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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 21/09/2023
N° de MINUTE : 23/795
N° RG 22/05711 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UUJW
Jugement (N° 51-21-0008) rendu le 06 Décembre 2022 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Béthune
APPELANT
Monsieur [U], [Y], [B] [D]
né le 10 Décembre 1970 à [Localité 18] – de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 15]
Représenté par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d’Arras
INTIMÉ
Monsieur [E] [I]
né le 28 Juillet 1981 à [Localité 17] – de nationalité Française
[Adresse 14]
[Localité 21]
Représenté par Me Vincent Bué, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l’audience publique du 25 mai 2023 tenue par Véronique Dellelis et Emmanuelle Boutié magistrates chargées d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Par acte en date du 5 octobre 2013, M. [T] [D] et Mme [O] [K] ont donné à bail à M. [E] [I] pour une durée de neuf ans tacitement renouvelable les parcelles cadastrées A[Cadastre 11], A[Cadastre 9], A[Cadastre 8], AK[Cadastre 10], A[Cadastre 4], A[Cadastre 7], A[Cadastre 5], AK[Cadastre 12], AK[Cadastre 13] et AI[Cadastre 1], sises sur la commune de [Localité 22] (Pas-de-Calais) et représentant une surface de 20ha 46a 25ca, ainsi que les parcelles cadastrées ZI[Cadastre 16] et ZI[Cadastre 5] sises sur la commune de [Localité 24] et représentant une surface de 1ha 80a 10ca.
Par acte d’huissier en date du 25 mars 2021, M. [U] [D], devenu propriétaire des parcelles sises sur la commune de [Localité 22], a délivré à M. [E] [I] un congé aux fins de reprise pour exploitation personnelle sur lesdites parcelles pour le 4 octobre 2022, date d’échéance du bail.
Suivant requête adressée au greffe par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 juillet 2021, reçue le 13 juillet 2021, M. [E] [I] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux du tribunal judiciaire de Béthune d’une contestation du congé qui lui a été signifié.
Après échec de la tentative de conciliation, par jugement en date du 6 décembre 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Béthune a :
– prononcé la nullité du congé délivré, par exploit de Maître [V], huissier de justice, par M. [U] [D] à M. [E] [I] le 25 mars 2021 portant sur les parcelles cadastrées A[Cadastre 11], A[Cadastre 9], A[Cadastre 8], AK[Cadastre 10], AI[Cadastre 2], A[Cadastre 7], AI[Cadastre 3], AK[Cadastre 12], AK[Cadastre 13] et AI[Cadastre 1], sises sur la commune de [Localité 22],
– constaté que le bail consenti à M. [E] [I] par acte du 5 octobre 2023 est renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 5 octobre 2022 aux clauses et conditions du bail antérieur,
– condamné M. [U] [D] aux dépens,
– condamné M. [D] à payer à M. [I] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs plus amples demandes,
– jugé qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit du jugement.
Par déclaration en date du 13 décembre 2022, M. [U] [D] a interjeté appel à l’encontre de cette décision, la déclaration d’appel visant l’ensemble de ses dispositions.
Lors de l’audience devant cette cour, M. [U] [D], représenté par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l’audience par lesquelles il demande à cette cour de :
– le dire recevable et bien fondé en ses moyens, fins et conclusions,
– infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Béthune en date du 6 décembre 2022 en toutes ses dispositions,
En conséquence,
Statuant à nouveau,
– valider purement et simplement le congé délivré par Maître [V], huissier de justice à [Localité 21] en date du 25 mars 2021 par M. [D] à M. [I] pour la date du 4 octobre 2022,
– condamner M. [I] à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens de la présente instance.
M. [D] fait essentiellement valoir que :
-la promesse de bail porte sur un immeuble d’habitation de taille modeste d’une surface habitable de 99m² et sur un hangar de 200 m² adjacent aux fins de permettre à M. [D], qui réalise une installation, de disposer d’un hangar pour stocker son matériel et ses récoltes et d’un bureau pour établir le siège de son exploitation, l’immeuble étant ainsi à vocation professionnelle,
– son domicile demeure son domicile actuel qui est aussi le domicile conjugal alors qu’aucune disposition légale n’impose de préciser l’adresse du siège d’exploitation dans le congé,
– la commune intention des parties ressort clairement de l’attestation du gérant de la SCI propriétaire ,
– le temps de trajet entre son domicile et l’exploitation est de 49 minutes alors que la Cour de cassation considère qu’un temps de trajet de 48 mns est compatible avec une exploitation de céréales sans élevage,
– il dispose du brevet de technicien agricole et répond aux conditions de capacité professionnelle,
– il dispose du matériel et des outils indispensables à l’équipement de l’exploitation et dispose d’économies de près de 50 000 euros pour acquérir du matériel supplémentaire,
– son exploitation sera inférieure à 70 hectares, seuil de déclenchement du contrôle des structures de sorte qu’il n’a pas besoin de présenter une demande d’autorisation d’exploiter.
Lors de l’audience devant cette cour, M. [E] [I], représenté par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l’audience par lesquelles il demande à cette cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Béthune en ce qu’il a :
-prononcé la nullité du congé délivré, par exploit de Maître [V], huissier de justice, par M. [U] [D] à M. [E] [I] le 25 mars 2021 portant sur les parcelles cadastrées A[Cadastre 11], A[Cadastre 9], A[Cadastre 8], AK[Cadastre 10], AI[Cadastre 2], A[Cadastre 7], AI[Cadastre 3], AK[Cadastre 12], AK[Cadastre 13] et AI[Cadastre 1], sises sur la commune de [Localité 22],
– constaté que le bail consenti à M. [E] [I] par acte du 5 octobre 2023 est renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 5 octobre 2022 aux clauses et conditions du bail antérieur,
– condamné M. [U] [D] aux dépens,
– condamné M. [D] à payer à M. [I] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs plus amples demandes,
– jugé qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit du jugement.
Et ajoutant en cause d’appel,
– condamner M. [D] à payer à M. [I] la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [D] aux entiers dépens.
M. [I] fait essentiellement valoir que :
– alors que le congé précise que M. [D] continuera à occuper son domicile actuel sis à [Localité 19] après la reprise, il est produit une promesse de bail pour la location d’une ‘maison d’habitation principale’ et d’un hangar de 200 m² sur la commune de [Localité 20], aucune mention de cette location ne figurant dans le congé,
– l’indication par M. [D] d’un domicile sur Eringhem dans le congé pour soutenir ensuite qu’il sera domicilié sur [Localité 20] créée une incertitude sur l’engagement du bailleur et ne permet pas de vérifier que les conditions de la reprise sont réunies,,
– la référence à la notion de ‘siège social’ développée par M. [D] se rapporte obligatoirement à une structure sociétaire alors que la mention de cette société est absente du congé litigieux,
– M. [D] ne remplit pas les conditions pour mettre en valeur les parcelles et ne produit aucun élément de nature à démontrer la réalité de son exploitation agricole,
– il est domicilié à [Localité 19] situé à près de 50 kms des parcelles objets du congé et il ne dispose pas d’un corps de ferme à proximité de la parcelle dans le congé délivré,
– il ne justifie pas disposer du matériel agricole nécessaire à l’exploitation des parcelles ou des moyens de l’acquérir,
– M. [D] ne dispose pas de la qualité d’exploitant agricole de sorte qu’il est dans l’obligation d’obtenir une autorisation administrative d’exploiter et il est pluriactif à la date du congé pour être gérant de la SARL ENTB à temps plein comme mentionné par l’article L.331-2 I 3 du code rural et la pêche maritime,
– il s’abstient de produire à l’instance le montant de ses revenus extra-agricoles liés à son activité professionnelle actuelle de sorte que la juridiction n’est pas en mesure d’apprécier sa situation et les seuils de contrôle au regard de sa pluriactivité à la date de la délivrance du congé.
Il est pour le surplus renvoyé aux écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens et arguments.
SUR CE ,
Sur la validité du congé
Aux termes des dispositions de l’article L.411-47 du code rural et de la pêche maritime, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
A peine de nullité, le congé doit:
– mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur;
– indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom et prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d’empêchement, d’un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l’habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris;
– reproduire les termes de l’alinéa premier de l’article L.411-54.
La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l’omission ou l’inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur.
Par acte d’huissier de justice en date du 25 mars 2021, M. [U] [D] a fait délivrer à M. [E] [I] un congé aux fins de reprise pour exploitation personnelle sur les parcelles A[Cadastre 11], A[Cadastre 9], A[Cadastre 8], AK[Cadastre 10], AI[Cadastre 2], A[Cadastre 7], AI[Cadastre 3], AK[Cadastre 12], AK[Cadastre 13], AI[Cadastre 1] sises sur le territoire de la commune de [Localité 22] pour le 4 octobre 2022, date d’échéance du bail.
Cet acte précise que ‘ Que Monsieur [U] [D] entend reprendre les parcelles ci-dessus désignées pour les exploiter personnellement. Qu’il se consacrera à l’exploitation des biens repris à titre individuel et continuer à occuper son domicile actuel après la reprise, à savoir [Adresse 6] [Localité 15]’.
M. [I] soutient que la promesse de bail produite aux débats, régularisée le 15 octobre 2021 entre M. [D] et la SCI L’Etang du Moulin, intitulée ‘Promesse de contrat de location habitation principale non meublée si congé des terres de [Localité 22] accepté au 05/10/2022″ et ayant pour objet ‘un hangar de 200m² situé [Adresse 23] à [Localité 20]) et une maison située au [Adresse 23] à [Localité 20])”, crée une incertitude sur l’engagement du bailleur et ne permet pas de vérifier que les conditions de la reprise sont réunies.
Toutefois, il convient de relever que la promesse litigieuse a été régularisée postérieurement à la délivrance du congé et qu’aux termes d’une attestation circonstanciée, M. [C] [X] , gérant de la SCI l’Etang du Moulin, propriétaire des locaux, a pu préciser avoir connaissance de ce que le bail était conclu par M. [D] ‘pour domicilier son exploitation et que les locaux seraient à usage de bureaux et de stockage de matériels’, indiquant aussi que ‘pour régulariser la promesse de bail, j’ai utilisé le formulaire habituel pour mes locataires sans porter attention aux mentions contenues, sachant qu’en cas de validation du congé, un bail rural serait régularisé en bonne et dues forme par un notaire. Il s’agissait simplement de justifier de la location du hangar et des locaux de bureaux pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté’.
Alors que la régularité du congé s’apprécie à la date de sa délivrance et que le congé litigieux mentionne expressément que M. [D] continuera à demeurer à son domicile situé à [Localité 19] après la reprise, il résulte des éléments du dossier que l’intention des parties dans le cadre de la régularisation de la promesse de bail ne portait que sur la location du hangar et des bureaux nécessaires à l’installation de M. [D] dans le cadre de la reprise de l’exploitation des parcelles.
Ainsi, le congé mentionne l’adresse du bénéficiaire de la reprise à la date de sa délivrance et satisfait à l’exigence de l’article L.411-47 du code rural et de la pêche maritime susvisé relative à l’indication de l’habitation qu’occupera le bénéficiaire après la reprise de sorte que cette mention n’est pas affectée d’une incertitude sur la permanence de l’engagement pris par le bailleur en permettant à M. [L] d’apprécier si la condition d’habitation à proximité du fonds repris est remplie.
En conséquence, le congé est régulier en la forme, étant dépourvu de toute ambiguïté sur l’habitation principale de M. [D].
La décision entreprise sera donc infirmée sur ce point.
Sur les conditions de fond de la reprise
L’article L. 411-59 du code rural dispose que :
Le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l’exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d’une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l’exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d’habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l’exploitation directe.
Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu’il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu’il répond aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu’il a bénéficié d’une autorisation d’exploiter en application de ces dispositions.
M. [D] précise qu’il se consacrera à l’exploitation des biens repris à titre individuel et continuera à occuper son domicile sis à [Localité 19] situé à 45 kms des parcelles reprises.
Il résulte en premier lieu des pièces produites que M. [D] a obtenu un brevet de technicien agricole en 1989 de sorte qu’il dispose ainsi de la compétence professionnelle et des diplômes nécessaires à la date d’effet du congé de nature à justifier le projet de reprise des terres à son profit.
S’agissant de l’habitation du bénéficiaire de la reprise, il convient de relever qu’un temps de trajet de 49 minutes entre le lieu de résidence et les parcelles exploitées apparaît compatible avec la présence effective de M. [D] sur l’exploitation agricole de [Localité 22], s’agissant de cultures céréalières sans élevage, le matériel agricole étant quant à lui entreposé dans un hangar de 200m² à [Localité 20], distant de 10 kms des parcelles exploitées.
En outre, s’agissant des moyens dont dispose M. [D] pour assurer la faisabilité de son projet, ce dernier produit aux débats une facture établie par la SARL ENTB le 18 février 2021 concernant la vente de matériels agricole d’occasion pour un montant de 56 000 euros ainsi que la carte grise d’un tracteur acquis le 15 février 2022 et établie au nom de M. [D].
Alors qu’il n’est pas contesté que M. [D] était associé gérant de la SARL Entreprise de travaux nettoyage brossage ENTB jusqu’au 30 avril 2022, date à laquelle est intervenue une cession au profit de ses enfants, force est de constater que le fait que la facture de matériel agricole produite aux débats ait été établie par la SARL Entb le 28 février 2021, date à laquelle M. [D] était gérant de cette société ne permet pas de remettre en cause la réalisation de la vente, l’extrait du Grand livre général définitif portant la mention en débit du règlement du prix de vente et la carte grise du tracteur étant établie au seul nom de M. [U] [D].
De la même manière, le fait que l’objet social de la SARL Entb soit constitué par ‘le négoce de produits et les services de travaux très diversifiés, nettoyage, broyage, clôture, élagage, fauchage, terrassements, démolitions à l’exception de tout travaux de culture ou d’élevage agricole’ n’est pas suffisant à exclure le fait que cette société soit propriétaire d’engins agricoles permettant la réalisation des travaux correspondant à son objet social.
De plus, il n’est pas démontré que les dimensions du hangar dont la location est envisagée, soit 200m², ne seraient pas adaptées à la taille de l’exploitation de 20 hectares et il ne saurait être fait grief à M. [D] de ne pas avoir conclu d’emblée le bail des locaux nécessaires à l’exploitation des parcelles compte tenu de la contestation du congé.
Par ailleurs, il résulte du relevé annuel d’informations au titre d’un contrat de capitalisation dont est titulaire M. [D] que ce dernier dispose d’une épargne de 49 679 euros lui permettant de faire l’acquisition de matériel supplémentaire pour l’exploitation des parcelles reprises.
Enfin, s’agissant de la condition tenant à l’intention du bénéficiaire de la reprise de participer sur les lieux de façon effective et permanente, alors que cette dernière doit être appréciée à la date pour laquelle le congé a été donnée, soit le 4 octobre 2022, il résulte des éléments du dossier qu’une cession des parts détenues par M. [D] au sein de la SARL ENTB a été réalisée le 26 avril 2022 avec effet au 30 avril 2022 au profit de ses enfants de sorte que ce dernier n’était pas pluriactif à la date d’effet du congé.
Ainsi, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour estime qu’il est suffisamment établi que M. [U] [D] dispose des moyens nécessaires propres à justifier du caractère réel et sérieux de son installation.
S’agissant de l’autorisation d’exploiter, l’article L.331-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que sont soumises à l’autorisation d’exploiter les opérations suivantes :
1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole mise en valeur par ure ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu’il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. La constitution d’une société n’est toutefois pas soumise à autorisation préalable lorsqu’elle résulte de la transformation, sans autre modification, d’une exploitation individuelle détenue par une personne physique qui en devient l’unique associé exploitant ou lorsqu’elle résulte de l’apport d’exploitations individuelles détenues par deux époux ou deux exploitants liées par un pacte civil de solidarité qui en deviennent les seuls associés exploitants;
2° Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d”exploitations agricoles ayant pour conséquence:
a) De supprimer une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil mentionné au 1° ou de ramener la superficie d’une exploitation en deçà de ce seuil;
b) De priver une exploitation agricole d’un bâtiment essentiel à son fonctionnement, sauf s’il est reconstruit ou remplacé;
3° Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole:
a) Dont l’un des membres ayant la qualité d’exploitant ne remplit pas les conditions de capacité ou d’expérience professionnelle fixées par voie réglementaire;
b) Ne comportant pas de membre ayant la qualité d’exploitant;
c) Lorsque l’exploitant est un exploitant pluriactif, remplissant les conditions de capacité ou d’expérience professionnelle, dont les revenus extra-agricoles excèdent 3 120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance, à l’exception des exploitants engagés dans un dispositif d’installation progressive, au sens de l’article L.330-2 ;
4° Lorsque le schéma directeur régional des exploitations agricoles le prévoit, les agrandissements ou réunions d’exploitations pour les biens dont la distance par rapport au siège de l’exploitation du demandeur est supérieure à un montant qu’il fixe;
5° Les créations ou extensions de capacité des ateliers de production hors sol au-delà d’un seuil de production fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Enfin, il résulte des dispositions de l’article L.331-2 II du même code que :
Les opérations soumises à autorisation en application du I sont, par dérogation à ce même I, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclus et que les conditions suivantes sont remplies:
1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées au a du 3° du I;
2° Les biens sont libres de location;
3° Les biens sont détenus par un parent ou allié, au sens du premier alinéa du présent II, depuis neuf ans au moins;
4° Les biens sont destinés à l’installation d’un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l’exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n’excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l’article L.312-1.
Pour l’application du présent II, les parts d’une société constituée entre les membres d’une même famille sont assimilées aux biens qu’elles représentent.
La cour relève que M. [D] ne justifie avoir saisi le Préfet du Pas-de-Calais que dans le cadre du régime déclaratif prévu par les dispositions de l’article L.331-2 II du même code, le courrier recommandé avec accusé de réception adressé à l’autorité administrative le 31 mai 2022 visant uniquement le ‘régime déclaratif des biens de famille’ ainsi que la délivrance d’un congé à son profit.
M. [D] soutient que l’article L.331-2 exclut la nécessité d’une autorisation d’exploiter lorsque l’agriculteur concerné ne réalise pas une réunion ou un agrandissement d’exploitation mais une installation d’exploitation de sorte que son exploitation étant inférieure à 70 hectares, seuil de déclenchement du contrôle des structures, il n’a pas besoin d’une autorisation préalable d’exploiter et est en conformité avec le contrôle des structures.
En outre, M. [D] produit la réponse en date du 10 octobre 2022 du Préfet du Pas de Calais à sa demande tendant à se voir autorisé à exploiter les parcelles objet du présent litige, dans laquelle l’autorité administrative précise que compte tenu des éléments communiqués au titre de la réglementation relative au contrôle des structures, l’opération correspondante peut être réalisée librement sous réserve de recueillir l’accord des propriétaires pour exploiter les parcelles concernées sans préjudice de l’application du statut des fermages.
Alors que l’article R.331-7 du code rural et de la pêche maritime, modifié par la loi du 22 juillet 2015 prévoit essentiellement que la déclaration doit être préalable à la mise en valeur des terres, il ne peut être reproché à M. [D] de n’avoir effectué la déclaration que par courrier en date du 31 mai 2022 soit quelques mois avant la date d’effet du congé fixée au 4 octobre 2022.
De plus, M. [D] satisfait à la condition posée par le texte selon laquelle les biens doivent être libres de location, cette libre disposition résultant en l’espèce du congé délivré.
S’agissant de la troisième condition pour qu’une partie puisse se prévaloir du régime déclaratif, il résulte des éléments du dossier que par deux actes notariés des 28 et 30 octobre 2008, deux compromis de vente ont été signés par M. [T] [D], frère de M. [U] [D], et Mme [O] [K], son épouse, au profit de M. [U] [D] portant sur les dix parcelles litigieuses sises à [Localité 22] et que par jugement en date du 22 mai 2018, le tribunal de grande instance de Béthune a constaté le caractère parfait de la vente régularisée par les parties, ce jugement étant confirmé par un arrêt de la cour d’appel de céans en date du 21 janvier 2021.
Alors qu’il n’est pas contesté que les parcelles étaient dans la famille de M. [D] depuis plus de neuf années et qu’il est titulaire d’un diplôme agricole, ce dernier est bien fondé à se prévaloir du régime déclaratif applicable aux biens de famille prévu par les dispositions de l’article L.331-2 du code rural et de la pêche maritime susvisé.
En conséquence, il y a lieu de considérer que M. [D] présente toutes les qualités prévues par les dispositions de l’article L.411-59 du code rural et de la pêche maritime et de valider le congé délivré par acte d’huissier de justice en date du 25 mars 2021 par M. [D] à M. [I] pour le 4 octobre 2022.
Le congé délivré sera donc validé avec toutes conséquences de droit.
M. [I], partie perdante, sera condamné à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
Il n’apparaît pas inéquitable de le condamner à verser à M. [I] la somme de
2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Valide le congé délivré par acte d’huissier de justice du 25 mars 2021 par M. [U] [D] à M. [E] [I] pour la date du 4 octobre 2022 portant sur les parcelles cadastrées A[Cadastre 11], A[Cadastre 9], A[Cadastre 8], AK[Cadastre 10], AI[Cadastre 2], A[Cadastre 7], AI[Cadastre 3], AK[Cadastre 12], AK[Cadastre 13] et AI[Cadastre 1], sises sur la commune de [Localité 22]
avec toutes conséquences de droit ;
Condamne M. [E] [I] à verser à M. [U] [D] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] [I] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Véronique DELLELIS