Tentative de conciliation : 27 novembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/01865

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Tentative de conciliation : 27 novembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 22/01865

Arrêt n° 23/00380

27 Novembre 2023

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N° RG 22/01865 – N° Portalis DBVS-V-B7G-FZD3

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Tribunal Judiciaire de Metz – Pôle social

22 Janvier 2021

18/01109

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 – Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Novembre deux mille vingt trois

APPELANT :

Monsieur [V] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉS :

L’AGENT JUDICIAIRE DE l’ ETAT (AJE)

Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques

[Adresse 9]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représenté par Me Cathy NOLL, avocat au barreau de MULHOUSE

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES – CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L’Assurance Maladie des Mines

[Adresse 10]

[Localité 4]

représentée par Mme [W], munie d’un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Juin 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Amarale JANEIRO, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation au 23.10.2023

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Carole PAUTREL, Conseillère, faisant fonction de Présidente de Chambre et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [Y], né le 2 juin 1943, a travaillé de 1957 à 1993 au sein des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenue par la suite l’EPIC Charbonnages de France (CDF).

M. [Y] a adressé le 5 août 2013 à la CANSSM (caisse d’assurance maladie des mines) une déclaration de maladie professionnelle inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles, avec à l’appui, un certificat médical initial établi le 26 mars 2013.

Le 14 janvier 2015, à l’issue de son instruction et après l’organisation d’une expertise suite à la demande de M. [Y], la Caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffre M. [Y], comme étant inscrite au tableau 25A2 des maladies professionnelles.

Le 24 avril 2015, l’assurance maladie des mines a fixé son taux d’incapacité permanente à 5%, et il a été alloué à M. [Y] une indemnité en capital de 1923,44 euros à effet du 27 mars 2013, lendemain de sa consolidation, en réparation de sa pathologie.

Après échec de la tentative de conciliation, par lettre recommandée expédiée le 16 juillet 2018, M. [Y] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle, devenu pôle social du tribunal de grande instance de Metz à compter du 1er janvier 2019 puis pôle social du tribunal judiciaire de Metz à compter du 1er janvier 2020, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle, et se voir allouer l’indemnisation qui en découle.

La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM), qui agit pour le compte de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a été mise en cause ainsi que l’Agent Judiciaire de l’Etat (AJE), qui agit pour le compte des Charbonnages de France dont la clôture de la liquidation est intervenue, le 31 décembre 2017 et dont les droits et obligations ont été transférés à l’Etat.

Par jugement du 22 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a statué de la façon suivante :

Déclare M. [V] [Y] recevable en son action ;

Déclare le présent jugement commun à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM-l’Assurance Maladie des Mines’;

Reçoit l’Agent Judiciaire de l’Etat en son intervention volontaire et reprise d’instance suite à la clôture de la liquidation des Charbonnages de France venant aux droits des Houillères du Bassin de Lorraine’;

Dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [V] [Y] et inscrite au tableau n°25A2 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de l’EPIC Charbonnages de France, venant aux droits des Houillères du Bassin de Lorraine, son employeur’;

Ordonne à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM de majorer au montant maximum l’indemnité en capital allouée à «’M. [Z] [F]’» soit la somme de 1923,44 euros’;

Dit que cette majoration sera versée directement à M. [V] [Y] par la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM’;

Dit que la majoration de la rente servie en application de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité attribué’;

Dit qu’en cas de décès de M. [V] [Y] résultant des conséquences de la maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant’;

Fixe l’indemnisation des préjudices subis par M. [V] [Y] du fait de la pathologie tableau 25A2 de la manière suivante’: 3 000 euros au titre des souffrances morales et 800 euros au titre du préjudice d’agrément’;

Déboute M. [V] [Y] de ses demandes formulées au titre du préjudice de souffrances physiques’;

Condamne la Caisse primaire d’assurance maladie de la Moselle agissant pour le compte de la CANSSM à verser ces sommes à M. [V] [Y], soit un total de 3 800 euros’;

Dit que l’ensemble des sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement conformément à l’article 1231-7 du code civil’;

Déclare opposable à l’employeur la décision de prise en charge de la maladie professionnelle au tableau 25A2 de M. [V] [Y]’;

Condamne l’Agent judiciaire de l’Etat à rembourser à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM les sommes, en principal et intérêts, qu’elle sera tenue d’avancer à M. [V] [Y] sur le fondement des articles L452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale’;

Condamne l’AJE à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

Ordonne l’exécution provisoire de la décision.

Condamne l’ Agent judiciaire de l’Etat aux entiers frais et dépens.

Par acte reçu le 22 février 2021, M. [V] [Y] a interjeté appel de cette décision.

L’affaire a été radiée du rang des affaires en cours par décision du 17 mai 2022 puis remise au rôle.

Par conclusions récapitulatives datées du 25 mai 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, M. [Y] demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien fondé son appel limité à l’indemnisation des préjudices’;

Confirmer le jugement entrepris par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 22 janvier 2021 pour le surplus’;

Par conséquent,

Fixer l’indemnisation des préjudices complémentaires comme suit’:

. réparation du préjudice causé par les souffrances physiques’: 20 000 euros’;

. réparation du préjudice causé par les souffrances morales’: 25 000 euros’;

. réparation du préjudice d’agrément’: 15 000 euros’;

Juger qu’en vertu de l’article 1153-1 du code civil l’ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir’;

Condamner l’Agent judiciaire de l’Etat venant aux droits de l’ancien EPIC Charbonnages de France suite à la clôture de sa liquidation au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d’intimé contenant appel incident après reprise d’instance datées du 19 mai 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, l’AJE demande à la cour de :

A TITRE D’APPEL INCIDENT ET A TITRE PRINCIPAL’:

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz en date du 22 janvier 2021;

PAR CONSEQUENT, statuant à nouveau’:

Débouter M. [V] [Y] et l’Assurance Maladie des Mines de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de l’AJE’;

A TITRE SUBSIDIAIRE, si par extraordinaire la faute inexcusable de l’employeur venait à être retenue’:

Sur les souffrances morales endurées

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 22 janvier 2021 en ce qu’il a fixé à la somme de 3 000 euros le préjudice moral subi par M. [V] [Y]’;

Sur les souffrances physiques endurées

Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 22 janvier 2021 en ce qu’il a débouté M. [V] [Y] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de souffrances physiques’;

Sur le préjudice d’agrément

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 22 janvier 2021 en ce qu’il a fixé à la somme de 800 euros le préjudice d’agrément subi par M. [V] [Y]’;

Par conséquent, débouter M. [V] [Y] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice physique, du préjudice moral et du préjudice d’agrément et à tout le moins les ramener à de plus justes proportions’;

EN TOUT ETAT DE CAUSE’:

Déclarer infondée la demande présentée par M. [V] [Y] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

Par conséquent, l’en débouter, ou tout au moins réduire toute condamnation prononcée sur ce fondement à la somme de 500 euros.

Par conclusions datées du 9 mai 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Malade des Mines – demande à la cour de :

donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à l’AJE’;

Le cas échéant :

donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l’indemnité en capital réclamée par M. [V] [Y] ;

en tout état de cause, fixer la majoration de l’indemnité en capital dans la limite de 1 923,44 euros’;

prendre acte que la Caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de l’indemnité en capital suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [V] [Y] ;

constater que la Caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de l’indemnité en capital reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [V] [Y] consécutivement à sa maladie professionnelle’;

donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extra-patrimoniaux subis par M. [V] [Y] ;

le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle 25 de M. [V] [Y]’;

en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de confirmer le jugement en date du 22 janvier 2021 en ce qu’il a condamné l’AJE à rembourser à la CPAM de Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [V] [Y] inscrite au tableau 25A2.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR

L’AJE expose que si les Charbonnages de France avaient bien conscience du risque encouru par ses salariés concernant les poussières de silice, ils ont mis en ‘uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation, tant sur le plan collectif qu’individuel. Il prétend que les Charbonnages de France ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu’aucun défaut d’information ne peut leur être reproché.

Il remet en cause la qualité des attestations des deux témoins ayant déposé en faveur de M. [Y] et se présentant comme les collègues de travail de la victime, en ce qu’ils sont imprécis, lacunaires, notamment sur l’insuffisance des mesures individuelles et collectives, et qu’ils ne démontrent pas avoir travaillé directement avec M. [Y]. L’AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations de l’appelant et de ses témoins.

M. [Y] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a estimé que la faute inexcusable était établie à l’encontre des Charbonnages de France au motif que la preuve de l’absence de mesures prises par les HBL concernant sa santé est apportée.

Il soutient que l’employeur s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut de formation et d’information, et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.

La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.

********************

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.

Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.

En l’espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [Y] ainsi que les conditions du tableau 25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L’AJE reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnage de France, avaient conscience du danger constitué par l’inhalation de poussières de silice et revendique même cette conscience.

Seule est discutée l’existence et l’efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.

Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l’exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l’évacuation des poussières ou, en cas d’impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.

L’article 187 dudit décret dispose que lorsque l’abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l’accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s’y opposer ou y remédier.

L’instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.

S’agissant des masques, on peut lire dans l’instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d’arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d’une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu’en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».

En l’espèce, M. [Y] justifie par la production de son relevé de périodes et d’emplois établi par l’ANGDM le 7 janvier 2014 avoir travaillé au fond dès le 1er juillet 1959 et jusqu’au 31 décembre 1993′:

en tant qu’apprenti mineur à [Localité 7] jusqu’au 30 septembre 1960′;

comme aide piqueur à [Localité 7] du 1er octobre 1960 au 31 octobre 1962 puis du 2 mars 1964 au 31 juillet 1964′;

comme piqueur à [Localité 7] du 01/08/1964 au 01/01/1976′;

comme élève stagiaire à l’EPM du 02/01/1976 au 05/12/1976′;

comme élève stagiaire au SCEMO du 06/12/1976 au 31/12/1976′;

comme agent technique au SCEMO du 01/01/1977 au 31/01/1979′;

comme porion d’exploitation à [Localité 7] du 01/02/1979 au 31/12/1982′;

comme porion d’exploitation à [Localité 8] du 01/01/1983 au 01/01/1989′;

comme porion sécurité à [Localité 8] du 02/01/1989 au 31/12/1993.

M. [Y] produit les attestations de Mrs [R] et [I] (pièces n°7 et 8 de la victime), précisant, pour le premier, avoir «’travaillé de longues années avec M. [V] [Y] jusqu’à mon départ en retraite le 30 septembre 1990 au puits [Localité 8] à [Localité 7]’», et pour le second qu’il est un «’ancien piqueur puis agent de maîtrise au siège [Localité 8] de [Localité 7] de 1976 à 2000 et de 2000 à 2003 au siège [Localité 7]’», et qu’il a connu M. [V] [Y] quand il était ouvrier au siège [Localité 8] sur les chantiers en charbon en semi-dressant, puis que par la suite «'(il a) continué à côtoyer M. [V] [Y] en tant qu’agent de maîtrise, toujours dans ces chantiers’».

Ces attestations sont suffisamment précises pour démontrer que ceux-ci ont travaillé directement avec M. [Y] dans la mesure où ils indiquent, sans que ces informations ne soient contredites par l’AJE, qu’ils occupaient des fonctions aux HBL à des périodes communes aux périodes d’activités au fond de M. [Y], sur les mêmes chantiers, et à des postes ou des tâches complémentaires à celles de M. [Y] qui leur permettaient de travailler directement à son contact.

Ces témoins indiquent également les travaux au cours desquels M. [Y] était en contact avec les poussières de charbon et de silice’:

M. [R]’: «’Au départ on travaillait dans des chantiers en dressant, attaques multiples, on forait avec des perfos à air comprimé et tir à l’explosif qui dégageait des poussières de charbon + fumées de tir car le charbon était abattu à l’explosif sur les chantiers à 4 attaques, il était impossible de s’abriter des fumées de tir. On posait des boulons sur le boisage la foration des trous étaient faite à sec surtout dans les élevages montages.

Puis on a été muté dans le champ de [Localité 6], toujours à [Localité 8], tailles, attaques multiples jusqu’à 12 attaques, on forait à sec + tir à l’explosif dont poussières de charbon + fumées de tir.

Puis quartier préparatoires ou on creusait des galeries à la main (foration + tir + évacuation du charbon avec scraper).

Au cours du scrapage, il n’y avait pas de possibilité d’arroser la zone de scrapage étant dangereuse, toute présence étant interdite. Les premiers creusements mécanisés ont été fait avec des Boum Mineur, sans dépoussiéreurs et pratiquement sans arrosage conséquent, on havait pratiquement à sec jusqu’à une certaine époque.

Les masques à poussière n’étaient pas efficaces à 100% car on les achetaient nous même en pharmacie. On nous prévenait pas d’après mes souvenirs des dangers de la silicose ni d’autres maladies’».

M.[I]’: «’J’étais ouvrier lorsque j’ai connu M. [V] [Y] au siège [Localité 8] dans les chantiers en charbon semi-dressants, méthodes attaques multiples (12 attaques minimum) en mode foration tir à l’explosifs et chargement par scrapper à air comprimé. Dans ce type de chantier la poussière faisait partie de notre univers. La neutralisation par eau ou autre moyen de cette poussière était inexistante, la foration des trous se faisait à sec dans le charbon et dans la pierre (fleuret inadapté)’; après chaque tir à l’explosif (voir plusieurs attaques à la fois) la visibilité était impossible’; notre seule protection, le tee-shirt sur le nez…

Par la suite, j’ai continué à côtoyer M. [V] [Y] en tant qu’agent de maîtrise, toujours dans ces chantiers (GERMINALIENS) et par fusion dans les chantiers en creusement (tunnel) au charbon en mode manuel par perforation-tir en montage et descenderie puis arriva les premières machines à attaques ponctuelle type Boom Mineur et Roc Miner. Ces machines dégageait une poussière beaucoup plus dense et plus fine de part leur puissance de havage. Les moyens de neutralisation des poussières était des plus rudimentaires, une rampe de 4 buses avant le tambour qui était le plus souvent hors service lors du havage de la pierre’: les engins d’aspiration des poussières dans ces chantiers, de type Engart ou Holter faisait office de meubles.

Le personnel non formé à l’entretien de ces engins n’y pouvait rien… Donc le personnel ouvriers et maîtrise, circulait et travaillait dans ces chantiers empoussiérés, chaud et humide.

La priorité étant le cubage et le nombre de mètre creusé.

Les protections individuelles n’existaient pas ou étaient mal supportées par le personnel compte tenu de la chaleur et de l’humidité dans ces chantiers en aérage secondaire ou le rendement était de rigueur.

Ce n’est que dans la dernière décennie 1990 que des progrès ont été fait tel que filtre à sable et arrosage séquentiel sur les machines’».

Les deux témoignages précités, produits par M. [Y], apportent des informations relatives à la qualité des masques et leur insuffisance, à l’arrosage et au désempoussièrement insuffisants et parfois inexistants, s’agissant des moyens utilisés par l’employeur pour remplir son obligation de prévention et de sécurité, notamment jusque dans les années 1990 (M. [I]).

Ces deux témoignages concordants, confirment que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, n’ont ainsi pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [Y] des dangers que représentait l’inhalation des poussières de silice, dès lors qu’ils n’ont pas mis en place des mesures individuelles et collectives efficaces et suffisantes.

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l’AJE qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoins et sur le caractère authentique des faits qu’ils relatent.

L’AJE développant ainsi seulement des considérations d’ordre général qui ne contiennent aucun élément sur les conditions de travail précises de M. [Y] et sur la qualité des moyens de protection mis à la disposition du salarié, il doit donc être retenu que les Charbonnages de France, qui avaient conscience du danger auquel M. [Y] était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.

Il s’ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 dont est victime M.[Y] doit être déclarée due à la faute inexcusable des HBL devenues Charbonnages de France, et que le jugement du 22 janvier 2021 est donc confirmé.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES

-Sur la majoration de l’indemnité en capital

Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de l’indemnité en capital revenant à la victime, au fait que cette majoration sera versée directement par la caisse à M. [V] [Y], qu’elle suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de l’indemnité en capital restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.

En conséquence, le jugement entrepris est confirmé sur ces points, étant seulement ajouté que la majoration ainsi ordonnée est allouée à M. [V] [Y] et non à «’M. [Z] [F]’» comme indiqué par erreur dans le dispositif du jugement entrepris, s’agissant d’une erreur purement matérielle pouvant être réparée d’office.

-Sur les préjudices personnels de M. [Y]

Il résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […]

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».

Le jugement entrepris a débouté M. [Y] de sa demande d’indemnisation au titre des souffrances physiques et lui a alloué la somme de 3 000 euros au titre des souffrances morales, outre 800 euros au titre du préjudice d’agrément.

Sur les souffrances physiques et morales

M.[Y] sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 25000 euros, et de son préjudice physique à hauteur de 20 000 euros.

Il fait valoir qu’en application de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, de l’arrêt du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et des arrêts de la cour de cassation du 20 janvier 2023, les victimes d’accident du travail et de maladies professionnelles ont un droit qui tend à une réparation intégrale de leurs préjudices, et qu’elles sont bien fondées à solliciter l’indemnisation de leurs souffrances morales, de leurs souffrances physiques et de leur préjudice, la rente n’indemnisant que le préjudice professionnel et non le déficit fonctionnel permanent.

Il invoque l’existence de souffrances physiques résultant du fait qu’il est victime d’une pathologie pulmonaire dégénérative à répercussions fonctionnelles respiratoires douloureuses, et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de la silicose, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.

L’AJE fait valoir que les souffrances physiques et morales invoquées par la victime, tant pour la période antérieure ou postérieure à sa consolidation, ne sont pas démontrées par M. [Y] qui ne fournit aucun élément médical à l’appui de ses demandes.

La caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.

*******************

ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

En l’espèce, la victime, en application de l’article L 434-1 du code de la sécurité sociale, s’est vu attribuer une indemnité en capital, son taux d’incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d’admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d’incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances physiques et morales.

Dès lors M. [Y] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales, sous réserve qu’elles soient caractérisées.

S’agissant des souffrances physiques, M. [Y] justifie d’une décision de la caisse ayant fixé son taux d’IPP à 5’%, au vu d’un certificat médical établi le 26 mars 2013, et évoquant un début de pneumoconiose (tableau 25 des maladies professionnelles).

Le rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en AT ou en MP établi le 27 mars 2015 par le docteur [X] (pièce n°12 de l’assuré) fait état des doléances de M.[Y] (dyspnée aux escaliers, à la marche rapide stade I, tousse le matin et crache un peu) mais conclut à une «’silicose sans retentissement fonctionnel’».

Aucune pièce médicale ne vient caractériser les répercussions fonctionnelles respiratoires douloureuses alléguées par M. [Y] dans ses conclusions.

M. [Y] n’apporte ainsi pas la preuve de l’existence de souffrances physiques imputables à sa maladie professionnelle inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles, de sorte que sa demande d’indemnisation à ce titre doit être rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

S’agissant du préjudice moral, M. [Y] était âgé de 69 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de silicose.

Les attestations de ses proches (petit-fils, fille et fils ‘ pièces n°9 à 11 de M. [Y]) montrent que la victime est affaiblie moralement, inquiète, affectée par sa maladie et soucieuse de son avenir.

Ces éléments démontrent que M. [Y] a manifesté une baisse de moral suite à la révélation de sa maladie et à ses pertes de souffle, caractérisant une anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance.

Le préjudice moral est donc caractérisé en l’espèce et sera réparé par l’allocation d’une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l’âge de M. [Y] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d’agrément

L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.

M. [Y] sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’agrément à hauteur de 15 000 euros.

L’AJE s’oppose à cette prétention, indiquant que M. [Y] n’apporte pas la preuve de ce qu’il aurait pratiqué des activités spécifiques sportives ou de loisirs interrompues par la maladie.

Si les attestations des proches de M. [Y] mentionnent que celui-ci ne pratique plus de vélo, de piscine, de longues promenades, ou encore des activités d’entretien de sa maison ou d’aide au déménagement ou aux travaux de ses proches, ces attestations manquent de précisions et sont ainsi insuffisantes à justifier de la régularité de la pratique par M. [Y] d’activités spécifiques sportives ou de loisirs.

Dès lors, M. [Y] ne justifiant pas suffisamment de l’existence de ce préjudice, il doit être débouté de sa demande formée à ce titre.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

En application de l’article 1153-1 du code civil ancien devenu 1231-7 du code civil, les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

L’issue du litige conduit la cour à condamner l’AJE à payer à M. [Y] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

Enfin, l’AJE, partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel et de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris du 22 janvier 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz sauf en ce qu’il a’:

fixé l’indemnisation du préjudice lié aux souffrances morales de M. [V] [Y] à la somme de 3 000 euros’;

fixé l’indemnisation du préjudice lié au préjudice d’agrément de M. [V] [Y] à la somme de 800 euros’;

Y ajoutant,

DIT que la majoration de l’indemnité en capital sera versée à M. [V] [Y] et non à non «’M. [Z] [F]’» comme indiqué par erreur dans le dispositif du jugement entrepris’;

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

DEBOUTE M. [V] [Y] de sa demande d’indemnisation formée au titre de son préjudice d’agrément’;

FIXE à 15 000 euros le montant du préjudice lié aux souffrances morales subi par M.[V] [Y] résultant de sa maladie professionnelle inscrite au tableau 25′;

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Maladie des Mines devra avancer cette somme à M.[V] [Y];

CONDAMNE l’État, représenté par l’AJE, à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d’avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale’;

DIT que l’ensemble des sommes allouées portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l’article 1231-7 du code civil’;

CONDAMNE l’AJE (Agent judiciaire de l’Etat), agissant pour le compte des Charbonnages de France, à payer à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’à hauteur d’appel’;

CONDAMNE l’AJE (Agent judiciaire de l’Etat), agissant pour le compte des Charbonnages de France, aux dépens d’appel.

Le greffier Le Président

 


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