Your cart is currently empty!
Arrêt n° 23/00116
27 Mars 2023
—————
N° RG 21/01769 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FRKT
——————
Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social
25 Juin 2021
18/02115
——————
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt sept Mars deux mille vingt trois
APPELANT :
FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Sabrina BONHOMME, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS :
Société [5]
Ayant siège social
[Adresse 4]
[Adresse 4]
prise en son établissement de [Localité 7] [Localité 10]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON
substitué par Me ANTONIAZZI, avocat au barreau de METZ
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par M. [Z], muni d’un pouvoir général
Monsieur [U] [J]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par MaîtreTHILL, avocat au barreau de Metz
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
Mme Carole PAUTREL, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement après prorogation du 13.02.2023
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] [J], né le 16 août 1945, a travaillé du 15 juin 1971 au 31 août 2003 sur la plate forme chimique de [Localité 7], exploité en dernier lieu par la SA [5], venant aux droits des sociétés [12], [9], et [8], et a exercé les différentes fonctions de man’uvre, ouvrier spécialisé, conducteur et pompier conducteur.
M. [U] [J] a adressé un formulaire de déclaration de maladie professionnelle le 21 décembre 2017 à la Caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM ou Caisse), accompagné d’un certificat médical initial établi par le docteur [M] le 18 décembre 2017 faisant état d’une « petite plaque pleurale en particulier au niveau de la gouttière costo-transversaire du lobe inférieur gauche ».
Après instruction de la demande, la Caisse a informé M. [U] [J] par courrier du 31 mai 2018 de la reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie inscrite au tableau 30B des maladies professionnelles.
La caisse a notifié à M. [U] [J] le 29 juin 2018, la fixation d’un taux d’incapacité permanente de 5%, avec attribution d’une indemnité en capital de 1 958,18 euros à la date du 19 décembre 2017.
Le 22 novembre 2018, M. [U] [J] a accepté l’offre d’indemnisation du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), fixant l’indemnisation des préjudices à la somme totale de 16268,78 euros, comprenant 4468,78 euros au titre du préjudice d’incapacité fonctionelle, 10 800 euros au titre du préjudice moral, 200 euros au titre du préjudice physique et 800 euros au titre du préjudice d’agrément.
Après échec de la tentative de conciliation introduite devant la Caisse, M. [U] [J] a saisi, le 18 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Moselle, devenu pôle social du tribunal de grande instance de Metz à compter du 1er janvier 2019 puis pôle social du tribunal judiciaire de Metz à compter du 1er janvier 2020, d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [5] et la société [11], à l’origine de sa maladie professionnelle du tableau n°30B.
La caisse a été mise en cause, et le FIVA est intervenu volontairement à l’instance.
Par jugement du 25 juin 2021, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :
– déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle ;
– mis hors de cause la société [11] ;
– déclaré M. [U] [J] recevable en son action ;
– déclaré le FIVA irrecevable en son action, en l’absence de preuve de versement des sommes ;
– dit que la maladie professionnelle du tableau 30B de M. [U] [J] est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [5] ;
– ordonné la majoration à son maximum du capital alloué à M. [U] [J] sans que cette majoration ne puisse excéder la somme de 1 958,18 euros ;
– dit que cette majoration sera versée par la CPAM de Moselle à M. [U] [J] ;
– dit que ces majorations pour faute inexcusable suivront l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [U] [J] ;
– dit qu’en cas de décès de M. [U] [J] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration du capital restera acquis pour le calcul du capital du conjoint survivant ;
– rappelé que la CPAM de Moselle est fondée à exercer son action récursoire contre la société [5] ;
– condamné la société [5] à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L.452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle de M. [U] [J] inscrite au tableau n°30B ;
– condamné la société [5] à payer à M. [U] [J] la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers frais et dépens de la procédure ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration remise au greffe le 8 juillet 2021, le FIVA, intimant la société [5], M.[U] [J] et la caisse, a interjeté appel partiel de cette décision qui lui a été notifiée par LRAR du 2 juillet 2021, son appel portant sur la disposition l’ayant déclaré irrecevable en son intervention et ayant dit que la majoration sera versée par la CPAM de Moselle à M. [J].
Par conclusions datées du 6 juillet 2022 et enregistrées au greffe le 7 juillet 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, le FIVA demande à la cour de :
– infirmé le jugement, en ce qu’il a déclaré le FIVA irrecevable en son action, en l’absence de preuve du versement des sommes et dit que la majoration du capital sera versée par la CPAM de Moselle à M. [U] [J] ;
Et statuant à nouveau sur ce point,
– déclarer recevable la demande du FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [J] ;
– dire que la CPAM de Moselle devra verser la majoration de capital, soit 1 958,18 euros au FIVA en sa qualité de créancier subrogé ;
– fixer l’indemnisation des préjudices personnels de M. [U] [J] comme suit :
. souffrances morales : 10 800 euros
. souffrances physiques : 200 euros
. préjudice d’agrément : 800 euros
Total : 11 800 euros
– dire que la CPAM de Moselle devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l’article L. 452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale ;
Y ajoutant,
– condamner la société [5] à payer au FIVA une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Par conclusions datées du 18 novembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, M. [U] [J] sollicite de la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé que sa maladie professionnelle était due à la faute inexcusable de la société [5] ;
– dire et juger qu’en cas de décès imputable à la maladie professionnelle reconnue au titre du tableau 30B, la caisse devra verser l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale ;
– condamner la société [5] à payer à M. [U] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux entiers frais et dépens ;
– déclarer la décision à intervenir commune à la Caisse ;
– dire que l’ensemble des sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision.
Par conclusions écrites reçues le 5 octobre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, la SA [5] sollicite de la cour :
– infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
– débouter M. [U] [J] et le FIVA de leurs demandes en reconnaissance de faute inexcusable et de toute demande indemnitaire afférente ou, par exceptionnel , les réduire à de plus justes proportions ;
– condamner M. [U] [J] et le FIVA aux entiers dépens.
Par conclusions datées du 28 novembre 2022, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son représentant, la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle sollicite de la cour :
– de lui donner acte qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société [5] ;
Le cas échéant :
– de lui donner acte qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de l’indemnité en capital réclamée par le FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [J] ;
– de constater que l’éventuelle majoration de rente susceptible d’être accordée en l’espèce pourra excéder le montant de l’indemnité en capital versée, soit 1958,18 euros ;
– de prendre acte que la Caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de l’indemnité en capital suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de M. [U] [J] ;
– de constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de M. [U] [J], consécutivement à sa maladie professionnelle ;
– de lui donner acte qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation des préjudices extra-patrimoniaux réclamés par le FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [J] ;
– de condamner la société [5] dont la faute inexcusable aura été préalablement reconnue, à lui rembourser les sommes qu’elle sera tenue de verser au FIVA et à M. [U] [J] au titre de la majoration de l’indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application des dispositions de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale.
– de rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité à l’employeur de la décision prise par la caisse de prise en charge de la maladie professionnelle n°30 B de M.[U] [J].
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION DU FIVA
Le FIVA fait grief au jugement d’avoir déclaré son action irrecevable faute de preuve du versement effectif à M. [U] [J] des sommes proposées et acceptées.
La société [5], qui sollicite l’infirmation totale du jugement et le débouté de M.[U] [J] et du Fiva de leurs demandes en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, ne conclut cependant pas sur ce point.
M. [U] [J] s’en remet à la sagesse de la cour quant aux demandes du FIVA.
La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle expose qu’il n’est pas contesté que le FIVA a indemnisé M. [U] [J] de sorte qu’il est subrogé dans les droits de ce dernier.
********************
Il résulte notamment des dispositions de l’article 53 VI de la loi du 23 décembre 2000 que le FIVA est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.
Le FIVA intervient devant les juridictions civiles y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable.
En l’espèce, le FIVA verse aux débats l’offre d’indemnisation transmise à M. [U] [J] en date du 16 novembre 2018 (pièce n°5 du FIVA) que ce dernier a acceptée le 22 novembre 2018 (pièce n°6 du FIVA).
Il produit également l’attestation de Mme [D] [T], fondée de pouvoir justifiant du mandat établi à son profit par Mme [P] [B], agent comptable du FIVA, datée du 5 juillet 2022, dans laquelle elle précise « que le FIVA s’est acquitté au profit du dossier 119897- [J] [U], aux dates figurant dans les suivis de mandats par tiers ci-joints, d’un montant global d’indemnisation de
16 268,78 euros ». Il justifie enfin d’un extrait du « grand livre fournisseur (détail) » faisant apparaître le suivi des mandats par tiers montrant que la somme de 16 268,78 euros a été versée à M. [U] [J] à la date du 12 octobre 2018.
M. [U] [J] qui ne formule pas de demande indemnitaire complémentaire confirme avoir été indemnisé par le FIVA .
Dès lors, le FIVA est recevable en son action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5]. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point et il sera statué au fond sur les demandes du FIVA.
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR
La société [5] sollicite l’infirmation du jugement entrepris ayant considéré comme établie la faute inexcusable de l’employeur. La société fait valoir qu’elle n’a jamais produit ou transformé de l’amiante, ni ne l’a jamais utilisée comme matière première. Elle souligne que n’étant donc pas une industrie de l’amiante, il ne saurait lui être reproché une faute inexcusable dès lors que la seule utilisation de l’amiante dans l’entreprise concernait des matériaux d’isolation et des équipements de protection à une période où les connaissances scientifiques et la législation applicable ne lui permettaient pas d’appréhender le risque encouru par son salarié.
Elle fait ainsi valoir que les conditions de la faute inexcusable ne sont pas réunies dès lors que ce n’est qu’à la fin du XXème siècle que l’employeur a pu avoir conscience du danger de sorte que la faute inexcusable n’est pas susceptible d’être poursuivie au titre de la période d’emploi de M. [U] [J] sauf à instituer une obligation rétroactive incompatible avec les connaissances scientifiques de l’époque.
Elle ajoute qu’aucune pièce probante n’est versée aux débats par M. [U] [J] au soutien de sa demande, les deux attestations versées aux débats étant vagues, imprécises, rédigées de façon strictement identiques et étant contredites par le rapport qu’elle a établi dans lequel elle précise les conditions de travail de M. [U] [J].
M. [U] [J] réplique principalement qu’il a été exposé à l’inhalation des poussières d’amiante durant sa carrière professionnelle au sein de la société [5], que l’employeur avait conscience du risque amiante, du fait des connaissances scientifiques de l’époque, de la réglementation applicable, de la taille, de l’organisation et des moyens considérables dont disposait l’entreprise, mais s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut d’information et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.
Le FIVA reprend l’argumentation de M. [U] [J].
La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.
********************
L’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.
Les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Le manquement à son obligation de sécurité et de protection de la santé de son salarié a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il ressort du certificat de travail établi le 29 novembre 2005 par la société [5], versé aux débats par M. [U] [J] (pièce n°2), que celui-ci a été employé dans l’établissement de [Localité 7]/[Localité 10] de la société [5] entre le 15 juin 1971 et le 31 août 2003, et a occupé successivement les postes de :
– man’uvre (du 15 juin au 30 septembre 1971),
– ouvrier spécialisé (du 1er octobre 1971 au 31 décembre 1988),
– conducteur (du 1er janvier 1989 au 31 janvier 1997),
– pompier conducteur (du 1er février 1997 au 31 août 2003),
puis a bénéficié du dispositif CATS/CASAIC du 1er septembre 2003 au 31 août 2005.
Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’exposition au risque amiante de M. [U] [J] au sein de l’établissement de [Localité 7]/Saint- Avold de la société [5] est admise par cette dernière dès lors que la société intimée reconnaît dans ses conclusions qu’étaient utilisés, sur le site de [Localité 7], des matériaux d’isolation et de protection contenant de l’amiante à l’époque où son utilisation n’était pas interdite. Il est sur ce point indifférent qu’elle n’ait jamais produit ou transformé de l’amiante, ni ne l’ait jamais utilisée comme matière première.
La société [5] ne remet pas davantage en cause dans ses conclusions le caractère professionnel de la maladie.
Le courrier du 20 février 2018 établi par la société [5] à l’attention de la Caisse précise par ailleurs que « M. [U] [J] a été embauché le 15/06/1971 par la société [12] de [Localité 10] en qualité d’ouvrier au secteur conditionnement. Il a pu exceptionnellement être exposé de manière indirecte à l’amiante lors de passage a proximité de zones de travaux avec utilisation d’amiante notamment lors d’opération de remplacement de joints, ou de tresse d’isolation. Il n’a pas manipulé d’amiante.
Dans son métier de conditionneur il a été amené à charger et décharger des camions ou wagons de différents produits (acide acrylique, acide méthacrylique, acrylates et méthacrylates, acide sulfurique,…).
Du 01/01/1989 au 31/01/1997, M. [U] [J] a travaillé en qualité de conducteur à la station biologique. Au cours de ces activités il n’a pas été exposé directement à l’amiante. Cependant, il a pu exceptionnellement et occasionnellement être exposé à l’amiante lors d’opération d’ouverture des portes de four. Cette opération était de courte durée et n’était réalisée que quelques fois par an.
A compter du 01/01/1998 et jusqu’à son départ, M. [U] [J] a été affecté au service sécurité de l’usine en tant que pompier. Il n’a pas été exposé à l’amiante. »
L’exposition au risque de M. [U] [J] au sein de l’établissement de [Localité 7]/[Localité 10] de la société [5] est donc établie.
A cet égard, les attestations de Mrs [X] et [V], anciens collègues de travail de M.[U] [J], dans l’usine chimique de [Localité 7], confirment son exposition habituelle au risque d’inhalation des poussières d’amiante, à tout le moins dans ses fonctions d’opérateur. Il ressort de ces témoignages que la victime n’a jamais reçu la moindre protection ni aucune information ou consigne sur la dangerosité de l’amiante.
M. [X] indique ainsi (pièce n°9 de M. [U] [J]) qu’il était salarié de la plate-forme chimique de [Localité 7] de juin 1966 à décembre 2004 et qu’en tant que chef de fabrication dans les unités de fabrication, il « voyai(t) M. [U] [J], opérateur, intervenir en utilisant l’amiante sous forme de joints, calorifuges, tresses, bandes et cordons dans le cadre de son travail quotidien. M. [U] [J] était également appelé à suivre et à aider des collègues de maintenance pour l’entretien des installations ou lors des phases d’arrêt à l’extérieur ainsi qu’à l’intérieur des bâtiments. Cet atmosphère de travail était pollué par les poussières et fibres d’amiante que M. [U] [J] inhalait quotidiennement sans protection individuelle ou collective efficace ».
M. [V] atteste avoir été salarié de la plate-forme chimique de [Localité 7] de juin 1964 à juin 2001 et qu’il a côtoyé M. [U] [J] alors qu’il était lui-même chef de fabrication et coordinateur environnement, responsable d’unité dont les trois stations de traitements des eaux, et qu’il « voyai(t) M. [U] [J], opérateur de la station biologique de traitement des eaux des spécialités et de la station de traitement final intervenir en utilisant de l’amiante sous forme de joints, de calorifugeages, de tresses, de bandes et de cordons dans les unités de la plate-forme de [Localité 7]/[Localité 10] ». Il ajoute aux précisions apportées par M. [X] que « toutes les interventions sur les pompes, les tuyauteries et les appareils du génie chimique faisaient manipuler de l’amiante par le personnel de maintenance et d’exploitation dont M. [U] [J]. Ils dégageaient des poussières d’amiante inhalées non seulement par les intervenants mais également par les surveillants des travaux, dont M. [U] [J] et ce, sans port d’équipements de protections respiratoires individuelles ni de protections collectives.
Lors des travaux soudures, afin de permettre un refroidissement lent, les mécaniciens utilisaient des plaques d’amiante friable et/ou de l’amiante en tresse ou en cordelettes pour isoler les pièces en les façonnant pour les adapter à la forme requise. Le personnel ayant à travailler a proximité, dont M. [U] [J], étant alors exposés à l’inhalation de poussières et fibres d’amiante dégagées et présentes dans l’atmosphère.
J’ai vu M. [U] [J], effectuer et surveiller l’ensemble des travaux décrits ci-dessus, étant exposé à l’inhalation de poussières d’amiante, sans protections respiratoires individuelles ni protections respiratoires collectives et sans mise en garde du danger pour sa santé de l’inhalation de ces poussières d’amiante et ce de 1981 à 1996 ».
Ces témoignages sont précis quant aux dates, lieux et faits relatés.
Si ces témoins ont, compte tenu de la similitude de leurs écrits, pu recevoir une aide pour rédiger de manière efficiente les faits vécus qu’ils souhaitaient rapporter, cette aide à la rédaction ne remet pas en cause l’authenticité des témoignages personnels que chacun d’eux a souhaité apporter et, partant, leur force probante, étant précisé que les attestations fournies comportent des passages ou formulations qui leurs sont propres et sont suffisamment circonstanciés.
Le fait que ces témoignages seraient similaires à d’autres témoignages produits dans le cadre de litiges distincts n’est pas établi par la société qui ne produit aucune pièce permettant de le vérifier, et ne diminuerait pas en outre leur force probante si ce fait était démontré, dès lors que des salariés, ayant travaillé au même endroit, au même moment et dans les mêmes conditions que M. [U] [J], ont nécessairement vécu des situations similaires qui les concernent ensemble et qu’ils relatent ainsi dans ces écrits.
S’agissant ensuite de la conscience du danger et des mesures de sécurité mises en ‘uvre, la cour adopte les motifs pertinents des premiers juges qui ont considéré que l’employeur connaissait les dangers liés au risque d’inhalation des poussières d’amiante et n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger M. [U] [J].
Concernant les mesures prises par la société [5] pour protéger ses salariés du risque lié à l’inhalation de poussières d’amiante, la cour retient que leur insuffisance est caractérisée par les attestations concordantes de Mrs [X] et [V] qui confirment l’exposition de M. [U] [J] au risque amiante sans protection respiratoire individuelle et collective et sans information sur les risques encourus.
Enfin, il sera également rappelé que les éventuelles carences des pouvoirs publics s’agissant de la protection des travailleurs exposés à l’amiante ne peuvent tenir lieu de fait justificatif et exonérer l’employeur de sa propre responsabilité.
Dès lors, la société [5] ne produisant aucun élément de nature remettre en cause l’authenticité et la sincérité des faits relatés par les témoins, suffisamment précis et circonstanciés, la cour confirme le jugement entrepris qui a dit que la maladie professionnelle de M. [U] [J] inscrite au tableau 30 B est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [5].
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE
– Sur la majoration de l’indemnité en capital
Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de l’indemnité en capital revenant à la victime, conformément à l’alinéa 2 de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale.
Le FIVA ayant été déclaré recevable et justifiant avoir versé un capital de 4 468,78 euros à M. [U] [J] au titre de l’incapacité fonctionnelle, la majoration allouée à la victime à hauteur de 1 958,18 euros sera versée par la caisse au FIVA .
En cas d’aggravation de son état de santé, cette majoration suivra le taux d’IPP et en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration d’indemnité restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.
Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé sur ces points, sauf en ce que la majoration allouée à la victime sera versée par la caisse au FIVA et non à M. [U] [J].
– Sur les préjudices personnels de M. [U] [J]
La société [5] demande à la cour de débouter le FIVA de ses demandes au titre des préjudices moral et physique distincts non compris dans l’indemnité en capital, faisant valoir qu’il ne ressort d’aucune pièce que ces préjudices n’ont pas été intégralement indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent.
Concernant le préjudice d’agrément, la société [5] conclut également au rejet de la demande, faisant valoir que ce préjudice n’est pas prouvé.
Le FIVA demande que le préjudice moral de M. [U] [J] soit fixé à la somme de 10 800 euros, le préjudice physique à la somme de 200 euros et le préjudice d’agrément à la somme de 800 euros, sommes qu’il a payées à la victime.
Il fait valoir qu’il résulte de la rédaction de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale ce que démontre également la rédaction de l’article L 434-2 du code de la sécurité sociale qui définit les critères retenus pour fixer le taux d’IPP.
Il expose que les plaques pleurales entraînent des souffrances physiques modérées, en l’espèce une dyspnée au moindre effort. Il soutient l’existence d’un préjudice moral distinct pour les victimes atteintes de maladies dues à l’amiante consistant dans l’anxiété permanente face au risque d’une dégradation à tout moment de l’état de santé. Il soutient également l’existence d’un préjudice d’agrément dès lors qu’en raison de sa maladie, M.[U] [J] ne peut plus se livrer à ses activités favorites (chasse, jardinage).
La caisse s’en à la sagesse de la cour quant à la fixation de la réparation des préjudices extra-patrimoniaux de M. [U] [J] sollicitée par le FIVA.
*****************
Aux termes de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale « indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur. »
. sur les souffrances physiques et morales
ll résulte de l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.
En l’espèce, la victime, en application de l’article L434-1 du code de la sécurité sociale, s’est vue attribuer une indemnité en capital, son taux d’incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d’admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d’incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage les souffrances physiques et morales .
Dès lors le FIVA, subrogé dans les droits de M. [U] [J], est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances endurées, sous réserve qu’elles soient caractérisées.
En l’espèce, s’agissant des souffrances physiques subies par M. [U] [J], les pièces médicales versées aux débats (le compte-rendu du scanner thoracique du 26 octobre 20175 et le rapport médical d’évaluation du taux d’incapacité permanente en MP du 6 juin 2018, (pièces n°7 et 8 du FIVA) ne permettent aucunement de caractériser des souffrances physiques imputables à la maladie professionnelle du tableau n°30B.
Dès lors, le FIVA ne produisant aucun élément médical permettant de caractériser l’existence de souffrances physiques subies par la victime en lien avec sa maladie professionnelle, il est débouté de sa demande de réparation présentée à ce titre.
S’agissant des souffrances morales, M. [U] [J] était âgé de 72 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de plaques pleurales. L’anxiété nécessairement liée au fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’amiante dont bon nombre de ses anciens collègues sont atteints parfois de formes plus graves ou sont décédés et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance sera réparée par l’allocation d’une somme de 10 000 euros de dommages et intérêts, eu égard à la nature de la pathologie en cause et à l’âge de M. [U] [J] au moment de son diagnostic.
. sur le préjudice d’agrément
L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.
En l’espèce, force est de constater que la demande du FIVA n’est étayée par aucun élément probant qui établirait l’existence des activités pratiquées antérieurement par M. [U] [J]. La seule mention de ses « activités favorites » est insuffisante à établir qu’il pratiquait régulièrement une activité sportive ou de loisir se distinguant de celles de la vie courante et qu’il aurait été contraint de cesser en raison de sa pathologie.
Dans ce cadre, la demande d’indemnisation présentée par le FIVA sera rejetée.
C’est donc en définitive la somme de 10 000 euros que la caisse devra verser au FIVA, créancier subrogé, au titre des souffrances morales endurées par Monsieur [J].
SUR L’ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE
Aucune discussion n’ayant lieu à hauteur de cour concernant l’action récursoire de la Caisse, il y a lieu de confirmer cette action, selon les dispositions de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, et des articles L.452-2, et L.452-3 du code de la sécurité sociale, qui portera sur les sommes avancées par le FIVA au titre de la majoration de l’indemnité en capital et de la réparation du préjudice moral subi par M. [U] [J].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
L’issue du litige conduit la cour à condamner la société [5] à payer au FIVA et à M.[U] [J] la somme de 800 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, la société [5], partie succombante, sera condamnée aux dépens d’appel, ceux de première instance étant confirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz du 25 juin 2021, sauf en ce qu’il a déclaré le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante irrecevable dans son action et dit que la majoration sera versée par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle à M. [U] [J].
En conséquence, statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant au jugement,
DECLARE recevable l’action du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante subrogé dans les droits de M. [U] [J].
DIT que la majoration au maximum de l’indemnité en capital revenant à M. [U] [J], soit la somme de 1 958,18 euros sera versée par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, subrogé dans les droits de M. [U] [J].
DEBOUTE le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante de ses demandes présentées au titre de la réparation des souffrances physiques endurées par M. [U] [J] et de son préjudice d’agrément.
FIXE l’indemnité réparant le préjudice moral subi par M. [U] [J] à la somme de 10 000 euros.
DIT que cette somme de 10 000 euros sera payée par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, créancier subrogé.
CONDAMNE la SA [5] à payer au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante et à M. [U] [J], la somme de 800 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
CONDAMNE la SA [5] aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente