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RUL/CH
[H] [O]
C/
S.A.S. SUPPLAY
S.A.S.U. INTERDESCO, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège.
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00378 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FWLO
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, décision attaquée en date du 20 Avril 2021, enregistrée sous le n° F 19/00641
APPELANT :
[H] [O]
[Adresse 6]
[Localité 3]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/003419 du 08/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Dijon)
représenté par Me Jean-Philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Marina CABOT, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉES :
S.A.S. SUPPLAY
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Marie-Laure VIEL de la SCP MARIE-LAURE VIEL, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN substituée par Me Lucille VENTALON, avocat au barreau de DIJON
S.A.S.U. INTERDESCO, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Aurélie FLAHAUT de la SELARL LLAMAS ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Clémence PERIA, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Février 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [H] [O] a conclu deux contrats de missions et plusieurs avenants de renouvellement avec la société de travail temporaire SUPPLAY pour travailler dans l’entreprise utilisatrice INTERDESCO entre le 30 juillet et le 31 octobre 2018.
A l’issue, la société INTERDESCO a régularisé avec lui un contrat à durée déterminée de six mois pour la période du 5 novembre 2018 au 3 mai 2019.
Le 7 décembre 2018, M. [O] a été victime d’un accident du travail et placé en arrêt de travail jusqu’au terme de son contrat à durée déterminée.
Par requête du 9 octobre 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin, notamment, de requalifier la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée.
Par jugement du 20 avril 2021, le conseil de prud’hommes de DIJON a rejeté toutes les demandes des parties.
Par déclaration du 17 mai 2021, M. [O] a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 6 juillet 2021, l’appelant demande de :
– réformer le jugement déféré,
– requalifier les missions temporaires et le contrat à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée,
– juger que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– juger le licenciement nul,
– condamner solidairement la société SUPPLAY et la société INTERDESCO à lui payer les sommes suivantes :
* 2 112,50 euros nets à titre d’indemnité de requalification,
* 2 112,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 211,25 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 396,09 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement,
* 12 675 euros nets à titre de dommages-intérêts,
* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire que les sommes salariales porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête prud’homale,
– ordonner à la société SUPPLAY et la société INTERDESCO de lui remettre les documents légaux rectifiés suivants : bulletins de paye, certificat de travail, attestation Pôle Emploi,
– condamner la société SUPPLAY et la société INTERDESCO aux dépens d’instance.
Aux termes de ses dernières écritures du 1er octobre 2021, la société SUPPLAY sollicite de :
in limine litis,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de nullité de la requête,
– déclarer nulle la requête déposée par M. [O],
– le débouter de toutes ses fins et demandes.
à titre principal,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande visant à déclarer irrecevable les demandes de M. [O] en raison de leur prescription,
– juger M. [O] prescrit en l’intégralité de ses demandes à l’égard de la société SUPPLAY et le débouter de toutes ses fins et demandes,
à titre subsidiaire,
– juger conformes aux dispositions précitées les contrats de mission conclus avec la société SUPPLAY,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de requalification en contrat à durée indéterminée et les diverses demandes afférentes,
à titre plus qu’infiniment subsidiaire,
– débouter M. [O] :
* de sa demande de condamnation in solidum au titre de l’indemnité de requalification,
* de ses demandes au titre des indemnités subséquentes, dommages et intérêts.
en toute hypothèse,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [O] à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais entrepris en première instance et en appel,
– limiter l’éventuelle responsabilité de la société SUPPLAY au prorata de sa relation de travail avec M. [O],
– débouter M. [O] de ses demandes à titre de remise de documents de fin de contrat modifiés,
– le condamner en tous les dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 5 octobre 2021, la société utilisatrice INTERDESCO sollicite de :
– confirmer le jugement déféré,
– débouter M. [O] de l’intégralité de ses demandes et prétentions,
– le condamner à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la nullité de la requête introductive d’instance :
Au visa des articles R.1452-2 du code du travail et 58 du code de procédure civile, la société SUPPLAY soutient que la requête initiale est nulle aux motifs que :
– M. [O] a quitté ses effectifs le 31 octobre 2018 sans formuler une quelconque réclamation ni demande de règlement amiable avant la saisine du conseil de prud’hommes le 9 octobre 2019, et ne justifie d’aucun motif légitime susceptible de l’exonérer de cette obligation,
– le fait que la procédure en demande de requalification ne soit pas soumise au préalable de l’audience de tentative de conciliation devant le bureau de conciliation et d’orientation n’exclut en rien l’application du texte précité qui ne cible nullement une telle exception à part l’urgence, ce qui n’était pas le cas de M. [O] qui a attendu près d’un an après la cessation de ses contrats de missions pour saisir la juridiction prud’homale.
M. [O] oppose qu’en la matière il n’y a aucune obligation légale à tenter une résolution amiable du litige avant de s’adresser au juge ni d’en faire mention dans la requête introductive, que l’absence dans l’acte saisissant la juridiction de la mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige n’est pas sanctionnée de nullité et au surplus la société SUPPLAY ne justifie d’aucun grief.
Aux termes de l’article R.1452-2 du code du travail, dans sa version issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 applicable au présent litige eu égard à la date de saisine du conseil de prud’hommes, la requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud’hommes. Elle comporte les mentions prescrites à peine de nullité à l’article 58 du code de procédure civile. Elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.
Contrairement à ce que soutient la société SUPPLAY, l’article 58 du code de procédure civile dans sa version antérieure au 1er janvier 2020 ne prescrit pas à peine de nullité la mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
Les seules mentions exigées à peine de nullité sont :
1° Pour les personnes physiques : l’indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ; Pour les personnes morales : l’indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l’organe qui les représente légalement,
2° L’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social,
3° L’objet de la demande.
Il s’en suit que l’absence de mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige dans la requête déposée par M. [O] ne peut entraîner la nullité de l’acte. Le moyen sera donc écarté.
II – Sur la prescription des demandes au titre des missions d’intérim :
Au visa de l’article 2254 du code civil, la société SUPPLAY soutient que :
– les contrats de mission signés par les parties intègrent, au titre des conditions générales du contrat de mission temporaire, une clause d’aménagement du délai de prescription rédigée comme suit :
“Conformément à l’article 2254 du code civil, la durée de la prescription est abrégée par accord entre l’entreprise de travail temporaire et le salarié à douze (12) mois. Cet aménagement conventionnel ne concerne que les actions en dommages et intérêts et les actions en indemnités de rupture pour quelque cause que ce soit et quel que soit le fondement juridique.” (article 14 – pièce n° 19)
ce qui inclut les actions en requalification d’un contrat de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée dont l’objectif est d’obtenir des dommages-intérêts notamment pour rupture abusive du contrat.
En conséquence, la prescription applicable au contrat conclu avec M. [O] est ramenée conventionnellement à 12 mois à compter de la date de conclusion du contrat de mission, soit jusqu’au 30 juillet 2019 pour le premier et le 17 septembre 2019 pour le second or la requête date du 9 octobre 2019. Il se trouve donc prescrit en l’intégralité de ses demandes.
M. [O] oppose que :
– les contrats de mission ne mentionnent pas que l’action en requalification est soumise à un délai de 12 mois puisqu’il est uniquement prévu que cela concerne les actions en dommages-intérêts et les actions en indemnités de rupture pour quelque cause que ce soit et quel que soit le fondement juridique,
– l’action en requalification n’est pas soumise à l’article 2254 du code civil mais aux dispositions particulières de l’article L1471-1 du code du travail prévoyant un délai de prescription de 24 mois s’agissant d’une demande en lien avec l’exécution du contrat,
– à supposer que la prescription ne soit que de 12 mois, la requête du 9 octobre 2019 n’est pas prescrite compte tenu du fait que s’agissant du premier grief formulé (motif du recours) les deux contrats d’intérim ont été suivis d’un contrat à durée déterminée dès le 5 novembre 2018, de sorte que la relation de travail s’est poursuivie et le délai de prescription n’a démarré qu’au terme du contrat à durée déterminée, soit le 3 mai 2019, et s’agissant du second (non respect du délai de carence) le deuxième contrat intérim a démarré le 17 septembre 2018, de sorte qu’au regard d’une prescription de deux années la requête du 9 octobre 2019 n’est pas tardive.
Néanmoins, la cour relève en premier lieu que les parties ne remettent pas en cause la validité de la clause contractuelle opérant réduction à douze mois le délai de prescription applicable aux actions en dommages-intérêts et les actions en indemnités de rupture pour quelque cause que ce soit et quel que soit le fondement juridique.
Elles s’opposent en revanche sur le champ d’application de celle-ci.
En l’espèce, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes le 9 octobre 2019 d’une demande aux fins de requalification de ses deux missions temporaires et de son contrat à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, et de demandes consécutives s’agissant de la rupture du contrat ainsi requalifié et les indemnités afférentes (requalification, préavis, indemnité de licenciement et dommages-intérêts).
a – Sur le champ d’application de la clause contractuelle :
L’article 14 des conditions générales applicables aux contrats de mission prévoit expressément que la prescription abrégée ne concerne que :
– les actions en dommages et intérêts,
– les actions en indemnités de rupture pour quelque cause que ce soit et quel que soit le fondement juridique (pièce n° 19).
Or les actions en requalification des contrats de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas des demandes de dommages-intérêts ni des demandes en indemnités de rupture, mais des demandes relatives à l’exécution du contrat de travail.
Il s’en déduit que la clause discutée ne peut être opposée à M. [O] en ce qui concerne son action en requalification, pas plus que pour les demandes indemnitaires afférentes, y compris celles en lien avec la rupture des contrats ainsi requalifiés, dès lors qu’elles ne sont que la conséquence de la demande principale.
b – Sur le délai et le point de départ de la prescription :
L’article L.1471-1 du code du travail, en sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, dispose que “Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.”
Il résulte de la combinaison des articles L 1471-1, L. 1251-5 et L 1251-40 du code du travail que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat de mission à l’égard de l’entreprise utilisatrice en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat de mission tel qu’énoncé a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats de mission, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Si le fondement de la demande est l’absence d’une mention ou le non respect du délai de carence, le point de départ est le jour de la signature du contrat, le premier en cas de contrats successifs.
En l’espèce, M. [O] fonde sa demande de requalification sur deux fondements : la non-conformité du motif de recours et le non-respect des délais de carence.
Les contrats dont il est demandé la requalification ayant tous été signés le 30 juillet 2018 et postérieurement, l’action introduite le 9 octobre 2019 n’est donc pas prescrite.
Le moyen n’est donc pas fondé, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
III – Sur la requalification de la relation de travail :
L’article L.1251-5 du code du travail dispose que le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale permanente de l’entreprise utilisatrice, quel que soit son motif.
Selon l’article L.1251-6 du code du travail, sous réserve des dispositions de l’article L.1251-7 du même code, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée “mission” et seulement dans les cas qu’il prévoit, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
En cas de litige sur le motif du recours, il appartient à l’entreprise utilisatrice, et non au salarié, de justifier de la réalité du motif de recours invoqué et de son caractère temporaire, le recours aux contrats précaires ne pouvant s’inscrire ni dans un accroissement durable et constant d’activité, ni dans le cadre d’une gestion visant à faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre.
L’article L.1251-40 du code du travail dispose que “lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L1251-5 à L 1251-7 et L1251-10 à L. 1251-12, L1251-30 et L1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.”
Il résulte par ailleurs des articles L. 1251-36, L.1251-37 et L.1244-3-1 du code du travail que l’entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu’à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l’un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l’accroissement temporaire d’activité.
A l’expiration d’un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission, renouvellements inclus. Ce délai de carence est égal :
1° au tiers de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est de quatorze jours ou plus,
2° à la moitié de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat, renouvellement inclus, est inférieure à quatorze jours.
Les jours pris en compte pour apprécier le délai devant séparer les deux contrats sont les jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement utilisateurs.
a – Sur la demande de requalification fondée sur le motif de recours :
M. [O] a travaillé :
– en intérim dans le cadre de plusieurs contrats de mission temporaire conclus avec l’entreprise de travail temporaire SUPPLAY entre le 30 juillet et le 31 octobre 2018 au bénéfice de l’entreprise utilisatrice INTERDESCO en qualité d’agent de production, le motif figurant sur le contrat de mission initial comme sur les avenants de renouvellement étant un accroissement temporaire d’activité correspondant à un numéro de commande (126095 pour les contrats du 30 juillet au 14 septembre 2018 et 126720 pour les contrats du 17 septembre au 31 octobre 2018 – pièces n° 2 à 8),
– puis régularisé un contrat à durée déterminée le 11 octobre 2018 à effet au 5 novembre suivant jusqu’au 3 mai 2019 en qualité d’ouvrier d’exploitation-cariste au motif d’un accroissement temporaire d’activité (pièce n° 9).
Au titre de la preuve de l’accroissement d’activité dont la charge lui incombe s’agissant des contrats de mission, la société INTERDESCO indique que son activité principale est celle de sous-traitant pour la réalisation de matières premières de résine, ce qui implique de fortes variations d’activité en raison notamment de l’imprévisibilité des chantiers et donc le recours à du personnel intérimaire pour honorer les commandes.
S’agissant de la période d’emploi de M. [O] en qualité d’intérimaire, elle produit les éléments suivants :
– un tableau de suivi du chiffre d’affaires pour l’année 2018 (pièce n° 10),
– un tableau comparatif du chiffre d’affaires entre 2017 et 2018 (pièce n° 11),
– les justificatifs de la commande n° 126095 (bon de commande et facture – pièce n° 12),
– les justificatifs de la commande n° 126720 (bon de commande et facture – pièce n° 14),
– une attestation de M. [X], directeur d’usine (pièce n° 15),
S’agissant de la période d’emploi de M. [O] en contrat à durée déterminée, elle produit les éléments suivants :
– les justificatifs de la commande ADP n° 126095 (bons de commande et confirmation – pièces n° 16 à 20).
Nonobstant le fait que M. [X], directeur d’usine, ne saurait valablement attester en faveur de la société INTERDESCO dont il est un cadre salarié puisque ce statut ne garantit pas l’objectivité des propos qu’il tient, il ressort des pièces produites que si la société INTERDESCO a effectivement connu un accroissement important de son activité en juillet, août et octobre 2018, il peut à juste titre être observé que le bon de commande n° 126095 porte mention que la livraison de 20 460 kg de SERVASOL LR, 12 264 kg de ACCOCHAPPE 992, 1 819 kg de ACCOSOL SATINEE et 30 pots métalliques de 30 kg pour un montant de 178 494 euros, ce qui est largement supérieur tant en quantité qu’en valeur à la livraison de septembre suivant, a été effectuée le 26 juillet 2018, soit avant le recrutement de M. [O] dont le premier contrat d’intérim a débuté le 30 juillet 2018.
Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le bien fondé du motif allégué pour le second contrat de mission, il se déduit de ces éléments que la société INTERDESCO échoue à démontrer l’accroissement temporaire d’activité lié à cette commande tel qu’allégué à l’appui du recrutement de M. [O], de sorte qu’il y a lieu de considérer que l’emploi de ce dernier sur la base de contrats de mission successifs avait pour objet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
S’agissant du contrat à durée déterminée du 5 novembre 2018 au 3 mai 2019, il ressort des pièces produites que la commande afférente au chantier «Parking Roissy» est divisée en trois commandes : la première du 3 décembre 2018 pour un montant de 100 950 euros pour une livraison prévue le 17 suivant (pièce n° 16), la seconde du 4 décembre 2018 d’un montant de 60 300 euros pour une livraison “impérative” le 17 décembre 2018 également (pièces n° 17 et 18) et la troisième du 4 février 2019 d’un montant de 9 120 euros pour une livraison le 13 février suivant (pièce n° 19).
Il s’en déduit que ce chantier est en réalité postérieur d’un mois à l’embauche par contrat à durée déterminée de M. [O] le 5 novembre 2018 et ses échéances (décembre et février 2019) sont largement antérieures au terme du contrat à durée déterminée fixé au 3 mai 2019 (pièce n° 7).
Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur le non respect du délai de carence entre le terme du deuxième contrat de mission et la conclusion du contrat à durée déterminée, il se déduit de ces éléments que la société INTERDESCO échoue à démontrer l’accroissement temporaire d’activité lié à cette commande tel qu’allégué à l’appui du recrutement de M. [O], de sorte que l’emploi de ce dernier sur la base d’un contrat à durée déterminée avait pour objet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de requalification à ce titre.
b – Sur la demande de requalification fondée sur le délai de carence :
A titre liminaire, la cour relève, avec la société SUPPLAY, que la relation contractuelle la liant à M. [O] est limitée à la période du 30 juillet 2018 au 30 octobre 2018, soit une durée de 3 mois, de sorte que la demande de requalification la concernant ne peut porter sur la période postérieure couverte par un contrat à durée déterminée qui ne lie que le salarié et la société INTERDESCO.
En l’espèce, étant tenu compte du fait que les contrats de mission initiaux ont été prolongés, il ressort des pièces produites que M. [O] a signé deux contrats successifs sur la période considérée, soit du 30 juillet au 14 septembre 2018 et du 17 septembre au 31 octobre 2018, dans les deux cas pour les mêmes fonctions (agent de production), pour la même entreprise utilisatrice (INTERDESCO) et pour le même motif (accroissement temporaire d’activité – pièces n° 2 à 8).
Le délai légal de carence d’un tiers de la durée du contrat de mission venu à expiration si la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements, est de quatorze jours ou plus (en l’occurrence un mois et demi) prévu par les articles L 1251-36 et L 1251-36-1 du code du travail trouve donc à s’appliquer.
Dès lors, si la méconnaissance de l’article L1251-36 précité par l’entreprise utilisatrice ne permet pas au salarié d’obtenir sur le fondement de l’article L1251-40 du même code la requalification du contrat de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée le liant à l’entreprise utilisatrice, il résulte des éléments produits que des contrats de mission se sont succédés sans respect du délai de carence, au profit du même salarié afin de pourvoir, au sein de l’entreprise utilisatrice, le même poste d’agent pour faire face à un accroissement temporaire d’activité. Le motif d’accroissement d’activité ne rentrant pas dans le champ d’application des articles L1251-37 et L1251-37-1 du code du travail dans leur rédaction applicable à la date de signature des différents contrats, il s’en déduit que l’entreprise de travail temporaire a failli aux obligations qui lui étaient propres et s’est placée hors du champ d’application du travail temporaire, se trouvant de ce fait liée au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée.
Elle a en outre engagé sa responsabilité contractuelle dans ses rapports avec l’entreprise utilisatrice, les obligations de l’article L. 1251-36 du code du travail relatives au respect du délai de carence, lui étant propres.
En conséquence, M. [O] est bien fondé à solliciter la requalification de la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à l’encontre de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise de travail temporaire à compter du premier contrat de mission, soit le 30 juillet 2018.
Par ailleurs, l’entreprise de travail temporaire doit répondre d’un manquement à son obligation de conseil à l’égard de l’entreprise utilisatrice lorsqu’elle ne pouvait pas ignorer le risque d’irrégularité affectant la mise à disposition d’un salarié.
A ce titre, pour avoir en connaissance de cause mis à disposition de la société INTERDESCO un salarié sur la base de deux contrats de mission successifs sans respecter le délai légal de carence, la société SUPPLAY devra supporter solidairement avec cette dernière les conséquences financières de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, et de la rupture illégitime qui en résulte, mises à la charge de l’entreprise utilisatrice par application de l’article L.1251-41 du code du travail, à l’exception de l’indemnité de requalification qui ne peut être mise qu’à la charge de l’entreprise utilisatrice.
IV – Sur les conséquences pécuniaires de la requalification :
L’article L.1251-41 du code du travail prévoit l’octroi d’une indemnité de requalification ne pouvant être inférieure à un mois de salaire calculée sur le salaire de base et les accessoires du salaire.
M. [O] sollicite à ce titre la somme de 2 112,50 euros (pièce 10).
La société INTERDESCO conclut au rejet de sa demande.
La société SUPPLAY oppose qu’aucune condamnation à ce titre ne peut être mise à sa charge.
Au regard des pièces produites, il sera alloué à M. [O] la somme de 2 112,50 euros à titre d’indemnité de requalification à la charge de la seule société INTERDESCO.
V – Sur la rupture de la relation de travail :
Il ressort des développements qui précèdent que les deux contrats de mission comme le contrat à durée déterminée conclus par M. [O] sont requalifiés en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 30 juillet 2018.
La rupture de la relation de travail le 31 octobre 2018 pour la société SUPPLAY et le 3 mai 2019 pour la société INTERDESCO, survenue sans que la procédure légale de licenciement soit respectée et alors que le salarié justifie qu’il était en arrêt de travail consécutivement à un accident du travail (pièces n° 12 et 15), produit les effets d’un licenciement nul dans la mesure où l’employeur ne justifie ni d’une faute grave ni d’une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
A ce titre, M. [O] sollicite les sommes suivantes :
– 2 112,50 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 211,25 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 396,09 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 12 675 euros nets à titre de dommages-intérêts.
La société INTERDESCO conclut au rejet de ses demandes.
La société SUPPLAY oppose que :
– la relation de travail avec M. [O] s’est limitée à 3 mois or aucun préavis n’est légalement dû en deçà de 6 mois d’ancienneté,
– le salaire de référence au titre des contrats de mission s’élève à 1 498,49 euros, – aucune indemnité légale de licenciement ne peut être due,
– M. [O] ne justifie d’aucun préjudice et ses prétentions se heurtent aux dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.
Etant rappelé que dès lors que chacune des deux sociétés concernées a commis des manquements dans le recours aux contrats d’intérim et à un contrat à durée déterminée, la société SUPPLAY et la société INTERDESCO sont tenues solidairement des conséquences pécuniaires de la rupture de la relation de travail ainsi requalifiée dans son ensemble, la société INTERDESCO sera condamnée à payer à M. [O] les sommes suivantes :
– 2 112,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 211,25 euros au titre des congés payés afférents, le salarié justifiant d’une ancienneté de services continus de plus de 6 mois et de moins de deux ans chez le même employeur conformément à l’article L 1234-1 du code du travail,
– 396,09 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, tel qu’expressément demandé,
– 12 675 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, correspondant à 6 mois de salaire en application de l’article L1235-3-1 du code du travail.
VI – Sur les demandes accessoires :
– Sur la remise des documents légaux rectifiés :
Les sociétés SUPPLAY et INTERDESCO seront condamnées, chacune pour ce qui la concerne, à remettre à M. [O] ses bulletins de paye, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés.
– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Le jugement déféré sera infirmé sur ces points sauf en ce qu’il a rejeté les demandes des sociétés INTERDESCO et SUPPLAY au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les sociétés INTERDESCO et SUPPLAY seront condamnées solidairement à payer à M. [O] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les demandes des sociétés INTERDESCO et SUPPLAY au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour seront rejetées.
Les sociétés INTERDESCO et SUPPLAY succombant, elles supporteront solidairement les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 20 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de Dijon sauf en ce qu’il a :
– rejeté la demande de nullité de la requête initiale,
– rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,
– rejeté les demandes des sociétés INTERDESCO et SUPPLAY au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REQUALIFIE les contrats de mission et le contrat à durée déterminée de M. [H] [O] en un contrat de travail à durée indéterminée à effet au 30 juillet 2018,
CONDAMNE la société INTERDESCO à payer à M. [H] [O] les sommes suivantes :
– 2 112,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 211,25 euros au titre des congés payés afférents,
– 396,09 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 12 675 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que la société SUPPLAY sera tenue solidairement avec la société INTERDESCO au paiement de ces sommes,
CONDAMNE la société INTERDESCO à payer à M. [H] [O] la somme de 2 112,50 euros à titre d’indemnité de requalification,
CONDAMNE la société INTERDESCO et la société SUPPLAY, chacune pour ce qui la concerne, à remettre à M. [H] [O] ses bulletins de paye, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés,
REJETTE les demandes des sociétés SUPPLAY et INTERDESCO au titre de l’article 700 du code de procédure civile formulées à hauteur d’appel,
CONDAMNE solidairement la société INTERDESCO et la société SUPPLAY aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION