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24/02/2023
ARRÊT N°103/2023
N° RG 20/02334 – N° Portalis DBVI-V-B7E-NWFR
NA/KB
Décision déférée du 04 Août 2020
Pole social du TJ de MONTAUBAN
19/00143
[P] [M]
S.C.E.A. [7]
C/
[Z] [E]
Compagnie d’assurance [6]
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE NORD MIDI-PYRENEES
CONFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 3 – Chambre sociale
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
SCEA [7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Joëlle GLOCK de la SCP FOSSAT-GLOCK, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMES
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représenté par Me Catherine HOULL de la SELARL CATHERINE HOULL & ASSOCIES, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE substituée par Me Catherine PLAINECASSAGNE VENTIMILA, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
Compagnie d’assurance [6]
[Adresse 9]
[Localité 5]
ayant pour conseil Me G. DAUMAS de la SCP GEORGES DAUMAS, avocat au barreau de Toulouse
non comparante ni représentée à l’audience
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE NORD MIDI-PYRENEES
SERVICE CONTENTIEUX
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent MASCARAS de l’ASSOCIATION D’AVOCATS MASCARAS CERESIANI – LES AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE substitué par Me Jean Michel REY, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant Mme N. ASSELAIN et MP BAGNERIS, conseillères chargés d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de président
MP. BAGNERIS, conseillère
M. SEVILLA, conseillère
Greffier, lors des débats : K. BELGACEM
ARRET :
– REPUTE CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par N. ASSELAIN, président, et par K. BELGACEM, greffier de chambre.
EXPOSE DU LITIGE
M.[Z] [E] a été employé par la société [7] en qualité d’arboriculteur, à compter du 21 août 2012.
Il a été victime d’un accident du travail le 11 avril 2017, à la suite duquel il a perdu l’oeil gauche.
La déclaration d’accident du travail souscrite par l’employeur le jour même indique que ‘lors de la mise en place des filets pare-grêle, en présence de son collègue, M.[E] se trouvait près de la plateforme quand un câble l’a heurté au visage’.
M.[E] explique qu’alors qu’il se trouvait sur une plateforme élévatrice automotrice, accompagné de M.[U], pour installer des filets anti grêles, la plateforme s’est enlisée, que le tracteur conduit par M.[U] a tiré la plateforme par un câble métallique pour la dégager, et qu’une fois la plateforme dégagée, le câble s’est brusquement décroché et l’a frappé au visage.
Le 3 mai 2017, la MSA Nord Midi-Pyrénées a reconnu le caractère professionnel de l’accident de M.[E]. La caisse a fixé au 30 juin 2018 la date de consolidation des lésions, et retenu un taux d’incapacité permanente partielle de 40%.
Par lettre du 5 avril 2019, après échec de la tentative de conciliation, M.[E] a saisi le tribunal pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Par jugement du 4 août 2020, le tribunal judiciaire de Montauban:
– s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande de la société [7] tendant à la garantie de la société [6],
– a dit que l’accident du travail dont a été victime M.[E] le 11 avril 2017 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [7],
– a ordonné la majoration à son maximum de la rente allouée à M.[E],
– avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices de M.[E], a ordonné une expertise médicale, confiée au docteur [W] [N],
– a alloué à M.[E] une provision de 3.000 euros,
– a condamné la société [7] à payer à M.[E] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
La société [7] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 21 août 2020, à l’encontre de son assureur la société [6] et de M.[E].
Le 29 janvier 2021, la société [7] s’est désistée de son appel à l’encontre de la société [6].
La MSA Nord Midi-Pyrénées est intervenue volontairement à l’instance.
La société [7] conclut à l’infirmation du jugement, et au rejet de la demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. A titre subsidiaire, elle demande l’organisation d’une expertise concernant l’analyse technique du sinistre, des lieux et du matériel. Elle confirme son désistement d’appel à l’encontre de la société [6].
La société [7] invoque l’imprudence de M.[E], qui est resté à portée d’un tracteur relié à la plateforme par un câble, sans vérifier que le câble était effectivement décroché par son coéquipier, alors qu’après une longue carrière dans l’arboriculture et à quelques mois de la retraite, il avait la qualité d’ouvrier très qualifié et disposait d’une autonomie étendue lui permettant de se substituer à l’employeur en qualité de chef d’exploitation. Elle souligne que M.[E] était le formateur de M.[U] pour la conduite de plateforme.
M.[E] conclut à la confirmation du jugement et au paiement de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il se prévaut des rapports de la MSA et de l’inspection du travail et fait valoir que la société [7] n’a pas pris toutes les mesures pour éviter les risques d’enlisement de la plateforme ni procédé à une évaluation des risques liés à l’utilisation régulière d’un tracteur et d’un câble d’attelage pour dégager la plateforme, et qu’aucune procédure sécurisée traitant de la traction ou du désembourbage de la plate-forme n’avait été mise en place dans l’entreprise. Il précise qu’il avait la qualité d’employé qualifié et percevait un salaire mensuel de 1.511 euros.
La MSA Nord Midi-Pyrénées s’en remet à la décision de la juridiction, et dans l’hypothèse où une faute inexcusable serait retenue, demande confirmation du remboursement par la société [7] des sommes dont elle fera l’avance, et paiement par la société [7] d’une indemnité de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.
MOTIFS
La société [7] conteste la faute inexcusable qui lui est imputée.
Dans le cadre de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurite et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’employeur a, en particulier, l’obligation d’éviter les risques et d’évaluer ceux qui ne peuvent pas l’être, et de planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants.
Selon l’article L.4121-2 , l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants:
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source (…) ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux (…);
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de
transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique, les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurite sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il suffit que la faute inexcusable de l’employeur soit une cause nécessaire de l’accident du travail pour engager sa responsabilité.
En l’espèce, l’inspecteur du travail relate ainsi les circonstances de l’accident: ‘Le 11 avril 2017, MM. [E] et [U], tous deux salariés de la SCEA [7], étaient occupés à poser les filets paragrêles à 1’aide d’une plate-forme élévatrice (dite plate-forme fruitière) sur le verger de l’exploitation. Le terrain, situé en bordure du Tarn et relativement plan, était détrempé du fait des importantes intempéries du printemps 2017. Il comportait de ce fait de profondes ornières dans lesquelles la plate-forme s’est embourbée. Pour la dégager, les deux salariés ont utilisés l’un des tracteurs de l’exploitation (conduit par M. [U]) et ont tracté la plate-forme à 1’aide d’un câble métallique. Cette opération achevée, M.[E] a dételé le câble d’attelage côté tracteur et 1’a laissé retomber à même le sol, sans voir que son extrémité reposait toujours sur la barre d’attelage. Lorsque M.[U] s’est ré-avancé avec le tracteur, un des éléments du câble (retour du câble formant l’anneau ou boulon) s’est accroché à la barre d’attelage. Le tracteur continuant d’avancer et la tension du câble devenant trop forte, ce dernier s’est brusquement décroché et a frappé 1e visage de M.[E], resté à proximité’.
L’accident est relaté dans des termes semblables par la MSA (sauf à indiquer que le câble a été décroché par M.[U], ce que confirment les deux salariés et qui n’a pas d’incidence sur la solution du litige), de sorte que les circonstances de l’accident sont suffisamment déterminées et que la mesure d’investigation complémentaire sollicitée par la société [7] n’est pas nécessaire.
L’inspecteur du travail conclut ainsi que ‘Plusieurs éléments ont participé à la survenance de cet accident. Il a en particulier été noté que 1’état du terrain provoque l’embourbement régulier de la plate-forme et la nécessité de dégager fréquemment celle-ci en utilisant un mode opératoire qui n’a visiblement pas fait l’objet d’une évaluation des risques retranscrite dans le document unique’.
Il résulte de ce rapport de l’inspection du travail, comme de celui et de la MSA déposé le 13 novembre 2018, que le risque d’enlisement de la plateforme automotrice utilisée pour poser les filets pare-grêle était connu de l’employeur.
Or la société [7] ne pouvait légitimement ignorer les risques consécutifs, liés à la traction de la plateforme pour la dégager des ornières: l’inspecteur du travail note ainsi qu’ ‘au~de1à des seules circonstances de l’accident dont a été victime M.[E], cette opération induit plusieurs risques relativement manifestes (risques liés à l’instabilité de la plate-forme évoluant sur un terrain irrégulier, risques de coupures avec le câble d’attelage métallique, etc)’.
La société [7] justifie avoir pris certaines mesures pour combler les ornières et prévenir l’enlisement, mais ce n’est qu’après l’accident qu’elle a fait procéder au nivellement de l’ensemble de la propriété, ainsi que cela résulte du rapport de la MSA. Le guide sur la sécurité des plateformes en arboriculture établi par la MSA et produit par la société [7] elle-même, mentionne parmi les risques liés à l’utilisation d’une telle plateforme le fait que ‘le sol n’est pas toujours bien nivelé’. Surtout, alors que l’utilisation du tracteur et du câble d’attelage pour dégager l’équipement de travail était régulier, les risques liés à la traction de la plateforme n’ont pas l’objet d’une évaluation: le document unique d’évaluation des risques établi en 2016 ne porte en effet aucune mention relative à l’utilisation de la plateforme ni à l’utilisation d’un engin de traction. Aucun protocole définissant les consignes à respecter lors de la traction du matériel n’a donc été établi ni porté à la connaissance des salariés avant l’accident. La seule notice d’utilisation et d’entretien du constructeur concernant la plateforme automotrice, plateforme à laquelle l’employeur a fait ajouter un dispositif pour en permettre la traction extérieure, ne peut se substituer au document d’évaluation des risques spécifiques liés à la traction régulière d’une plateforme initialement non conçue pour être tirée.
Ainsi, l’absence d’évaluation de risques connus, et de retranscription dans le document unique, conformément aux prescriptions des articles L 4121-2 et R 4121-1 du code du travail, constitue une faute inexcusable de l’employeur, au sens de l’article 452-1 du code de la sécurité sociale, qui a concouru à la survenue de l’accident.
L’imprudence de M.[E] invoquée par la société [7], qui lui reproche de n’avoir pas veillé à ce que le câble soit effectivement décroché, est en toutes hypothèses insusceptible de réduire son droit à indemnisation.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a retenu la faute inexcusable de l’employeur, sans qu’il y ait lieu à expertise préalable. Ses autres dispositions ne font l’objet d’aucune contestation propre.
Il n’y a pas lieu à nouvelle application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
La société [7], dont le recours n’est pas fondé, doit supporter les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Constate le désistement d’appel de la société [7] à l’égard de la société [6];
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement rendu le 4 août 2020;
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel;
Dit que la société [7] doit supporter les dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par N.ASSELAIN, conseillère faisant fonction de président et K.BELGACEM, greffier de chambre.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
K.BELGACEM N.ASSELAIN
.