sur la propriété sise [Adresse 6] à [Localité 5] plantée à environ six ou sept mètres de la façade de la propriété des époux [L] sise [Adresse 4] à [Localité 5] et les y condamne in solidum en tant que de besoin ;
-Dit que cette obligation sera assortie d’une astreinte de 100 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 45 jours suivant la signification du présent jugement ;
-Condamne in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] à payer à M. [Y] [L] et Mme [W] [I] épouse [L] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
-Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;
-Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a procédé à la rectification du jugement précisant qu’il convenait d’ajouter au dispositif :
« -Condamne in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] à payer à M. [Y] [L] et Mme [W] [I] époux [L] la somme de 2500 euros au titre du préjudice de jouissance et moral. »
M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] ont relevé appel du jugement rendu le 25 mai 2021 par déclaration électronique du 3 juin 2021 (numéro RG 21/01 226) et du jugement rendu le 21 juin 2021 par déclaration électronique du 26 juillet 2021 (numéro RG 21/01 694).
Par ordonnance du 20 janvier 2022, le conseiller chargé de la mise en état a rejeté la demande formulée par M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] aux fins d’annulation du jugement rectificatif d’erreur matérielle rendu le 21 juin 2021 et ordonné la jonction des deux procédures pendantes devant la cour.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 26 janvier 2023.
Vu les conclusions en date du 18 janvier 2023 aux termes desquelles M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] demandent à la cour de :
Réformer le jugement du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand rendu le 25 mai 2021 et en conséquence :
Statuant à nouveau,
-Débouter purement et simplement les époux [L] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
-Condamner M. et Mme [L] à leur payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner M. et Mme [L] aux entiers dépens de l’instance.
Vu les conclusions en date du 4 janvier 2023 aux termes desquelles M. [Y] [L] et Mme [W] [I] épouse [L] demandent à la cour de :
-Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 25 mai 2021, rectifié le 21 juin 2021 en ce qu’il a condamné les époux [V] à leur payer la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de leurs préjudices de jouissance et moral ;
Statuant à nouveau sur ce point,
-Condamner in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [V] à leur payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de leur préjudices de jouissance et moral ;
-Débouter M. [K] [V] et Mme [O] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
Y ajoutant,
-Condamner in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [V] à leur payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner les mêmes aux dépens ;
À titre subsidiaire, si la cour devait infirmer le jugement en ce qu’il a condamné les époux [V] à l’arrachage de leur haie,
-Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 25 mai 2021, rectifié le 21 juin 2021, en ce qu’il a condamné in solidum M. et Mme [V] à leur payer une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
-Condamner in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [V] à élaguer la haie de thuyas à une hauteur de deux mètres, et ce annuellement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l’issue d’un délai de 15 jours suivant la signification de la décision à intervenir ;
-Condamner in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [V] à leur payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de leurs préjudices de jouissance et moral ;
-Débouter M. [K] [V] et Mme [O] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
-Condamner in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [V] à leur payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner les mêmes aux entiers dépens.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour l’exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
-Sur la demande de suppression de la haie de thuyas :
Le droit de jouir de sa propriété de la manière la plus absolue est limité par l’obligation de ne pas causer à son voisin un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage. La responsabilité recherchée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage est une responsabilité sans faute, engagée dès lors qu’est constatée l’existence d’un dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.
Il incombe à M. et Mme [L] d’établir l’anormalité des troubles allégués par rapport aux troubles de voisinage que tout un chacun doit endurer du fait des inconvénients liés à la vie en société, et, en l’occurrence, de démontrer que la présence de la haie de thuyas plantée par M. et Mme [V] à proximité de la limite séparative des deux propriétés engendre des désagréments excédant ce qui est admissible.
Les habitations de M. et Mme [L] et de M.et Mme [V] sont situées dans le village de [Localité 5], qui offre une vue panoramique sur le Val d’Allier et le Sancy et bénéficie d’un large ensoleillement.
La façade principale de la maison de M. et Mme [L], comme celle de la plupart des habitations du village, est orientée au sud, toutes les fenêtres « des pièces de vie » (cuisine, séjour, bibliothèque, chambres) donnant sur cette orientation. La vue depuis toutes les ouvertures de la maison côté sud était parfaitement dégagée au moment de l’acquisition de ce bien, ainsi qu’en témoignent diverses photographies.
Il ressort des observations sur site réalisées dans le cadre de l’expertise amiable du cabinet Polyexpert en 2019 et du procès-verbal de constat dressé par huissier le 25 novembre 2020,que la haie de thuyas plantée par M. [V] en 2011, devant la façade sud de l’habitation des époux [L], est constituée de huit arbres plantés très près les uns des autres créant un mur végétal très occultant. Cette haie, d’une hauteur de huit mètres au moment des constatations, a été plantée dans le respect des distances admises légalement mais est toutefois très proche de la maison de M. et Mme [L].
Il résulte des mêmes pièces et des photographies qui y sont annexées que la présence de cette haie, dont l’ombre est portée sur la propriété de M. et Mme [L], a pour conséquence d’une part une perte importante d’ensoleillement de la maison et du terrain une grande partie de la journée, en particulier l’hiver, d’autre part une perte de la luminosité à l’intérieur même de l’habitation, enfin une occultation ou une gêne très significative de la vue depuis les ouvertures de la maison, dont l’un des atouts est précisément la très belle vue sur le Val d’Allier et le Sancy. La gêne occasionnée est permanente, s’agissant d’arbres à feuillage persistant, étant précisé qu’il résulte d’un compte rendu de visite en date du 8 janvier 2021 établi par le maire de [Localité 5] que la plantation de végétaux tels que des thuyas n’est pas conforme à l’article UG13 du plan local d’urbanisme approuvé le 30 juin 2006 qui prévoit que « les plantations nouvelles seraient d’essence locale, à dominante feuillue ».
Les époux [V] se défendent de cette situation en produisant de nombreuses photographies de la maison de leurs voisins à des moments où celle-ci se trouve ensoleillée, soutenant qu’en réalité la perte d’ensoleillement est minime. Il ne peut cependant être tiré aucune conclusion de ces clichés pris à des horaires choisis et qui sont en outre contredits par les constatations réalisées par ailleurs.
Les appelants font valoir encore que l’expert du cabinet Alexya, intervenu pour le compte de leur assureur lors de l’expertise amiable, a relevé que le trouble d’ensoleillement ne paraissait pas ‘flagrant’. La lecture du rapport de cet expert révèle toutefois que celui-ci ne s’est pas positionné en conclusion de son rapport, se limitant à préconiser une étude de perte d’ensoleillement.
M. et Mme [V] soutiennent enfin que le maintien de la haie de thuyas est nécessaire afin de préserver leur intimité lorsqu’ils utilisent leur terrasse et leur piscine, sur lesquelles leurs voisins ont une vue depuis les ouvertures de leur façade sud. Il sera observé à cet égard d’une part qu’il n’est pas contesté que les ouvertures créées par M. et Mme [L] l’ont été dans le respect des exigences légales, d’autre part qu’il n’est nullement établi par les éléments produits que la suppression de la haie litigieuse aurait un impact sur ce point alors qu’il ressort au contraire du procès-verbal de constat d’huissier qu’un seul un arbre de la haie a un effet occultant sur la vue de la piscine depuis le fonds voisin.
Il résulte en définitive de l’ensemble de ces explications que les conséquences résultant de la plantation par M. et Mme [V] d’une haie de thuyas, haute de huit mètres au moment des constatations, étant précisé que les arbres n’ont pas atteint le maximum de leur croissance, engendre pour M. et Mme [L] des désagréments excédant manifestement ce qui est admissible au titre des inconvénients normaux de voisinage.
C’est dès lors à juste titre que la demande d’arrachage des arbres a été accueillie par le premier juge qui a également considéré de manière pertinente qu’une obligation d’élagage régulier des branches ne constituait pas une solution pérenne de nature à remédier à la situation créée, étant observé au demeurant que les appelants, qui concluent au débouté de toutes les demandes, ne souscrivent pas dans leurs écritures à la demande formée en ce sens à titre subsidiaire par M. et Mme [L].
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a ordonné l’arrachage de la haie litigieuse.
-Sur la demande indemnitaire au titre du trouble de jouissance et du préjudice moral subi par les époux [L] :
C’est par une juste appréciation des éléments qui lui étaient soumis et par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge, après avoir rappelé que les époux [L] avaient dénoncé la situation au moins à partir du mois de mars 2019, a considéré que l’allocation d’une somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts était de nature à réparer les préjudices de jouissance et moral subis par M. et Mme [L]. Le jugement sera confirmé sur ce point.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement sera confirmé sur la charge des dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [V] supporteront les entiers dépens d’appel ce qui exclut qu’ils puissent bénéficier des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait en revanche inéquitable de laisser M. et Mme [L] supporter l’intégralité des frais qu’ils ont dû exposer pour faire assurer la défense de leurs intérêts devant la cour. M. et Mme [V] seront condamnés in solidum à leur payer la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 25 mai 2021et rectifié par jugement du 21 juin 2021;
Condamne M. [K] [V] et Mme [O] [S] épouse [V] aux dépens d’appel ;
Condamne in solidum M. [K] [V] et Mme [O] [S] à payer à M. [Y] [L] et Mme [W] [I] épouse [L], pris ensemble, la somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président