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ARRÊT N°67/2023
N° RG 22/00017 – N° Portalis DBVI-V-B7F-ORNP
AB/AR
Décision déférée du 15 Novembre 2021 – Pole social du TJ de CAHORS – 20/33
TOUCHE M
S.A. [14]
C/
[Y] [W] veuve [W]
[D] [W]
[C] [B]
[V] [W]
Société [12]
CPAM DU LOT
CONFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 3 02 2023
à Me Benoît CHAROT
Me Anthony PEILLET
Me Elisabeth LEROUX
Me Florence GUARY
CCC délivrée aux parties
par LRAR
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2 – Chambre sociale
***
ARRÊT DU TROIS FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Société [14] anciennement dénommée
[13], venant aux droits de la société [11]
prise en la personne de son représentant légal , domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 2]
représentée par Me Benoît CHAROT du PARTNERSHIPS REED SMITH LLP, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Arnaud RIVOAL, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Madame [Y] [J] veuve [W]
Lieu dit [Adresse 9] / FRANCE
Madame [D] [W]
Monsieur [C] [B]
[Adresse 4]
Monsieur [V] [W]
[Adresse 3]
Tous les quatre représentés par Me Elisabeth LEROUX de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
[12] anciennement dénommée [5], prise en la personne de Maître [T] [K] en qualité de commissaire à l’éxécution du plan, domicilié audit siège sis [Adresse 1]
Représentée par Me Florence GUARY de l’ASSOCIATION LEANDRI ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me ST GENIEST, avocat au barreau de TOULOUSE
CPAM DU LOT
[Adresse 15]
[Adresse 15]
[Adresse 15]
représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 17 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de:
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [W] a été embauché successivement par la société [11] aux droits de laquelle vient la société [14], puis la société [5] devenue la société [12], en qualité d’ouvrier polyvalent, du 1er novembre 1968 au 31 décembre 2002.
La société [12] a été placée en redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Nanterre le 30 avril 2003, qui, par jugement du 31 juillet 2003 a autorisé la cession de son fonds de commerce et de ses actifs à la société [7], qui ont été en suivant cédés à la société [10]. A ce titre, la société [12] assistée par Me [K] en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan, n’a plus aucune activité.
Suivant certificat médical initial, M. [W] a adressé à la CPAM du Lot une déclaration de maladie professionnelle liée à l’exposition à l’amiante, à savoir un cancer broncho-pulmonaire primitif, inscrite au tableau 30 bis des maladies professionnelles.
Par décision du 15 juillet 2019, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la pathologie mentionnée dans ce certificat médical initial. Après examen par le médecin conseil, l’état de santé de M. [W] a été considéré consolidé le 10 décembre 2018, avec séquelles indemnisables. Compte tenu des séquelles liées à sa pathologie, un taux d’incapacité permanente partielle de 80% lui a été attribué à compter du 11 décembre 2018.
M. [W] a formulé auprès de la CPAM une demande de conciliation dans le cadre d’une procédure visant à voir reconnaître la faute inexcusable de ses anciens employeurs.
Cette tentative de conciliation n’ayant pas abouti, M. [W] a saisi par requête du 3 février 2020 le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable des anciens employeurs, la société [14] et la société [12].
Le 19 novembre 2020, M. [O] [W] est décédé, ses ayants droit ont repris l’instance engagée par celui-ci.
La CPAM a été mise en cause par les ayants droit de M. [W] afin de garantir les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable.
Par jugement du 15 novembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors a:
– Déclaré recevable l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par Monsieur [O] [W] et ses ayants-droits à l’encontre de ses employeurs, les sociétés [14] et [12] ;
– Dit que le présent jugement était commun et opposable à la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot ;
– Jugé que la maladie de Monsieur [O] [W] déclarée le 17 décembre 2018 et prise en charge par la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot au titre de la législation professionnelle comme étant inscrite au tableau n°30 bis, était imputable à la faute inexcusable de ses employeurs successifs aux droits desquels se trouvent d’une part la société [14] et d’autre part la société [12] ;
– Ordonné la majoration au taux maximal de la rente qui a été servie à Monsieur [O] [W] du 11 décembre 2018 jusqu’à son décès et dit que ce montant sera avancé par la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot entre les mains du notaire en charge de la succession ;
– Ordonné la majoration au taux maximal de la rente qui sera servie à Madame [Y] [J] veuve [W] en sa qualité de conjointe survivante et dit que ce montant lui sera avancé par la Caisse primaire d’assurance maladie ;
– Condamné la société [12] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot la majoration, d’une part, de la rente qui a été servie à Monsieur [W] et, d’autre part, de celle qui sera servie Madame [Y] [J] veuve [W] en sa qualité de conjointe survivante ;
– Ordonné le versement de l’indemnité forfaitaire de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale aux ayants-droits de Monsieur [O] [W] et dit que ce montant sera avancé par la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot entre les mains du notaire en charge de la succession ;
– Fixé l’indemnisation des préjudices complémentaires de Monsieur [O] [W] aux sommes suivantes :
* 11 016 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
* 100 000 € au titre des souffrances endurées
* 15 000 € au titre du préjudice d’agrément
* 2 000 € au titre du préjudice esthétique permanent
soit une somme totale de 128 016 € dont le montant sera avancé par la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot entre les mains du notaire en charge de la succession ;
– Fixé l’indemnisation du préjudice moral des ayants-droits de Monsieur [O] [W] aux sommes suivantes :
* 30 000 € à Madame [Y] [W], veuve de Monsieur [O] [W] ;
* 11 000 € à Madame [D] [W], fille de Monsieur [O] [W] ;
* 11 000 € à Monsieur [V] [W], fis de Monsieur [O] [W] ;
* 3 000 € à Monsieur [C] [B], petit-fils de Monsieur [O] [W] ;
et dit que chacune de ces sommes sera avancée aux intéressés par la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot ;
– Condamné in solidum les sociétés [14] et [12] à rembourser à la Caisse primaire d’assurance maladie du Lot les sommes dont elle aura fait l’avance au titre de l’indemnité forfaitaire, de l’indemnisation des préjudices complémentaires de Monsieur [O] [W] et des préjudices moraux de ses ayants-droits ;
– Dit que dans les rapports entre employeurs, le partage de responsabilité s’effectuera à hauteur de 56% pour la société [14] et de 44% à la charge de la société [12] ;
– Condamné la société [14] aux dépens ;
– Condamné la société [14] à verser une somme de 3 000 € aux consorts [W], au titre l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision ;
La société [14] a relevé appel de cette décision par lettre recommandée du 21 novembre 2021.
Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 7 novembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie et auxquelles il est expressément renvoyé, la société [14] demande à cette cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social,
– faire droit à l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre principal,
– Juger que la société [14], anciennement dénommée [14], n’a commis aucune faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle de Monsieur [W].
En conséquence,
– Rejeter toutes les demandes formées à l’encontre de la société [14].
A titre subsidiaire,
– Débouter les ayants droit de Monsieur [W] de l’ensemble de leurs demandes tant au titre des préjudices de Monsieur [W] qu’en leur nom propre ou, à tout le moins, les ramener à de plus justes proportions.
En tout état de cause,
– Juger que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne pourra pas exercer son action récursoire à l’encontre de la société [14],
A défaut,
– Juger que la caisse primaire d’assurance maladie ne dispose pas de son action récursoire à l’encontre de la société [14] concernant l’allocation forfaitaire et le capital représentatif de la majoration de rente d’ayant droit;
– Juger que la CPAM n’aura de recours à l’encontre de la société [14] qu’à concurrence de 56% du montant des indemnités allouées aux ayants droit de Monsieur [W] ;
– Rejeter la demande de la CPAM de voir condamner in solidum les sociétés [14] et [12].
La société [14] soutient que les conditions de la faute inexcusable ne sont pas réunies. D’une part, elle expose qu’au regard de la législation existante et des données scientifiques connues durant la relation professionnelle, elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel étaient exposés les salariés.
Elle précise, par ailleurs, que ce n’est qu’en 1996 que les tâches effectuées par M. [W] ont été intégrées dans la liste des travaux susceptibles de provoquer une maladie liée à l’inhalation de poussières d’amiante. D’autre part, elle indique que la preuve de mesures nécessaires prises par l’employeur pour préserver la santé des salariés face au risque, n’est pas rapportée.
En outre, elle conteste l’indemnisation sollicitée par les ayants droit au titre des souffrances endurées en ce que la rente versée par la CPAM indemnise déjà ce poste de préjudice. Elle considère que la réalité des préjudices d’agrément et esthétique n’est pas établie et que les sommes sollicitées par les ayants droit du salarié décédé au titre de son préjudice moral sont injustifiées et excessives.
Par ailleurs, elle s’oppose à l’action récursoire de la CPAM à son encontre dans la mesure où d’une part, le caractère professionnel de la maladie n’est pas établi dans ses rapports avec la caisse et d’autre part, le taux d’IPP attribué à M. [W] ne lui a pas été notifié. Elle ajoute que la CPAM n’a aucunement chiffré la majoration des rentes d’ayants droit de sorte que son action en récupération de celles-ci est irrecevable.
Enfin, si la CPAM devait disposer de son action récursoire, elle soutient que celle-ci devra s’exercer à concurrence de 56% du montant des indemnisations allouées aux ayants droit, eu égard à la faute inexcusable de la société [12] qui devra être reconnue, ce qui commande en outre de rejeter toute demande de condamnation in solidum.
Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 3 novembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie et auxquelles il est expressément renvoyé, les ayants droit de M. [W] demandent à cette cour :
Vu les articles L 452-1, L 452-2 et L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale.
Vu le jugement rendu par le pôle social du Tribunal judiciaire de CAHORS le 15 novembre 2021,
Le confirmer en ce qu’il a :
– jugé que la maladie dont est décédé Monsieur [O] [W] est la conséquence de la faute inexcusable des sociétés [14] et [12],
– Ordonné la majoration de la rente versée à Monsieur [W] par la CPAM jusqu’à son décès,
– Ordonné la majoration de la rente de conjoint survivant versée à Madame veuve [W] conformément aux dispositions de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale,
– Ordonné le versement aux consorts [W] de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, au titre de l’action successorale,
– Fixé l’indemnisation des préjudices complémentaires subis par les ayants droit de Monsieur [O] [W], au titre de l’action successorale, selon les modalités suivantes :
‘ 100 000 € à titre d’indemnisation des souffrances physiques et morales,
‘ 15 000 € à titre d’indemnisation du préjudice d’agrément,
‘ 2 000 € à titre d’indemnisation du préjudice esthétique,
‘ 11 016 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
– Fixé l’indemnisation des préjudices complémentaires subis par les ayants droit de Monsieur [O] [W], en leur nom propre, selon les modalités suivantes :
‘ 30 000 € à Madame veuve [W] à titre d’indemnisation du préjudice moral,
‘ 11 000 € chacun à Madame [D] [W] et à Monsieur [V] [W] à titre d’indemnisation du préjudice moral,
‘ 3 000 € à Monsieur [C] [B] à titre d’indemnisation du préjudice moral.
– Condamné la société [14] à verser aux ayants droit de Monsieur [O] [W] la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Statuant de nouveau,
– condamner la société [14] à verser aux consorts [W] la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Les ayants droit de M. [W] soutiennent que l’employeur avait connaissance du danger et qu’il n’a pas mis en ‘uvre les moyens de protection nécessaires pour préserver la santé des salariés alors que dès 1894 un décret prescrivait des mesures de sécurité sur la prévention de l’inhalation des poussières en général, complété par les décrets de 1913 et 1948 et surtout par celui du 17 août 1977 et du 27 mars 1987, spécifiques aux poussières d’amiante.
Ils soutiennent également qu’au-delà de la connaissance théorique sur ces dangers, l’employeur ne pouvait ignorer que les salariés y étaient effectivement exposés compte tenu de la nature des matériaux utilisés, des missions dévolues, des alertes du syndicat et du CHSCT. Ils indiquent que M. [W] travaillait en contact permanent de poussières d’amiante, dans des locaux empoussiérés, sans protection, ni information.
Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 25 octobre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie et auxquelles il est expressément renvoyé, la société [12], assistée par Maître [K] en qualité de commissaire à l’exécution du plan, demande à cette cour :
Vu notamment les articles L.452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale,
– déclarer recevable mais mal fondé l’appel principal interjeté par la Société [14] en ce qu’il tend à remettre en cause le principe d’un recours de la CPAM à son encontre et subsidiairement à faire juger que ce recours ne pourrait être exercé qu’à 50% des indemnités allouées aux consorts [W].
– Déclarer recevable et bien fondé l’appel incident de la Société [12]. En conséquence,
– débouter les consorts [W] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la Société [12] et à tout le moins cantonner les indemnisations sollicitées.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la faute inexcusable de l’employeur serait admise,
– dire et juger que la Société [14] est responsable des conséquences de la faute inexcusable au regard de l’exposition de Monsieur [W] à l’amiante sur le site de [Localité 6] avant la cession de sa filiale [5] devenue [12] au [8],
– dire et juger qu’il doit y avoir en conséquence un partage de responsabilité entre les Sociétés [12] et [14] au prorata de la période d’exposition,
– juger en cas de condamnation in solidum des sociétés [14] et [12] au titre de la faute inexcusable qu’il y a lieu de retenir un partage de responsabilité entre elles à hauteur de 56% pour la société [14] et 44% pour la société [12].
A titre infiniment subsidiaire,
– dire et juger que les Sociétés [12] et [14] seront tenues in solidum des conséquences de la faute inexcusable.
Elle conclut à l’absence de démonstration d’une faute inexcusable à son égard par les ayants droit de M. [W] à qui incombe la charge de la preuve.
Par ailleurs, elle indique que les souffrances morales et physiques ne constituent qu’un seul et même préjudice sans pouvoir être distinguées et ne peuvent être indemnisées que jusqu’à la date de consolidation. Elle expose que le préjudice d’agrément nécessite de démontrer une activité spécifique de loisirs ou sportive et que le préjudice doit être évalué en considération de son existence avant la consolidation de l’état de la victime.
Enfin, dans l’hypothèse de reconnaissance d’une faute inexcusable, elle affirme qu’un partage de responsabilité est justifié au prorata du temps de présence du salarié dans les effectifs des deux sociétés étant observé que la société [11] doit être tenue responsable jusqu’au 31 décembre 1987, date de filialisation du site de [Localité 6].
Selon ses dernières conclusions visées par le greffe le 14 novembre 2022, reprises oralement à l’audience de plaidoirie et auxquelles il est expressément renvoyé, la CPAM du Lot demande à cette cour de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il :
– a reconnu la maladie professionnelle de M. [W] comme imputable à la faute inexcusable de ses employeurs successifs, la Société [14] et [12] ;
– ordonné la majoration de la rente à son maximum ;
– accordé le bénéfice de l’action récursoire à la CPAM du Lot, charge à elle de récupérer les sommes avancées auprès des employeurs [14] et [12] ;
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Lot s’en remet à justice pour le surplus.
La CPAM s’en remet notamment à justice sur l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.
Elle indique avoir pour obligation de vérifier si les conditions posées par le tableau de maladie professionnelle sont ou non réunies, que le caractère professionnel de la maladie de M. [W] a été parfaitement établi ; de sorte qu’elle peut exercer son action récursoire à l’encontre des deux employeurs successifs de ce dernier.
MOTIFS :
Sur l’existence de la faute inexcusable :
Aux termes de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
Le manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident subi par le salarié. Il suffit qu’elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur puisse être engagée, alors même que d’autres fautes, en ce compris celle de la victime, auraient concouru au dommage.
Hormis pour certaines catégories de travailleurs qui bénéficient d’un régime probatoire particulier, il incombe en principe au salarié agissant en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur de prouver que ce dernier, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En l’espèce, il appartient à cette cour de déterminer si les sociétés [14] et [12], avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel M. [W] était exposé, au regard de la réglementation existante, des connaissances scientifiques et des conditions de travail de ce dernier et le cas échéant si ses employeurs ont pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Sur la connaissance du risque lié à l’inhalation de poussières d’amiante :
Tel que rappelé dans l’exposé du litige, M. [W] a été embauché successivement par la société [11] aux droits de laquelle vient la société [14], puis la société [5] devenue la société [12], du 1er novembre 1968 au 31 décembre 2002 ; il travaillait sur le site de [Localité 6].
La CPAM a reconnu le caractère professionnel de la pathologie déclarée par M. [W]. La cour observe qu’aucun des employeurs n’émet de contestation sur le caractère professionnel de la pathologie déclarée, sa désignation au tableau, la liste limitative des travaux ou la durée d’exposition. La désignation de la maladie déclarée et retenue par la caisse est bien celle figurant au tableau n°30 bis. La maladie déclarée par M. [W] présente donc bien un caractère professionnel à l’égard des sociétés [14] et [12].
Ces sociétés avaient pour activité principale la production industrielle de pièces automobiles, et utilisaient massivement et de façon constante l’amiante dès lors que les machines de production (les fours notamment) étaient isolées par des produits amiantés.
La présence de poussières d’amiante sur le site de [Localité 6] est d’ailleurs établie par l’inscription de l’établissement exploitant ce site par arrêté du 24 avril 2002 sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité pour la période 1947-1997, ce qui implique la reconnaissance de la présence sur le site de poussières d’amiante durant cette même période.
La présence de poussières d’amiante sur ce site est également établie par les témoignages produits, tel que relevé et exposé par les premiers juges, dont les termes ne font l’objet d’aucune contestation par les sociétés. Il ressort de ces témoignages, établis par les collègues de travail de M. [W], que ce dernier manipulait quotidiennement des matériaux en amiante et était soumis aux poussières d’amiante dans les ateliers.
Par ailleurs, l’exposition à l’inhalation de poussières d’amiante n’est pas contestée par les sociétés, ayant tel que précité, exploité successivement le site de [Localité 6] et ayant été employeurs de M. [W].
La société [14] soutient qu’eu égard à la période où elle a employé M. [W], elle ne pouvait pas être consciente du danger auquel il était exposé au regard de la législation existante.
Or, avant même que M. [W] ne soit embauché par la société [14], plusieurs textes légaux et réglementaires ont précisé les obligations de l’employeur en terme de sécurité à apporter aux salariés qui sont exposés aux poussières d’une manière générale, tels que la loi du 12 juin 1893 (propreté, hygiène, salubrité, poussières), le décret du 10-11 mars 1894 (poussières et gaz insalubres ou toxiques), le décret du 10 juillet 1913 (nettoyage du sol) ou encore le décret du 13 décembre 1948 (masques individuels et dispositifs spécifiques contre les poussières).
Ainsi, au regard de la chronologie de cette réglementation, les employeurs avaient connaissance de la nécessité d’assurer un bon renouvellement de l’air des ateliers et de prévenir l’inhalation de l’amiante.
En outre, l’ordonnance du 2 août 1945 a crée le premier tableau, le numéro 25, relatif aux affections professionnelles consécutives à l’inhalation des poussières d’amiante. Par ailleurs, l’asbestose a été intégrée comme maladie professionnelle par le décret du 31 août 1950 créant le tableau n°30. Au titre des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, ont été initialement inscrits les travaux exposant à l’inhalation de poussières d’amiante.
Cette réglementation a été complétée par le décret du 17 août 1977 qui fixe un seuil d’exposition des travailleurs aux fibres d’amiante. Ce décret a imposé à toutes les entreprises dans lesquelles les salariés étaient exposés à l’inhalation de poussières d’amiante un certain nombre d’obligations et notamment de faire effectuer des contrôles périodiques du nombre de fibres dans l’air, de conditionner les déchets pouvant contenir de l’amiante et de prévoir des mesures de protections collectives et individuelles.
Par ailleurs, la communauté scientifique et médicale a identifié le risque lié à l’amiante et retenu un lien de causalité entre l’inhalation d’amiante et l’apparition de cancers pulmonaires.
L’argument tiré du fait que le tableau des maladies professionnelles, applicable en l’espèce et répertoriant les tâches effectuées par M. [W] dans la liste des travaux susceptibles de provoquer une maladie due aux poussières d’amiante, n’a été créé qu’en 1996, dont se prévaut la société [14], est inopérant. En effet, la conscience générale qu’un industriel devait avoir du danger lié à l’inhalation des poussières d’amiante ne peut être sérieusement contestée pour l’ensemble de la période où M. [W] a été employé au regard de la législation existante précitée, des données scientifiques connues et de l’information diffusée au grand public. Par ailleurs, il n’est nullement exigé que le danger dont l’employeur doit avoir conscience soit impérativement inclus dans un tableau de maladies professionnelles. Enfin, le caractère cancérigène de l’amiante a été reconnu par le décret du 17 décembre 1985 notamment pour être à l’origine des maladies professionnelles du tableau 30 B, lequel retient au titre de la liste indicative des principaux travaux exposant à l’inhalation de poussières d’amiante, les travaux de calorifugeage aux moyens de produits d’amiante et la manipulation et l’utilisation d’amiante dans les produits moulés et isolants, tel que pouvait les pratiquer M. [W].
Il ressort des éléments ainsi exposés, d’une part, que M. [W] était habituellement exposé aux poussières d’amiante tout au long de sa carrière et d’autre part, que les sociétés employeurs successifs avaient ou auraient dû avoir connaissance du danger auquel a été exposé le salarié.
Sur les mesures prises par les deux sociétés pour préserver la santé de M. [W] :
Le décret du 17 août 1977 a imposé à toutes les entreprises dans lesquelles les salariés étaient exposés à l’inhalation de poussières d’amiante un certain nombre d’obligations et notamment de prévoir des mesures de protections collectives et individuelles.
Les sociétés [14] et [12] ne produisent aucun élément permettant de faire la preuve de mesures de prévention pour prévenir ou limiter les risques liées à l’inhalation de poussières d’amiante.
En tout état de cause, il ressort des témoignages produits, tel que relevé et exposé par les premiers juges, dont les termes ne font l’objet d’aucune contestation par les sociétés, l’absence de remise aux salariés d’équipements de protection individuelle (tels que des masques) et collectifs (tels qu’un système d’aspiration des poussières).
Les sociétés [14] et [12] ont ainsi commis un manquement fautif à leur obligation de prévention des risques auxquels M. [W] a été exposé, manquement constitutif de la faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle qui en est résulté. Le jugement déféré sera confirmé en ce sens.
Sur les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur :
Sur la majoration de la rente:
Il résulte de l’article L452-2 du code de la sécurité sociale que la majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par l’organisme social dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement de la rente. Par suite, en cas de maladie suivie de mort, le conjoint survivant bénéficie de la majoration de la rente qui lui est attribuée en application des articles L431-1, 4° et L434-8 du code précité alors même que la victime a bénéficié d’une majoration de sa propre rente.
Seule la faute inexcusable de la victime ‘ entendue comme une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience – est susceptible d’entraîner une diminution de la majoration de la rente.
La société [14] s’y oppose en affirmant que la majoration de rente attribuée à la victime ne peut pas se cumuler avec celle bénéficiant aux ayants-droits et que M. [W] étant décédé, seule la majoration de la rente de la conjointe survivante peut être accordée.
Or, en application des dispositions susvisées les ayants-droits de la victime et sa veuve en qualité de conjointe survivante sont fondés à réclamer respectivement, d’une part, au titre de l’action successorale, la majoration de la rente qui doit être servie à la victime jusqu’à son décès et, d’autre part, la majoration de la rente de conjointe survivante dont est créancière Mme [W].
En conséquence, c’est à juste titre que le jugement entrepris a ordonné la majoration au taux maximal de la rente qui a été servie à M.[W] du 11 décembre 2018 jusqu’à son décès. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l’indemnité forfaitaire :
Aux termes de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale : « (…) Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. (…) ».
Les ayants droit de M. [W] soutiennent qu’au regard de la gravité de la pathologie et de la prise en charge du décès par la caisse, M. [W] était atteint d’un taux d’incapacité permanente partielle de 100%.
La société [14] s’y oppose au motif que M. [W] ne présentait pas un taux d’IPP de 100%.
En l’espèce, la CPAM a notifié à M. [W] un taux d’incapacité permanente de 80% à compter du 11 décembre 2018.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors a malgré tout fait droit à la demande d’indemnité forfaitaire.
Or, antérieurement au décès, la CPAM s’était déjà prononcée sur le taux d’incapacité permanente partielle après consolidation, par une décision qui n’a pas fait l’objet d’une contestation; de sorte que cette décision s’impose au pôle social et à fortiori à cette cour, sans que le juge du contentieux général dispose du pouvoir de l’écarter.
Le pôle social du tribunal judiciaire de Cahors ne pouvait en conséquence apprécier les éléments médicaux produits et porter le taux d’IPP de M. [W] à 100%.
Le fait que la CPAM ait pris en charge le décès de M. [H] ne constitue aucunement une notification de révision du taux d’IPP, qui porterait celui-ci à 100%.
Cette cour ne peut donc fixer après le décès le taux à 100% en se fondant sur des éléments tirés de la gravité estimée de la pathologie ni allouer l’indemnité forfaitaire aux ayants droits. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur l’indemnisation des préjudices complémentaires au titre de l’action successorale:
Aux termes de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».
Sur le déficit fonctionnel temporaire :
L’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique et ce jusqu’à la date de consolidation, fixée par la caisse au 10 décembre 2018.
Dans le cadre d’une maladie professionnelle, la date à prendre en considération pour le début de la période à indemniser du déficit fonctionnel temporaire est celle retenue par le médecin conseil de la caisse au titre de la première constatation médicale de la maladie, soit le 8 septembre 2017.
Les éléments issus des différents examens médicaux conduisent la cour à retenir, malgré le peu d’éléments sur l’incidence de cette maladie sur l’état physique de M. [W] avant la date de consolidation, l’existence d’une perte de qualité de vie et de ses joies usuelles liées aux très nombreux examens médicaux et soins lourds effectués durant cette période.
Au regard des éléments produits, la cour confirmera l’indemnisation allouée par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel temporaire.
Sur les souffrances physiques et morales :
La question qui se pose en l’espèce porte sur l’indemnisation des souffrances physiques et morales, visées à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, pour la période postérieure à la consolidation.
L’article L.434-2 du code précité indique aux termes de son premier alinéa que le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.
Le barème visé par cet article est mentionné aux termes de l’annexe 1 du code de la sécurité sociale. Ce barème précise les conditions d’application de ce texte. Il ne modifie en aucune façon le champ d’application des éléments précités, destinés à la détermination du taux d’IPP et ne comprend aucune mention relative aux souffrances physiques et morales.
La rente ou le capital versés après consolidation à la victime d’une maladie professionnelle sont ainsi déterminés par les éléments mentionnés dans l’article précité, lesquels indemnisent un préjudice physiologique et éventuellement un préjudice professionnel.
En conséquence, la rente ou le capital versés ne peuvent indemniser les souffrances endurées par la victime, raison pour laquelle le législateur a complété l’indemnisation par les chefs de préjudice énoncés et codifiés à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale.
Cet article indique « indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».
La cour observe tout d’abord que le terme “indépendamment” utilisé souligne la volonté du législateur d’indemniser de façon distincte les préjudices liés à la rente ou au capital de ceux visés dans cet article.
En outre, la cour relève que cet article ne fait aucunement référence à la notion de consolidation concernant les chefs de préjudice indemnisables.
Ainsi, le code de la sécurité sociale opère expressément d’une part, une distinction entre les “facultés physiques et mentales” visées à l’article L.434-2 et les “souffrances physiques et morales” mentionnées à l’article L.452-3 et d’autre part, prévoit une indemnisation distincte pour ces chefs de préjudices.
Il résulte de ce qui précède que l’indemnisation des souffrances physiques et morales ne peut être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation alors qu’elles ne sont pas réparées par la rente ou le capital dont l’objet est différent.
Par conséquent, les souffrances physiques et mentales causées et éprouvées par M. [W] depuis sa maladie professionnelle peuvent être indemnisées de façon distincte, pour autant qu’elles soient caractérisées.
Les premiers juges, après avoir rappelé l’âge de M. [W] lorsqu’il a su qu’il était malade et la maladie dont il était victime, ont relevé de façon circonstanciée les souffrances endurées par le salarié au regard d’une juste appréciation des pièces médicales et témoignages produits.
La cour confirmera en conséquence le jugement déféré sur l’indemnisation allouée au titre des souffrances physiques et morales.
Sur le préjudice d’agrément :
Le préjudice d’agrément s’entend de l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Il appartient en outre à la victime de justifier d’une activité spécifique sportive ou de loisirs antérieure à l’accident.
Les premiers juges ont relevé, au regard d’une juste appréciation des pièces et témoignages produits, que la maladie professionnelle dont était victime M. [W] l’empêchait de pratiquer ses activités de loisirs régulières.
En conséquence, la cour confirmera l’indemnisation allouée par les premiers juges au titre du préjudice d’agrément, laquelle est de nature à réparer le préjudice subi.
Sur le préjudice esthétique :
Ce poste de préjudice indemnise les conséquences physiques altérant l’apparence ou l’expression de la victime et prend en compte la localisation des cicatrices, l’âge de la victime, sa profession et sa situation personnelle.
Les premiers juges ont relevé, au regard d’une juste appréciation des pièces et témoignages produits, que la maladie professionnelle dont est victime M. [W] lui a causé un préjudice esthétique.
Au vu de ces éléments, la cour confirmera l’indemnisation allouée par les premiers juges au titre du préjudice esthétique, laquelle est de nature à réparer le préjudice subi.
Sur le préjudice moral des ayants-droit :
Selon l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale les ascendants et descendants d’une victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dus à une faute inexcusable de l’employeur, et qui n’ont pas droit à une rente au sens des articles L.434-7 à L.434-14 du même code, peuvent prétendre à l’indemnisation de leur préjudice moral selon les dispositions de l’article L.452-3 alinéa 2.
Contrairement aux affirmations de la société [14], les premiers juges ont parfaitement évalué, au regard d’une juste appréciation des pièces produites, le préjudice moral de chaque ayant droit.
En conséquence la cour confirme l’indemnisation allouée aux ayants droit de M. [W] au titre du préjudice moral.
Sur le partage de responsabilités :
La cour confirmera le jugement entrepris sur le partage de responsabilités entre les deux sociétés employeurs, [14] et [12], dans la mesure où ce partage correspond à la durée effective de la relation contractuelle au cours de laquelle les fautes ont été respectivement commises par les deux employeurs et donc à la durée d’exposition au risque professionnel litigieux.
Sur l’action récursoire de la CPAM :
Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d’assurance maladie dispose d’une action récursoire contre l’employeur dont la faute inexcusable est reconnue dans l’accident du travail ou la maladie professionnelle du salarié, pour les sommes dont elle a été amenée à faire l’avance au titre de la réparation des préjudices ainsi qu’au titre de la majoration de la rente.
Par application des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable.
Il résulte donc de ces dispositions cumulées que lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, ce dernier doit rembourser à la caisse la totalité des sommes dues à la victime, liées à la reconnaissance de la faute inexcusable, y compris la majoration de la rente.
En l’espèce, le pôle social a considéré que la caisse est recevable en son action récursoire dirigée in solidum à l’encontre des deux employeurs successifs les sociétés [14] et [12], ayant jugé qu’ils ont tous deux commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle,et ce pour l’intégralité des sommes allouées à M. [W] et ses ayants droit, sauf à limiter l’action récursoire de la caisse concernant la majoration de rente à 80% uniquement au recours à l’égard de la société [12], dernier employeur de M. [W] auquel le taux d’IPP de 80% a été notifié.
La société [14] sollicite l’infirmation du jugement entrepris sur ce point, et demande à la cour à titre principal de rejeter toute action récursoire de la CPAM à son égard, tandis que les ayants droit de M. [W] et la CPAM concluent à l’infirmation en ce qu’il a rejeté l’action récursoire pour la majoration à l’égard de la société [14]. La société [12] n’a pas conclu sur ce point.
En premier lieu, la société [14] oppose aux autres parties le fait que le caractère professionnel de la maladie du salarié ne serait pas établi dans ses rapports d’employeur avec la CPAM, puisque la caisse ne l’a pas informée de la reconnaissance de ce caractère professionnel de la pathologie en cause.
Cependant, contrairement à ce que soutient la société [14], l’instruction d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle par la CPAM ne fait pas peser sur celle-ci une obligation de caractérisation de la maladie déclarée à l’égard des employeurs successifs, puisque la caisse a pour seule obligation de vérifier si les conditions posées par le tableau des maladies professionnelles applicable à la situation sont réunies ou non.
En application des dispositions de l’article R441-11 du code de la sécurité sociale, la caisse instruit le dossier de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l’employeur unique ou du dernier employeur de l’assuré, peu important qu’il l’expose effectivement au risque.
Au surplus, il est constaté que la société [14] ne discute pas du caractère professionnel de la maladie du salarié dans ses relations avec celle-ci, seule l’existence d’une faute inexcusable étant en litige.
Dans ces conditions, ce premier moyen sera écarté.
En deuxième lieu, la société [14] oppose que la CPAM ne saurait disposer d’une action récursoire à son égard en ce qui concerne le capital représentatif de la majoration de rente du salarié jusqu’à son décès, et l’allocation forfaitaire de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale, dans la mesure où la décision fixant le taux d’incapacité permanente partielle de M. [W] ne lui a pas été notifiée, de sorte que ce taux ne lui est pas opposable.
Néanmoins, lorsque la CPAM instruit le dossier de reconnaissance de maladie professionnelle et fixe le taux d’incapacité permanente partielle du salarié, cette instruction n’est diligentée qu’à l’égard du seul ou dernier employeur ainsi qu’il l’a été dit précédemment, et aucun texte n’impose à la CPAM de notifier le taux d’incapacité permanente partielle du salarié à tous ses précédents employeurs.
Sur ce point, la société [14] se prévaut d’une jurisprudence de la cour de cassation du 17 mars 2022, statuant sur une espèce différente dans la mesure où l’arrêt concernait un salarié dont le taux d’incapacité permanente partielle avait été déjà notifié à son unique employeur, puis avait été modifié dans les rapports entre la caisse et le salarié sans notification de cette modification à l’employeur.
Or en l’espèce, la société [14] n’est pas le dernier employeur de M. [W] et il n’est pas discuté entre les parties que le taux d’IPP de ce salarié ait été régulièrement notifié à son dernier employeur.
Ainsi, s’imposent à la société [14] les dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, selon lesquelles, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable ; ces sommes dont il est redevable incluent majoration du capital représentatif de la rente majorée allouée aux ayants droit de M. [W].
En troisième lieu, la société [14] oppose aux ayants droit de M. [W] que la majoration de rente du salarié jusqu’à son décès et celle du conjoint survivant ne sont pas chiffrées, de sorte que la demande de la CPAM tendant à exercer son action récursoire sur des sommes non chiffrées est irrecevable.
Cependant, la cour rappelle que la majoration de la rente accident du travail à raison de la faute inexcusable de l’employeur est déterminée par application des dispositions du code de la sécurité sociale en appliquant le taux d’incapacité permanente partielle au salaire annuel de la victime, sans pouvoir excéder les plafonds réglementaires ; cette fixation répond donc à des règles permettant la détermination précise de la rente majorée, de sorte que le grief tiré de l’irrecevabilité de l’action récursoire de la CPAM sur une somme non chiffrée est inopérant.
Enfin, la société [14] soutient subsidiairement que, si la cour devait accueillir l’action récursoire de la CPAM à son encontre, celle-ci ne pourrait s’exercer qu’à concurrence de 56% des sommes allouées aux ayants droit de M. [W] dans la mesure où le partage de responsabilité admis par la cour entre elle et la société [12] doit être pris en compte.
La cour vient de juger que la maladie professionnelle de M. [W] est due à la faute inexcusable commise par ses employeurs successifs, lesquels ont commis une faute dans leur obligation de prévention du risque auquel ce salarié a été exposé.
Ainsi, la condamnation in solidum des sociétés [14] et [12] au remboursement à la caisse primaire d’assurance maladie à des indemnisations des préjudices dont elle est tenue de faire l’avance doit être confirmée. Le partage de responsabilité retenu par les premiers juges et validé par cette cour ne vaut que dans les rapports des deux employeurs entre eux, et non dans leurs rapports avec la CPAM.
Il n’y a donc pas lieu à limiter l’action récursoire de la CPAM à l’encontre de chacun des employeurs à une partie seulement des sommes avancées par elle.
Il s’ensuit que la caisse est recevable en son action récursoire dirigée à l’encontre des deux employeurs successifs de M. [W] , la cour venant de juger qu’ils ont tous deux commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a accueilli l’action récursoire de la CPAM exercée in solidum à l’égard de la société [14] et de la société [12] pour les sommes dont elle aura fait l’avance au titre de l’indemnisation des préjudices complémentaires de M. [W] et des préjudices moraux de ses ayants droit, étant observé que la CPAM du Lot sollicite la confirmation du chef du dispositif du jugement ayant uniquement condamné la société [12] à lui rembourser la majoration, d’une part, de la rente qui a été servie à Monsieur [W] et, d’autre part, de celle qui sera servie à Madame [Y] [J] veuve [W] en sa qualité de conjointe survivante.
Sur les frais et dépens :
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Il serait inéquitable de laisser aux ayants droit de M. [W] les frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’engager pour leur défense en appel. La société [14], appelante, sera donc condamnée à payer aux ayants droit de M. [W] la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel. Elle sera par ailleurs condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– Déclaré recevable l’action introduite par M. [W] et ses ayants droits en reconnaissance de la faute inexcusable de ses anciens employeurs, la société [11] aux droits de laquelle vient la société [14] et la société [12] ;
– Dit que le présent jugement était commun et opposable à la CPAM du Lot ;
– Jugé que la maladie professionnelle dont a été victime M. [W], un cancer broncho-pulmonaire primitif, inscrite au tableau n°30 bis des maladies professionnelles, était imputable à la faute inexcusable de ses anciens employeurs successifs, la société [11] aux droits de laquelle viennent la société [14] et la société [12] ;
– Ordonné la majoration au taux maximal de la rente qui a été servie à M. [W] du 11 décembre 2018 jusqu’à son décès et dit que ce montant sera avancé par la CPAM du Lot entre les mains du notaire en charge de la succession ;
– Ordonné la majoration au taux maximal de la rente qui sera servie à Mme [Y] [J], veuve [W] en sa qualité de conjointe survivante, et dit que ce montant lui sera avancé par la CPAM du Lot ;
– Condamné la société [12] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot la majoration, d’une part, de la rente qui a été servie à M. [W] et, d’autre part, de celle qui sera servie Mme [Y] [J] veuve [W] en sa qualité de conjointe survivante ;
– Fixé l’indemnisation des préjudices complémentaires de M. [W] aux sommes suivantes :
* 11 016 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
* 100 000 € au titre des souffrances endurées,
* 15 000 € au titre du préjudice d’agrément,
* 2 000 € au titre du préjudice esthétique permanent,
soit une somme totale de 128 016 € dont le montant sera avancé par la CPAM du Lot entre les mains du notaire en charge de la succession ;
– Fixé l’indemnisation du préjudice moral des ayants-droits de M. [O] [W] aux sommes suivantes :
* 30 000 € à Mme [Y] [J], veuve de M.[O] [W],
* 11 000 € à Mme [D] [W], fille de M. [O] [W],
* 11 000 € à M. [V] [W], fils de M.[O] [W],
* 3 000 € à M. [C] [B], petit-fils de M. [O] [W],
et dit que chacune de ces sommes sera avancée aux intéressés par la CPAM du Lot ;
– Condamné in solidum les sociétés [14] et [12] à rembourser à la CPAM du Lot les sommes dont elle aura fait l’avance au titre de l’indemnisation des préjudices complémentaires de M. [O] [W] et des préjudices moraux de ses ayants-droits ;
– Dit que dans les rapports entre employeurs, le partage de responsabilité s’effectuera à hauteur de 56% pour la société [14] et de 44% à la charge de la société [12] ;
– Condamné la société [14] à verser aux consorts [W] la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Déboute les ayants droit de M. [W] du paiement de l’indemnité forfaitaire,
Condamne la société [14] à payer aux ayants droit de M. [W] la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel,
Condamne la société [14] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset
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