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Arrêt n° 23/00119
27 Mars 2023
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N° RG 21/01815 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FROG
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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social
25 Juin 2021
18/02116
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt sept Mars deux mille vingt trois
APPELANT et INTIME dans la procédure 21/1841
Monsieur [C] [L]
[Adresse 17]
[Adresse 17]
[Localité 3]
Représenté par Me Guillaume DELORD, avocat au barreau de STRASBOURG substitué par Me SALQUE , avocat au barreau de
METZ
INTIMÉ et APPELANT dans la procédure 21/1841
FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 8]
représenté par Me BONHOMME, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS ainsi que dans la procédure 21/1841
Société [19]
ayant siège social
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 7]
prise en son établissement [Adresse 13]
[Adresse 11]
[Localité 5]
représentée par Me BIDAL, avocat au barreau de LYON
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 4]
[Adresse 15]
[Localité 6]
représentée par M. [G], muni d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement après prorogation du 13.03.2023
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Né le 2 octobre 1945, Monsieur [C] [L] a travaillé pour le compte de la société [19], venant aux droits des sociétés [14], [18], [16] et [10], du 1er janvier 1968 au 30 novembre 2001 en qualité d’ouvrier qualifié, d’ouvrier hautement qualifié, puis d’ouvrier très hautement qualifié, d’ouvrier de fabrication et enfin d’opérateur tableau.
Par formulaire du 12 septembre 2017, accompagné d’un certificat médical initial du Docteur [N] du 23 mai 2017, diagnostiquant une asbestose, il a déclaré à la Caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (ci-après la caisse ou CPAM) cette maladie professionnelle.
La caisse a diligenté une instruction.
Par courrier du 9 février 2018, la société [19] a émis des réserves quant au caractère professionnel de la maladie de Monsieur [C] [L] et à son exposition à l’amiante.
Le 6 mars 2018, la caisse a notifié à Monsieur [C] [L] la prise en charge de l’affection dont il est atteint au titre du tableau n°30 A des maladies professionnelles.
Le 30 avril 2018, la caisse lui a notifié un taux d’incapacité permanente partielle de 5%, et avec attribution d’une indemnité en capital d’un montant de 1.958,18 euros à effet du 24 mai 2017, lendemain de la date de consolidation.
Monsieur [L] a introduit une demande de reconnaissance de faute inexcusable de son ancien employeur devant la caisse, par courrier du 24 septembre 2018.
Le 24 septembre 2018, Monsieur [L] a accepté l’offre du Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (FIVA) suivante formée au titre de l’aggravation de son état de santé:
.préjudice d’incapacité fonctionnelle ; 5580,52 euros ;
·Préjudice moral 1.000 euros complémentaires ;
·Préjudice physique 300 euros complémentaires ;
·Préjudice d’agrément 500 euros complémentaires.
Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la caisse le 24 septembre 2018, Monsieur [L] a, selon courrier recommandé expédié le 17 décembre 2018, saisi le Tribunal des affaires de Sécurité sociale de la Moselle aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle du tableau 30A et de bénéficier des conséquences indemnitaires qui en découlent.
La CPAM de Moselle et la société [9] ont été mises en cause.
Par jugement du 25 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :
– déclaré le présent jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle ;
– déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [C] [L] ;
– déclaré le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante irrecevable en son action, en l’absence de preuve du versement des sommes ;
– mis hors de cause la société [9] ;
– dit que l’existence dune faute inexcusable de la société [19], dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [C] [L] inscrite au tableau 30A, n’est pas établie ;
– débouté Monsieur [C] [L] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et de leurs demandes subséquentes ;
– déclaré en conséquence sans objet les demandes de la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle ;
– débouté Monsieur [C] [L] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante de leurs demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamné in solidum Monsieur [C] [L] et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante aux entiers frais et dépens de l’instance ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Par acte remis au greffe de la cour le 13 juillet 2021, Monsieur [L] a interjeté appel total de cette décision qui lui a été notifié par lettre recommandée datée du 8 juillet 2021 . Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 21/01815.
Par courrier remis au greffe le 13 juillet 2021, le FIVA a interjeté appel total de cette décision qui lui a été notifiée, le 2 juillet 2021. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 21/01841.
Par conclusions du 7 décembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [L] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [C] [L] de sa demande tendant à voir juger que sa maladie professionnelle du tableau 30A était due à la faute inexcusable de son employeur, la société [19] ;
– le confirmer en ce qu’il a dit que l’exposition au risque de Monsieur [C] [L] et la conscience du danger représentée par l’amiante étaient avérées.
– condamner la société [19] à verser à Monsieur [C] [L] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– la condamner aux entiers frais et dépens.
Par conclusions du 15 novembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau,
– déclarer recevable la demande formée par monsieur [C] [L], dans le seul but de faire reconnaître l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur,
– déclarer recevable la demande du FIVA, subrogé dans les droits de monsieur [C] [L],
– dire que la maladie professionnelle dont est atteint monsieur [C] [L] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [19],
– fixer à son maximum la majoration de l’indemnité en capital prévue à l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, soit 1.958,18 €,
– dire que la CPAM de Metz devra verser cette majoration de capital au FIVA en sa qualité de créancier subrogé,
– dire que cette majoration devra suivre l’évolution du taux d’incapacité permanente de monsieur [C] [L], en cas d’aggravation de son état de santé,
– dire qu’en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due a l’amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant.
– fixer l’indemnisation des préjudices personnels de monsieur [C] [L] comme suit :
Souffrances morales 1000 €
Souffrances physiques 300 €
Préjudice d’agrément 500 €
TOTAL 1800 €
– dire que la CPAM de Metz devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l’article L.452-3 alinéa 3, du Code de la sécurité sociale,
– condamner la société [19] à payer au FIVA une somme de 2000€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du Code de procédure civile.
Par conclusions reçues le 10 janvier 2023, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, la société [19] demande à la cour de :
Au principal,
– constater qu’elle n’est pas saisie par l’appelant d’une demande de réformation ou d’infirmation du jugement du 25 juin 2021,
– constater que l’appelant principal et l’appelant incident ne présentent aucune argumentation au soutien de la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable,
– Par conséquent, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Subsidiairement
– déclarer irrecevables les demandes du FIVA, faute de preuve de sa qualité de subrogé ;
– constater que le FIVA et Monsieur [C] [L] ne démontrent pas l’existence d’une faute inexcusable de la Société [19] en l’espèce,
Par conséquent, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Plus subsidiairement,
Si la cour devait infirmer le jugement entrepris et considérer que la Société [19] a commis une faute inexcusable en l’espèce,
– débouter le FIVA de l’ensemble de ses demandes pécuniaires ;
– débouter la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle de son recours récursoire le cas échéant exercée contre l’employeur ;
– rejerer toute demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 27 décembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle demande à la cour de :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la Société [19].
Le cas échéant :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l’indemnité en capital réclamée par Monsieur [L] et le FIVA.
– En tout état de cause, fixer la majoration d’indemnité en capital dans la limite de 1.958,18 euros.
– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de l’indemnité en capital suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [L].
– constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de l’indemnité en capital reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de Monsieur [L] consécutivement à sa maladie professionnelle.
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extrapatrimoniaux subis par Monsieur [L].
– Le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle 30A de Monsieur [L].
– condamner la Société [19] à rembourser à la CPAM de la Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de Monsieur [L].
– rejeter la demande d’exécution provisoire.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience, ainsi qu’aux pièces déposées par elles.
SUR CE,
A titre préliminaire, il sera relevé que les dispositions du jugement entrepris qui ont mis hors de cause la société [9] ne sont pas contestées.
Pour une bonne administration de la justice, il convient, par ailleurs de joindre la procédure d’appel N°RG 21/01841 à celle N°RG 21/1815.
Enfin, si la société[19] soutient dans ses écrits que, faute pour le FIVA et Monsieur [L] d’avoir saisi la cour d’une demande d’infirmation ou de réformation du jugement entrepris, celui-ci doit être nécessairement confirmé, son conseil n’a à l’audience des débats, pas contesté avoir été destinataire, dans un délai permettant le respect du contradictoire, des conclusions du FIVA en date du 15 novembre 2022 et de celles de Monsieur [L] en date du 7 décembre 2022, lesquelles concluaient respectivement à la réformation et à l’infirmation du jugement entrepris, les deux appelants développant par ailleurs plusieurs moyens à l’appui de leurs prétentions.
Ces conclusions ont été débattues contradictoirement à l’audience de plaidoirie.
La cour est ainsi valablement saisie d’une demande d’infirmation du jugement entrepris régulièrement formulée par les deux appelants, ainsi que de moyens de droit et de fait, si bien qu’elle peut statuer sur le fond.
SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION DU FIVA
Le FIVA sollicite l’infirmation du jugement entrepris qui a déclaré son action irrecevable, en l’absence de preuve du versement des sommes à Monsieur [L]. Il rappelle qu’ayant pour mission de présenter aux victimes de l’amiante qui en font la demande des offres d’indemnisation, il dispose d’une subrogation légale. Le FIVA verse aux débats les éléments comptables démontrant le versement effectif des sommes acceptées par Monsieur [L].
La société [19] sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a déclaré l’action du FIVA irrecevable. Elle soutient que, faute pour l’organisme de prouver sa subrogation, ses demandes sont irrecevables.
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Il ressort des éléments produits par le FIVA à hauteur d’appel (ses pièces n°10), et notamment de l’écriture certifiée par son agent comptable en date du 29 juillet 2021 et de l’extrait du grand livre fournisseur, que l’organisme a bien versé à Monsieur [L] au titre de l’aggravation de son état de santé due à la survenance de sa maladie professionnelle, asbestose , la somme de 7380,52€ , le 27 décembre 2018.
Il s’ensuit que l’action subrogatoire du FIVA apparaît démontrée et que son action doit être déclarée recevable. En conséquence, le jugement entrepris est infirmé en ce sens.
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE l’EMPLOYEUR
Monsieur [L] sollicite l’infirmation du jugement entrepris, contestant le caractère impersonnel des attestations fournies retenues par les premiers juges. Monsieur [L] fait valoir que son employeur avait une conscience du danger particulièrement concrète, compte tenu de la réglementation alors applicable, des connaissances scientifiques de l’époque, mais également de l’importance, de l’organisation et de la nature de son activité et des moyens importants dont il disposait. Il soutient également que, malgré cette conscience du danger, la société [19] s’est abstenue de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés, ce qu’il démontre par la production de témoignages de collègues de travail.
Le FIVA soutient les arguments développés par Monsieur [L] pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.
La société [19] ne conteste pas qu’aient été utilisés sur le site de [Localité 12], pour l’essentiel au sein de l’atelier dit Ammoniaque, ou centrale gaz, des matériaux d’isolation et d’équipements de protection contenant de l’amiante, à l’époque où son utilisation n’était pas interdite. Elle fait valoir que pour autant, de par ses fonctions, l’exposition au risque de Monsieur [L], à la supposer établie, n’a pu être que ponctuelle. Elle souligne que le développement d’une maladie professionnelle ne peut en soi, caractériser dans ce contexte, une faute, a fortiori inexcusable, et que tant la médecine du travail que l’inspection du travail n’ont jamais alerté sur les risques professionnels liés aux poussières d’amiante. Elle précise qu’elle ne pouvait avoir conscience d’un risque pris par ses salariés, dès lors que la dangerosité de l’amiante n’a été notoirement établie qu’à la fin du 20ème siècle. Elle critique enfin l’imprécision et la stéréotypie des attestations produites par Monsieur [L] lequel n’établit aucunement l’existence d’une faute inexcusable.
La CPAM de Moselle s’en remet à l’appréciation de la cour.
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En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise.
Les articles L.4121-1 et 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur. Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime.
S’agissant de l’exposition au risque, la société [19] reconnaît a minima une exposition indirecte et ponctuelle de Monsieur [L] au risque amiante, lors des opérations d’exploitation en unité où des intervenants extérieurs réalisaient en sa présence des travaux sur des équipements qui pour certains pouvaient contenir de l’amiante (lettre de réserve de l’employeur – pièce n°3 de la société [19]).
Le tableau n°30A désigne l’asbestose comme maladie provoquée par l’inhalation de poussières d’amiante. Ce tableau prévoit un délai de prise en charge de 35 ans sous réserve d’une exposition de deux ans, et une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette affection dont notamment des travaux d’entretien et de maintenance effectués sur des équipements ou dans des locaux contenant des matériaux à base d’amiante de sorte que ce tableau n’impose pas que le salarié ait directement manipulé des produits amiantés, seul important le fait qu’il ait effectué des travaux l’ayant conduit à inhaler habituellement des poussières d’amiante .
Or, tel était bien le cas de Monsieur [L] ainsi qu’en attestent son relevé de carrière et ses anciens collègues en la personne de Messieurs [H] [M] et [E] [Y] (pièces n°1,5 et 6 à 7 bis de Monsieur [L]).
Il sera précisé que ces deux attestations comportent des passages précis et très circonstanciés quant aux descriptions des activités effectuées par Monsieur [L], si bien que leur caractère probant sera retenu par la cour.
Il apparaît ainsi que Monsieur [L] a travaillé notamment en tant qu’ouvrier de fabrication et opérateur, et qu’il a assisté Monsieur [M] au démontage des calorifuges qui isolaient les filtres et conduites d’alimentation des différents produits utilisés dans l’atelier. Monsieur [M] expose ainsi, dans une attestation établie à hauteur de cour, que ce démontage provoquait des dégagements de poussières d’amiante. Le témoin indique également que le travail de Monsieur [L] consistait aussi à contrôler les circuits de régulation, ce qui impliquait le déroulement des cordons chauffants à base d’amiante. Enfin, il confirmait une exposition à l’amiante de Monsieur [L] du fait du déshabillage de colonnes et conduites d’eau dont les protections contenaient de l’amiante et du fait du nettoyage des chantiers, opération qui soulevait des poussières d’amiante.
Monsieur [Y] quant à lui, dans une attestation qu’il a détaillée à hauteur de cour (pièce n°7 de l’appelant) décrit que, en tant qu’ouvrier puis chef de poste, il a travaillé avec Monsieur [L] dont il a pu constater l’exposition à l’amiante du fait notamment de l’isolation des appareils à air et gaz à l’aide d’amiante pulvérulent, exposition qui était aggravée par le nettoyage des vêtements avec une soufflette à air comprimé, ce qui remettait les poussières en suspension dans l’air. Le témoin confirmait également une exposition à l’amiante du fait du démontage des calorifuges.
S’agissant de la conscience du danger, qu’avait ou aurait dû avoir la société [19], la reconnaissance des dangers liés à l’amiante a été admise pour la première fois dès 1945, par la création du tableau n° 25 des maladies professionnelles, suivi par la création du tableau n° 30 en 1951. Par la suite, de nombreuses études scientifiques ont alerté des dangers liés à l’inhalation des poussières d’amiante. Le décret du 17 août 1977 est venu fixer des limites de concentration moyenne de fibres d’amiante dans l’atmosphère inhalées par un salarié pendant sa journée de travail.
Or, compte tenu de son importance et de son organisation, de la nature de son activité, des moyens dont elle disposait pour s’informer et des travaux auxquels était affecté son salarié, la société [19], qui avait une parfaite conscience de l’existence de nombreux matériels contenant de l’amiante au sein de son entreprise, ne pouvait pas ignorer les dangers liés à l’inhalation de poussières d’amiante.
Il sera également rappelé que les éventuelles carences des pouvoirs publics s’agissant de la protection des travailleurs exposés à l’amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l’employeur de sa propre responsabilité.
S’agissant de l’absence de mesures prises pour protéger la santé de son salarié, les témoignages précités de Messieurs [Y] et [M] confirment l’absence de protections individuelles respiratoires efficaces, ainsi que l’absence de protections collectives, Monsieur [Y] attestant de l’absence d’extraction forcée de l’air en partie haute des unités. Les deux témoins relatent également tous deux l’absence de mise en garde par leur employeur contre les dangers liés aux poussières d’amiante.
Si les attestations produites comportent des termes similaires entre elles concernant l’absence de mesures prises par l’employeur, il n’y a néanmoins pas lieu de les écarter de ce seul fait. Si les témoins, ont, compte tenu de la similitude de certaines formulations, reçu une aide pour rédiger de manière efficiente les faits vécus qu’ils souhaitaient rapporter, cette aide à la rédaction ne remet pas en cause l’authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter, d’autant que, comme relevé ci-dessus, les deux témoignages comportent des développements qui leur sont propres et qui apparaissent circonstanciés.
Ainsi, force est de constater que l’employeur n’a pas mis en place des moyens de protection appropriés et suffisants pour permettre à Monsieur [L] de se prémunir contre les risques que ses activités professionnelles faisaient courir sur sa santé.
La faute inexcusable de la société [19] dans la survenance de la maladie professionnelle, asbestose, de Monsieur [L] est ainsi caractérisée.
Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce point.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE
Sur la majoration de l’indemnité en capital
Aucune discussion n’existe à hauteur de Cour, ni concernant la majoration au maximum de l’indemnité en capital revenant à la victime, conformément à l’alinéa 2 de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, ni concernant le fait que cette majoration sera versée par la caisse au FIVA, qu’elle suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.
Sur les préjudices personnels de Monsieur [L]
Sur les souffrances morales et physiques
Le FIVA qui a indemnisé la victime demande de voir fixer les préjudices personnels de Monsieur [L] à la somme de 1000 euros au titre du préjudice moral et 300 euros au titre des souffrances physiques.
Il expose que que l’article L 452-3 qui ne fait aucune référence à la date de consolidation, lui permet d’obtenir en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la victime, indépendamment de la rente, la réparation des préjudices extrapatrimoniaux.
Il fait valoir que Monsieur [L] souffre de dyspnée d’effort, d’essoufflement et de toux, et souligne que ce poste de préjudice échappe à toute idée de consolidation, s’agissant d’une pathologie évolutive. Il ajoute que le préjudice moral est caractérisée par l’inquiétude de voir la maladie évoluer et précise qu’il n’est, en tout état de cause, pas démontré que les souffrances physiques et morales de Monsieur [L] imputables à sa maladie professionnelle sont déjà indemnisées par l’indemnité en capital ou la rente dans le cadre du déficit fonctionnel permanent.
La société [19] soutient que l’intégralité de l’indemnité en capital allouée indemnise les souffrances physiques et morales de Monsieur [L], lequel ne rapporte pas la preuve de préjudices extrapatrimoniaux non indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent.
La CPAM de Moselle s’en remet à l’appréciation de la cour.
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L’article L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit la réparation des souffrances physiques et morales indépendamment de la majoration de rente.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière, 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). Par conséquent les souffrances physiques et morales peuvent être indemnisées.
En l’espèce, la victime, en application de l’article L.434-1 du code de la sécurité sociale, s’est vue attribuer une indemnité en capital, son taux d’incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d’admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d’incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances endurées.
Dès lors, le FIVA, qui justifie avoir indemnisé Monsieur [L] (ses pièces n°10), est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales subies par l’intéressé sous réserve qu’elles soient caractérisées.
S’agissant des souffrances physiques subies, aucun certificat médical n’est versé aux débats permettant de caractériser des souffrances physiques subies par Monsieur [L] imputables à sa maladie professionnelle du tableau n°30A. En effet, si les conclusions du rapport d’évaluation du taux d’IPP en date du 28 mars 2018 sont versées aux débats (pièce n°9 du FIVA), ainsi qu’un compte-rendu d’exploration fonctionnelle respiratoire du 31 mai 2018 (pièce n°8 du FIVA), ces pièces n’apparaissent pas suffisantes, en l’absence de développements précis sur ce point, à caractériser les souffrances physiques subies, d’autant que Monsieur [L] s’est vu reconnaître une première pathologie professionnelle au titre des plaques pleurales.
Dès lors, le FIVA est débouté de sa demande de réparation des souffrances physiques subies par Monsieur [L].
S’agissant du préjudice moral, Monsieur [L] était âgé de 71 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’une asbestose. L’anxiété nécessairement liée au fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’amiante et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée, eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l’âge de l’intéressé au moment de son diagnostic, par l’allocation d’une somme de 1000 euros de dommages-intérêts, montant sollicité par le FIVA.
Sur l’indemnisation du préjudice d’agrément
L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.
En l’espèce, force est de constater que le FIVA ne rapporte pas la preuve de la pratique régulière par Monsieur [L], antérieurement à sa maladie professionnelle, asbestose, d’une activité spécifique sportive ou de loisir, quelle qu’elle soit, se distinguant de celles de la vie courante.
La demande présentée par le FIVA au titre du préjudice d’agrément sera ainsi rejetée.
C’est donc en définitive la somme de 1000 euros que la caisse devra verser au FIVA, créancier subrogé, au titre des souffrances morales endurées par Monsieur [L].
SUR L’ACTION RÉCURSOIRE DE LA CAISSE
Aux termes de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».
Les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d’indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l’article L.452-3.
Dès lors, la CPAM de Moselle est fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de la société [19].
Par conséquent, la société [19] doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle les sommes qu’elle sera tenue d’avancer au titre de la majoration de l’indemnité en capital et du préjudice moral de Monsieur [L].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
L’issue du litige conduit la cour à condamner la société [19] à payer au FIVA et à Monsieur [L] la somme de 1000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel.
La société [19], partie succombante, est condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’à ceux de première instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
ORDONNE la jonction de la procédure N°RG 21/01841 à celle N° RG 21/1815.
INFIRME le jugement entrepris du pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 25 juin 2021 sauf en ce qu’il a déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle, déclaré recevable en la forme le recours de Monsieur [C] [L] et mis hors de cause la société [9].
Par conséquent, statuant à nouveau,
DECLARE le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) recevable en son action.
DIT que la maladie professionnelle de Monsieur [C] [L] inscrite au tableau 30A des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [19].
ORDONNE la majoration à son maximum de l’indemnité en capital allouée à Monsieur [L], soit la somme de 1.958,18 euros .
DIT que cette majoration sera versée par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle au FIVA, créancier subrogé.
DIT qu’elle suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [C] [L] en cas d’aggravation de son état de santé due à sa maladie professionnelle, asbestose.
DIT qu’en cas de décès de Monsieur [C] [L] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant .
DEBOUTE le FIVA de ses demandes présentées au titre du préjudice d’agrément et des souffrances physiques subies par Monsieur [L] .
FIXE l’indemnité réparant le préjudice moral subi par Monsieur [C] [L] à la somme de 1000 euros et DIT que cette somme, qui portera intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devra être versée au FIVA, créancier subrogé.
CONDAMNE la société [19] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle les sommes que l’organisme de sécurité sociale aura avancées sur le fondement des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale.
CONDAMNE la société [19] à payer au FIVA et à Monsieur [C] [L] la somme de 1000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société [19] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président