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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 22 MAI 2023
N° RG 21/06475 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MN5B
[N] [O]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/024176 du 04/11/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[A] [B]
[X] [J]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : 22 mai 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 octobre 2021 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire d’ANGOULEME (chambre : 4, RG : 11-21-0470) suivant déclaration d’appel du 26 novembre 2021
APPELANTE :
[N] [O]
née le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 8] ([Localité 8])
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[A] [B]
né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
[X] [J]
née le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
Représentés par Me Jérôme BOUSQUET de la SELARL BOUSQUET, avocat au barreau de CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Mme [N] [O] a signé un contrat de bail d’habitation avec Mme [X] [J] et M. [A] [B] le 2 février 2019 pour un loyer mensuel de 500 euros portant sur un logement sis [Adresse 5].
Le 19 janvier 2021, Mme [O] a saisi le GIP Charente Solidarités aux fins de procéder à une inspection du logement, puis l’ARS.
Le 23 mars 2021, le conciliateur a constaté l’échec de la tentative de conciliation au cours de laquelle Mme [O] a demandé une mise en conformité du logement et la réparation de son préjudice de jouissance.
Par acte d’huissier du 15 juin 2021, Mme [O] a assigné Mme [J] et M. [B] devant le tribunal judiciaire d’Angoulême aux fins de voir prononcer leur condamnation au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 20 octobre 2021, le tribunal judiciaire d’Angoulême a :
– débouté Mme [O] de l’ensemble de ses demandes,
– constaté l’accord des parties pour la réalisation des travaux de mise en conformité du domicile de Mme [O],
– débouté Mme [J] et M. [B] de leur demande au titre du préjudice moral,
– condamné Mme [O] à payer à Mme [J] et M. [B] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [O] aux entiers dépens.
Mme [O] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 26 novembre 2021.
Par conclusions du 27 février 2023, Mme [O] demande à la cour de :
– juger recevable et bien fondée Mme [O] en son appel,
– ordonner le report de la clôture au jour des plaidoiries,
– débouter M. [B] et Mme [J] de l’ensemble de leurs prétentions,
Y faisant droit, infirmer l’entier jugement dont appel,
– condamner les bailleurs M. [B] et Mme [J] au règlement de la somme de 7 000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice de jouissance du fait des causes d’indécence relevées dans le rapport GIP Charentes du 19 janvier 2021 et rapport de l’ARS de mars 2021,
– condamner les bailleurs M. [B] et Mme [J] au règlement de la somme de 5 250 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice de jouissance du fait des anomalies électriques relevées dans le diagnostic du 10 janvier 2022, somme à parfaire au jour de l’arrêt à intervenir,
– condamner M. [B] et Mme [J] au remboursement de la somme de 99 euros pour le diagnostic électrique du 10 janvier 2022,
– condamner M. [B] et Mme [J] à verser à Mme [O] la somme de 200,22 euros en annulation de sa perte de chance de disposer d’un logement moins énergivore,
– condamner M. [B] et Mme [J] à verser à Mme [O] la somme de 2 800 euros en réparation du préjudice moral par elle subi,
– condamner M. [B] et Mme [J] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
– les condamner aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
Par conclusions déposées le 24 février 2023, M. [B] et Mme [J] demandent à la cour de :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Angoulême du 20 octobre 2021 en ce qu’il a :
* débouté Mme [O] de l’ensemble de ses demandes,
* constaté l’accord des parties pour la réalisation des travaux de mise en conformité du domicile de Mme [O],
* condamné Mme [O] à payer à Mme [J] et M. [B] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* condamné Mme [O] aux entiers dépens,
– réformer le jugement du tribunal judiciaire d’Angoulême du 20 octobre 2021 en ce qu’il a :
* débouté Mme [J] et M. [B] de leur demande au titre du préjudice moral,
Statuant à nouveau,
– condamner Mme [O] à payer à Mme [J] et M. [B] la somme de 700 euros en réparation du préjudice moral subi par l’exécution déloyale du contrat de bail d’habitation en cause,
– condamner Mme [O] à payer à Mme [J] et M. [B] une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’affaire a été fixée à l’audience du 13 mars 2023.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 27 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et qu’elle ne doit répondre aux moyens des parties que dans la mesure où ces derniers se rattachent à de telles prétentions.
Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
Les intimés n’ont pas demandé le rejet des conclusions d’appelant du 27 février 2023, communiquées le jour de l’ordonnance de clôture. En l’absence de contestation sur ce point, ces conclusions sont réputées avoir été communiquées en temps utiles pour assurer le respect du contradictoire.
Dès lors, il sera ordonné le report de la clôture au jour de l’audience de plaidoirie.
Sur la demande d’indemnisation au titre des causes de non-décence du logement
En application des articles 1719-1° du code civil et 6 a de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est obligé de délivrer au preneur un logement décent.
Le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent précise que le logement doit notamment satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :
– les dispositifs de retenue des personnes dans le logement tels que le garde-corps des escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ;
– les réseaux et branchements d’électricité sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements ;
– les dispositifs d’ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l’air et une évacuation de l’humidité adaptés aux besoins d’une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ;
– les pièces principales, au sens du troisième alinéa de l’article R. 111-1 du code de la construction et de l’habitation, bénéficient d’un éclairement naturel suffisant et d’un ouvrant donnant à l’air libre ou sur un volume vitré donnant à l’air libre.
Si la mise en conformité du logement constitue la sanction spécifique du défaut de décence, une action en réparation du dommage causé par la délivrance de locaux en mauvais état peut s’ajouter à cette sanction ou s’y substituer.
A ce titre, Mme [O] reconnaît la réalisation de travaux de mise en conformité, mais se prévaut d’un préjudice de jouissance résultant des causes de non décence du logement. Elle soutient que son préjudice doit être majoré du fait de la rédaction mensongère et non conforme du bail, du retard dans la remise du dossier de diagnostics techniques et de l’absence de tout diagnostic électrique.
Mme [J] et M. [B] répliquent que les désordres signalés n’ont été la source que de désagréments mineurs, que Mme [O] a freiné la réalisation des travaux et a refusé la modification du bail prévoyant une baisse du loyer, de sorte qu’elle est à l’origine du préjudice qu’elle invoque.
En l’espèce, le logement présente dans l’ensemble les caractéristiques d’un logement habitable. Ainsi, lors d’un contrôle sanitaire réalisé dans le logement le 12 mars 2021 (pièce n° 6 du dossier de l’appelant), l’Agence Régionale de Santé a relevé un ensoleillement suffisant, l’existence de fenêtres pour une ouverture à l’air libre de la pièce principale et de l’une des deux chambres, la présence d’un moyen de chauffage fixe et d’installations sanitaires ainsi que l’absence de phénomène d’humidité.
Toutefois, des désordres confirmés par l’ARS ont été relevés par le GIP Charente Solidarités lors d’un contrôle de décence du logement effectué le 19 janvier 2021 (pièce B du dossier de l’appelante) : absence de garde-corps sur la mezzanine, absence de ventilation dans le coin cuisine, absence d’ouverture à l’air libre de la deuxième chambre et de moyen de chauffage fixe. S’y ajoutent les anomalies sur l’installation électrique, constitutives de manquements aux normes de sécurité, révélées par le diagnostic technique effectué à l’initiative de Mme [O] le 10 janvier 2022 (pièce n° 19).
Si ces désordres, pris individuellement, n’ont causé que des désagréments mineurs à Mme [O], pris dans leur globalité ils ont nécessairement nui à l’habitabilité des lieux, puisqu’ils témoignent de ce que le logement n’a pas répondu, durant toute la durée du bail, à tous les critères de décence à même de garantir la sécurité physique et la santé de la locataire, tels qu’énumérés par le décret de 2002 dont le bailleur aurait dû s’assurer du respect des dispositions avant de donner à bail le logement.
Pour l’évaluation du préjudice de jouissance, il y a lieu de tenir compte, à la fois des répercussions de l’ensemble de ces désordres sur l’habitabilité des lieux et la période durant laquelle Mme [O] a subi cette situation causée par la négligence de son bailleur.
Ainsi, d’une part, au vu de la nature des désordres et faute de dommage spécifique, il apparaît que les causes de non-décence n’ont eu qu’un faible impact sur l’habitabilité des lieux loués, de sorte que le préjudice de jouissance de Mme [O] sera calculé en appliquant un taux de 10 % du montant du loyer.
D’autre part, le préjudice de jouissance de Mme [O] doit être évalué dans la durée, en tenant compte de la date à laquelle les premiers travaux ont pu être entrepris. Sur ce point, il est reproché à Mme [O] d’avoir retardé la réalisation des travaux. Pourtant, il apparaît que M. [B] a été destinataire du courrier de l’ARS le 14 mars 2021 (pièce n° 6 du dossier de l’appelante), que les parties se sont présentées à une réunion de conciliation le 23 mars qui n’a abouti à rien de concret (pièce n° 7), que les 19 et 20 avril Mme [O] a communiqué ses disponibilités (pièce n°9) et que les premiers travaux n’ont été entrepris qu’à la fin du mois de mai, au-delà de la période de disponibilité communiquée par l’intéressée (pièce n° 11 du dossier de l’appelant, pièce n° 5 du dossier de l’intimée).
Le préjudice de jouissance invoqué, qui n’est certain qu’au vu de la réunion de la totalité des désordres identifiés, sera donc évalué sur la période du 2 février 2019, date d’entrée dans les lieux de Mme [O], à la fin du mois de mai 2021, date à laquelle les premiers travaux ont été réalisés, soit une période de 28 mois, pour un montant total de 1400 euros (14.000 X 10 / 100).
Le jugement qui a débouté Mme [O] de cette demande sera réformé.
Sur la perte de chance de disposer d’un logement moins énergivore
Mme [O] fait valoir que son logement est une véritable ‘passoire’ énergétique et qu’en ne se voyant pas remettre, au moment de la conclusion du bail, le diagnostic de performance énergétique dans lequel le logement apparaît classé catégorie D, elle a perdu une chance de choisir un logement moins énergivore.
Mme [J] et M. [B] contestent toute perte de chance puisque Mme [O] a loué en urgence un logement qu’elle savait ancien et que la consommation en énergie du logement n’est pas excessive.
La perte de chance implique de démontrer la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable. Or, Mme [O], qui se contente de produire sa facture de Gaz pour l’année 2020, ne produit aucun élément permettant d’établir qu’elle disposait d’une probabilité raisonnable de louer un logement mieux classé, dans la même zone géographique, au même prix et dans un temps raisonnable au vu de l’urgence de sa situation familiale dont il est fait état dans ses écritures.
Mme [O] se prévalant de la sorte d’un préjudice seulement éventuel, le jugement l’ayant débouté de sa demande sera confirmé pour ces motifs.
Sur le préjudice moral invoqué par Mme [O]
L’appelante met en avant les démarches qu’elle a dû effectuer pour voir reconnaître l’indécence du logement, le retard pris dans la réalisation des travaux et ‘l’emprise’que Mme [J] et M. [B] ont exercée sur elle.
Les pièces produites par Mme [O] au soutien de sa demande (pièce n° 20 et 21) permettent d’établir que celle-ci était prise en charge par une assistante sociale en 2017, au moment de quitter sa région d’origine, et qu’elle faisait l’objet d’une prise en charge médicale particulière en 2018, mais elles ne permettent aucunement d’établir l’existence d’un préjudice moral imputable à des agissements de ses bailleurs.
Le jugement déféré qui a débouté Mme [O] de cette demande sera donc également confirmé.
Sur le préjudice moral invoqué par Mme [J] et M. [B]
Mme [J] et M. [B] soutiennent qu’ils subissent un préjudice moral du fait de l’exécution déloyale du contrat de bail par Mme [O], caractérisé par de nombreux retards dans le paiement des loyers et par la production d’un faux état des lieux de sortie.
Indépendamment du comportement fautif prêté à Mme [O], l’indemnisation d’un préjudice moral suppose pour la personne qui s’en prévaut de rapporter la preuve des souffrances morales qu’elle endure. Or, aucune pièce versée au débat ne permet d’établir l’existence d’un préjudice de ce type.
Le jugement déféré qui a débouté Mme [J] et M. [B] de cette demande sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Mme [J] et M. [B] succombant pour l’essentiel, ils seront condamnés in solidum à payer les dépens de première instance et d’appel, sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.
De plus, il est équitable de les condamner au versement de la somme de 1500 euros en application des articles 700 2° du code de procédure civile et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Ordonne le rabat de l’ordonnance de clôture à la date de l’audience de plaidoiries,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté Mme [N] [O] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance et d’un préjudice moral, l’a condamnée aux dépens, à verser la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté Mme [J] et M. [B] de leur demande en dommages et intérêts,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Condamne in solidum Mme [X] [J] et M. [A] [B] à verser à Mme [O] la somme de 1400 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
Déboute Mme [X] [J] et M. [A] [B] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [X] [J] et M. [A] [B] au paiement de la somme de 1.500 euros en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne in solidum Mme [X] [J] et M. [A] [B] aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,