Tentative de conciliation : 27 mars 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01794

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Tentative de conciliation : 27 mars 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01794
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Arrêt n° 23/00120

27 Mars 2023

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N° RG 21/01794 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FRMO

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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social

25 Juin 2021

20/00058

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 – Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt sept Mars deux mille vingt trois

APPELANT :

FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ

INTIMÉES :

S.A. [8] venant aux droits de la société [7]

Prise en son Etablissement

[Adresse 2]

ayant siège social

[Adresse 11]

[Localité 6]

Représentée par Me Frédéric BEAUPRE, avocat au barreau de METZ

substitué par Me SALQUE, avocat au barreau de METZ

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE

[Adresse 3]

[Adresse 9]

[Localité 4]

représentée par M. [T], muni d’un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement après prorogation du 13.02.2023

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [G], né le 16 mars 1947, a travaillé pour le compte des sociétés [14], [12], [13] et [7] ([7]) de 1961 à 2007 en qualité d’ajusteur mécanicien.

Le 3 mai 2017, il a adressé à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle (ci-après la CPAM ou la Caisse) une déclaration de maladie professionnelle inscrite au tableau n°30, avec à l’appui un certificat médical déclaratif établi le 21 avril 2017 par le docteur [D], faisant état d’une « fibrose pulmonaire ».

Après instruction du dossier, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de la pathologie déclarée (asbestose) par décision du 7 novembre 2017.

L’état de M. [G] a été considéré comme consolidé au 21 avril 2017, et il lui a été reconnu le 18 avril 2018 un taux d’incapacité permanente partielle de 10%. Une rente trimestrielle de 430,67 euros lui a été attribué en considération de ce taux d’IPP à compter du lendemain de la date de consolidation.

Parallèlement, le 19 mai 2018, M. [U] [G] a accepté l’offre d’indemnisation du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) d’indemniser ses préjudices personnels résultant de sa maladie professionnelle comme suit : 12 100 euros au titre du préjudice moral, 400 euros au titre du préjudice physique et 1 900,00 € au titre du préjudice d’agrément.

Le FIVA a adressé à la caisse aux fins de conciliation, une demande du 5 novembre 2019 de reconnaissance de la faute inexcusable de l’ancien employeur de M. [G].

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la caisse, le FIVA a saisi par lettre recommandée expédiée le 15 janvier 2020 le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, d’une demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [8], venant aux droits des employeurs successifs de M. [G].

La CPAM de Moselle a été mise en cause dans la procédure.

Par jugement du 25 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

– déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle ;

– déclaré le FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [G], recevable en ses demandes ;

– dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [U] [G] et inscrite au tableau n°30A des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [8] ;

– ordonné la majoration à son maximum de la rente allouée à M. [U] [G] dans les conditions prévues à l’article L 452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale ;

– dit que cette majoration sera versée par la Caisse primaire d’assurance maladie de Moselle au FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [G] ;

– dit que ces majorations pour faute inexcusable suivront l’évolution du taux d’incapacité permanente de M. [U] [G] ;

– dit qu’en cas de décès de M. [U] [G] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant ;

– débouté le FIVA de ses demandes formulées au titre des préjudices personnels de M. [U] [G] ;

– rappelé que la Caisse est fondée à exercer son action récursoire contre la société [8] ;

– condamné la société [8] à rembourser à la CPAM de Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que l’organisme social sera tenu d’avancer au titre des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [U] [G] inscrite au tableau n°30A ;

– condamné la société [8] aux entiers frais et dépens ;

– condamné la société [8] à verser la somme de 1 000 euros au FIVA au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par acte daté du 8 juillet 2021, le FIVA a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée par lettre recommandée datée du 2 juillet 2021.

Par conclusions datées du 30 août 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit que la majoration de rente sera versée par la Caisse primaire d’assurance maladie de Moselle au FIVA, et a débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [U] [G] ;

Et statuant à nouveau sur ces points,

– dire que la CPAM de Moselle devra verser cette majoration de rente directement à M.[G] ;

– fixer l’indemnisation des préjudices personnels de M. [U] [G] comme suit :

souffrances morales : 12 100 euros

souffrances physiques : 400 euros

préjudice d’agrément : 1 900 euros

TOTAL : 14 400 euros

– juger que la CPAM de Moselle devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l’article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale ;

Y ajoutant,

– condamner la société [8] à payer au FIVA une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la partie succombante aux dépens.

Par conclusions datées du 4 octobre 2022 portant appel incident et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, la SA [8] ([8]), venant aux droits de la SA [7], demande à la cour de :

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz en date du 25 juin 2021 en ce qu’il a dit que la maladie professionnelle de M. [G], inscrite au tableau 30A des maladies professionnelles, est due à la faute inexcusable de la société [8] ;

PAR CONSEQUENT, A TITRE PRINCIPAL :

– dire et juger que la maladie professionnelle de M. [U] [G] au titre du tableau 30 ne résulte pas de la faute inexcusable de la société [8] venant aux droits de [7] ;

– débouter le FIVA de toutes demandes dirigées contre la société [8] venant aux droits de [7];

– débouter la CPAM de toutes ses demandes dirigées contre la société [8] venant aux droits de [7] ;

– condamner le demandeur aux entiers dépens ;

A TITRE SUBSIDIAIRE si la cour confirmait la reconnaissance de la faute inexcusable de [8] dans la survenance de la pathologie de M. [G] :

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le FIVA de ses demandes formées au titre des préjudices personnels subis par M. [G] ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

. rappelé que la CPAM est fondée à exercer son action récursoire contre la société [8] ;

. condamné la société [8] à rembourser à la CPAM de Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [G] inscrite au tableau 30A des maladies professionnelles ;

. condamné la société [8] à verser au FIVA la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

. condamné la société [8] aux entiers frais et dépens de la procédure.

Par conclusions datées du 24 novembre 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle demande à la cour de :

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société [8] ;

Le cas échéant :

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation de la majoration de la rente réclamée par le FIVA ;

– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [U] [G] ;

– constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de la rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [U] [G] consécutivement à sa maladie professionnelle ;

– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des préjudices extrapatrimoniaux subis par M. [U] [G] ;

– le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n°30A de M. [U] [G] ;

– en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, confirmer le jugement du 25 juin 2021 en ce qu’il a condamné la société [8] à rembourser à la CPAM de Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d’avancer sur le fondement des articles L 452-1 à L 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [U] [G] inscrite au tableau 30A..

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE,

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR:

La société [8] sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a reconnu l’existence d’une faute inexcusable, soutenant que le FIVA se montre défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombe concernant cette faute.

La société [8] soutient ainsi qu’elle ne pouvait avoir conscience du danger encouru par M. [U] [G], en l’état des connaissances scientifiques certaines et de la réglementation en vigueur aux périodes d’emploi de M. [U] [G], et fait valoir que tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation ont été mis en ‘uvre par l’employeur. Elle prétend avoir ainsi parfaitement satisfait à son obligation de prévention et de protection contre les risques encourus.

Compte tenu de la réglementation applicable, de l’organisation, des moyens et compétences techniques et scientifiques de l’employeur, le FIVA fait valoir que la société [8] avait une véritable connaissance du danger et qu’elle n’a pas mis en ‘uvre les mesures de protection, tant individuelles que collectives, nécessaires, suffisantes et efficaces pour préserver M. [G] du danger auquel il était exposé. Il produit à cet égard des attestations d’anciens collègues sur l’insuffisance des mesures de protection prises.

La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.

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L’article L 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise.

Les articles L 4121-1 et 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.

Il incombe au FIVA qui invoque la faute inexcusable de l’employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la maladie dont se trouve atteint M. [U] [G] (asbestose) répond aux conditions médicales du tableau n°30A.

L’exposition au risque n’est pas davantage contestée par l’employeur, les parties s’opposant sur la conscience du danger encouru , et sur l’existence et l’efficacité ou non des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver M. [U] [G] du danger auquel il était exposé.

Sur la conscience du danger par la SA [8]

Il y a lieu tout d’abord de relever que la société [8], compte tenu de l’utilisation massive de l’amiante dans la sidérurgie jusqu’à la fin des années 1980 a nécessairement utilisé de l’amiante dans ses processus de fabrication, ce qu’elle ne conteste pas.

Or, il appert que la dangerosité de l’amiante est connue en France depuis le début du XXème siècle au moins, notamment grâce au Bulletin de l’inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez les ouvriers de filatures et tissage.

Dans les années 1930, plusieurs publications ont également alerté sur l’exposition professionnelle à l’amiante et le développement de certaines pathologies. Ainsi, en 1930, une publication du Docteur [P] dans la revue La médecine du travail établissait déjà un lien de causalité entre l’asbestose et le travail des ouvriers de l’amiante, et comprenait déjà des recommandations précises en direction des industriels sur les mesures à prendre afin de réduire l’empoussièrement. A partir de 1935 d’autres publications ont fait un lien entre l’exposition professionnelle à l’amiante et le cancer broncho-pulmonaire.

De plus, étaient également en vigueur, à la date d’emploi de M. [U] [G], les dispositions du décret du 13 juillet 1913 relatif à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs reprises ensuite dans le code du travail qui imposaient à l’employeur de renouveler l’air des ateliers, et qui précisaient que les travailleurs devaient bénéficier de masques et de dispositifs de protection appropriés.

La société [8] ne pouvait pas non plus ignorer que le décret du 31 août 1950 a constitué le tableau 30 des maladies professionnelles et a désigné comme étant à l’origine des affections professionnelles d’asbestose, les travaux exposant à l’inhalation de poussières d’amiante, ne précisant qu’à titre indicatif par l’adverbe notamment, les travaux de cardage, de filature et de tissage de l’amiante.

Ensuite, le décret du 3 octobre 1951 a ajouté à cette liste indicative de travaux, ceux de calorifugeage au moyen d’amiante et la manipulation d’amiante à sec dans les industries de fabrication d’amiante ciment, de fabrication de joints en amiante, de fabrication de garnitures de friction et des bandes de freins à l’aide d’amiante.

Par ailleurs, le décret du 5 janvier 1976 a étendu la portée du tableau à d’autres affections professionnelles provoquées par les poussières d’amiante, à savoir les lésions pleurales et le cancer broncho-pulmonaire comme complication de l’asbestose, et le décret du 19 juin 1985 a établi une différenciation entre les diverses pathologies de l’amiante.

Il en résulte que l’association du caractère indicatif des travaux concernés par le tableau n° 30 et de leur énumération aurait dû être de nature à attirer l’attention de l’employeur sur les dangers de l’amiante.

Ainsi, dès le début des années 50, tout employeur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l’usage, alors encore licite, de la fibre d’amiante et ce, quelle que soit la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques pouvant encore subsister à l’époque dans certains domaines.

Il doit également être rappelé que les éventuelles carences des pouvoirs publics s’agissant de la protection des travailleurs exposés à l’amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l’employeur de sa propre responsabilité.

En conséquence, la société [8] ne pouvait pas ne pas avoir conscience, à l’époque où M. [G] a été son salarié, de la nécessité d’assurer de manière générale le bon renouvellement de l’air dans les locaux fermés et de prévenir l’inhalation de poussières toxiques, outre des risques sanitaires graves liés aux poussières d’amiante, d’ores et déjà révélés par de nombreuses publications.

Sur les mesures prises par la société [8]

Il ressort du courrier de réponse de la Direction des Ressources Humaines de la société [7] daté du 20 octobre 2017 et adressé à la CPAM (pièce n°13 du FIVA) que M. [G] a travaillé comme « mécanicien-ajusteur » au sein de l’établissement de [Localité 10] et ce de 1979 à 2005.

Dans le questionnaire qu’il a rempli le 4 juillet 2017 à la demande de la Caisse (pièce n°12 du FIVA), confirmé dans le courrier que le salarié a adressé au FIVA le 30 octobre 2019 (pièce n°17 du FIVA), M. [G] explique qu’il a effectué des travaux de réparation de pièces mécaniques sur soufflante et alternateur, de montage et démontage de conduite de gaz avec joints en amiante, de confection de joints en amiante, d’emballage de pièces mécaniques en amiante, en utilisant des gants en amiante pour l’emmanchement de pièces chaudes, des couvertures, des tabliers et des cordons tressés en amiante.

M. [G] précise en outre qu’à l’époque, il travaillait « sans trop de protection et avis du médecin de l’hôpital », et qu’il n’y avait pas de réunion de sécurité, pour informer des dangers de l’amiante, ni de consignes.

Ces affirmations sont confortées par les attestations circonstanciées de deux anciens collègues de travail, à savoir Messieurs [I] et [Z] qui précisent avoir travaillé avec M. [U] [G] dans le même atelier (M. [Z]) ou dans les mêmes conditions (M. [I]), M. [I] précisant la durée de la période commune d’activité allant de 1973 à 2005. Ils expliquent dans leur attestation :

-« Notre travail consistait au démontage et remontage, après réparation d’ensembles mécaniques, en utilisant des gants en amiante pour des pièces chaudes, telles que accouplements, roulements, frettes, etc… destinées à être remontées sur des arbres de transmission. Il a été également et régulièrement utilisées des couvertures et tresses d’amiante afin d’éviter le refroidissement trop brusque de ces pièces. Ces travaux ci-dessus, en plus des gants en amiante, ont été effectués, pour se protéger de la chaleur, avec des tabliers également en amiante. De même, afin d’isoler de la chaleur des pièces et ensembles mécaniques, des découpes de plaques d’amiante ont été exécutées à l’aide d’une scie à ruban, émanant des poussières de ce produit dans l’air ambiant, et ce sans masques de protection qui ne nous étaient pas proposés (‘). Malgré les visites médicales annuelles, les radiographies pulmonaires étaient obligatoires que pour les fumeurs. Ce qui n’est pas le cas de M. [U] [G]. De plus, aucune information sur les risques encourus de ce produit nous étaient donnés par la hiérarchie, et par le CHSCT » (M. [I]) ;

-« M. [U] [G] travaillait beaucoup sur des pièces de découpages (protection plaques d’amiante) de soudures protégées par de la tresse d’amiante. Utilisations de tabliers et gants d’amiante. Je certifie avoir vu M. [U] [G] avoir travaillait sur ces produits de l’année 1979 à 1983 aucune protection n’était faite. La loi amiante (usage) a été interdite qu’au 1er janvier 1997. Nota : La radio des poumons n’était pas obligatoire sauf si on été fumeur. M. [U] [G] n’avait jamais fumé » ; « Nombreux travaux consistés à de la soudure ; découpe etc… et ceci en posant des panneaux d’amiante ou cordons d’amiante (tresse). Ces produits étaient très volatiles et autorisés à cette époque » (M. [Z]).

Si la société [8] expose avoir pris les mesures nécessaires et s’être notamment assurée de l’innocuité des vêtements de protection des aciéristes et fondeurs, et verse à ce titre des pièces de ses fournisseurs de vêtements, ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause l’authenticité et la sincérité des faits relatés par les témoins, suffisamment précis et circonstanciés, et à établir que Monsieur [G] aurait bénéficié de masques efficaces contre les poussières d’amiante et aurait été informé des dangers de l’amiante.

Dès lors il est établi que l’employeur n’a pas pris des mesures de protection individuelle (port du masque) ou collective suffisantes et efficaces et qu’aucune information sur les dangers de l’inhalation des poussières d’amiante n’a été diffusée auprès de M.[G]. La société [8] ne produit d’ailleurs aucune pièce de nature à établir le contraire.

La société [8] ne peut par ailleurs sans contradiction prétendre qu’elle ne pouvait pas avoir conscience du danger lié au risque amiante et en même temps affirmer qu’elle a pris les mesures nécessaires pour protéger M. [G] contre ce risque.

En l’état de l’ensemble de ces constatations, il doit être retenu que la société [8] qui avait conscience du danger auquel M. [G] était exposé par l’inhalation de poussières d’amiante, n’a pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver.

Dès lors, le jugement entrepris, qui a retenu l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur à l’origine de la maladie professionnelle du tableau n°30A de M. [G], sera confirmé.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Sur la majoration de l’indemnité en capital

Aux termes de l’article L 452-2, alinéas 1, 3 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l’article précédent [faute inexcusable de l’employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre […]. Lorsqu’une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale [‘]. La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans des conditions déterminées par décret ».

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Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant les dispositions du jugement ayant ordonné la majoration au maximum de la rente versée à M. [G] et l’évolution de cette majoration en fonction du taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation de l’état de santé de M. [G], le principe de la majoration restant acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de la victime résultant des conséquences de la maladie professionnelle due à l’amiante.

Ces dispositions sont par conséquent confirmées, sauf en ce qu’il a été décidé que cette majoration serait versée directement au FIVA, en sa qualité de créancier subrogé. La majoration devra être versée à M. [G], en l’absence de toute subrogation au profit du FIVA sur ce point, celui-ci n’ayant versé aucune somme à M. [G] à ce titre.

Sur les préjudices personnels de M. [U] [G]

Sur les souffrances physiques et morales

Le FIVA sollicite l’indemnisation du préjudice au titre des souffrances morales de M. [U] [G] à hauteur de 12 100 euros et de son préjudice au titre de ses souffrances physiques à hauteur de 400 euros.

Il fait valoir qu’il résulte de la rédaction de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ce que démontre également la rédaction de l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale qui définit les critères retenus pour fixer le taux d’IPP.

Il souligne l’existence de souffrances physiques (douleurs thoraciques, dyspnées, insuffisance respiratoire) et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de l’amiante, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.

La société [8] fait valoir que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et donc les douleurs permanentes  de sorte qu’elle ne peut demander d’indemnisation distincte des souffrances physiques et morales.

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ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisés à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. .(Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).Il en résulte que les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées sous réserve qu’elles soient caractérisées

S’agissant des souffrances physiques, il est versé aux débats le « rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en MP » établi le 8 novembre 2017 par le médecin conseil de la caisse (pièce n°19 du FIVA). Ce document conclut à une « asbestose avec fibrose pulmonaire et répercussion fonctionnelle qualifiée de légère », sans cependant décrire aucune souffrance physique. De la même manière, le compte-rendu d’endoscopie bronchique du 25 avril 2017 et le compte-rendu de scanner thoracique du 31 mars 2017 (pièces n°25 et 23 du FIVA) n’apportent aucun élément sur les souffrances physiques éventuellement supportées par M. [U] [G] du fait de son asbestose, étant précisé que le rapport d’évaluation du taux d’IPP montre que M. [G] souffre d’un état interférant, à savoir une BPCO avec bronchectasies.

L’attestation établie par Mme [G], épouse de M. [U] [G], qui précise que celui-ci subit des effets secondaires de la maladie tels qu’une perte du sommeil, une perte d’appétit, un amaigrissement et connaît des essoufflements au moindre effort n’est, compte tenu de l’existence de cette autre maladie, pas suffisante pour justifier de l’imputabilité de ces symptômes à la maladie asbestose.

Aussi le FIVA sera-t-il débouté quant à la sa demande présentée au titre des souffrances physiques subies par M. [G].

S’agissant du préjudice moral, M. [U] [G] était âgé de 70 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’absestose. L’anxiété dont témoigne l’épouse de M.[G], et qui est nécessairement liée au fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’amiante et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l’allocation d’une somme de 12 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l’âge de M. [G] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d’agrément

Le FIVA sollicite en réparation de ce préjudice subit par M. [G] , la somme de 1900 euros en exposant qu’il est privé de son activité favorite , le jardinage.

La société [8] s’y oppose en exposant que ce préjudice n’est pas justifié par les pièces produites.

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L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.

En l’espèce, force est de constater que le FIVA, qui précise que M. [U] [G] ne peut plus se livrer à des activités de loisir (jardinage), ne produit que l’attestation de l’épouse de la victime faisant état que le jardinage était son occupation favorite, et le rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en MP établi le 8 novembre 2017 mentionnant que M. [U] [G] déclare avoir le jardinage et le vélo comme activités de loisirs.

Aucun élément ne vient démontrer que M. [U] [G] pratiquait régulièrement ces activités antérieurement à sa maladie professionnelle, ou toute autre activité spécifique sportive ou de loisir quelle qu’elle soit, et qu’il lui est désormais impossible de pratiquer du fait de sa maladie , asbestose.

La demande présentée par le FIVA au titre du préjudice d’agrément sera ainsi rejetée.

C’est donc en définitive une somme de 12 000 euros que la Caisse devra verser au FIVA, créancier subrogé, au titre des souffrances morales endurées par M. [U] [G].

SUR L’ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE:

Si la société [8] conclut à l’infirmation du jugement entrepris en tant qu’il a fait droit à l’action récursoire de la caisse contre l’employeur, elle n’instaure pour autant aucune discussion à ce titre de sorte qu’ il convient de confirmer le jugement entrepris qui a fait droit à cette action de l’organisme de sécurité sociale contre l’employeur tant sur le fondement de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale que sur celui de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, qui portera ainsi, en plus de la majoration de l’indemnité en capital avancée par la caisse à la victime, également sur la somme avancée par la caisse au FIVA au titre de la réparation du préjudice moral subi par M. [U] [G].

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

L’issue du litige conduit la cour à condamner la SA [8] à payer au FIVA la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel, les frais irrépétibles de première instance étant confirmés.

La SA [8] qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, ceux de première instance étant confirmés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 25 juin 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz en ses dispositions ayant :

– dit que la majoration de la rente allouée à M. [U] [G] sera versée dans les conditions de l’article L 452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, par la CPAM de Moselle au FIVA, créancier subrogé ;

– débouté le FIVA de sa demande présentée au titre des souffrances morales subies par M. [U] [G] ;

En conséquence, statuant à nouveau de ces chefs,

FIXE à la somme de 12 000 euros l’indemnité en réparation du préjudice moral subi par M. [U] [G] .

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Moselle devra payer au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) ladite somme de 12 000 euros.

DIT que la CPAM de Moselle devra verser la majoration de la rente allouée à M. [U] [G] directement à celui-ci.

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus.

Y ajoutant,

CONDAMNE la SA [8] à payer au FIVA la somme de 800,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .

CONDAMNE la SA [8] aux dépens d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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