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Arrêt n° 23/00280
23 Octobre 2023
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N° RG 21/01856 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FRQ7
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Tribunal Judiciaire de METZ- Pôle social
30 Juin 2021
19/01635
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
vingt trois Octobre deux mille vingt trois
APPELANT :
Monsieur [Z] [N]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représenté par l’association [6], prise en la personne de Mme [V] [E], salariée de l’association munie d’un pouvoir spécial
INTIMÉS :
L’AGENT JUDICIAIRE DE l’ ETAT (AJE)
Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques
[Adresse 12]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Claude ANTONIAZZI-SCHOEN, avocat au barreau de METZ
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 1]
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Mme [I], munie d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Juin 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
– Mme Carole PAUTREL, Conseillère faisant fonction de Présidente de Chambre
– Mme Anne FABERT, Conseillère
– Monsieur Amarale JANEIRO,Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Carole PAUTREL, Conseillère faisant fonction de Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier,
auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Né le 1er janvier 1952, Monsieur [Z] [N] a travaillé au sein des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenue par la suite l’EPIC [7] ([7]), de 1974 à 2000, exclusivement au fond.
II a occupé les postes suivants, successivement à [Adresse 10], [Localité 14], [Localité 9], [13], et [Localité 11] :
– apprenti-mineur
– piqueur de cheminée
– piqueur voie de déblocage
– préposé entretien piles
– boiseur foudroyeur
– piqueur de cheminée
– déhouilleur petit stoss
– préparateur extremité taille
– installateur taille ou traçage et voie
– préposé câble haveuse taille charbon
– ouvrier annexe de travaux préparatoires au charbon
– piqueur d’élevage
Il a bénéficié d’un congé charbonnier fin de carrière (CCFC) du 1er août 2000 au 31 juillet 2005.
II s’est vu reconnaitre une maladie professionnelle « silicose» par décision de l’Assurance maladie des mines (ci-après la caisse) en date du 8 janvier 2018.
Le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de Monsieur [N] a été fixé à 15% et la caisse lui a attribué une rente annuelle de base revalorisable de 2629,86 euros à compter du 6 septembre 2017 (lendemain de la date de consolidation).
Après échec de la tentative de conciliation introduite le 26 avril 2019 auprès de la caisse, Monsieur [Z] [N] a, selon courrier recommandé expédié le 3 octobre 2019, saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Metz afin de voir reconnaitre la faute inexcusable de l’AJE, venant aux droits des HBL/[7], dans la survenue de sa maladie professionnelle, et de bénéficier des conséquences indemnitaires qui en découlent.
L’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) est intervenu à l’instance aux lieu et place de l’EPIC [7] suite à la clôture de sa liquidation.
La caisse primaire d’assurance maladie de Moselle (CPAM) a en outre été mise en cause pour le compte de l’Assurance maladie des mines/la CANSSM.
Par jugement du 30 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Metz, nouvellement compétent, a :
Déclaré le jugement commun à la CPAM de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM-l’Assurance Maladie des Mines ;
Déclaré Monsieur [N] recevable en sa demande ;
Dit que l’existence d’une faute inexcusable des Houillères du bassin de Lorraine devenues [7], aux droits desquels vient l’Agent judiciaire de l’Etat, dans la survenance de la maladie professionnelle de Monsieur [N] inscrite au tableau 25, n’est pas établie;
Débouté Monsieur [N] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et de ses demandes subséquentes;
Condamné Monsieur [N] aux entiers frais et dépens ;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Par acte remis au greffe le 20 juillet 2021, Monsieur [N] a interjeté appel total de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR reçue le 8 juillet 2021.
Par conclusions datées du 29 août 2022 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [N] demande à la cour de :
déclarer recevable et bien fondé son recours ;
infirmer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau
juger que sa maladie professionnelle est due à une faute inexcusable de l’EPIC [7] représenté par l’Agent judiciaire de l’Etat;
juger que Monsieur [N] a droit à une majoration de sa rente en la portant au taux maximum conformément aux dispositions applicables;
condamner la caisse à lui payer cette majoration ;
débouter l’AJE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions;
Juger que : * la majoration maximum prendra effet à la date de reconnaissance la maladie professionnelle ;
* en cas d’aggravation ultérieure, le taux de rente sera indexé aux taux d’IPP;
* en cas de décès imputable à sa maladie professionnelle, le principe de la majoration maximum de la rente restera acquis au conjoint survivant et que la caisse devra verser l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L452-3 du code de la sécurité sociale, de même qu’en cas d’aggravation du taux d’IPP à 100%;
condamner l’AJE à payer à Monsieur [N] les sommes suivantes :
. réparation du préjudice causé par les souffrances physiques : 3000 euros augmentés des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
. réparation du préjudice causé par les souffrances morales : 15 000 euros augmentés des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir;
. réparation du préjudice d’agrément : 4500 euros augmentés des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
condamner l’AJE au paiement à Monsieur [N] d’une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner l’AJE aux entiers frais et dépens;
juger que l’ensemble des sommes allouées portera intérêt aux taux légal à compter du prononcé de la décision.
Par conclusions datées du 12 juin 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son conseil, l’Agent judiciaire de l’Etat demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– débouter Monsieur [N] et l’Assurance Maladie des Mines de l’ensemble de leurs demandes dirigées à l’encontre de l’AJE, la preuve de l’existence d’une faute inexcusable n’étant pas rapportée ;
A TITRE SUBSIDIAIRE, si par extraordinaire la faute inexcusable de l’employeur venait à être retenue,
Sur les souffrances physiques et morales endurées :
– débouter Monsieur [N] de l’ensemble de ses demandes formulées au titre du préjudice physique, moral et d’agrément ;
– plus subsidiairement encore, réduire à de plus justes proportions les demandes de Monsieur [N] au titre du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
– débouter Monsieur [N] de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ou tout au moins la subsidiairement ;
– dire n’y avoir lieu à dépens.
Par conclusions datées du 11 janvier 2023 et soutenues oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Malade des Mines – demande à la cour de :
– donner acte à la Caisse qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la faute inexcusable reprochée à la société [7] (AJE);
Le cas échéant :
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant de la majoration de la rente réclamée par Monsieur [N] ;
– prendre acte que la caisse ne s’oppose pas à ce que la majoration de la rente suive l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [N] ;
– constater que la caisse ne s’oppose pas à ce que le principe de la majoration de rente reste acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant, en cas de décès de Monsieur [N] consécutivement à sa maladie professionnelle ;
– donner acte à la caisse qu’elle s’en remet à la cour en ce qui concerne la fixation du montant des sommes susceptibles d’être allouées au titre des préjudices extra-patrimoniaux de Monsieur [N] ;
– le cas échéant, rejeter toute éventuelle demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [N] ;
– si la faute inexcusable de l’employeur devait être retenue, condamner l’AJE à rembourser à la caisse les sommes qu’elle sera tenue de verser à Monsieur [N] au titre de la majoration de rente et des préjudices extra-patrimoniaux, ainsi que des intérêts légaux subséquents, en application de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR CE,
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR
Monsieur [N] sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a estimé que la faute inexcusable n’était pas établie à l’encontre des [7] au motif que la preuve de l’absence de mesures prises par les Houillères du bassin de Lorraine concernant sa santé n’était pas apportée.
Il soutient que l’employeur s’est abstenu de mettre en ‘uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut de formation et d’information, et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs.
L’AJE expose que si les [7] avaient bien conscience du risque encouru par ses salariés concernant les poussières de silice, ils ont mis en ‘uvre tous les moyens nécessaires pour protéger les salariés des risques connus à chacune des époques de l’exploitation, tant sur le plan collectif qu’individuel. L’AJE prétend que les [7] ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu’aucun défaut d’information ne peut leur être reproché. Il remet en cause la qualité des attestations des témoins ayant déposé en faveur de Monsieur [N] en ce que les témoignages recueillis sont stéréotypés, imprécis, lacunaires, qu’ils ne donnent aucune information sur l’insuffisance des mesures individuelles et collectives, et que les témoins ne justifient pas avoir travaillé directement avec l’appelant. L’AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations de l’appelant et de ses témoins.
La caisse s’en remet à l’appréciation de la cour.
********************
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat.
Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.
En l’espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur [N] ainsi que les conditions du tableau 25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L’AJE reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [7], avaient conscience du danger constitué par l’inhalation de poussières de silice et revendique même cette conscience.
Seule est discutée l’existence et l’efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l’employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée.
Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n° 51-508 du 4 mai 1951 portant règlement général sur l’exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l’évacuation des poussières ou, en cas d’impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.
L’article 187 dudit décret dispose que lorsque l’abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l’accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s’y opposer ou y remédier.
L’instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.
S’agissant des masques, on peut lire dans l’instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d’arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d’une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu’en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».
En l’espèce, Monsieur [N] justifie, par la production de son relevé de périodes et d’emplois établi par l’ANGDM le 11 juillet 2019, avoir travaillé uniquement au fond des mines, et ce dès le 16 décembre 1974 jusqu’au 31 juillet 2000 (pièce n°1 de l’appelant).
Il apparaît qu’il a ainsi travaillé successivement aux puits Marieneau (du 3 février 1975 au 31 octobre 1986), [Localité 14] (du 1er novembre 1986 au 31 mai 1989), [Localité 9] (du 1er septembre 1989 au 20 janvier 1991), [13] (du 21 janvier 1991 au 31 décembre 1998) et [Localité 11] (du 1er janvier 1999 au 31 juillet 2000).
L’attestation de Monsieur [Z] [M], établie le 20 février 2022, ainsi que celles de Messieurs [U] [B] et [L] [J] (pièces n°6 à 8 de l’appelant), sont accompagnées des relevés de carrière de chacun des témoins (pièces n°6A, 7A et 8A de l’appelant), démontrant que ceux-ci ont travaillé au puits [13] aux périodes d’emploi de Monsieur [N] dans ce même puits.
Elles s’avèrent par ailleurs suffisamment circonstanciées pour démontrer que les témoins ont travaillé directement avec Monsieur [N], même si ceux-ci ne spécifient pas les postes occupés auprès de l’appelant. Ainsi, le fait que les témoins n’aient pas indiqué avoir occupé les mêmes postes que l’appelant ne porte pas atteinte à leur crédibilité à partir du moment où, sur les chantiers, les mineurs affectés au fond occupaient côte à côte des fonctions différentes et complémentaires, nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
Par ailleurs, si les attestations produites comportent des termes similaires avec d’autres attestations produites dans d’autres procédures, il n’y a néanmoins pas lieu de les écarter de ce seul fait. Si ces témoins, ont pu, compte tenu de la similitude de leurs écrits, avoir reçu une aide pour rédiger de manière efficiente les faits vécus qu’ils souhaitaient rapporter dans plusieurs procédures, cette aide à la rédaction ne remet pas en cause l’authenticité des témoignages personnels que chaque salarié a souhaité apporter.
Aussi le caractère probant de ces attestations sera-t-il retenu par la cour.
Les témoins apportent les informations suivantes dans leurs attestations, s’agissant des moyens utilisés par l’employeur pour remplir son obligation de prévention et de sécurité :
Monsieur [M] : « on avait bien un masque mais il était inefficace avec la grande quantité de poussière qu’il y avait. En plus, il faisiat très chaud et on transpirait beaucoup, il y avait également de l’humidité et donc le masque était mouillé et la poussière collait au masque. Quand celui-ci était bouché et qu’on arrivait plus à respirer, on le retirait pour le secouer, mais au bout d’un certain temps, il était complètement bouché et il fallait le retirer pour réussir à respirer… ».
Monsieur [B] : «en début de poste, un collègue allait chercher une boite de masques en papier pour l’équipe, on avait donc un masque par personne et pour tout le poste, alors que normalement il fallait les changer au bout de 30 minutes. Ces masques (‘) ne nous servaient pas vraiment, parce qu’ils se bouchaient très vite vu qu’on transpirait beaucoup à cause de la chaleur et l’humidité (‘) les buses qui devaient normalement réduire la poussière dans l’air n’étaient pas très efficaces. Elle se bouchaient très vite et le système restait à l’arrêt parfois même pendant plusieurs jours parce que la bande ne devait jamais s’arrêtait pour que la production continue… »
Monsieur [J] : « le système d’arrosage qui était utilisé servait plus à éviter la surchauffe lors du forage par la haveuse. Cet arrosage n’était pas du tout efficace contre les poussières qui étaient toujours en suspension et formaient un nuage autour de nous. Les masques mis à disposition étaient fournis en quantité limitée. Leur utilisation n’était pas obligatoire et le type fourni était inadapté à nos conditions de travail (il se colmaté rapidement du fait de l’humidité, transpiration, poussières envahissantes)… ».
Il résulte de ces attestations que Monsieur [N] était muni de masques jetables ou en papier pas suffisamment résistants et nombreux pour qu’il puissent en porter un pendant toute la durée de son poste, compte tenu de leur obstruction rapide. En outre, le système d’arrosage n’était pas employé à toutes les étapes, et était insuffisant pour contrer l’empoussièrement très fréquent de l’air qu’il respirait.
Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l’AJE qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité de ces témoins et sur le caractère authentique des faits qu’ils relatent.
Ces témoignages concordants confirment que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues [7], n’ont ainsi pas pris les mesures nécessaires pour protéger Monsieur [N] des dangers que représentait l’inhalation des poussières de silice, dès lors qu’ils n’ont pas mis en place des mesures individuelles et collectives efficaces et suffisantes.
L’AJE développant ainsi seulement des considérations d’ordre général qui ne contiennent aucun élément sur les conditions de travail précises de Monsieur [N] et sur la qualité des moyens de protection mis à la disposition du salarié, il doit donc être retenu que les [7], qui avaient conscience du danger auquel l’appelant était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle et collective nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.
Il s’ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau 25 dont est victime Monsieur [N] doit être déclarée due à la faute inexcusable des HBL devenues [7] et que le jugement entrepris est donc infirmé.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES
– Sur la majoration de la rente
Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente revenant à la victime, au fait que cette majoration suivra l’évolution du taux d’IPP en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant.
En conséquence, le jugement entrepris est infirmé sur ces points et il doit être fait droit à ces demandes formées par Monsieur [N].
– Sur les préjudices personnels de Monsieur [N]
Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».
Le jugement entrepris a débouté Monsieur [N] de ses demandes d’indemnisation.
Sur les souffrances physiques et morales
Monsieur [N] sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 15 000 euros, et de son préjudice physique à hauteur de 3000 euros.
Il fait valoir qu’il résulte de la rédaction de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorés sont totalement distincts des préjudices visés à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale.
Il invoque l’existence de souffrances physiques et d’un préjudice moral caractérisé par la spécificité de la situation des victimes de la silicose, amenées à constater le développement de la maladie et son évolution.
L’AJE fait valoir que les souffrances physiques et morales invoquées par la victime ne sont pas démontrées par les pièces médicales produites, et ce en l’absence de période de maladie traumatique et à défaut d’élément de preuve pertinent au soutien de sa demande.
La caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.
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ll résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23947).
En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.
Dès lors Monsieur [N] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales, sous réserve qu’elles soient caractérisées.
S’agissant des souffrances physiques, si Monsieur [N] fait état d’attestations de proches témoignant de sa perte de capacité respiratoire et d’une dégradation de son état physique (fatigue, toux), force est de constater qu’il ne produit aucune pièce médicale permettant de rattacher cet état aux conséquences physiques de son affection.
En conséquence, Monsieur [N] sera débouté de sa demande au titre des souffrances physiques endurées.
S’agissant du préjudice moral, Monsieur [N] était âgé de 65 ans lorsqu’il a appris qu’il était atteint de silicose.
Les attestations de ses proches, et notamment de son fils (ses pièces 9 à 11), montrent que Monsieur [N] est affecté moralement par sa maladie, et manifeste une anxiété particulière liée à celle-ci, les décès d’anciens collègues le touchant particulièrement.
Ces éléments caractérisent l’anxiété indissociable du fait de se savoir atteint d’une maladie irréversible due à l’exposition aux poussières de silice et liée aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance, qui sera réparée par l’allocation d’une somme de 15 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l’âge de Monsieur [N] au moment de son diagnostic.
Sur le préjudice d’agrément :
L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.
Monsieur [N] sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’agrément à hauteur de 4500 euros.
L’AJE s’oppose à cette prétention, indiquant que l’appelant n’apporte pas la preuve de ce qu’il aurait subi un préjudice, et que la survenance de sa maladie l’aurait empêché de poursuivre une activité sportive ou de loisirs spécifique.
En l’espèce, force est de constater que Monsieur [N] ne rapporte aucunement la preuve de la pratique régulière, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir, quelle qu’elle soit.
Sa demande présentée au titre du préjudice d’agrément sera ainsi rejetée.
C’est en définitive la somme de 15 000€ que la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM, devra verser à Monsieur [N] au titre du préjudice moral endurée.
SUR L’ACTION RÉCURSOIRE DE LA CAISSE
Aux termes de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, que « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».
Les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d’indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l’article L.452-3.
Dès lors, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de l’AJE.
Par conséquent, l’AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu’elle sera tenue d’avancer au titre de la majoration de la rente et du préjudice moral de Monsieur [N].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
En application de l’article 1153-1 du code civil ancien devenu 1231-7 du code civil, les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
L’issue du litige conduit la cour à condamner l’AJE à payer à Monsieur [N] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, l’AJE, partie succombante, sera condamné aux dépens d’appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris du 30 juin 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Metz sauf en ce qu’il a :
déclaré Monsieur [N] recevable en sa demande;
déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM- l’Assurance Maladie des Mines ;
Statuant à nouveau,
DIT que la maladie professionnelle déclarée par Monsieur [Z] [N] et inscrite au tableau 25 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de l’EPIC [7], venant aux droits des Houillères du bassin de Lorraine, son employeur ;
ORDONNE à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, de majorer au montant maximum la rente versée en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale ;
DIT que cette majoration sera versée directement par la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ‘ l’Assurance Maladie des Mines, à Monsieur [Z] [N] ;
DIT que cette majoration pour faute inexcusable suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente de Monsieur [N], en cas d’aggravation de son état de santé ;
DIT qu’en cas de décès de Monsieur [Z] [N] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant ;
DEBOUTE Monsieur [N] de sa demande au titre du préjudice causé par les souffrances physiques et le préjudice d’agrément;
FIXE l’indemnité en réparation des souffrances morales subies par Monsieur [Z] [N] du fait de la pathologie tableau 25 à la somme de 15 000 euros ;
DIT que la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM devra verser cette somme à Monsieur [N] ;
DIT que l’ensemble des sommes allouées portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l’article 1231-7 du code civil ;
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’Etat à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, que cet organisme sera tenu d’avancer sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale ;
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’Etat à payer à Monsieur [N] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’Etat aux dépens de première instance et d’appel
Le Greffier Le Président