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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
ARRÊT AU FOND
DU 23 NOVEMBRE 2023
PH
N° 2023/ 373
N° RG 22/09186 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJUIW
E.A.R.L. EARL DE [Localité 22]
C/
[T] [J] veuve [P]
[N] [K]
[U] [H]
[Z] [E]
S.A. SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET D’ETABLISSEMENT R URAL PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR ‘ SAFER PACA
G.A.E.C. DE [Localité 32]
G.A.E.C. DE [Adresse 16]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SELARL CABINET LAMBALLAIS ET ASSOCIES
SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS
Me Marie SUZAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de DIGNE LES BAINS en date du 25 Mai 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 51 19-366.
APPELANTE
L’EARL DE [Localité 22] (Anciennement GAEC RECONNU DE [Localité 22]), dont le siège social est [Adresse 27], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités audit siège
représentée par Me Renata JARRE de la SELARL CABINET LAMBALLAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Erika JARRE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIMES
Madame [T] [J] veuve [P]
née le 16 Novembre 1956 à [Localité 33] (88) ([Localité 33]), demeurant [Adresse 17]
représentée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
SOCIÉTÉ D’AMÉNAGEMENT FONCIER ET D’ETABLISSEMENT RURAL PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR ‘ SAFER PACA, S.A., dont le siège social est [Adresse 26], représentée par son Directeur général délégué en exercice domicilié audit siège
représentée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
Monsieur [N] [K]
né le 27 Juillet 1996 à [Localité 19], demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Marie SUZAN, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
Mademoiselle [U] [H]
née le 11 Novembre 1998 à [Localité 15], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Marie SUZAN, avocat au barreau de MARSEILLE , plaidant
Monsieur [Z] [E]
né le 14 Novembre 1960 à [Localité 18], demeurant [Adresse 21]
représenté par Me Marie SUZAN, avocat au barreau de MARSEILLE , plaidant
G.A.E.C. DE [Localité 32], dont le siège social est [Adresse 5], pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège
représentée par Me Marie SUZAN, avocat au barreau de MARSEILLE , plaidant
G.A.E.C. DE [Adresse 16], dont le siège social est [Adresse 16], pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège
représentée par Me Marie SUZAN, avocat au barreau de MARSEILLE , plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Marc MAGNON, Président
Madame Patricia HOARAU, Conseiller
Madame Audrey CARPENTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Novembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Novembre 2023
Signé par Monsieur Marc MAGNON, Président et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES
Par deux actes notariés du 1er mars 2019 et un acte notarié du 6 mars 2019, établis conformément à la décision de rétrocession de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural Provence Alpes Côte d’Azur SAFER PACA :
– M. [Z] [E], a fait l’acquisition de Mme [T] [J] veuve [P], des parcelles sises à [Localité 25], cadastrées section ZD numéros [Cadastre 10] et [Cadastre 11], et ZN numéros [Cadastre 2] et [Cadastre 3], le tout pour une superficie de 4 hectares 62 ares 67 centiares,
– Mme [U] [H] a fait l’acquisition de la parcelle cadastrée section ZM numéro [Cadastre 1], pour une superficie de 28 hectares 38 ares 42 centiares,
– M. [N] [K] a fait l’acquisition des parcelles cadastrées section ZD numéros [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13] et ZN numéro [Cadastre 4], pour une superficie de 36 hectares 66 ares 06 centiares.
Se prévalant d’un bail rural sur les parcelles vendues par Mme [P], le groupement agricole d’exploitation en commun de [Localité 22] (GAEC reconnu de [Localité 22]) aujourd’hui EARL de [Localité 22], a par requête du 29 août 2019, saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Digne les Bains, pour se voir reconnaître à titre principal la qualité de fermier et corrélativement, solliciter la nullité des ventes passées en fraude de ses droits.
La tentative de conciliation a échoué.
Par jugement du 25 mai 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Digne-les-Bains a statué ainsi :
« DECLARE les interventions volontaires du GAEC DE [Adresse 16] et du GAEC DE [Localité 32] recevables,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par le GAEC DE [Localité 22] devenu l’EARL DE [Localité 22],
DEBOUTE le GAEC DE [Localité 22] devenu l’EARL DE [Localité 22] de toutes ses demandes,
REJETTE les demandes de dommages et intérêts formulées par le GAEC DE [Adresse 16], le GAEC DE [Localité 32] ainsi que par Monsieur [Z] [E],
CONDAMNE le GAEC DE [Localité 22] devenue l’EARL DE [Localité 22] à payer au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2.000,00 euros à Madame [T] [P], la SAFER Provence Alpes Côte d’Azur ainsi qu’à, pour l’ensemble, Monsieur [Z] [E], Madame [U] [H], Monsieur [N] [K], le GAEC DE [Adresse 16] et le GAEC DE [Localité 32],
CONDAMNE le GAEC DE [Localité 22] devenu l’EARL DE [Localité 22] aux entiers dépens de la présente instance,
DIT n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire de la présente décision. »
Par déclaration du 24 juin 2022, l’EARL de [Localité 22] a interjeté appel de ce jugement.
Un calendrier de procédure a été fixé avec l’accord des parties, à l’audience du 10 janvier 2023 pour leurs conclusions respectives avec fixation de l’audience de plaidoirie au 3 octobre 2023.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 30 août 2023, l’EARL de [Localité 22] demande à la cour :
Vu les articles 885 et 329 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 411-1, L. 411-4, L. 411-5, L. 411-11, L. 311-1, L. 412-12 du code rural et de la pêche maritime,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
– de réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a :
– débouté la SAFER et Mme [P] de la fin de non-recevoir qu’elles soulevaient tirée de la prescription de son action,
– débouté le GAEC de [Adresse 16], le GAEC de [Localité 32], Mme [U] [H], M. [N] [K], M. [Z] [E] de leurs demandes,
– dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
A titre liminaire :
– de juger les interventions volontaires des GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] ainsi que celle de la SAFER irrecevables,
A titre principal :
– de juger que Mme [P] a mis à sa disposition les terres en litige,
– de juger que les paiements relatifs aux aides surfaciques de la PAC perçus par Mme [P] sont la contrepartie onéreuse de la mise à disposition par elle de ses terres à elle-même,
– de juger que la fraude est caractérisée,
– de juger qu’elle est titulaire d’un bail rural soumis au statut du fermage sur les parcelles aux lieux dits [Localité 31] ZD [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13] [Localité 31] ; [Localité 14] ZM [Cadastre 1] ; [Localité 23] ZN [Cadastre 4] ; [Localité 24] ZN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ; [Localité 28] ZD [Cadastre 10] et [Cadastre 11] depuis l’année culturale 2006,
A titre subsidiaire :
– de juger que la convention verbale liant Mme [T] [P] et elle-même est un bail à métayage soumis au statut du fermage sur les parcelles aux lieux dits [Localité 31] ZD [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13] [Localité 31] ; [Localité 14] ZM [Cadastre 1] ; [Localité 23] ZN [Cadastre 4] ; [Localité 24] ZN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ; [Localité 28] ZD [Cadastre 10] et [Cadastre 11] depuis l’année culturale 2006,
– de la convertir en bail rural en l’absence de participation de Mme [P] aux charges d’exploitation et à la conservation par le GAEC de la récolte,
– de fixer le prix et les conditions du bail conformément au bail type applicable,
A titre infiniment subsidiaire :
– de juger que la convention verbale liant Mme [T] [P] et elle-même est un bail à métayage soumis au statut du fermage sur les parcelles aux lieux dits [Localité 31] ZD [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13] [Localité 31] ; [Localité 14] ZM [Cadastre 1] ; [Localité 23] ZN [Cadastre 4] ; [Localité 24] ZN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ; [Localité 28] ZD [Cadastre 10] et [Cadastre 11] depuis l’année culturale 2006,
– de fixer le prix et les conditions du bail à métayage conformément au bail type applicable,
En tout état de cause et par voie de conséquence :
– de débouter Mme [P], la SAFER, Mme [U] [H], M. [Z] [E], M. [N] [K], les GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– de déclarer irrecevables les demandes nouvelles des intimées et notamment, celle tendant à ce que soit ordonné une expertise graphologique ou en inopposabilité du bail en cas d’annulation des ventes,
– d’ordonner la réintégration du preneur sur les terres litigieuses,
– de déclarer qu’elle dispose d’un droit de préemption prioritaire compte tenu de sa qualité de fermier ou subsidiairement de métayer,
– de déclarer que les formalités de notification des ventes n’ont pas été réalisées par la bailleresse et le notaire,
– d’annuler les actes de vente passés le 1er mars et le 6 mars 2019 au profit de Mme [U] [H] (vol 2019 P 2018), M. [Z] [E] (vol 2019 P 2019), M. [N] [K] (2019 P 2553),
– d’ordonner la publication du jugement aux frais de ceux qui succomberont,
– de déclarer que le bail s’est renouvelé pour l’année culturale 2015, et ce jusqu’à l’année 2024,
– d’ordonner la mise en conformité du fermage avec l’arrêté préfectoral n° 2013-2020 pris par le préfet des Alpes de Haute-Provence et en fixer le montant,
– d’ordonner à Mme [P], aux acquéreurs ou tout exploitant de leur chef de remplir toutes clauses de transfert utiles en la désignant comme repreneur des DPB activés sur les terres affermées,
– de juger que le dépôt des clauses devra intervenir auprès de la DDT des Alpes de Haute Provence, en respectant le calendrier imposé par l’administration, au moment de la constitution par les parties de leur dossier PAC annuel,
– de condamner solidairement la SAFER et Mme [T] [P] au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– de condamner solidairement Mme [T] [P] et la SAFER au paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’EARL de [Localité 22] soutient en substance :
Sur les fins de non-recevoir :
– qu’il n’y a pas de prescription de son action :
– le point de départ de la prescription quinquennale est la date de publication des actes de vente à la publicité foncière,
– elle ne demande pas la requalification en bail rural du contrat de prestation de services, mais la reconnaissance d’un bail rural verbal,
– Mme [P] ne produit aucun contrat écrit qui afficherait une qualification, prévoirait une durée et des conditions d’exécution particulières,
– il est de jurisprudence constante qu’en cas de simulation constitutive de fraude, celle-ci a pour effet de suspendre la prescription pendant la durée du contrat,
– la Cour de cassation précise que la circonstance que le bail soit toujours en cours au moment de l’introduction de l’action, a pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription, ce qui rend sans effet l’arrêt Safer/Tezenas invoqué par la SAFER,
– aucun agriculteur n’intenterait un procès à sa bailleresse pendant la relation contractuelle,
– le caractère d’ordre public du statut du fermage ne permet pas de conforter une situation qui lui serait contraire,
– que les GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] ne justifient pas de leur droit d’agir :
– il n’existe pas de lien suffisant entre la demande aux fins de reconnaissance de la qualité de fermier et leurs demandes de réparation,
– ils ne sont pas attributaires des biens en litige,
– la circonstance que Mme [H] et M. [K] exerceraient leurs activités au sein de ses structures et auraient un mandat de représentation, n’est pas de nature à leur conférer la capacité et l’intérêt à agir,
– pour la première fois en cause d’appel il est produit une convention de mise à disposition, mais qu’il faut apporter la preuve de son exécution,
– que la SAFER n’a pas intérêt à agir :
– la circonstance selon laquelle les actes ont été passés sous son égide, est insuffisante à la recevabilité de son intervention, fut-elle accessoire,
– elle n’explique pas en quoi elle serait exposée par une éventuelle annulation de la vente, car elle n’est pas chargée de représenter les intérêts des bailleurs, vendeurs, ou acheteurs de biens ruraux dans le cadre du mécanisme légal de substitution,
Sur la demande de reconnaissance d’un bail rural :
– que le tribunal n’a pas su apprécier le montage frauduleux organisé par Mme [P] pour conserver la maîtrise foncière de ses terres,
– qu’elle concentre les critères de l’article L. 411-1 du code rural, ayant pris en charge l’exploitation des terres de manière durable, effective, exclusive et continue, ce qui est confirmé par des témoignages,
– que la demande en expertise graphologique est nouvelle et ne repose sur aucun élément nouveau,
– qu’elle jouissait non seulement de l’exploitation, mais également du droit de chasser en sa qualité de fermier,
– qu’elle démontre que Mme [P] était dépourvue des moyens d’exploitation pour avoir liquidé le matériel agricole appartenant à son époux, et ne verse aucune pièce récente d’une activité agricole, si ce n’est des pièces en lien avec des demandes de subventions,
– que le tribunal n’a pas tenu compte qu’un autre agriculteur se revendique fermier de terres de Mme [P] sur une autre commune ([Localité 30]) corroborant qu’elle est coutumière de cette pratique,
– qu’il faut se référer seulement aux trois dernières années, durée nécessaire pour conférer au preneur un droit de préemption, soit 2016, 2017 et 2018,
– le bénéfice des aides de la PAC concernant les parcelles en litige est insuffisant, car il peut être un agriculteur inactif ou imposteur,
– l’affiliation à la MSA est aussi insuffisante,
– les pièces font état de revenus agricoles qui ne sont pas plausibles en comparaison de la superficie en cause,
– il n’y a aucune charge d’exploitation entre 2016 et 2018,
– que les terres litigieuses n’étaient pas plantées en lavandes, mais en cultures de céréales, orge, sainfoin, blé dur et prairies pour la production de fourrage,
– la proportion dérisoire de récolte a une explication simple, c’est que Mme [P] exigeait la remise de versements éparses et la condition d’apparaître comme apporteur à la coopérative, pour pouvoir justifier du maintien des aides en cas de contrôle,
– Mme [P] n’a pas répondu à la sommation faite d’avoir à verser aux débats son cahier de suivi technique des cultures et notamment des suivis phytosanitaires,
– Mme [P] soutient pour la première fois en cause d’appel qu’elle pratiquait le gel des terres pour tenter de justifier des raisons pour lesquelles elle est incapable de produire une facture de semences ou ventes de récoltes depuis 2014,
– les factures établies par Mme [P] à l’ordre du GAEC et celles émises par le GAEC à l’ordre de Mme [P], n’ont pas été réglées, Mme [P] n’ayant jamais vendu la moindre production au GAEC et celle-ci ne versant pas le justificatif des paiements de la prestation qu’elle dit avoir fait réaliser par le GAEC les années 2016 à 2018,
– que la contrepartie financière était que Mme [P] retenait les aides de la politique agricole commune accordée en contrepartie de l’exploitation exercée par elle, appelante,
– que les deux derniers critères, à savoir l’exercice d’une activité agricole et l’usage indéniablement agricole du fonds sont acquis,
Sur la demande de nullité des ventes :
– que la bailleresse n’a pas respecté ses obligations alors qu’elle remplissait les conditions de préemption,
– que contrairement à ce qui est soutenu, elle n’est pas propriétaire de terres, ainsi que le démontre la demande de renseignement à la publicité foncière, qui révèle aucun bien en propriété mais seulement un bail rural à long terme publié, alors que la surface prise en compte pour vérifier le respect de cette condition, ne sont pas les terres exploitées mais en propriété,
– que les ventes étant annulées, le débat sur l’opposabilité du bail au visa de l’article 1743 du code civil aux rétrocessionnaires, n’a pas lieu d’être, s’agissant d’une demande nouvelle irrecevable,
– qu’elle est fondée à former une demande de révision du prix du fermage en tenant compte des dispositions de l’arrêté n° 213-2020 relatif au statut du fermage et du métayage,
– qu’il en est de même pour le transfert des droits à paiement,
– qu’elle subit un préjudice du fait de la privation du foncier,
Sur la demande subsidiaire de reconnaissance d’un bail à métayage :
– que Mme [P] reconnaît qu’elle n’exploitait pas en direct les terres physiquement exploitées par elle, appelante,
– que Mme [P] est incapable de justifier des paiements de factures de prestations de service 2016, 2017 et 2018,
– que le constat de l’impossibilité pour Mme [P] de démontrer le sort des produits de l’exploitation, aurait dû conduire le tribunal à considérer qu’elle n’en conservait pas l’intégralité pour l’abandonner en partie à elle, appelante,
– qu’il faut reconnaître un métayage puis sa conversion en bail rural, car Mme [P] ne participait pas aux charges d’exploitation,
Sur les demandes reconventionnelles de dommages et intérêts :
– que les rétrocessionnaires versent aux débats les mêmes pièces qu’en première instance,
– qu’aucune impossibilité d’édifier ou d’exploiter n’est démontrée.
Dans ses conclusions d’intimée déposées et notifiées sur le RPVA le 23 mai 2023, Mme [T] [J] veuve [P] demande à la cour :
Vu l’article 2224 du code civil,
Vu l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l’article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l’article L. 412-5 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces et la jurisprudence,
In limine litis :
– de réformer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Digne-les-Bains du 25 mars 2022 en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
– dès lors, et au visa de l’article 2224 du code civil, de déclarer l’EARL de [Localité 22] prescrite en sa demande de requalification en bail rural,
A titre principal :
– d’écarter des débats les pièces produites par l’EARL de [Localité 22], numérotées dans le bordereau de communication de pièces 12 et 13, à savoir :
– Attestation de M. [V] (pièce adverse n°12),
– Attestation de M. [B] (pièce adverse n°13),
– à tout le moins, de procéder à la vérification de ces pièces conformément aux articles 299 et 287 à 295 du code de procédure civile, y compris une expertise graphologique,
– de confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Digne-les-Bains du 25 mars 2022 en ce qu’il a débouté le GAEC de [Localité 22] devenu l’EARL de [Localité 22] de toutes ses demandes,
– dès lors, de débouter purement et simplement l’EARL de [Localité 22] de sa demande tendant à la reconnaissance d’un bail rural sur les parcelles cadastrées section ZD [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13], ZM [Cadastre 1], ZN [Cadastre 4], ZN [Cadastre 2] et [Cadastre 3] et ZD [Cadastre 10] et [Cadastre 11],
A titre subsidiaire :
– de débouter l’EARL de [Localité 22] de sa demande de nullité de vente,
– de débouter l’EARL de [Localité 22] de sa demande de requalification en bail à métayage,
– de débouter l’EARL de [Localité 22] de sa demande en dommages et intérêts,
– de débouter l’EARL de [Localité 22] de ses demandes afférentes aux DPB,
– plus généralement, de débouter l’EARL de [Localité 22] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– de condamner l’EARL de [Localité 22] aux entiers dépens d’instance, ainsi qu’à la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] [J] veuve [P] fait essentiellement valoir :
Sur la prescription de la demande de l’EARL de [Localité 22] :
– qu’il ressort des pièces que la situation des parties ne peut s’analyser qu’en contrat d’entreprise, dont l’action en requalification aurait dû être engagée au plus tard en juin 2013,
– que les ventes ne sont d’aucune influence,
Sur le fond :
– qu’elle exploitait régulièrement en tant qu’exploitante agricole l’ensemble de la propriété,
– elle bénéficie d’une autorisation d’exploiter délivrée le 23 juin 2005,
– elle a été déclarée conjoint collaborateur du 1er janvier 1999 au 21 août 2002, puis chef d’exploitation du 1er septembre 2002 au 31 novembre 2018,
– elle a exploité l’ensemble de sa propriété tel que justifié par le relevé d’exploitation,
– elle a assumé les charges d’exploitation à savoir charges sociales, assurances professionnelles, mise en culture, ainsi que les factures du GAEC de [Localité 22] de 2011 à 2018,
– elle a perçu les revenus de cette exploitation que ce soit au titre des primes PAC que de la vente des productions réalisées sur la période notamment de 2013 à 2018, ou encore de la vente de foin ou d’orge au GAEC de [Localité 22] en 2015, 2016, 2017 et 2018,
– qu’il ne peut lui être reproché d’avoir fait appel à des prestataires de services, qu’elle produit les factures de prestation de service émises par l’EARL de [Localité 22],
– qu’il ne peut lui être reproché une faible production et des achats de produits phytosanitaires en petite quantité,
– que jusqu’à preuve du contraire l’existence d’un bail rural exige la démonstration par celui qui prétend en être titulaire, d’un versement d’une somme au profit du propriétaire et non l’inverse,
– qu’elle justifie de la vente de ses productions notamment au GAEC de [Localité 22],
– qu’il est diffamatoire de la part de l’EARL de [Localité 22] de soutenir ou laisser entendre qu’elle aurait perçu des aides PAC de façon indue,
– que les attestations 12 et 13 comportent la même écriture, qui est identique à celle de MM. [W] (pièce n° 48) et doivent donc être rejetées ou vérifiées, que les autres sont dénuées de pertinence,
– qu’il n’y a pas de contrepartie onéreuse prouvée,
– que de même, la charge de la preuve d’un bail à métayage pèse toujours sur l’EARL de [Localité 22].
Dans ses conclusions d’intimée déposées et notifiées sur le RPVA le 30 mai 2023, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural Provence Alpes Côte d’Azur, SAFER PACA, demande à la cour :
– de la recevoir en son intervention volontaire,
– de réformer le jugement en ce qu’il a déclaré l’EARL de [Localité 22] recevable en sa demande de requalification,
Au visa de l’article 2224 du code civil,
– de déclarer l’EARL de [Localité 22] prescrite en sa demande,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de requalification,
– de débouter l’EARL de [Localité 22] de sa reconnaissance d’un bail verbal sur les parcelles cadastrées section ZD [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 9], [Cadastre 12], [Cadastre 13], ZM [Cadastre 1], ZN [Cadastre 4], ZN [Cadastre 2], [Cadastre 3], ZD [Cadastre 10] et [Cadastre 11] sises sur la Commune de [Localité 25],
– de la débouter également de plus fort de sa demande tendant à l’annulation des actes des 1er et 6 mars 2019,
– plus généralement, de la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– de condamner l’EARL de [Localité 22] aux entiers dépens, ainsi qu’à une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAFER PACA argue :
Sur la recevabilité de son intervention volontaire :
– qu’elle intervient à titre accessoire au soutien de Mme [P] et des rétrocessionnaires,
– que les actes de vente ont été passés sous son égide, tant pour les décisions de rétrocession, que pour le cahier des charges visé aux actes,
Sur la forclusion de la demande de requalification :
– que l’argumentation du GAEC de [Localité 22] consiste à soutenir que c’est à l’appui d’un arrangement original qu’il exploite la propriété depuis 2006,
– que dès lors conformément aux dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, il aurait dû engager son action avant 2012 au plus tard,
– qu’on s’inscrit dans le cadre d’une demande de requalification d’un contrat, selon les propres conclusions du GAEC de [Localité 22],
– que l’arrêt du 23 novembre 2017 (Safer/Tezenas) est parfaitement applicable, et que l’arrêt du 10 septembre 2020, ne le remet pas en cause,
– que depuis 2011, au lieu de contester la réalité du contrat de prestation et revendiquer un bail rural, le GAEC de [Localité 22] a au contraire accepté les paiements réalisés par Mme [P], que l’EARL est parfaitement rodée à ces subtilités puisqu’elle exploite de nombreuses surfaces dans le cadre de baux ruraux écrits ou verbaux, qu’elle a décidé de revendiquer ce statut par pure opportunité le jour où Mme [P] a décidé de vendre ses biens et où la SAFER a orienté ses biens vers d’autres exploitations plus prioritaires,
– que la seule question à se poser est de savoir à quelle date le GAEC de [Localité 22] connaissait les éléments utiles pour établir l’irrégularité de la situation et exercer son action en requalification en bail rural,
– que la vente des parcelles est sans effet sur les droits que prétend revendiquer l’EARL de [Localité 22],
Subsidiairement au fond :
– qu’elle fait siennes les explications de Mme [P], qui établit avoir effectivement et régulièrement exploité cette propriété,
– que dans le cadre des opérations de rétrocession de la propriété de Mme [P], elle a eu maille à partir avec M. [C] [W] qui est le fils de M. [Y] [W] et le neveu de M. [F] [W], tous deux associés du GAEC de [Localité 22], qu’il a déposé sa candidature laquelle n’a pas été retenue, qu’à aucun instant M. [C] [W] n’a indiqué que le GAEC de [Localité 22] aurait été titulaire d’un bail sur les 69 hectares objet de la rétrocession pour lesquels il était candidat, qu’on ne peut croire que son père et son oncle n’aient pas été informés de cette candidature, qu’il appartenait à M. [C] [W] de contester la décision de rétrocession dans les six mois de celle-ci, ce qui n’a pas été fait,
– qu’aux termes de l’article L. 412-5 du code rural, le bénéfice du droit de préemption est conditionné par : avoir exploité pendant une durée au moins égale à trois ans, ne pas être propriétaire de parcelles présentant une superficie supérieure à trois fois le seuil mentionné à l’article L. 312-1 du code rural, que la cour est totalement ignorante des surfaces dont l’EARL est propriétaire, qu’en tout état de cause l’EARL de [Localité 22] n’a pas obtenu l’autorisation d’exploiter les parcelles sur lesquelles elle revendique un fermage,
– qu’en tout état de cause, au visa de l’article 1743 du code civil, le bail non enregistré est inopposable à l’acquéreur du fonds dans la mesure où il n’a pas acquis date certaine.
Dans leurs conclusions d’intimées déposées par courrier le 5 mai 2023 et notifiées aux autres parties, M. [N] [K], Mme [U] [H], M. [Z] [E] et les GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] demandent à la cour :
Vu les articles L. 411-1 et suivants, L. 331-1 et suivants du code rural,
Vu les articles 1303 et suivants, 1240 du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
A titre principal :
– de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré recevables les interventions volontaires des GAEC de [Adresse 16] et de [Localité 32],
– de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté l’EARL de [Localité 22] de toutes ses demandes,
– de réformer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté leurs demandes indemnitaires et statuant à nouveau,
– de condamner l’EARL de [Localité 22] représentée par son gérant au paiement de la somme de 20 000 euros au GAEC de [Adresse 16] dont est associé M. [N] [K],
– de condamner l’EARL de [Localité 22] représentée par son gérant au paiement de la somme de 20 000 euros au GAEC de [Localité 32] dont est associée Mme [U] [H],
– de condamner l’EARL de [Localité 22] représentée par son gérant au paiement de la somme de 5 000 euros à M. [Z] [E],
A titre subsidiaire, si par impossible la cour devait faire droit à la demande de l’EARL de [Localité 22] :
– de condamner l’EARL de [Localité 22] sur le fondement de l’enrichissement sans cause au remboursement du coût de plantation des 14 hectares de lavandin, soit 44 200 euros au profit du GAEC de [Localité 32] dont est associée Mme [U] [H],
En toutes hypothèses :
– de condamner l’EARL de [Localité 22] représentée par son gérant ou tout succombant au paiement de la somme de 3 000 euros à chacun des concluants au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [N] [K], Mme [U] [H], M. [Z] [E] et les GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] développent les moyens suivants :
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire des GAEC :
– qu’ils sont tous deux enregistrés au RCS et ont la personnalité morale,
– que Mme [H] a intégré le GAEC de [Localité 32] et est une de ses dirigeantes, que ce groupement exploite aujourd’hui les terres revendiquées par l’EARL de [Localité 22],
– que M. [K] est membre du GAEC de [Adresse 16], qui exploite les terres revendiquées par l’EARL de [Localité 22],
Sur l’absence de qualité de fermier de l’EARL de [Localité 22] :
– qu’il n’est pas démontré la mise à disposition de terre par Mme [P], l’existence d’un plan de chasse ne démontrant en rien l’exploitation des terres, et la seule relation juridique étant un contrat d’entreprise,
– qu’il n’est pas démontré le caractère onéreux de cette prétendue mise à disposition, que l’affirmation selon laquelle Mme [P] aurait exigé de percevoir les aides surfaciques PAC alors que les terres étaient exploitées par le GAEC de [Localité 22] n’étant étayé par aucun élément probant, que la jurisprudence est claire sur le fait que les droits à paiement unique et la préservation de ces droits au bénéfice du propriétaire des terres ne sont pas de nature à constituer la contrepartie onéreuse de la mise à disposition des terres, que le GAEC de [Localité 22] se prévaut aujourd’hui d’une fraude à laquelle il aurait participé à mettre en relation avec la règle « nemo auditur »,
– qu’il n’est pas démontré l’existence d’un bail à métayage,
Sur leurs demandes :
– que les clauses contenues dans leur acte respectif ne peuvent constituer une cause exonératoire de responsabilité pour l’EARL de [Localité 22],
– qu’ils subissent depuis le mois d’août 2020 la procédure intentée par le GAEC devenu l’EARL de [Localité 22] et qu’ils ne peuvent exploiter leur bien dans des conditions normales et optimales, ayant été empêchés de construire ou faire construire un bâtiment sur le bien acquis, sans l’accord de la SAFER, de même que tous travaux sur les parcelles autres que ceux contribuant à une amélioration du fonds en père de famille doivent faire l’objet d’une demande préalable auprès de la SAFER,
– que le bien acquis est leur outil de travail et que le préjudice subi est indéniable et manifeste, s’agissant d’un préjudice économique,
– que le lien de causalité entre la faute commise par cette action en justice et le préjudice est démontré,
– que M. [K] n’a pas pu construire le hangar pour lequel il bénéficiait d’une proposition de financement intéressante, dans lequel il entendait entreposer le foin, ce qui a causé la perte d’une partie de foin,
– que Mme [H] a été retardée dans la plantation du lavandin, lequel produit douze mois après la plantation, puisqu’elle n’a obtenu l’autorisation de la SAFER qu’en septembre 2019,
– que M. [E] éleveur caprin, n’a pu utiliser les terres qu’en pâturage sans pouvoir y construire un abri pour ses bêtes et la mise en place d’une salle de traite.
L’arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties sont représentées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’étendue de la saisine de la cour
Aux termes de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il est constaté que le dispositif des conclusions de l’appelante comporte des demandes de « juger » et « déclarer » qui ne constituent pas toutes des prétentions, mais des moyens, si bien que la cour n’en est pas saisie.
Sur la recevabilité des interventions volontaires
Les interventions volontaires de la SAFER d’une part, des GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] d’autre part sont contestées.
En application des articles 328 et suivants du code de procédure civile, l’intervention volontaire est principale ou accessoire. Elle est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme et n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention. Elle est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Il est constaté que l’EARL de [Localité 22] ne s’était pas opposée à l’intervention de la SAFER en première instance, cette intervention étant qualifiée d’accessoire, dès lors que la SAFER ne formule aucune demande à son profit sauf au titre des frais de procédure.
Il ressort des pièces de la procédure que les actes de vente ont été passés par référence à une promesse de vente du 22 mars 2018, au profit de la SAFER avec possibilité pour la SAFER de se substituer toute personne physique ou morale qu’elle aura désignée. Dans ces actes de vente, la SAFER informe les acquéreurs qu’elle s’est substituée, des revendications de M. [C] [W] candidat non choisi, qui conteste d’une part la décision d’attribution de la SAFER, mais aussi fait valoir l’existence d’un bail rural. La SAFER y prend aussi des engagements à l’égard des acquéreurs pour le cas où la vente serait annulée.
L’intérêt de la SAFER à la conservation de ses droits est ainsi manifeste et il convient de déclarer recevable son intervention volontaire.
S’agissant des GAEC de [Adresse 16] et de [Localité 32], leur intervention est principale, puisqu’ils formulent des prétentions à leur profit.
Il est justifié que le GAEC de [Localité 32], dont les associés sont [R] [H] et [U] [H], a pour objet l’exploitation des biens agricoles apportés par ses associés. Mme [U] [H] est l’acquéreur des parcelles litigieuses en vertu de l’acte de vente contesté par l’EARL de [Localité 22]. Elle affirme qu’elle a apporté ses parcelles au GAEC dont elle est l’associée, mais ne formule aucune prétention pour elle-même.
Ces éléments sont suffisants pour établir le droit d’agir du GAEC de [Localité 32], en termes d’intérêt à pouvoir continuer à exploiter lesdites parcelles. Il doit donc être déclaré recevable en son intervention volontaire.
Quant au GAEC de [Adresse 16], il est produit une convention de mise à disposition des parcelles litigieuses, à son profit par M. [N] [K], le 15 mars 2019, dont il est par ailleurs établi qu’il est associé du GAEC de [Adresse 16] avec [A] [K] et [G] [K].
Ces éléments sont suffisants pour établir le droit d’agir du GAEC de [Adresse 16], en termes d’intérêt à pouvoir continuer à exploiter lesdites parcelles. Il doit donc être déclaré recevable en son intervention volontaire.
Le jugement appelé sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré recevables les interventions volontaires des GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16].
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Selon les dispositions de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 2224 du code civil créé par la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, l’article 2222 du même code précisant, qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En l’espèce, l’EARL de [Localité 22] revendique l’existence d’un bail rural verbal entre Mme [P] et elle-même, tandis que Mme [P] et la SAFER opposent que la relation entre Mme [P] et l’ancien GAEC de [Localité 22] s’analyse en un contrat d’entreprise ou prestation de service, passé en 2006, si bien que l’action en requalification de ce contrat serait prescrite.
Or, il est constaté qu’aucun contrat écrit n’est versé aux débats, si bien qu’il ne saurait être question de requalification d’un contrat, mais au contraire de la qualification d’une relation contractuelle dont il est prétendu qu’elle a pris fin au moment où Mme [P] a vendu les parcelles exploitées en vertu de cette relation contractuelle, en violation des règles instaurées par la loi pour protéger le preneur à bail rural.
Il est démontré que le 2 juillet 2018, la SAFER répondait négativement à la candidature de M. [C] [W] dans le cadre du projet d’attribution du bien foncier litigieux, et que le conseil de M. [C] [W] le contestait dans un courrier du 31 octobre 2018, en faisant notamment valoir à l’appui de la candidature déposée le 11 avril 2018, qu’il « réalise le travail des 69 ha 67 a et 15 ca à rétrocéder pour le compte de sa propriétaire depuis plus de six ans et utilise le hangar édifié sur la parcelle cadastrée section ZD n° [Cadastre 7] sur lequel mon client bénéficie d’un bail, ayant chaque année remis à Mme [P] 20 kilogrammes d’essence de lavandin quittancés ».
Il en ressort que dès le mois d’avril 2018, l’ancien GAEC de [Localité 22] dont sont associés M. [Y] [W] et M. [F] [W], bien que personne morale distincte de M. [C] [W], dont il n’est pas discuté qu’il est le fils et neveu des associés du GAEC, avait connaissance de la vente projetée sans respecter le droit de préemption résultant du bail rural revendiqué.
L’action engagée par l’ancien GAEC de [Localité 22] le 25 mai 2022 dans les cinq ans de la connaissance des faits lui permettant de l’exercer, n’est donc pas prescrite.
L’exception d’irrecevabilité de la demande sera donc rejetée et le jugement appelé confirmé sur ce point.
Sur la demande concernant le rejet des pièces de l’EARL de [Localité 22] n° 12 et 13
Mme [P] demande que ces attestations soient écartées car elles comportent la même écriture qui est celle de MM. [W], ou à tout le moins vérifiées sur le fondement de l’article 299 du code de procédure civile aux termes duquel « Si un écrit sous seing privé produit en cours d’instance est argué faux, il est procédé à l’examen de l’écrit litigieux comme il est dit aux articles 287 à 295. »
L’EARL de [Localité 22] oppose que la demande d’expertise graphologique est une demande nouvelle par suite irrecevable.
L’article 564 du code de procédure civile énonce qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
En l’espèce, il est constaté qu’il n’est pas formé une prétention nouvelle, mais simplement opposé le moyen tiré de la fausseté de témoignages et est proposée une modalité de vérification de ceux-ci.
Selon l’article 202 du code de procédure civile : « L’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés.
Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
Elle indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.
L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature. »
Ce texte laisse au juge du fond toute latitude pour apprécier la force probante des attestations, qui n’ont donc pas à être rejetées ab initio au motif qu’elles n’auraient pas été rédigées par la personne même qui apporte son témoignage.
Enfin, l’article 299 du code de procédure civile ne vise que les actes sous seing privé, ce qui n’est pas le cas d’une attestation en justice.
Sur la revendication principale d’un bail rural
Aux termes de l’article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime, « Toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l’article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l’article L. 411-2. Cette disposition est d’ordre public.
(‘)
La preuve de l’existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens. »
L’article L. 311-1 répute agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation.
Il est constant que la charge de la preuve de l’existence d’un bail rural appartient à celui qui s’en prévaut et par conséquent en l’espèce, à l’EARL de [Localité 22], qui affirme avoir la qualité de fermier sur les parcelles litigieuses, en arguant que Mme [P] est propriétaire non exploitante, qui ne dispose d’aucun moyen d’exploitation et qui frauduleusement a continué à bénéficier des aides de la PAC.
L’EARL de [Localité 22] en veut notamment pour preuve, le fait qu’un autre agriculteur se revendique fermier de terres de Mme [P] sur une autre commune, ce qui corroborerait qu’elle est coutumière de cette pratique.
A l’appui de son allégation selon laquelle Mme [P] a mis à sa disposition les parcelles litigieuses, pour l’exploitation agricole de celles-ci en contrepartie de la conservation totale de l’aide surfacique attribuée dans le cadre de la PAC, ce qui constitue selon elle la contrepartie financière de la mise à disposition, l’EARL de [Localité 22] verse aux débats notamment :
– sept attestations aux termes desquelles MM. [F] et [Y] [W] travaillaient les terres de Mme [P] et y faisaient pâturer leurs moutons depuis le décès de M. [P], ou encore étaient les métayers de Mme [P].
– le témoignage distinct de M. [E] établi deux mois après une première attestation, aux termes duquel « Mme [P] a dû se débarrasser du matériel afférent à l’exploitation agricole car de suite après j’ai vu les frères [W] conduire l’exploitation agricole avec leur propre matériel »,
– une lettre rédigée par Mme [P] le 3 février 2012 dans laquelle elle déclare s’associer à MM. [W] [Y] et [F] dans le cadre du plan de chasse sur son territoire à [Localité 25] campagne [Localité 31], ainsi que les demandes de plan de chasse formées annuellement par MM. [W] [F] et [Y] sur le territoire de [Localité 25] « [Localité 20] » pour 182 hectares et « [Localité 31] » pour 70 hectares, de 2012 à 2019,
– un document à en-tête de la société GPS daté du 7 janvier 2020, aux termes duquel le directeur atteste que Mme [P] n’a pas acheté de semences et d’engrais depuis le 1er juillet 2014 à sa coopérative,
– une sommation interpellative notifiée à Mme [P] par le GAEC [O] et l’EARL de [Localité 22], le 6 avril 2021, pour obtenir des réponses à vingt-quatre questions, auxquelles Mme [P] a refusé de répondre compte tenu de la procédure en cours,
– la requête du 10 juin 2020 par laquelle le GAEC [O] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour revendiquer le statut de fermier des terres de Mme [P], situées sur la commune de [Localité 30] lieudit [Localité 29],
– un témoignage dans le cadre du dossier du GAEC [O], aux termes duquel une personne atteste avoir assuré le suivi technique des cultures du GAEC [O] situées sur la commune de [Localité 30] au lieudit [Localité 29] appartenant à Mme [P],
– une attestation de remise de déchets établie par la société GPS dont la date est illisible, comportant les mentions suivantes : « nom de l’exploitation : [P] ; nom du responsable : [W] »,
– les factures croisées établies par Mme [P] et le GAEC de [Localité 22] datées deux par deux, du 31 décembre 2016, du 31 décembre 2017 et 29 novembre 2018, d’un montant équivalent.
De son côté, Mme [P] qui conteste avoir donné ses terres, ni à bail rural ni en métayage à l’EARL de [Localité 22], justifie de son affiliation à la mutualité sociale agricole en qualité de conjoint collaborateur du 1er janvier 1999 au 31 août 2002, puis en qualité de chef d’exploitation du 1er septembre 2002 au 30 novembre 2018, produit notamment des factures d’achats auprès de la société GPS datées de 2008 à mai 2014, des factures établies par le GAEC de [Localité 22] du 30 décembre 2011 au 29 novembre 2018, des factures de distillation d’essence de lavandin de 2006 à 2015, des factures émises par la société GPS intitulés « factures d’apport » concernant les récoltes 2013, 2014, 2017 et 2018.
Elle verse également aux débats les factures émises par elle pour la vente de lavandin entre 2008 et 2015, et les factures adressées par elle, au GAEC de [Localité 22] de décembre 2015 au 29 novembre 2018.
En l’état de ces pièces, il n’est pas démontré que l’EARL de [Localité 22] s’est vue conférer par Mme [P], la disposition de la totalité des parcelles litigieuses d’une superficie de presque 70 hectares, en vue de leur exploitation agricole depuis l’année culturale 2006, ni qu’une contrepartie onéreuse était prévue consistant en la renonciation à l’aide distribuée dans le cadre de la politique agricole commune, à l’exploitant agricole.
En effet, les témoignages n° 11, 12 et 13, sont rédigés de manière quasiment identique et il est vérifié que les deux témoignages n° 12 et 13 ont manifestement été écrits par la même personne. Le témoignage n° 10 censé être celui de M. [M], contient en réalité le témoignage de M. [E], dont l’attestation figure en pièce n° 14. Les témoignages qui restent, sont extrêmement succincts et souffrent tous d’être non circonstanciés, ce qui est également le cas du témoignage distinct de M. [E] établi deux mois après, aux termes duquel « Mme [P] a dû se débarrasser du matériel afférent à l’exploitation agricole car de suite après j’ai vu les frères [W] conduire l’exploitation agricole avec leur propre matériel ».
En outre, ces témoignages ne sont étayés par aucune pièce utile. La pièce intitulée « cahier de cultures » comportant trois feuillets avec les dates de janvier 2016, avril 2016, mars 2017, avril 2017, avril 2018, est totalement dépourvue de force probante, dès lors qu’elle ne peut être confrontée à aucune autre. Le droit de chasse conféré sur les parcelles litigieuses est totalement distinct de l’exploitation desdites parcelles. L’aveu allégué de Mme [P] pour les faits de pacage, n’est pas non plus avéré.
Enfin, l’allégation d’une fraude organisée par Mme [P] concernant l’attribution de l’aide versée dans le cadre de la politique agricole commune, n’est pas non plus établie, le seul fait qu’un autre GAEC revendique un bail rural sur d’autres terres appartenant à Mme [P] étant insuffisant à prouver la fraude.
De même, le fait de multiplier les doutes sur les qualifications de Mme [P] pour être exploitante agricole, de souligner l’absence d’activité agricole réelle de Mme [P] au regard de sa dernière déclaration PAC par comparaison avec la superficie de l’exploitation, de critiquer sa méconnaissance des cultures plantées, de se prévaloir de l’absence de réponse à la sommation interpellative, ne peut constituer la démonstration d’une fraude, la charge de la preuve pesant sur l’EARL de [Localité 22].
De son côté, Mme [P] produit des éléments qui permettent de comprendre que l’EARL de [Localité 22] est intervenue à plusieurs occasions sur ses terres et a été réglée de ses prestations, étant souligné que Mme [P] démontre par la communication des relevés bancaires correspondant à la date d’émission des factures à en tête du GAEC de [Localité 22], qu’elle a procédé à des règlements correspondant auxdites factures, ou encore qu’une compensation a été opérée concernant la facture du 31 décembre 2016, ce qui correspond à un règlement lorsque des facturations réciproques sont établies, comme en l’espèce.
L’EARL de [Localité 22] sera donc déboutée de sa demande tendant à ce que soit reconnue l’existence d’un bail rural sur les parcelles litigieuses depuis l’année culturale 2006 et le jugement appelé sera confirmé sur ce point.
Sur la revendication subsidiaire d’un métayage
Le métayage est un type de bail rural dans lequel le propriétaire bailleur confie à un métayer, le soin de cultiver une terre, en échange d’une partie des produits.
Là encore, la charge de la preuve pèse sur celui qui revendique l’existence d’un métayage.
Or, il ne ressort d’aucune des pièces ci-dessus examinées, ni la mise à disposition de terres, ni une contrepartie prenant la forme d’un échange d’une partie des produits.
L’EARL de [Localité 22] sera donc déboutée de sa demande tendant à ce que soit reconnue l’existence d’un métayage sur les parcelles litigieuses depuis l’année culturale 2006 et le jugement appelé sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes consécutives
L’EARL de [Localité 22] étant déboutée de ses demandes, principale de reconnaissance d’un bail rural et subsidiaire de reconnaissance d’un métayage, ne peut qu’être déboutée de toutes ses demandes subséquentes comprenant celle de dommages et intérêts.
Le jugement appelé sera confirmé sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts
Il est constant que l’exercice d’une action en justice constitue un droit, qui ne peut dégénérer en abus que s’il est démontré une volonté de nuire de la partie adverse ou sa mauvaise foi ou une erreur ou négligence blâmable équipollente au dol, ce qui suppose de rapporter la preuve de ce type de faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux, dans les conditions prévues par l’article 1240 du code civil.
En l’espèce, si l’EARL de [Localité 22] a revendiqué judiciairement un bail rural pour remettre en cause les droits des acquéreurs et exploitants des parcelles litigieuses en vertu des actes de vente attaqués, et a échoué dans son action en justice, il n’est pas démontré que l’EARL de [Localité 22] a abusé de son droit d’agir en justice comme de son droit d’interjeter appel, dans une intention de leur nuire.
M. [Z] [E] et les GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16] seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et compte tenu de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement sur les dépens et les frais irrépétibles.
L’EARL de [Localité 22] qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d’appel et aux frais irrépétibles qu’il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [P], de la SAFER, de M. [Z] [E] et des GAEC de [Localité 32] et de [Adresse 16].
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable l’intervention volontaire de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural Provence Alpes Côte d’Azur, SAFER PACA ;
Confirme le jugement appelé en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne l’EARL de [Localité 22] aux dépens d’appel ;
Condamne l’EARL de [Localité 22] à verser à Mme [T] [J] veuve [P] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’EARL de [Localité 22] à verser à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural Provence Alpes Côte d’Azur, SAFER PACA la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’EARL de [Localité 22] à verser à M. [Z] [E], au GAEC de [Localité 32] et au GAEC de [Adresse 16], ensemble, la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président