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N° de minute : 48/2023
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 24 août 2023
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 22/00006 – N° Portalis DBWF-V-B7F-SXW
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Septembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/234)
Saisine de la cour : 21 Octobre 2021
APPELANT
Mme [I] [B]
née le 26 Septembre 1969 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Marie-Katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
COMMUNE DE [Localité 5], prise en la personne du Maire
[Adresse 2]
Représenté par Me Caroline MASCARENC DE RAISSAC membre de la SELARL D’AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. Thibaud SOUBEYRAN,Conseiller,
Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH,Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
Copies revêtues de la formule exécutoire : – Me Kaigre
Expéditions : – Me Mascarenc de Raissac – T. Travail – copie dossier CA
– Mme [B] – Commune de [Localité 5] (Par LR/AR)
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 24 août 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
********************
PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE :
Mme [I] [B] a été engagée par la commune de [Localité 5] à compter du 1er novembre 2005 suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée en qualité d’agent de service afin d’assurer la surveillance de la cantine et l’entretien des locaux de l’école primaire de [Localité 4].
A compter du mois d’août 2009, elle a poursuivi cette même activité en qualité de patentée, effectuant des remplacements de manière irrégulière en 2009 et 2010 sur la base d’un taux horaire de 1 000 francs CFP.
À compter du mois de février 2013, elle a exercé cette activité de manière régulière à raison de quatre heures par jour, hors périodes de vacances scolaires, sur la base de conventions signées avec son employeur le 6 septembre 2011, le 16 octobre 2012, le 6 avril 2016 et 9 avril 2018, sa rémunération étant portée à 1300, puis 1500 francs CFP hors-taxes.
Par jugement du 3 septembre 2018, le tribunal mixte de commerce de Nouméa, a, sur saisine de la CAFAT, prononcé la liquidation judiciaire de Mme [B] au regard du passif constitué par l’absence de paiement de ses cotisations sociales à hauteur de 840 000 francs CFP.
Par courrier daté du 4 octobre 2018, la commune de [Localité 5] a averti Mme [B] qu’elle n’était ‘plus en mesure de faire appel à [ses] services au sein de la collectivité’ suite à sa liquidation judiciaire et à sa radiation du RIDET.
Par courrier du 18 décembre 2018, Mme [B] a sollicité de poursuivre son activité en contrat à durée déterminée, ce qui a été refusé par la commune selon courrier du 11 février 2019.
Par requête du 12 novembre 2019, Mme [B] a fait convoquer la commune de [Localité 5] devant le tribunal du travail de NOUMEA en requalification des relations contractuelles en contrat de travail à durée inderminée, en reconnaissance du caractère irrégulier de son licenciement et en indemnisation.
Par jugement du 23 septembre 2021, le tribunal, estimant que Mme [B] ne démontrait pas la réalité du lien de subordination dont elle se prévalait, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.
PROCEDURE D’APPEL :
Par requête déposée au greffe de la cour le 20 octobre 2021, Mme [B] a interjeté appel de cette décision.
Au terme de ses dernières écritures du 7 octobre 2022, elle demande à la cour d’infirmer le jugement et :
– au titre du contrat de travail, de requalifier le contrat conclu entre elle et la commune en contrat de travail de droit commun, à durée indéterminée et à temps plein, de constater que son salaire de référence doit être fixé à 253’500 francs CFP et d’ordonner sous astreinte de 5000 francs par jour de retard le paiement de la somme de 8’244’000 francs CFP à titre de rappel de salaire de juin 2014 à septembre 2018, la somme de 1’318’200 francs CFP à titre d’indemnité compensatrice de congés payés non pris et la somme de 500’000 francs CFP à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
– au titre de la rupture de la relation de travail :
– à titre principal, d’annuler la convention de prestation de services conclue avec la commune, de condamner la commune à la réintégrer à son poste de cantinière, en contrat à durée indéterminée à temps plein, avec reprise d’ancienneté et à lui verser une indemnité d’éviction à compter de son départ en septembre 2018 jusqu’au jour de sa réintégration effective ;
– à titre subsidiaire, de requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la commune à lui verser les sommes nettes de 741’488 francs CFP au titre de l’indemnité légale de licenciement, 4’486’700 francs CFP au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 760 500 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 76’050 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis et de 5 millions de francs CFP en réparation de son préjudice moral ;
– en tout état de cause, de condamner la commune à effectuer les régularisations correspondantes auprès de la CAFAT, de dire que les sommes indemnitaires et à nature de salaire seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 juin 2019 ; de dire que les intérêts échus produiront intérêts en application de l’article 1154 du code civil ; d’ordonner l’exécution provisoire sur les dommages-intérêts dans le mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous peine, passé ce délai, d’une astreinte de 10’000 francs CFP par jour de retard ; de condamner la commune à lui verser la somme de 250’000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles, à défaut de fixer les unités de valeur revenant à son conseil au titre de l’aide judiciaire.
En réplique, la commune de [Localité 5] conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de débouter l’appelante de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et de juger irrecevables les demandes nouvelles formées au titre de l’annulation des contrats de prestations et la réintégration de Mme [B], à défaut de la débouter de ses demandes.
À titre subsidiaire, en cas de requalification, la commune de [Localité 5] soulève la prescription des demandes portant sur la période antérieure au 12 novembre 2014. Elle sollicite la limitation des indemnités compensatrices de congés payés, de préavis de congés payés sur préavis ainsi que de l’indemnité légale de licenciement.
Elle demande par ailleurs à la cour de débouter Mme [B] de ses demandes formées au titre de l’indemnité légale de licenciement et du préjudice moral distinct, à défaut de les ramener à de plus justes proportions. Elle sollicite enfin une somme de 300 000 franc CFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie.
Pour un exposé complet des moyens respectifs des parties, la cour se réfère expressément à leurs écritures, aux notes de l’audience et aux développements ci-dessous.
SUR CE :
Sur la demande de requalification de la relation de travail :
Vu les dispositions des articles 1315 du code civil et Lp. 121-1 et suivants du code du travail de la Nouvelle-Calédonie.
Il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail de démontrer, par tous moyens, qu’une prestation a été réalisée dans un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur disposant des pouvoirs de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, la qualification donnée par les parties à leur relation étant à cette égard indifférente.
En l’espèce, il n’est pas contesté et il résulte des bulletins de paie versés aux débats, que Mme [B] a initialement, entre 2005 et 2008, été engagé par la commune de [Localité 5] suivant plusieurs contrats à durée déterminée – non produits aux débats – en qualité d”agent de service’ au ‘centre de Nepoui’ et qu’elle a continué, à compter du mois d’août 2009 et jusqu’au mois de septembre 2018, à travailler pour cette collectivité à raison de 4 à 8 heures par jour en qualité de patentée dans le cadre de conventions successives, cette activité étant irrégulière durant les années 2009 et 2010, puis régulière à compter du mois de septembre 2011 suite à la signature de la première convention, interrompue toutefois à l’occasion des vacances scolaires.
La commune de [Localité 5] soutient que cette prestation consistait exclusivement dans l’entretien des locaux de l’école de [Localité 4] et de son réfectoire, à l’exclusion de toute activité de cantinière ou de surveillance des élèves.
Il résulte toutefois la convention signée le 6 septembre 2011 que la prestation avait pour objet ‘l’entretien des salles de l’école [1] et la surveillance des enfants à la cantine municipale de [Localité 4]’. Les factures adressées par Mme [B] à la commune de [Localité 5] mentionnent des prestations d’ ‘aide cantinière et agent d’entretien’, de ‘cantinière’ au ‘réfectoire’ et ce jusqu’en mars 2018, sans que l’employeur ne justifie avoir refusé de s’acquitter des sommes mises à sa charge à ce titre ou adressé d’observation à cet égard à Mme [B]. La réalisation de prestations de cantinière et de surveillance d’élèves est confirmée par les témoignages versés aux débats et en particulier par ceux de Madame [O] [K], ‘femme de service’ dans le même établissement et de Mme [W] [V], agent au Point d’Information Jeunesse situé en face de la cantine de l’établissement.
Elle est également corroborée par les conclusions d’un rapport de la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie du 9 février 2017 portant sur la gestion de la commune de [Localité 5] pour les exercices 2009 et suivants, aux termes duquel la chambre, après avoir rappelé ‘que la surveillance des enfants pendant les repas en cantine scolaire (…) ne peut être exercée que par des agents municipaux et non externalisés sous forme de prestations de service’, observe :
‘Par contrat du 7 janvier 2014, exécutoire au 7 février, une prestataire issue de la tribu a été chargée d’assurer ‘l’entretien des locaux et réfectoire municipale de [Localité 4]’ moyennant un tarif horaire de 1500 F CFP pour quatre heures par jour hors congés scolaires. Le contrat prévu pour un an est renouvelable, sans que les stipulations précisent d’ailleurs si la reconduction est expresse ou tacite. Les factures produites au titre de l’exécution 2014 totalisent 1’266’300 francs CFP contre 2’053’800 francs CFP pour 2013. Le libellé des factures montre que la prestataire effectue d’autres missions que celles couvertes par le contrat, puisqu’elles font également mention de ses activités de cantinière. La différence de 40 % entre 2013 et 2014 tient au fait que la prestataire avait facturé en 2013 une prestations de nettoyage des classes de l’école de [Localité 4] à hauteur de 8 heures par jour tout en libellant les factures de la mention ‘ aide cantinière et agent d’entretien’. Comme pour la surveillance des repas à l’école de [Localité 3], les facturations 2014 décomptent, à tort, les jours fériés et les congés scolaires, en méconnaissance des conditions du contrat.’
Il s’en déduit que Mme [B] était tenue d’être présente chaque jour scolaire ouvrable aux heures de la livraison et de la prise des repas, puis du nettoyage du réfectoire telles que fixées par la commune.
Par ailleurs, s’agissant de l’entretien des locaux, la cour relève que les conventions ne se contentaient pas de lister des prestations à accomplir mais fixaient précisément les jours et le volume horaire de travail de Mme [B] tout en lui imposant d’intervenir ‘une heure avant l’ouverture des classes ou une heure avant la fermeture des classes’ et lui imposaient d’adapter ses horaires à ‘l’organisation du temps de travail du personnel de l’école primaire’, la convention du 6 avril 2016 précisant que ‘les horaires pourront subir des modifications en fonction du travail’.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la commune de [Localité 5], Mme [B] n’avait pas une totale latitude dans l’organisation de son temps de travail, lequel était nécessairement dépendant de la nature des missions confiées (en particulier en sa qualité de cantinière), de l’organisation et du calendrier de l’établissement scolaire sur lesquels elle n’avait aucune prise ainsi que des dispositions contractuelles.
Il résulte de ces mêmes pièces que la nature des tâches confiées à Mme [B] est demeurée identique au fil des ans, similaire à celles confiées alors qu’elle exerçait son activité au profit de la commune dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs, l’activité exercée en tant que patentée constituant la poursuite directe, malgré une interruption, de celle exercée en qualité de salariée, alors même qu’elle ne pouvait ignorer que la mission de surveillance des élèves à l’occasion des repas ne pouvait être déléguée à un prestataire. La cour relève que la commune n’a présenté aucune observation aux constatations réalisées sur ce point par la chambre territoriale des comptes et portant sur plusieurs établissements scolaires de la commune. Elle a d’ailleurs désormais modifié sa pratique comme en atteste l’appel à candidature pour l’année 2022 produit aux débats.
En second lieu, la cour relève que des consignes relatives à l’organisation du travail avaient nécessairement été données dans le cadre de la relation salariée initiale, notamment quant aux modalités d’entretien des locaux, de réception et de mise à disposition des repas, de surveillance des enfants durant la prise du repas puis de collecte des plateaux et de restitution des matériels de cantine ou des denrées non consommées. Le caractère répétitif des missions assignées à Mme [B] depuis 2005, dans les mêmes locaux, justifiait que la commune se soit abstenue de lui délivrer à nouveau des consignes précises par écrit comme en témoigne la rédaction particulièrement imprécise des conventions du 6 septembre 2011, du 16 octobre 2012 ou du 9 avril 2018, sans que l’employeur ne puisse se prévaloir de sa carence pour contester l’existence même de son pouvoir de direction.
À cet égard, les variations horaires ponctuelles de l’activité de Mme [B] (fin février à début mars 2010, février à octobre 2012), telles qu’elles résultent des factures produites aux débats, confirment que les tâches confiées à Mme [B] pouvaient, en dehors de tout formalisme, être complétées à l’initiative de l’employeur, qui assumait, de fait, un pouvoir de direction, Mme [B] ne disposant par ailleurs d’aucune autonomie réelle dans la définition de ses conditions de travail.
La commune de [Localité 5], qui, aux termes des conventions, subordonnait le paiement des factures présentées par Mme [B] et la poursuite des relations contractuelles à l’exécution des heures fixées et à la bonne exécution des tâches qu’elle lui confiait au sein d’un établissement scolaire communal dont elle assurait la gestion, ne peut soutenir qu’elle n’exerçait aucun pouvoir de contrôle sur son activité et de sanction en cas de manquement à ses obligations.
Certes, les seules attestations du fils et du conjoint de Mme [B] ne suffisent pas à établir, comme elle le soutient, que la commune de [Localité 5] fournissait, en dépit des dispositions contractuelles, les produits d’entretien et les matériels utilisés par Mme [B] dans l’exercice de ses missions.
Toutefois, cette seule circonstance ne saurait impliquer que Mme [B] n’était pas soumise un lien de subordination à l’égard de la commune de [Localité 5] au regard des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction dont cette dernière disposait.
Il y a lieu, au regard de ces éléments, d’infirmer le jugement entrepris et de procéder à la requalification des relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée.
Sur la durée et la rémunération du travail salarié :
Mme [B] soutient qu’à défaut de contrat de travail écrit et en l’absence de démonstration contraire, elle est présumée avoir travaillé à temps plein pour un salaire brut horaire de 1500 francs CFP soit un salaire brut mensuel de référence de 253’500 francs CFP.
La commune de [Localité 5] soutient au contraire que Mme [B] a travaillé 4 heures par jour ouvré du lundi au vendredi au tarif horaire de 1300 francs CFP hors-taxes en 2011 et de 1 500 francs CFP hors-taxes à compter de 2012 jusqu’en 2018, soit un salaire mensuel de référence de 100’000 francs CFP.
En l’espèce, Mme [B] avait connaissance de manière précise, certaine et anticipée des jours et heures auxquels elle était astreinte aux tâches de cantine et d’entretien au sein de l’établissement scolaire et ne peut dès lors soutenir qu’elle devait rester constamment à la disposition de son employeur.
Il résulte des factures adressées par Mme [B] à la commune de [Localité 5] qu’elle a exercé son activité à raison de 4 heures par jour ouvré, sauf entre le 24 février 2010 et le 5 mars 2010 (6 heures par jour) et du 1er février au 31 octobre 2012 (8 heures par jour), qu’elle a ainsi travaillé 532 heures sur la période février – septembre 2018 (66,5 heures par mois en moyenne), soit, à raison d’une rémunération horaire de 1500 francs CFP, un revenu mensuel moyen de 99 750 francs CFP.
L’imprécision, sur ce point, des témoignages produits ne permet pas d’établir que la durée réelle de travail de Mme [B] dépassait, depuis le 1er novembre 2012, les heures fixées par les conventions et confirmées par les factures émises par Mme [B].
Il convient dès lors de rejeter la demande de Mme [B] de voir reconnaître qu’elle travaillait à temps plein, de retenir qu’elle travaillait à temps partiel sur une durée mensuelle de 66,5 heures et, conformément à la proposition de la commune de [Localité 5], de retenir un salaire mensuel de référence de 100 000 francs CFP.
Sur la demande de réintégration :
Aux termes de l’article Lp. 122-3 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Selon l’article Lp. 122-35, si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité prévue à l’article Lp. 122-27.
En l’espèce, Mme [B] sollicite aux termes de ses écritures d’appel sa réintégration à son poste de cantinière et le paiement d’une indemnité d’éviction à compter de la rupture des relations contractuelles et jusqu’au jour de sa réintégration.
La commune de [Localité 5] demande à la cour de juger irrecevable sa demande de réintégration pour être nouvelle en cause d’appel et à défaut de la rejeter.
Aux termes de l’article 880-3 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie, les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables en tout état de cause, même en appel, sans que puisse être opposée l’absence de tentative de conciliation.
La demande de réintégration présentée par Mme [B] pour la première fois en cause d’appel doit dès lors être déclarée recevable.
Il n’est pas contesté que la rupture des relations contractuelles survenue à réception du courrier du 4 octobre 2018, motivée par le placement de Mme [B] en liquidation judiciaire, doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu toutefois de constater que la commune de [Localité 5] s’oppose à la réintégration de Mme [B].
Cette réintégration ne saurait, au regard dispositions spécifiques à la Nouvelle Calédonie de l’article Lp. 122-35 précité, être ordonnée en cas d’opposition de l’employeur.
Il convient dès lors d’en débouter Mme [B] et de statuer sur les demandes l’indemnisation présentées à titre subsidiaire.
Sur l’indemnité légale de licenciement :
Aux termes de l’article Lp. 122-27 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il comptait deux ans d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, adroit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Aux termes de l’article R 124-4 du même code, l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à une somme calculée, par année de service dans l’entreprise, sur la base de 20 heures de salaire pour les salariés rémunérés à l’heure et d’un 10e de mois pour les salariés rémunérés au mois. Le salaire servant de base au calcul de l’indemnité est le salaire moyen des trois derniers mois.
L’article 88 de l’Accord Interprofessionnel (AIT) prévoit quant à lui que lorsque le travailleur compte deux ans d’ancienneté continue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave, de force majeure ou de départ à la retraite, à une indemnité minimum de licenciement calculée sur la base de 1/10 de mois par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans d’ancienneté, le salaire servant de base au calcul étant le 12e de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l’intéressé, le tiers des trois derniers mois.
En l’espèce, Mme [B] justifie d’une ancienneté au 6 septembre 2011, soit de 8 ans au jour de la rupture du contrat de travail, étant rappelé qu’il est tenu compte dans le calcul des fractions d’années incomplètes. En effet, les périodes de travail antérieures ont été interrompues, Mme [B] n’ayant été employée que 3 semaines au cours de l’année 2009 (du 17 au 28 août et du 28 septembre au 2 octobre) et 6 semaines au cours de l’année 2010 (du 22 février au 31 mars), sans être, durant les autres périodes, demeurée à la disposition de son employeur. En revanche, les interruptions temporaires de travail liées au calendrier scolaire n’ont pas interrompu le contrat de travail, Mme [B] étant à cette occasion demeurée à la disposition de son employeur dans l’attente de la reprise de son activité.
La commune de [Localité 5] sera, au regard de ces éléments, condamnée à payer à Mme [B] la somme de : (138’600 + 81’900 + 90 000)/3 x 0,1 x 8 = 82 800 francs CFP.
Sur l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Vu les dispositions de l’article Lp. 122-35 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie :
Mme [B] sollicite à ce titre la somme de 4’487’737 francs CFP, la commune de [Localité 5] estimant que le montant de cette indemnité ne saurait être fixée au-delà de 600’000 francs CFP correspondant à six mois de salaire.
En l’espèce, au regard de l’ancienneté de Mme [B] dans ses fonctions mais également de son âge au jour de la rupture du contrat (49 ans) et de son absence de qualification, il lui sera alloué à ce titre la somme de 1 200 000 francs CFP correspondant à 12 mois de salaire.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis et sur l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis :
Vu les dispositions des articles Lp. 122-22, Lp. 122-24 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et de l’article 87 de l’AIT ;
Mme [B] sollicite à ce titre le paiement d’une somme de 750’000 francs CFP, la commune de [Localité 5] estimant que cette indemnité doit être fixée à 100’000 francs CFP.
Au regard des dispositions précitées, Mme [B], dont l’ancienneté est comprise entre 2 et 10 ans, peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit 2 x 100 000 = 200 000 francs CFP, outre une indemnité de 20’000 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.
Sur l’indemnisation d’un préjudice moral distinct :
Mme [B] sollicite à ce titre la somme de 5 millions de francs CFP, soulignant qu’il a été mis fin de manière fautive à ses activités après 18 ans de travail, qu’elle s’est alors retrouvée débitrice d’une dette importante auprès de la CAFAT tout en se retrouvant privée de ressources et de la possibilité de cotiser pour sa retraite ; que la commune de [Localité 5] a tenté de réaliser des économies en lui imposant un statut de patenté, ce qui la prive aujourd’hui de bénéficier d’un contrat salarié, d’une ancienneté, d’une continuité d’emploi et d’un statut pour sa retraite.
En réplique, la commune de [Localité 5] soutient que la rupture du contrat n’est pas fautive dès lors qu’elle a été motivée par son placement en liquidation judiciaire, qu’elle n’est nullement responsable de la dette contractée par Mme [B] auprès du RUAMM, que Mme [B] est la seule responsable de son changement de statut et de ses conséquences.
En l’espèce, Mme [B] n’établit pas, comme elle le soutient, que son changement de statut lui a été imposé par la commune de [Localité 5], le témoignage de son concubin étant à cet égard insuffisant.
En revanche, la rupture de son activité s’est avérée particulièrement soudaine, alors que Mme [B] travaillait pour la commune depuis 2005, que son travail n’avait jamais fait l’objet de critique et que la commune, qui ne pouvait ignorer l’employer en qualité de cantinière en violation de ses obligations légales, ne soutient ni ne justifie lui avoir proposé de régularisation avant ou à la suite de son placement en liquidation judiciaire, alors même que son besoin était permanent.
Les conditions brutales de la rupture de son contrat de travail ont ainsi causé à Mme [B] un préjudice moral spécifique non indemnisé par l’allocation d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et justifient la condamnation à ce titre de la commune de [Localité 5] à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 1 500 000 francs CFP.
Sur la demande de rappel de salaire et d’indemnité de congés payés :
Mme [B] sollicite à titre de rappel de salaire pour la période courant de juin 2014 à septembre 2018 la somme de 8’244’000 francs CFP sur la base d’une activité à temps plein et d’un salaire de référence de 253’500 francs CFP.
La commune de [Localité 5], après avoir soulevé la prescription de la demande pour les salaires antérieurs au 12 novembre 2014, demande à la cour de débouter Mme [B] de sa demande à ce titre.
En l’espèce, la commune de [Localité 5] est fondée à opposer à Mme [B] la prescription quinquennale de sa demande en paiement des sommes dues antérieurement au 12 novembre 2014.
Comme indiqué précédemment, il résulte des documents produits aux débats que Mme [B] a travaillé à temps partiel à raison de 66,5 heures par mois pour un salaire de 100’000 francs CFP.
Mme [B] est dès lors fondée à solliciter un rappel de salaire à hauteur de la différence entre les sommes perçues et les salaires auxquels elle pouvait prétendre sur cette période de 46,5 mois, soit la somme de : 4 600 050 – 4 074 060 = 525 990 francs CFP.
En revanche, Mme [B] ne justifie pas de son droit à percevoir une indemnité complémentaire au titre de congés payés pour la période de juin 2014 à septembre 2018 et sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la dissimulation d’activité :
Mme [B] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 5] à lui verser la somme de 500’000 francs CFP en réparation du préjudice subi du fait de ‘l’exploitation’ dont elle a été victime. Elle soutient en effet, au visa des articles Lp. 461-3 et Lp. 461-4, avoir été victime de travail dissimulé par dissimulation d’emploi, la commune de [Localité 5] ne pouvant prétendre avoir ignoré d’une part s’être trouvée en fraude à la réglementation, d’autre part l’amplitude réelle de son temps de travail et ayant manqué à son obligation de lui délivrer des bulletins de paye conformes à la réglementation. Elle estime que si les textes applicables en métropole, prévoyant une indemnité forfaitaire minimale de six mois de salaire, ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie, sa demande en indemnisation trouve en revanche son fondement dans les termes de l’article 1382 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie.
En réplique, la commune de [Localité 5] conclut au débouté de sa demande et soutient que Mme [B] ne justifie pas de la réalité du travail dissimulé dont elle se prévaut.
En l’espèce, Mme [B] n’invoque au soutien de sa demande indemnitaire aucun préjudice spécifique susceptible d’être indemnisé sur le fondement de l’article 1382 du code civil de Nouvelle-Calédonie au titre du travail dissimulé qu’elle invoque, les sommes sollicitées ne pouvant sur ce fondement revêtir le caractère d’une sanction civile cumulable avec les indemnités déjà allouées au titre de la rupture du contrat de travail et du préjudice moral distinct.
Mme [B] sera dès lors déboutée de sa demande formée de ce chef.
Sur la demande d’annulation de la convention de prestation de services :
Mme [B] sollicite de voir annuler la convention de prestation de services ainsi que ‘la résiliation factice de cette convention’ aux motifs que cette convention a été conclue en fraude de ses droits et par dol, en trompant les cantinières et ‘ne les informant pas de l’interdiction qui pesait sur les communes de salarié les employés des écoles.’
Il n’appartient toutefois pas à la juridiction sociale – par ailleurs déjà saisie d’une demande en requalification de la relation contractuelle – de statuer sur une demande étrangère au contrat de travail, en l’espèce l’annulation d’une convention de prestation de services conclue entre une commune et une personne physique.
Cette demande sera dès lors déclarée irrecevable.
Sur le point de départ des intérêts :
Vu les dispositions de l’article 1153-1 du code civil dans sa rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie ;
Il y a lieu de dire que les intérêts dus au titre des condamnations prononcées par la cour courront à compter du jour de la requête introductive d’instance, le 12 novembre 2019 et non à compter du jour de l’arrêt d’appel.
Les intérêts échus seront capitalisables annuellement dans les conditions de l’article 1154 du même code.
Sur les demandes annexes :
En l’absence de toute démonstration d’une résistance prévisible de la commune de [Localité 5] à exécuter la présente décision, Mme [B] sera déboutée de sa demande de voir assortir les condamnations prononcées d’une astreinte.
Il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits.
La commune de [Localité 5] sera condamnée à lui verser la somme de 250’000 francs CFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie et à supporter la charge des dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
INFIRME le jugement frappé d’appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a alloué 4 unités de valeur à Me KAIGRE ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
DECLARE IRRECEVABLE la demande d’annulation des contrats de prestation de service conclus entre la commune de [Localité 5] et Mme [I]-[B] ;
REQUALIFIE les relations contractuelles entre la commune de [Localité 5] et Mme [I] [B] en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 6 septembre 2011 ;
FIXE la rémunération mensuelle de Mme [B] à 100 000 francs CFP ;
DIT que la rupture des relations contractuelles résultant du courrier du 4 octobre 2018 s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
DEBOUTE Mme [I] [B] de sa demande de réintégration ;
CONDAMNE la commune de [Localité 5] à payer à Mme [I] [B] les sommes de :
– 82 800 francs CFP au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– 1 200 000 francs CFP au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 200 000 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 20’000 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
– 1 500 000 francs CFP en indemnisation de son préjudice moral distinct ;
– 525 990 francs CFP au titre du rappel des salaires ;
DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2019 ;
DIT que les intérêts échus seront capitalisables annuellement dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;
ENJOINT à la commune de [Localité 5] d’effectuer les déclarations légales découlant du contrat de travail et de sa rupture auprès des organismes sociaux ;
DEBOUTE Mme [I] [B] de ses demandes additionnelles ou contraires ;
CONDAMNE la commune de [Localité 5] à payer à Mme [I] [B] la somme de 250 000 francs CFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie ;
CONDAMNE la commune de [Localité 5] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président.