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C3
N° RG 22/01275
N° Portalis DBVM-V-B7G-LJNZ
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
La SELARL LINK ASSOCIES
La CPAM DE [Localité 6]
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU JEUDI 02 NOVEMBRE 2023
Ch.secu-fiva-cdas
Appel d’une décision (N° RG 21/00289)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Valence
en date du 03 mars 2022
suivant déclaration d’appel du 28 mars 2022
APPELANTE :
[5], pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Benjamin GUY de la SELARL LINK ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substitué par Me Léa BAYER, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
Mme [A] [C]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Mélanie CELLIER de la SELARL AVMC, avocat au barreau de GRENOBLE
La CPAM DE [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
comparante en la personne de Mme [S] [W], régulièrement munie d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Elsa WEIL, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 05 septembre 2023
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président, en charge du rapport et Mme Elsa WEIL, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 02 novembre 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 02 novembre 2023.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [A] [C], assistante administrative au sein de l’Association [5] (ci après dénommée l’association [5]) a été victime d’un accident du travail le 23 décembre 2015 pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de [Localité 6].
Au titre de cet accident ont été rédigées deux déclarations : la première du 8 août 2016 signée par Mme [C] fait état d’un accident du 23 décembre 2015 à 14h, immédiatement constaté par l’employeur, d’une altercation avec une cheffe de bureau (ndr : Mme [Y]) ayant entraîné un épuisement total physique et psychique, des pleurs, une crise de nerfs, des maux de tête et des vomissements.
La seconde, en date du 6 octobre 2016, émanant de l’employeur ayant eu connaissance des faits le 23 septembre 2016 est assortie de réserves. Le document mentionne, d’après les dires de la salariée, une altercation avec un responsable hiérarchique au sujet de demandes impératives croissantes le 23 décembre 2015 à 14h ayant entraîné un épuisement, des pleurs, une crise de nerfs et des vomissements.
Le certificat médical initial daté du 23 décembre 2015 jour de l’accident fait état d’une anxiodépression probablement réactionnelle avec anxiété et pleurs.
L’état de santé de l’assurée a été déclaré consolidé au 1er novembre 2017.
Une rente lui a été attribué par la caisse primaire sur la base d’un taux d’incapacité permanente partielle de 22 % dont 7 % de taux socio-professionnel.
Mme [C] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 février 2018.
Le 29 mars 2018, sans saisine préalable de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6] en vue d’une tentative de conciliation amiable, Mme [C] a sollicité directement devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Valence la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l’origine de son accident du travail.
Par jugement du 3 mars 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Valence a :
– déclaré recevables les conclusions de l’Association [5] et celles de Mme [C] ainsi que les pièces afférentes,
– déclaré les demandes de Mme [C] recevables,
– dit que l’Association [5] a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail dont Mme [C] a été victime le 23 décembre 2015,
– fixé au maximum la majoration de la rente servie à Mme [C] au titre de cet accident du travail,
– alloué à Mme [C] une provision de 2.000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices personnels, aux frais avancés de la CPAM de [Localité 6] qui en récupérera le coût auprès de l’Association [5] dans les conditions légales,
– ordonné avant dire droit sur la réparation de ses préjudices personnels une expertise médicale avec mission habituelle en la matière aux frais avancés de la CPAM de [Localité 6] qui en récupérera le coût auprès de l’Association [5] dans les conditions légales,
– condamné l’Association [5] à payer à Mme [C] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la décision,
– réservé les dépens.
Le 28 mars 2022, l’Association [5] a interjeté appel de cette décision.
Les débats ont eu lieu à l’audience du 5 septembre 2023 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 2 novembre 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
L’Association [5] selon ses conclusions d’appel responsives et récapitulatives n°2 notifiées par RPVA le 11 juillet 2023 reprises à l’audience demande à la cour de :
– déclarer son appel recevable,
– infirmer le jugement du 3 mars 2022 du pôle social du tribunal judiciaire de Valence en ce qu’il a :
– déclaré les demandes de Mme [C] recevables,
– dit que l’Association [5] a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail dont Mme [C] a été victime le 23 décembre 2015,
– fixé au maximum la majoration de la rente servie à Mme [C] au titre de cet accident du travail,
– alloué à Mme [C] une provision de 2.000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices personnels, aux frais avancés de la CPAM de [Localité 6] qui en récupérera le coût auprès de l’Association [5] dans les conditions légales,
– ordonné avant dire droit sur la réparation de ses préjudices personnels une expertise médicale de Mme [C] aux frais avancés de la CPAM de [Localité 6] qui en récupérera le coût auprès de l’Association [5] dans les conditions légales,
– condamné l’Association [5] à payer à Mme [C] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens.
Statuant a nouveau,
A titre principal,
– déclarer que les demandes de Mme [C] sont irrecevables,
– en conséquence, débouter Mme [C] de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire,
– juger qu’elle n’a pas commis de faute inexcusable,
– débouter Mme [C] de toutes ses demandes.
A titre très subsidiaire,
– juger que Mme [C] a commis une faute inexcusable,
– débouter Mme [C] de sa demande de voir fixer la majoration de sa rente à son maximum et fixer la majoration de sa rente à son minimum,
– fixer la mission de l’expert en fonction des seuls préjudices indemnisables, à savoir :
– les souffrances physiques et morales endurées avant consolidation ;
– le préjudice esthétique ;
– le préjudice d’agrément suivant la définition donnée par la Cour de cassation;
– le déficit fonctionnel temporaire.
En tout état de cause,
– débouter Mme [C] de toutes ses demandes,
– condamner Mme [C] au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,
– condamner Mme [C] au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel,
– condamner Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’association [5] soutient que les demandes de Mme [C] sont irrecevables dès lors qu’elle a saisi directement le tribunal des affaires de sécurité sociale sans saisir préalablement la CPAM d’une demande de conciliation et de manière générale, sans rechercher à régler à l’amiable ce litige, en violation des articles R.142-18 du code de la sécurité sociale et de l’article 58 du code de procédure civile applicables à l’époque de la saisine.
Sur la faute inexcusable, elle fait valoir que l’existence d’un manquement fautif imputable à son encontre ou la conscience qu’elle devait avoir d’un danger ne sont pas démontrées et estime que la déclaration d’accident du travail tardive est incompatible avec un reproche en lien avec l’existence d’une faute inexcusable.
Elle indique que la demande de Mme [C] dont le seul comportement est en cause selon l’appelante est fondée sur les mêmes accusations et les mêmes faits que ceux allégués devant le conseil des Prud’hommes de Valence relatifs à une prétendue altercation entre elle et Mme [Y], sa supérieure hiérarchique, que la salariée qualifie d’agression s’inscrivant dans un comportement général de harcèlement. Or elle oppose que ces demandes ont été rejetées par jugement du 7 juin 2019 retenant l’absence de situation de harcèlement et de manquement à l’obligation de santé et de sécurité, décision confirmée par arrêt devenu définitif du 22 janvier 2022 de la cour d’appel de Grenoble.
Elle reproche à la caisse primaire d’avoir reconnu le caractère professionnel de l’accident uniquement en raison de l’existence d’un état de crise de Mme [C] (pleurs, agitation, cri) survenu au temps et au lieu du travail, sans aucune précision quant à l’origine ou l’imputabilité de sorte que les circonstances invoquées autour de l’incident litigieux ne sont pas établies.
Elle prétend que Mme [C] dénonce à tort deux types d’agissements : une surcharge de travail non établie en l’espèce (pas d’heures supplémentaires) et des violences verbales de la part de sa supérieure hiérarchique étant donné que la salariée n’a jamais alerté les représentants du personnel, le médecin du travail, sa hiérarchie ou l’inspection du travail quant à une dégradation de ses conditions de travail et qu’elle n’a en outre formulé aucune demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle à la suite de la situation de harcèlement alléguée.
Elle expose que le compte-rendu du CHSCT du 10 décembre 2014 évoqué par l’intimée fait état de difficultés entre Mme [C] et Mme [J] et non avec Mme [Y] et que le PV du CHSCT du 9 décembre 2015 constatant seulement une « augmentation » de la charge de travail de Mme [C], ne constitue pas une « alerte » sur ses conditions de travail.
Mme [A] [C] par ses conclusions d’intimée notifiées par RPVA le 29 novembre 2022, déposées le 28 juillet 2023 et reprises à l’audience demande à la cour de :
– confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du 3 mars 2022 dans toutes ses dispositions
Statuant à nouveau,
– juger que l’accident du travail dont elle a été victime le 23 décembre 2015 est dû à la faute inexcusable de l’employeur,
– juger que la rente qui lui sera allouée au titre de son accident du travail fera l’objet d’une majoration maximale conformément aux dispositions légales en vigueur,
– ordonner une expertise médicale et désigner tel expert qu’il plaira avec pour mission décrite dans ses écritures et notamment de :
– fixer la date de consolidation,
– relater les constatations médicales faites à l’occasion ou à la suite de ce dommage,
– décrire les lésions subies ou imputées par la concluante à l’événement dommageable, leur évolution, les traitements appliqués,
– évaluer les préjudices visés le taux de son incapacité permanente,
– condamner l’association [5] à lui verser une provision de 2 000 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices personnels sur le fondement de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, (ndr : accordée par le jugement de première instance).
– condamner enfin la même à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.
Concernant la recevabilité de ses demandes, elle soutient que la tentative de conciliation n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité de l’instance contentieuse et qu’en l’espèce, l’article 58 du code de procédure civile invoqué par l’appelante est inapplicable. Elle ajoute qu’elle ne s’opposerait pas à une éventuelle conciliation ou médiation ordonnée par le juge.
Sur la faute inexcusable, elle affirme que l’association [5] ne pouvait ignorer l’exposition au risque et qu’à tout le moins, elle disposait de tous les éléments d’information nécessaires pour en avoir conscience puisqu’il a été constaté, lors d’une réunion, sa surcharge de travail et son mal être. Or elle prétend que l’employeur n’a mis en ‘uvre aucun dispositif ni moyens supplémentaires visant à la prévention de la santé des salariés par l’amélioration des conditions de travail et que la concernant, après sa reprise en mi-temps thérapeutique, Mme [Y] a continué à lui donner des directives et l’a « persécutée ».
Elle expose que son accident du travail est survenu en raison des violences verbales subies, de la dégradation de ses conditions de travail, de la cadence exigée des tâches à accomplir et de la surcharge de travail alors qu’elle s’était vue confier deux mandats (membre du CHSCT et secrétaire de la commission formation).
Elle explique que sa souffrance au travail était pourtant connue de :
– l’employeur lui-même : elle l’a alerté une nouvelle fois le 9 décembre 2015 sur sa surcharge de travail et la détérioration de sa santé et de l’accomplissement d’heures supplémentaires. M. [O], Directeur des Ressources Humaines, a indiqué lors de son entretien de reprise en mi-temps thérapeutique : « lors de la dernière réunion du CHSCT, l’intervention de Mme [C] faisait nettement percevoir un mal être ».
– Des instances représentatives : le 10 décembre 2014, le CHSCT a alerté l’employeur sur les difficultés de communication entre les salariés du service comptabilité et la cheffe de service.
– De nombreux salariés disposant d’un mandat de représentant du personnel ont constaté son effondrement physique et psychique.
– De la médecine du travail qui a constaté un burn out professionnel.
Enfin elle écarte tout manquement ou toute faute inexcusable de sa part et fait valoir au contraire, qu’elle avait de très grandes qualités professionnelles et humaines établies par les attestations produites.
La caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 6], selon ses conclusions parvenues le 17 juillet 2023 reprises à l’audience, demande à la cour de :
– prendre acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur la demande de faute inexcusable,
Si la faute inexcusable est reconnue, condamner l’employeur à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura à faire l’avance.
Elle rappelle que Mme [C] a été déclarée consolidée à partir du 1er novembre 2017 avec attribution d’une rente de 22 % dont 7 % de taux socio professionnel.
Pour le surplus de l’exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1. Mme [C] a saisi l’ex tribunal des affaires de sécurité sociale de Valence d’un recours le 29 mars 2018 aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
L’article R. 142-17 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable disposait alors que : ‘La procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est régie par les dispositions du livre Ier du code de procédure civile sous réserve des dispositions de la présente sous-section’.
Pour soulever l’irrecevabilité de la saisine directe de Mme [C], l’Association [5] se prévaut des dispositions de l’article 58 du code de procédure civile dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2020 selon lesquelles :
‘La requête ou la déclaration est l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
Elle contient à peine de nullité :
1° Pour les personnes physiques : l’indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ;
Pour les personnes morales : l’indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l’organe qui les représente légalement ;
2° L’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;
3° L’objet de la demande.
Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
Elle est datée et signée’.
L’analyse littérale de ces dispositions conduit à retenir que la sanction de nullité ne se rapporte qu’au défaut d’indication des mentions figurant aux 1°, 2° et 3° sous ce rappel mais non à l’indication ensuite des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
L’association invoque également les dispositions spécifiques de l’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale édictant que :
‘A défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie, d’en décider’.
Ainsi rédigées, elles ne prévoient pas que la tentative préliminaire amiable de reconnaissance de la faute inexcusable menée devant la caisse primaire d’assurance maladie soit une exception d’irrecevabilité de la saisine de la juridiction sociale, étant rappelé que selon l’article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas prévue expressément par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (cf également Cassation sociale 25 juillet 1984 ; pourvoi n° 82-13.848).
Les premiers juges ont donc écarté à bon droit l’exception d’irrecevabilité de l’action de Mme [C] soulevée par son employeur.
2. En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
La conscience du danger doit s’apprécier compte-tenu de l’importance de l’entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié.
Il appartient enfin au salarié, demandeur à l’instance en reconnaissance de faute inexcusable, de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances de l’accident dont il a été victime demeurent indéterminées, en considération des pièces versées aux débats par l’appelant à qui incombe cette preuve.
3. Les déclarations d’accident du travail rédigées l’une par la salariée le 8 août 2016 et l’autre par l’employeur le 6 octobre 2016 d’après les dires cette dernière sont rédigées dans des termes similaires :
– déclaration salariée : ‘Altercation ++ avec chef bureau. Trop plein insistance sur ‘Vous deviez’ ; demande d’en faire toujours ++’ ;
– déclaration employeur : ‘Altercation avec son responsable hiérarchique au sujet de demandes impératives croissantes’.
La faute inexcusable à caractériser à l’origine de l’accident du travail doit donc être en relation de causalité avec ces circonstances et seuls les faits antérieurs à la survenance de cet accident du travail sont à considérer.
4. Mme [C] date le début de la dégradation de ses conditions de travail avec l’arrivée de Mme [Y] en novembre 2014 comme cheffe de bureau du service comptabilité devenue sa responsable hiérarchique directe.
Elle ajoute qu’il n’était pas pris en compte dans l’évaluation de sa charge de travail le temps que lui prenaient ses heures de délégations comme membre du comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) ou comme secrétaire de la commission formation du comité d’entreprise, étant rappelé que ses deux mandats sont antérieurs à 2014.
5. Deux témoins (M. [U] et Mme [G]) relatent que Mme [C] avait alerté le CHSCT dont elle était membre (depuis avril 2011) sur la dégradation de ses conditions de travail.
Le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 10 décembre 2014 (pièce intimée n° 12) relate des difficultés au sein du service [7] prenant en charge des patients et, s’agissant du service comptabilité, que les élus ont souhaité aborder le problème des tensions présentes depuis longtemps dans ce bureau.
Il a été fait état de la question de l’entente entre deux personnes du service et de l’attention à une juste répartition du travail. Le médecin du travail de l’entreprise a estimé que la question de l’entente entre deux personnes du service ne relevait pas des missions de l’ergonome de son service.
Le directeur des ressources humaines (M. [O]) a indiqué n’avoir eu à ce jour aucune remontées d’informations à ces deux sujets et souhaité laisser oeuvrer la nouvelle responsable du bureau (ndr : Mme [Y]) modifier les procédures si elles ont besoin d’être améliorées.
Cette mésentente au sein du service ne concernait donc pas Mme [Y] arrivée quelques semaines auparavant.
Lors du CHSCT du 9 décembre 2015 (pièce intimée n° 13), Mme [C] est intervenue pour préciser que sa charge de travail avait augmenté et que le système de badge ne lui avait pas permis de valider les heures supplémentaires qu’elle soutenait avoir effectuées. Il a alors été rappelé par le DRH la faculté pour le salarié de faire une ‘feuille jaune’ en fin de mois. Les élus ont demandé que le point soit fait sur l’état des compteurs individuels et que la charge de travail soit réévaluée car la demande de travail administratif a augmenté alors que le temps de travail dédié a diminué.
La conscience éventuelle par l’Association [5] des difficultés rencontrées par Mme [C] dans l’exercice de ses fonctions ne repose donc que sur ces deux pièces puisque les seuls témoignages de collègues auprès de qui Mme [C] a fait part de ses difficultés et pu constater qu’elle en était affectée qui ne sont corroborés par aucun élément objectif vérifiable ne sont pas suffisants pour rapporter la preuve que ces informations seraient remontées jusqu’à l’employeur ou l’encadrement.
6. L’association a versé aux débats les relevés d’horaires enregistrés par badge de la période de décembre 2014 à décembre 2015 (Pièce [5] n° 12-1) ne faisant ressortir aucun dépassement spécifique tandis qu’il incombait le cas échéant à Mme [C] de verser aux débats les ‘feuilles jaunes’ qu’elle aurait remplies mais non de faire sommation à son employeur de les produire, demande de preuve qu’il n’est pas possible de satisfaire si elles n’ont jamais été établies. La surcharge de travail alléguée par Mme [C] et supposée découler de la rédaction du procès verbal du 9 décembre 2015 du CHSCT n’est donc pas certaine.
7. Dans son attestation et lors de sa déclaration à l’occasion de l’enquête effectuée par la caisse primaire d’assurance maladie sur les circonstances de l’accident, M. [O], directeur des ressources humaines, affirme n’avoir jamais été interpellé sur un quelconque souci dans le service de Mme [C] ou avec sa responsable directe autre que la température à observer l’hiver dans le bureau de la comptabilité et la fermeture ou l’ouverture d’une porte de communication, questions faisant débat entre les deux salariées occupant ce bureau.
Mme [X] [T] directrice financière et supérieure hiérarchique immédiate de Mesdames [C] et [Y] dont le bureau était proche des leurs a également déclaré à l’enquêteur de la caisse que Mme [C] n’était jamais venue la voir pour se plaindre d’une surcharge de travail ou de ses relations avec Mme [Y].
Enfin le fait que Mme [C] avise Mme [Y] par courriel du 17 décembre 2015 qu’elle sort du médecin et que fatiguée elle rentre chez elle, ne permet pas d’imputer à lui seul avec certitude cette fatigue à une souffrance antérieure au travail.
8. L’altercation du 23 décembre 2015 entre mesdames [C] et [Y] n’a pas été qualifiée d’anormale par l’enquêteur de la caisse primaire d’assurance maladie ayant entendu les deux protagonistes et les témoins indirects, dont l’infirmière du service de santé où s’est rendue immédiatement l’intimée qui a déclaré : ‘Elle ne m’a pas cité de mots déplacés prononcés par sa responsable ni décrit une agressivité de sa part’.
Pour décrire cette scène à l’enquêteur, Mme [C] a effectivement employé seulement les expressions de : ‘ton très autoritaire’, ‘ton d’agacement’, ‘violence dans l’intonation de la voix’, ‘regard autoritaire’.
9. Parallèlement, Mme [C] a saisi le 6 juillet 2018 le conseil des prud’hommes de demandes aux fins de juger notamment :
– à titre principal que les agissements de son employeur à son encontre sont constitutifs de harcèlement moral ;
– à titre subsidiaire que l’employeur a manqué à son obligation de loyauté et qu’elle a été victime d’agissements à l’origine d’une souffrance au travail ;
– que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité résultat,
demandes dont elle a été déboutée par jugement du 7 juin 2019 puis par arrêt de cette cour du 25 janvier 2022, rendu entre les mêmes parties et devenu définitif, aux motifs dont il a été débattu devant cette juridiction notamment qu’il n’était pas démontré qu’elle subissait une surcharge de travail, que les faits du 23 décembre 2015 matériellement établis par Mme [C] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, qu’elle ne démontrait pas le comportement hostile de Mme [Y] à son encontre ni d’agissements de la part de son employeur comme la surcharge de travail et qu’elle n’a pas été victime d’harcèlement moral de la part de Mme [Y].
10. Enfin, l’entreprise est bien dotée d’un document unique d’évaluation des risques psycho-sociaux mentionnant une analyse faite de ces facteurs de risque en 2010 par un cabinet spécialisé, un plan d’action mis en oeuvre à la suite par un accord d’entreprise du 15 juin 2011 et une actualisation programmée en 2015/2016.
11. Dès lors, il n’est pas rapporté la preuve qui incombait à Mme [C] de ce que son employeur aurait eu connaissance d’un danger particulier auquel elle aurait été exposé dans ses conditions de travail, ainsi susceptible de conduire à la lésion psychologique établie dont elle a été victime le 23 décembre 2015 et que l’association n’aurait pas pris les mesures susceptibles de prévenir.
Les deux critères d’existence d’une faute inexcusable de son employeur en relation de causalité, même non exclusive, avec la survenance de cet accident du travail ne sont donc pas réunis.
Le jugement déféré sera donc entièrement infirmé, sauf en ce qu’il a déclaré les demandes directes de Mme [C] devant la juridiction du contentieux de la sécurité sociale recevables.
12. Mme [C] succombant supportera les dépens de première instance et d’appel.
Il parait équitable d’allouer à l’appelante les sommes de 1 000 euros pour ses frais irrépétibles de première instance et 1 000 euros pour ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement RG n° 21/00289 rendu le 3 mars 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Valence, sauf en ce qu’il a déclaré les demandes de Mme [A] [C] recevables.
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [A] [C] de ses demandes en reconnaissance de faute inexcusable à l’origine de l’accident du 23 décembre 2015 et de ses demandes subséquentes de majoration de la rente, de provision, d’expertise médicale et par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [A] [C] aux dépens de première instance et d’appel.
Condamne Mme [A] [C] à verser à L’ASSOCIATION [5] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance.
Condamne Mme [A] [C] à verser à L’ASSOCIATION [5] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président