Tentative de conciliation : 29 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 16/15545

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Tentative de conciliation : 29 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 16/15545
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 29 Septembre 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/15545 – N° Portalis 35L7-V-B7A-B2G6R

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Novembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n°

APPELANTE

Madame [W] [I] [U]-[R]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Frédéric CAZET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1904

INTIMEES

Etablissement Public [9], DE [6]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Sophie UETTWILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261 substituée par Me Cynthia CORCEIRO, avocat au barreau de PARIS

[11] venant aux droits de la SAS [10]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Valéry ABDOU, avocat au barreau de LYON, toque : 2 substituée par Me Grégory MAZILLE, avocat au barreau de LYON

SOCIÉTÉ [13] SAS venant aux droits de la SAS [12]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Morgane COURTOIS D’ARCOLLIERES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503 substituée par Me Charlotte BLANC LAUSSEL, avocat au barreau de PARIS

Etablissement CPAM DE [Localité 5]

[Adresse 7] –

[Adresse 7]

[Adresse 7]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre, et de Monsieur Gilles BUFFET, conseiller, chargés du rapport

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Madame Natacha PINOY, Conseillère

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu au 07 juillet 2023 , prorogé au 29 septembre 2023,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M. Gilles BUFFET, conseiller pour Mme Laurence LE QUELLEC, présidente de chambre, légitimement empêchée et Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par Mme [I] [W] [I] [U]-[R] d’un jugement rendu le 14 novembre 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l’opposant à la SAS [10] aux droits de laquelle vient la SAS [11], elle-même venant aux droits de la société [11], la SAS [12] aux droits de laquelle vient la SAS [13], à l’établissement public du [9], de [6] dit [14] ([8]), en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] (la caisse).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que

le 21 mars 2007, [6], devenue [14], a confié à la société [12], la gérance d’exploitation du système d’information afin d’externaliser la gestion et l’exploitation de ses systèmes d’information et de son parc informatique ; que la société [12] a conservé l’exploitation des serveurs et des réseaux et dans le cadre d’un contrat de sous traitance, de prestations de services informatiques en date du 27 janvier 2009, la société [12] a confié à la société [10] les activités de support aux utilisateurs d’ordinateurs, la maintenance des postes de travail ainsi que la gestion d’une hot line, outre la gestion du parc informatique ; que selon contrat à durée indéterminée du 23 janvier 2009, M. [G] [R] a été embauché par la société [10], à compter du 2 février 2009 en qualité de technicien, travaillant comme gestionnaire du stock des équipements informatiques et bureautiques sur le site de [6], dans la poursuite de son activité exercée auparavant en qualité de salarié intérimaire mis à disposition de la société [12] depuis le 2 juin 2008 ; qu’en mars 2010, la société [10] a décidé de le retirer de sa mission pour le changer de site, son dernier jour de travail au sein de [6] étant fixé au 2 avril 2010 ; que le 2 avril 2010, M. [R] a mis fin à ses jours sur son lieu de travail ; que la société [10] a établi une déclaration d’accident du travail le 21 avril 2010 ; que le 19 juillet 2010, la caisse a notifié à Mme [I] [U]-[R] ainsi qu’à la société [10] une décision de refus de prise en charge du décès de M. [R] ; que par jugement définitif du 28 février 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a dit que l’accident du 2 avril 2010 ayant entraîné le décès de M. [R] devait être pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels ; qu’après vaine tentative de conciliation, le 19 octobre 2015, Mme [I] [U] veuve [R] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d’une action en faute inexcusable.

Par jugement en date du 14 novembre 2016 le tribunal a :

– débouté Mme [I] [W] [I] [U] veuve [R] de l’ensemble de ses demandes.

Pour statuer ainsi le tribunal a retenu qu’au regard de la définition du co-emploi, Mme [R] ne démontre pas qu'[14] aurait été le co-employeur de son mari ; qu’il en est de même en ce qui concerne [12] ; que dans aucun des deux cas, il n’est démontré une ingérence dans la conduite de la société [10], induite par l’état de confusion et aboutissant à priver [10] de ses pouvoirs à l’égard de M. [R]; qu’à supposer que des dysfonctionnements au sein d'[14] aient été réels, ils ne pouvaient concerner M. [R] que très indirectement puisqu’il n’était pas un salarié d'[14] mais de [10]; que les dysfonctionnements généraux et les problèmes spécifiques au service de gestion du stock de M. [R] au sein d'[14] n’ont pas été une cause nécessaire de son suicide ; que Mme [R] n’invoque aucune autre cause professionnelle au suicide de son mari et notamment n’invoque aucune faute de la part de la société [10] ; que dans ces conditions, elle doit être déboutée de son action en reconnaissance de la faute inexcusable en tant qu’elle est dirigée contre la seule personne contre laquelle elle pouvait la diriger, à savoir la société [10], devenue [11].

Mme [I] [U]-[R] a le 12 décembre 2016 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 2 décembre 2016.

Par ses conclusions écrites ‘ n°2″ soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, Mme [I] [U]-[R] demande à la cour de :

– la recevoir en son appel et ses prétentions ;

– infirmer le jugement déféré,

– constater la faute inexcusable de [11] venant aux droits de [10], de [12] et de l'[8] en leur qualité de co-employeurs de M. [R] ;

En conséquence,

– majorer la rente qui lui est versée dans le maximum des dispositions légales ;

– condamner solidairement la société [11] venant aux droits de la SAS [10], [12] et l'[8] au paiement d’une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral consécutif à la perte de son époux ;

– condamner solidairement la société [11] venant aux droits de la SAS [10], [12] et l'[8] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société [11] venant aux droits de la SAS [10] aux dépens.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société [11], venant aux droits de la société [11], venant aux droits de la société [10] demande à la cour, de :

A titre principal,

– confirmer le jugement déféré et débouter Mme [R] de son action en faute inexcusable ;

A titre subsidiaire,

– considérer que le refus de prise en charge prive la caisse du bénéfice de son action récursoire à l’égard de la société [11] comme venant aux droits de la société [10] ;

A titre plus subsidiaire,

– limiter l’indemnisation du préjudice moral de la requérante à la somme de 20 000 euros ;

En tout état de cause,

– en cas d’infirmation du jugement déféré, rendre commun et opposable l’arrêt à l’égard des sociétés [12] et [14], du fait de leur responsabilité dans la survenance du décès de M. [R].

Par ses conclusions écrites ‘ récapitulatives et additionnelles’ soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la SAS [13] venant aux droits de la SAS [12] demande à la cour de :

A titre principal, sur l’irrecevabilité du recours en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur dirigé à son encontre,

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a jugé que Mme veuve [R] sera déboutée de son action en reconnaissance de la faute inexcusable en tant qu’elle est exercée à son encontre, au titre du suicide de son époux, M. [G] [R], survenu le 2 avril 2010 ;

A titre subsidiaire, sur l’absence de faute inexcusable imputable à la société [12] devenue la SAS [13],

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a débouté Mme veuve [R] de son recours en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur au titre du suicide de son époux, M. [G] [R], survenu le 2 avril 2010 ;

A titre plus subsidiaire, sur les demandes d’indemnisation,

– réduire et mettre à la charge de la société [11] « devenue la société [10] » les sommes sollicitées par Mme veuve [R] en réparation de son préjudice moral et en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– limiter la condamnation aux seuls dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.

Par ses conclusions écrites ‘ d’intimé n°2″ soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, l'[8] demande à la cour de :

– dire mal fondé l’appel interjeté par Mme [R] et l’en débouter intégralement ;

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Par conséquent,

– prononcer la mise hors de cause d'[14] concernant la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur de M. [R] ;

– juger que le travail n’est pas le fait générateur du suicide de M. [R] ;

– rejeter la demande de reconnaissance de la faute inexcusable ;

– débouter Mme [R] de l’ensemble de ses demandes.

Par ses conclusions écrites ” d’intimée n°2″ soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la caisse demande à la cour de :

– statuer ce que de droit sur les demandes formulées par Mme [I] [U]-[R] quant au principe de la faute inexcusable et à la majoration de la rente ;

Dans l’hypothèse où la cour retiendrait la faute inexcusable de l’employeur,

– lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice quant à la somme allouée à Mme [I] [U]-[R] en réparation de son préjudice moral ;

En tout état de cause,

– rappeler que la caisse avancera les sommes éventuellement allouées à Mme [I] [U]-[R] dont elle récupérera le montant sur l’employeur ;

– condamner tout succombant aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 11 mai 2023 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

SUR CE :

Sur l’imputabilité de la faute inexcusable :

Mme [R] soutient que la faute inexcusable peut être recherchée à l’encontre de l’employeur mais aussi d’une autre entreprise en cas de travail en commun, en cas de direction unique impliquant la concertation des représentants des entreprises sur la façon d’accomplir une tâche déterminée ; qu’il existait une concertation commune entre [10] et [6] ([6]) sur la façon d’accomplir la mission de gestion du stock informatique ainsi qu’il résulte des comptes-rendus de réunions du ‘ comité technique poste de travail’ ; que [6] disposait d’un pouvoir adjudicateur, comportant un pouvoir de sanction à l’encontre des salariés exécutant leurs missions d’infogérance, ainsi qu’il résulte d’un courriel en date du 31 mars 2010; qu’il a existé une concertation entre les sociétés [10], [12] et [6] sur la décision d’exclure M. [R] de sa mission ; que l’organigramme [6], [12] et [10] illustre ce pouvoir de direction éclaté entre les trois sociétés ; que les mails professionnels démontrent que M. [R] était référencé comme un salarié [12] ; qu’il recevait des directives conjointes de M. [N] (société [10]) et de M. [H] ( société [12]) ; que de nombreux mails témoignent des rapports constants entre M. [R] et ses interlocuteurs de [6] ; que le rapport d’expertise du CHSCT réalisé à la suite du suicide de M. [R] ne fait que confirmer cette direction commune et le travail en commun ; que par suite, la faute inexcusable peut être recherchée aussi bien à l’encontre de [10], que de [12] et de [6] en raison du travail en commun et de la direction commune exercée.

La société [10], devenue [11] puis [11] se prévaut d’une situation de co-emploi, l’ayant empêchée de toute main mise sur la gestion de ses salariés, invoquant que [6] disposait d’un large pouvoir en matière de mise à disposition de matériels et de logiciels en vue de la gestion du parc informatique ; que le pouvoir de direction de [6] résulte de l’organigramme établi et du rapport d’expertise du CHSCT établi le 10 juin 2011 ; que ses salariés étaient mis à disposition exclusive de la société [12] et de [6] et que M. [R] recevait des instructions uniquement de la part de ces sociétés qui avaient un contact direct avec lui, alors qu’elle même était son employeur légal.

La société [13] venant aux droits de la société [12] soutient qu’elle n’était pas l’employeur de M. [R] ; qu’il n’existait dans les faits aucun lien de subordination entre elle et M. [R], lequel exerçait son activité sous la seule subordination de la société [10] ainsi qu’il résulte du contrat de prestation de services informatiques conclu; que l’organigramme et la tenue de réunions techniques ne remettent pas en cause l’absence de lien de subordination entre la société [12] et M. [R] ; que les mails s’inscrivaient dans le cadre du marché de sous-traitance entre la société [12] et la société [10] ; qu’aucune situation de co-emploi ne peut être invoquée à son encontre ; qu’il n’existe aucun groupe, ni confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre la société [12], la société [10] et [14] ; que la preuve d’acte d’immixtion de la société [12] dans l’administration et la direction de la société [10] n’est pas démontrée ; que l’existence d’une gestion commune n’est pas plus démontrée ; qu’il n’est pas démontré qu’elle aurait émis des directives à l’égard des salariés de la société [10], qui l’auraient privée de son autonomie dans la gestion de son activité ; que le retard dans la procédure d’agrément du sous-traitant est inopérant à cet égard ; que seule la responsabilité de la société [10] qui avait la qualité d’employeur peut être recherchée conformément aux dispositions de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale.

L'[8] invoque l’absence de tout coemploi caractérisé à son encontre, soutenant qu’une société peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s’il existe une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à une perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ; qu’il résulte des documents contractuels relatifs au marché public de services pour la gérance d’exploitation du système d’information, que le titulaire du marché est la société [12], que son sous-traitant est la société [10], que la gestion des stocks ne fait pas partie des prestations assorties d’une obligation de résultat pour le titulaire qui est gestionnaire et non responsable des stocks, que le suivi et le pilotage de la prestation d’infogérance s’effectuent en conformité avec les cahiers des clauses techniques, l'[8] n’intervenant ni dans les modalités de gestion de la prestation, ni dans les effectifs à mettre en place, ni dans leur composition ; qu’il n’est ni intervenant ni destinataire du projet de compte rendu de comité de pilotage produit par Mme [R], ce document étant établi par le représentant de la société [10] à destination de [12] ; que les mails produits qui concernent l’envoi des stocks sont inopérants à matérialiser un lien de subordination qui suppose le pouvoir de donner des instructions et d’en sanctionner l’exercice ; que la preuve dont la charge incombe à l’appelante d’une véritable immixtion d'[14] dans la gestion économique et sociale de [10] n’est pas rapportée.

L’article L.452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que : ‘Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.’

Hors l’existence d’un lien de subordination, c’est la perte totale de la capacité d’action de l’employeur, par l’effet d’une immixtion permanente d’une autre entité dans la gestion économique et sociale de l’entreprise qui permet de caractériser un état de coemploi ( Soc., 23 novembre 2022, pourvoi n° 20-23.206).

Il n’existait pas de lien de subordination entre M. [R] d’une part et la société [12] et l'[8], d’autre part, le seul lien de subordination existant étant celui entre M. [R] et la société [10], son employeur, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 23 janvier 2009.

La circonstance que les comptes rendus de réunions du comité technique poste de travail mené par [12] portent sur l’appréciation de la gestion du stock ( pièces n° 25 à 27 des productions de l’appelante) et que particulièrement celui du 22 septembre 2009 fasse mention de ce qu’un ‘ fichier est actuellement partagé entre [12] et les équipes de [Y] [M] ([14]). Ce fichier a pour but de tracer l’appréciation de la DSO concernant la prestation de gestion de stock’ ( pièce n° 25 des productions de l’appelante) est insuffisante à rapporter la preuve d’une situation de coemploi.

La circonstance que le cahier des clauses administratives particulières du marché public de services pour la gérance d’exploitation du système d’information de [6] par la société [12] fasse état de ce que ‘ [6] se réserve le droit d’exiger le retrait temporaire ou définitif de tout membre du personnel du titulaire dont la conduite serait préjudiciable à l’image de marque de cette dernière’ et que la ‘ [6] se réserve le droit de demander au titulaire le remplacement immédiat des agents, qui par leur comportement, ne donneraient pas satisfaction à [6]’ (pièce n° 30 des productions de l’appelante), que dans un courriel en date du 31 mars 2010, adressé à M. [R], M. [N] directeur agence de la société [10] indique que :

‘ Compte tenu de certains soucis entre toi et des interlocuteurs [6], notre client nous a demandé de te sortir de la prestation [6]’ ( pièce n° 36 des productions de l’appelante), que Mme [V] épouse [Z], président de la société [10] ait déclaré lors de l’enquête pénale qu’il ‘ y avait eu quelques différends’, que ‘ c’est pourquoi on avait convenu de le bouger car [12] nous avait demandé d’étudier de pouvoir bouger M. [R], mais sans urgences’ ( pièce n° 47 des productions de l’appelante), que le responsable technique des techniciens [10] soit un salarié de [12] (M. [L]) ( pièce n° 29 des productions de l’appelante) , que M. [N] ([10]) ait indiqué organiser un entretien avec M. [R] afin de remonter les éléments à améliorer et que M. [H] ([12]) ait proposé de faire de même (pièce n° 35 des productions de l’appelante), que le rapport d’expertise demandé par le CHSCT mentionne que ‘M. [R] était en rapport direct avec les gens de [6]-Mail, téléphone-, ce n’était pas une pression intense, mais continue, sans répit, et au moindre problème c’était des comptes à rendre’ (pièce n° 20 des productions de l’appelante), pris isolément ou de façon globale sont insuffisants à caractériser la perte totale de la capacité d’action de l’employeur par une immixtion permanente de la société [12] ou de [6] dans la gestion économique et sociale de la société [10], de nature à caractériser une situation de coemploi.

De même, il n’est pas établi par la société [10] au regard de l’organigramme établi par elle et du rapport d’expertise du CHSCT l’existence d’une situation de coemploi entraînant pour elle une perte complète de capacité d’action de la part de l’employeur, qui n’est pas démontrée.

Il résulte de ce qui précède que seul l’employeur soit la société [10] peut être tenu d’une faute inexcusable à l’égard de son salarié.

Sur la reconnaissance de la faute inexcusable :

Mme [U]-[R] invoque en substance que [6] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel ses salariés et les intervenants extérieurs, notamment ceux affectés au service informatique étaient exposés, que la société [10] employeur a donc exposé le salarié aux mêmes risques psycho-sociaux que ceux auxquels les salariés de [6] ont été exposés, que compte tenu de leur devoir de coopération pour la mise en place de conditions de travail protégeant la santé et la sécurité des travailleurs, les entités avaient ou auraient dû avoir conscience des RPS au sein de [6], auxquels M. [R] était exposé puisqu’il s’agissait de son lieu de travail. Elle ajoute que les différents compte-rendus de réunion au comité technique postes de travail mentionnent les dysfonctionnements répétés du logiciel de gestion des stocks, que les difficultés permanentes auxquelles étaient confrontées M. [R] dans l’exercice de ses missions auraient dû permettre aux sociétés d’identifier un risque accru résultant de l’absence de mise en place de moyens appropriés pour réaliser correctement les missions confiées ; que la survenance de l’accident vasculaire cérébral de M. [R] sur le lieu de travail quelques mois avant son suicide aurait dû constituer un signal d’alarme devant être pris en compte par les sociétés ; que la connaissance du mal-être de M. [R] en lien avec le travail a été révélée dès l’enquête pénale, un lien étant immédiatement effectué entre le suicide et les conditions de travail du salarié et l’annonce de sa mutation ; que la société [10] profite de la situation de sous-traitance et de l’éclatement du pouvoir de direction pour se dégager de sa responsabilité alors qu’il demeure tenu de s’informer des dangers y compris RPS auxquels il expose ses salariés mis à disposition de [6] ; que la société [10] ainsi que [12] et [6] avaient ou auraient dû avoir conscience du risque auquel était personnellement exposé M. [R] dans l’exercice de ses missions.

Elle fait valoir de plus qu’aucune des sociétés n’a attribué les moyens humains et matériels nécessaires pour qu’il mène à bien ses missions ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise du CHSCT ; qu’il était du devoir de la société [10] de s’informer sur les dysfonctionnements organisationnels ; que ce n’est que le 5 septembre 2012 que [6] intégrera dans le DUERP les risques psychosociaux ;que les plans de prévention établis conjointement entre [6], [12] et [10] de 2009-2010 ne disposent d’aucun volet RPS ; que plutôt que de réformer le service informatique, les sociétés ont préféré exclure le salarié de sa mission ; que le fait pour M. [R] de ne pas vouloir quitter le service est la traduction de son incompréhension et de l’injustice qu’il a ressenti à la suite de l’annonce de sa mutation, au regard de son investissement; que le rapport d’expertise établit le lien entre les conditions de travail dégradées et le passage à l’acte de M. [R].

La société [11] venant aux droits de la société [10] se prévaut en substance de ce que Mme [R] ne justifie pas qu’elle avait ou pouvait avoir conscience du danger ; qu’ il ne saurait lui être reproché une situation de stress professionnel au sein de [6] , alors qu’aucune information relative à la sécurité au travail n’est mise à la disposition d’une société sous-traitante, que les services visés étaient distincts de celui dans lequel était affecté M. [R] et qu’aucune doléance n’a été émise par son collaborateur ; que l’ensemble des difficultés relevées par Mme [R] s’agissant des conditions de travail existantes au sein de [6] ne saurait lui être opposé, n’en ayant eu par ailleurs aucunement connaissance ; qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir eu conscience d’un danger alors que ce n’est pas elle qui déterminait les conditions de travail de ses salariés qui étaient mis à la disposition de la société [12] et de [6], empêchant de prendre connaissance d’un éventuel mal être de son salarié ; que s’agissant des conditions de travail de M. [R], ce dernier n’a à aucun moment sollicité une visite auprès du médecin du travail ou informé les institutions représentatives du personnel d’un mal-être lié à son activité ; que les difficultés rencontrées par [6] ne concernaient pas le cas particulier de M. [R] qui n’avait fait part de sa situation à aucune société ; qu’en l’absence d’information portée à sa connaissance sur un éventuel lien entre l’état psychologique de M. [R] et sa situation professionnelle, aucune faute inexcusable ne saurait être retenue à son égard ; que les conditions de travail existantes au sein du service DST-SSI de [6] ne peuvent lui être reprochées ; qu’elle avait conscience que des axes d’amélioration pouvaient être apportés en matière de gestion des stocks à travers les comptes rendus de réunions du comité technique poste de travail mais il ne lui a jamais été fait part de difficultés accrues rencontrées par M. [R] dans la réalisation de ses tâches au quotidien ; qu’elle n’était pas à l’origine de la mise en place et des dysfonctionnements du logiciel Winpark alors que c’est [6] qui imposait les objectifs et les moyens pour les atteindre ; que la société n’a jamais formulé aucun reproche à M. [R] qui avait en revanche des difficultés relationnelles dans le cadre du travail ; que c’est en raison de son comportement irascible qu’il avait été décidé, compte tenu des écarts de langage pouvant se produire avec certains responsables de [6] de l’affecter à un autre poste de logisticien de même nature; que le rapport d’expertise relève que M. [R] était stressé par des personnes de la DSI à cause des dysfonctionnements liés aux outils mais que la société [10] n’avait aucune information dans la mesure où [6] correspondait directement avec M. [R] et que ce dernier n’a à aucun moment fait état d’une difficulté dans son travail ; que des éléments extérieurs à la relation contractuelle en raison de problèmes graves rencontrées dans sa vie personnelle ont joué un rôle déterminant dans son décès. Elle conclut que dans la mesure où aucune conscience du danger ne peut lui être imputable, il ne saurait lui être reproché d’avoir manqué à son obligation de mettre en place des mesures de prévention.

Il résulte de l’application combinée des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié ou de la maladie l’affectant ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée.

Il incombe néanmoins au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur dont il se prévaut ; il lui appartient en conséquence de prouver, d’une part que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d’autre part que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l’employeur est une cause certaine et non simplement possible de l’accident ou de la maladie.

La conscience du danger exigée de l’employeur s’apprécie in abstracto par rapport ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.

En l’espèce, il convient de relever que les plans de prévention établis entre [6], les sociétés [12] et [10] en 2009 et 2010 ne disposent d’aucun volet risques psycho-sociaux alors qu’il appartient à l’employeur d’évaluer les risques notamment psycho-sociaux auxquels ses salariés sont exposés ( pièces n° 33 et 34 des productions de l’appelante) ; que les comptes rendus de réunion au comité technique postes de travail mentionnent des dysfonctionnements répétés du logiciel de gestion des stocks, le logiciel Winpark, dont M. [R] devait se servir, engendrant des écarts de stock ( pièces n° 25, 26 et 27 des productions de l’appelante) ; que la société [10] ne conteste pas avoir eu connaissance de ces comptes rendus de réunion dès lors qu’elle indique dans ses écritures qu’elle avait conscience que des axes d’amélioration pouvaient être apportés en matière de gestion des stocks à travers ces comptes rendus de réunion du comité technique poste de travail ; que dès lors la société [10] avait connaissance des difficultés rencontrées par M. [R] au regard des outils de travail qui étaient mis à sa disposition, même si ces outils n’étaient pas fournis par elle-même ; que le dernier mail reçu par le salarié en date du 1er avril 2010 démontre que M. [R] devait faire face aux écarts de stocks permanents et qu’il devait en justifier auprès de [6] ( pièce n° 46 des productions de l’appelante) ; que l’expertise CHSCT demandée par la commission d’enquête commune aux trois sociétés à la suite du décès de M. [R] fait mention de ce qu’il est ‘ plus que probable que la société [12], comme [10], avait conscience que le problème de gestion du stock était structurel et que leur marge d’action pour y remédier était étroite ou nulle. Finalement la mobilité des prestataires était une réponse palliative à une situation dégradée ( pièce n° 20 , p 12 des productions de l’appelante); que les experts concluaient au « mal-être de M. T perceptible par tous » et mentionnaient un témoignage selon lequel ce dernier « a mal vécu d’avoir un stock faux, il était cassé. Tout le monde disait que ce n’était pas grave les écarts, mais lui n’était pas tranquille. On continuait à lui demander d’être carré en bossant sur un stock erroné. Mais dès qu’il se trompait, il y avait un mail. Le client était exigeant sur la forme et lui sur le fond’ ( pièce n° 20, p 46 et 47) ; que dans le cadre de l’enquête pénale, le salarié qui devait remplacer M. [R] a indiqué que ce dernier devait changer de mission et qu’il culpabilisait, qu’il ne comprenait pas pourquoi il devait partir et M. [L] de la société [12] a indiqué que le fait qu’il allait partir semblait être dur pour lui, qu’il ‘semblait vivre cela comme un licenciement’ ( pièce n° 47 des productions de l’appelante).

Il résulte de ce qui précède que Mme veuve [R] établit que la société [10] avait ou aurait dû avoir conscience du danger que représentaient les conditions de travail auxquelles son époux était confronté au regard des difficultés rencontrées s’agissant de l’état des stocks de matériels informatiques et de l’annonce de son départ.

Il est établi par Mme veuve [R] que la société [10] n’a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du danger dès lors que le rapport d’expertise du CHSCT ( pièce n° 20 p 64 des productions de l’appelante) relève ‘ des alertes de la part du sous-traitant sur les difficultés d’organisation de l’activité du gestionnaire de stocks, sans que ces alertes aient été entendues, sauf à proposer de changer de gestionnaire de stocks’, ce qui a été précisément choisi par la société [10], alors même que le changement de site n’était pas compris par le salarié et mal vécu par lui, qui « n’avait de son point de vue aucune raison de partir puisqu’il n’était pas en cause » (pièce n°20 susvisée p 56).

Il apparaît que même si M. [R] était confronté à des difficultés personnelles ainsi qu’il résulte du CHSCT Serlog du 9 avril 2010 ( pièce n° 2 des productions de la société [11]) qui relève un ‘ mal être’ exprimé très fréquemment et auprès de tous : regret de son époque en Afrique et inquiétude face à l’avenir (pas de retraite constituée, problèmes personnels)’ ainsi que de l’écrit laissé à son épouse figurant dans l’enquête pénale, il est établi par le suicide sur le lieu de travail ainsi que par le rapport d’expertise relevant que les conditions de travail du gestionnaire contiennent l’ensemble des déterminants qui ont conduit au passage à l’acte que les conditions de travail dégradées auxquelles M. [R] a été confrontées sans que son employeur ait pris les mesures nécessaires pour y remédier, sauf à le changer d’affectation ce qui a été vécu par lui comme une sanction, constitue une cause nécessaire, même non exclusive de son décès .

Par suite il est établi par Mme veuve [R] que la société [10] devenue [11] qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé en raison de ses conditions de travail et qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, a été l’auteur d’une faute inexcusable qui est en lien nécessaire même non exclusif avec le décès de son époux.

Il convient donc par infirmation du jugement déféré de retenir la faute inexcusable de la société [10] devenue [11].

Sur les conséquences de la faute inexcusable :

En application des dispositions de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, il convient de fixer la majoration de la rente versée à Mme veuve [R] à son maximum.

Le préjudice moral subi par Mme veuve [R] à la suite du décès de son époux sera indemnisé par l’allocation de la somme de 25 000 euros.

La caisse fera l’avance des sommes allouées à Mme veuve [R].

Sur l’action récursoire de la caisse :

La caisse se prévaut des dispositions de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale au soutien de son action récursoire à l’encontre de l’employeur, faisant valoir que l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident ne fait pas obstacle à son action.

La société [11] invoque que la décision de refus de prise en charge rendue par la caisse le 19 juillet 2010, touchant les conditions de fond relatives à l’accident, reste acquise pour la société; que par cette décision, la caisse a retenu l’absence de lien de causalité entre le décès de M. [R] et le travail ; que s’agissant d’une inopposabilité sur le fond à l’égard de la société, la caisse ne dispose d’aucune action récursoire à son encontre.

Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Dès lors que la cour d’appel est saisie d’une demande de la caisse tendant à récupérer, sur le fondement de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les préjudices alloués à l’ayant droit de la victime en réparation de la faute inexcusable de la société, il en résulte que l’inopposabilité à la société de la décision de prise en charge de l’accident du travail en raison de la décision de refus de prise en charge par la caisse le 29 juillet 2010 ne fait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse à l’encontre de la société.

Par suite, il convient de condamner la société [11] à rembourser à la caisse les sommes dont elle doit faire l’avance.

Succombant en appel, comme telle tenue aux dépens, la société [11] sera condamnée à payer à Mme [W] [I] [U]-[R] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DÉCLARE l’appel recevable ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [W] [I] [U] veuve [R] de ses demandes à l’égard de la SAS [12] aux droits de laquelle vient la SAS [13] et de l’établissement public du [9], de [6] dit [14] ;

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

DIT que la société [11], venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la société [10] a commis une faute inexcusable à l’origine du décès de M. [G] [R] ;

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] versera à Mme [W] [I] [U]-[R] une rente majorée fixée au maximum ;

Alloue à Mme [W] [I] [U]-[R] la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral qui sera versée par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] ;

CONDAMNE la société [11], venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la société [10] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 5] les sommes dont cette dernière doit faire l’avance ;

CONDAMNE la société [11], venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la société [10] à payer à Mme [W] [I] [U]-[R] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [11], venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la société [10] aux dépens d’appel.

La greffière Pour la présidente empêchée

 


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