Tentative de conciliation : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/17815

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Tentative de conciliation : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/17815
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 02 MARS 2023

N° 2023/160

Rôle N° RG 21/17815 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BIR2N

[V] [J]

[R] [P] épouse [J]

[I] [U]

[D] [M] épouse [U]

[N] [U]

[S] [U]

C/

S.C.I. CAP AZUR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Hervé ZUELGARAY

Me Jérôme LACROUTS

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 23 novembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/00646.

APPELANTS

Monsieur [V] [J]

né le 04 novembre 1960 à [Localité 10], demeurant [Adresse 4]

Madame [R] [P] épouse [J]

née le 20 septembre 1961 à [Localité 10], demeurant [Adresse 4]

Monsieur [I] [U]

né le 17 novembre 1958 à [Localité 8] (ROYAUNE UNI), demeurant [Adresse 3]

Madame [D] [M] épouse [U]

née le 17 avril 1964 à [Localité 12] (ROYAUNE UNI), demeurant [Adresse 3]

Monsieur [N] [U]

né le 18 avril 1991 à [Localité 9] (ROYAUNE UNI), demeurant [Adresse 3]

Madame [S] [U]

née le 08 septembre 1994 à [Localité 13] (ROYAUME UNI), demeurant [Adresse 3]

représentés par Me Hervé ZUELGARAY, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

S.C.I. CAP AZUR

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 1]

représentée par Me Jérôme LACROUTS de la SCP D’AVOCATS BERLINER-DUTERTRE-LACROUTS, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 24 janvier 2023 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Catherine OUVREL, Conseillère rapporteur

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Les époux [J] sont propriétaires d’un terrain situé [Adresse 4] sur lequel ils font édifier une villa (parcelle [Cadastre 2]). Monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] sont propriétaires d’une villa sur la parcelle contigue, située [Adresse 3] (parcelle [Cadastre 5]). En face de ces deux fonds, de l’autre côté de l'[Adresse 4] et en contrebas, se situe la propriété de la SCI Cap Azur (parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7]).

Se plaignant de la taille démesurée d’un arbre situé sur le fonds de la SCI Cap Azur leur obstruant la vue sur la mer, les époux [J], d’une part, et, les consorts [U], d’autre part, ont assigné la SCI Cap Azur le 2 avril 2021, devant le juge des référés en vue d’obtenir l’élagage de cet arbre, invoquant l’urgence à intervenir.

Par ordonnance de référé en date du 23 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nice a :

dit n’y avoir lieu à référé concernant les demandes, de monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U],

rejeté l’intégralité des demandes de monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U], à défaut d’urgence et en présence d’une contestation sérieuse,

condamné in solidum monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] à payer à la SCI Cap Azur la somme de 1 000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

rejeté toutes les autres demandes.

Selon déclaration reçue au greffe le 16 décembre 2021, monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] ont interjeté appel de la décision, l’appel portant sur toutes les dispositions de l’ordonnance déférée dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 21 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] demandent à la cour de :

confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré leur action recevable et considéré que la juridiction des référés était compétente,

réformer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé, a rejeté leurs demandes, et les a condamné au paiement des dépens et d’une indemnité au titre des frais irrépétibles,

À titre principal :

condamner la SCI Cap Azur à procéder à l’élagage de l’arbre litigieux une fois par an, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

À titre subsidiaire :

désigner un expert afin notamment d’examiner les troubles par eux allégués en termes de jouissance, d’agrément, de perte de vue et de perte de valorisation de leurs propriétés, et, de déterminer s’ils revêtent ou non le caractère de troubles anormaux du voisinage,

condamner la SCI Cap Azur au paiement d’une provision ad litem de 5 000 €,

En tout état de cause :

rejeter toute demande formée contre eux au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la SCI Cap Azur à payer aux époux [J] et aux consorts [U] la somme de 500 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la SCI Cap Azur au paiement des dépens.

Les appelants invoquent un trouble anormal du voisinage, sur le fondement de l’article 544 du code civil, à raison du magnolia grandiflora, à feuilles persistantes, situé sur la propriété de la SCI Cap Azur, atteignant 15 mètres de haut, une largeur déjà importante, et étant susceptible de croître encore de manière significative. Ils se plaignent d’une obturation, chaque année supérieure, de leur vue mer, à raison de la densité, de la largeur et de la hauteur de cet arbre. Ils produisent plusieurs procès-verbaux de constat par huissier de justice en attestant et déplorent la perte d’une magnifique vue panoramique sur la mer, un préjudice d’ensoleillement et une diminution de la valeur vénale de leur bien immobilier.

Ils estiment ce trouble d’autant plus gênant que les biens se situent dans un environnement privilégié à [Localité 11] et concernent deux propriétaires, gênés de la même façon. Ils affirment résider dans leurs biens et donc subir le trouble dénoncé. Ils font valoir que la taille de l’arbre en janvier 2020 n’a en rien amélioré la situation.

Les appelants critiquent la décision entreprise en ce qu’ils n’invoquent pas la violation d’une servitude conventionnelle, ni la violation d’une règle d’urbanisme, ni les règles du code civil sur l’élagage entre fonds voisins. Ils dénoncent le rapport privé non contradictoire produit par l’intimée.

À titre subsidiaire, les appelants sollicitent une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et estiment détenir un intérêt légitime à raison du préjudice issu de la perte de leur vue sur la mer, préjudice d’autant plus important au vu de la localisation des villas considérées. Ils entendent également obtenir une provision ad litem.

Par dernières conclusions transmises le 11 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCI Cap Azur sollicite de la cour qu’elle :

À titre principal :

infirme l’ordonnance en ce qu’elle a jugé recevable l’action de monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U],

juge irrecevable l’action de monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U], faute de tentative de conciliation préalable imposée par l’article 750-1 du code de procédure civile pour les actions relatives à l’élagage d’arbres ou de haies,

À titre subsidiaire :

confirme l’ordonnance entreprise,

juge n’y avoir lieu à référé sur les demandes de monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U], et rejette l’intégralité de leurs demandes,

déboute monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] de leur demande d’expertise,

déboute monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] de leur demande de provision ad litem,

condamne in solidum monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] à lui verser la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

L’intimée soutient que l’arbre litigieux est un ficus macrocarpa plus que centenaire, régulièrement entretenu et taillé pour la dernière fois en janvier 2020. Elle s’appuie sur le rapport de la société Agro Diagnostic du 14 mars 2021 qui préconise une taille uniquement tous les 5 à 6 ans.

A titre principal, la SCI Cap Azur soulève l’irrecevabilité des prétentions des appelants pour violation des articles 750-1 du code de procédure civile et R 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire, à défaut de tentative de conciliation préalable à l’action en référé dans le cadre d’une instance tendant à l’élagage des arbres, relevant précisément de ce domaine.

A titre subsidiaire, la SCI Cap Azur sollicite la confirmation de l’ordonnance. Elle invoque le défaut d’urgence soutenant l’action des appelants et fait valoir que ces derniers n’opposent aucun élément émanant de professionnel en réponse au rapport Agro Diagnostic du 14 mars 2021. Elle soutient par ailleurs qu’il existe des contestations sérieuses s’opposant à la demande et qu’aucun trouble anormal du voisinage n’est caractérisé. La SCI Cap Azur fait valoir l’absence de toute servitude conventionnelle de vue des appelants et souligne l’antériorité de l’arbre à l’acquisition des appelants, respectivement en 2014 et 2017, et donc à la construction de leurs maisons. Elle en déduit qu’ils ne peuvent se prévaloir d’une perte de vue ou d’ensoleillement depuis leur achat effectué en toute connaissance de cause, et, alors même qu’ils ne démontrent pas vivre dans leurs biens. Par ailleurs, la SCI Cap Azur fait valoir l’impossibilité de prévoir une astreinte tous les ans, telle que sollicitée.

Par ailleurs, la SCI Cap Azur s’oppose à la demande d’expertise et de provision ad litem. Elle fait valoir qu’aucune violation des règles de l’urbanisme ou du code civil n’est établie, de sorte qu’aucun intérêt légitime n’est démontré pour justifier d’une expertise particulièrement large et imprécise.

L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance en date du 10 janvier 2023.

Par soit-transmis du 25 janvier 2023, la cour a soulevé d’office le moyen tiré de l’impact de l’annulation des dispositions de l’article 750-1 du code de procédure civile par l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 septembre 2022 sur la recevabilité contestée de l’action des appelants.

Elle a donc demandé aux parties de lui faire retour de leurs observations par le truchement d’une note en délibéré déposée avant le 30 janvier 2023 minuit.

Par note en délibéré déposée par le conseil des appelants le 26 janvier 2023, ces derniers ont rappelé qu’ils estimaient que cet article ne s’appliquait pas en l’espèce ne s’agissant pas de l’élagage d’un arbre situé sur la ligne divisoire de deux fonds mitoyens, et une demande d’expertise, indéterminée, étant formée. En l’état de l’arrêt du Conseil d’Etat, ils font valoir que le moyen tirée de l’irrecevabilité est inopérant.

Par note en délibéré déposée par le conseil de l’intimée le 30 janvier 2023, la SCI Cap Azur a indiqué renoncer à ce moyen.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l’action

En vertu de l’article R 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal judiciaire connaît :

1° Des actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies ;

2° Des actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l’article 674 du code civil ;

3° Des actions relatives au curage des fossés et canaux servant à l’irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et moulins ;

4° Des contestations relatives à l’établissement et à l’exercice des servitudes instituées par les articles L. 152-14 à L. 152-23 du code rural et de la pêche maritime, 640 et 641 du code civil ainsi qu’aux indemnités dues à raison de ces servitudes ;

5° Des contestations relatives aux servitudes établies au profit des associations syndicales prévues par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.

Par application de l’article 750-1 du code de procédure civile, anciennement, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire.

En l’occurrence, la demande principale porte sur une demande d’élagage d’un arbre situé sur un fonds voisin, bien que non contigu, et la demande subsidiaire concerne une expertise.

Or, par décision du 22 septembre 2022 (CE, 6e et 5e ch. réun., 22 sept. 2022, n° 436939 et 437002, le Conseil d’Etat a annulé l’article 750-1 du code de procédure civile, dans le cadre des procédures en cours lors de sa décision. Tel est le cas en l’espèce.

En tout état de cause, la SCI Cap Azur, aux termes de sa note en délibéré, renonce à cette irrecevabilité, ce qui s’analyse en un désistement de la prétention tendant à opposer une fin de non recevoir à l’action des appelants, celui-ci étant possible à tout moment.

Ainsi, il n’y a pas lieu à irrecevabilité de la demande des époux [J] et des consorts [U], l’ordonnance entreprise devant être confirmée à ce titre.

Sur la demande au titre de l’élagage de l’arbre

Par application de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite se caractérise par toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. En outre, aucune condition d’urgence ou d’absence de contestation sérieuse n’est requise pour l’application de l’article susvisé.

En vertu de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

En l’espèce, il est acquis que sur la parcelle [Cadastre 7], propriété de la SCI Cap Azur, se trouve un très grand arbre, potentiellement centenaire, en limite de l'[Adresse 4] de l’autre côté duquel se situent, d’une part, la propriété acquise par les époux [J] en 2014 (parcelle [Cadastre 2]), et, d’autre part, la propriété acquise par les consorts [U] en 2017 (parcelle [Cadastre 5]). La parcelle [Cadastre 7], tout comme la parcelle [Cadastre 6], propriétés de l’intimée, donnent sur la mer. Les fonds des appelants et de l’intimée ne sont pas contigus puisque séparés par la voie publique.

Les appelants, qui ne le contestent au demeurant pas, ne peuvent se prévaloir ni d’une servitude conventionnelle de vue sur la mer, ni de la violation d’une règle d’urbanisme par l’intimée, ni d’un manquement aux dispositions du code civil, notamment aux articles 671 et suivants, celles-ci ne s’appliquant qu’à des fonds mitoyens. Ils invoquent un trouble manifestement illicite à raison d’un trouble anormal du voisinage que leur causerait l’absence d’élagage régulier de l’arbre litigieux.

En effet, aux termes de plusieurs procès-verbaux de constats, dont principalement ceux des 18 octobre 2019 et 26 février 2021, il appert que l’arbre, que l’huissier de justice qualifie de magnolia grandiflora, est de très haute futaie, à savoir environ 10 à 15 mètres de haut, avec des branches très larges et très hautes, qui dépassent la limite de propriété pour surplomber l'[Adresse 4], et présente un feuillage dense, compact et touffus. La largeur de l’arbre est indiquée comme étant comprise entre 9 et 12 mètres. L’huissier de justice précise que cet arbre constitue un obstacle visuel important privant les appelants d’une partie importante de la vue mer dont ils pourraient bénéficier. Les procès-verbaux de constat dressés les 22 juin 2022 et 8 novembre 2022, confirment l’ampleur de l’arbre litigieux qui continue de se développer, tout en relevant qu’il a été taillé, et se trouve par endroit moins dense, notamment sur sa partie Est. Il constitue toujours un obstacle à la vue sur mer depuis la propriété [J], orientée Est, et ne bénéficiant que d’une vue mer réduite, en oblique sur la droite.

Aux termes d’un procès-verbal de constat dressé par l’huissier de justice mandaté par la SCI Cap Azur le 27 septembre 2019, donc ayant pénétré au sein de sa propriété, l’arbre en cause est décrit comme étant un ficus très ancien, situé environ à 4 mètres de la limite de propriété, en parfait état d’entretien, dont seul dix pour cent de son feuillage déborde sur l'[Adresse 4], à raison d’une branche principalement.

Par ailleurs, la SCI Cap Azur démontre entretenir cet arbre, tant par la production de clichés photographiques datant de janvier 2020, alors que la propriété des appelants était toujours en construction, que par la production d’un rapport de la société Agro Diagnostic, du 4 février 2021, ayant pour objet les préconisations de taille du grand ficus macrocarpa. Aux termes de ce rapport, qui ne constitue qu’une expertise amiable et n’est certes pas contradictoire, il appert que l’arbre litigieux est décrit comme étant un arbre de bonne vigueur, sain et solide, ayant subi des tailles, dont la dernière en janvier 2020, réalisées de manière à répondre aux contraintes environnementales tout en veillant à la préservation de l’arbre qui serait affecté par des coupes de gros diamètres ou des tailles trop fréquentes. En effet, madame [B] [Y], spécialiste en arboriculture ornementale et phytopathologiste, met en garde contre de telles tailles susceptibles, selon elle, d’affaiblir l’arbre et d’initier un dépérissement physiologique. Ainsi, elle préconise des tailles tous les 5 à 6 ans, laissant le temps à l’arbre de se régénérer, tout en évitant les grosses coupes.

Tout en contestant la valeur de ce rapport, les appelants ne fournissent aucun autre élément émanant d’un professionnel du végétal de nature à contester ou remettre en cause ces préconisations. Les seuls constats d’huissier de justice attestant du développement de l’arbre sont à ce titre parfaitement inopérants. Or, c’est bien un élagage régulier, annuel, que sollicitent les époux [J] et les consorts [U].

En outre, et surtout, il appartient aux appelants, pour fonder leurs demandes, de démontrer qu’un trouble anormal du voisinage est manifestement acquis. Or, cet arbre est à l’évidence présent depuis plus de cent ans, et a donc acquis son envergure actuelle depuis de très nombreuses années, alors que les appelants n’ont acquis leurs parcelles qu’en 2014 et 2017, étant observé que la propriété des appelants a été en construction pendant plusieurs années, et au moins jusqu’en 2020. Ainsi, ces derniers ne démontrent pas avoir vécu en ces lieux avant 2021 au mieux, de sorte que la préexistante de l’arbre, dans sa hauteur, forme et densité actuelles, est manifestement acquise. Il ne peut donc lui être imputé une quelconque perte de vue sur mer pour les appelants, vue dont ils n’ont jamais bénéficié, mais dont ils revendiquent ici l’obtention.

Dans ces conditions, aucune anormalité du trouble, à le supposer avéré, n’est manifestement acquise, de sorte qu’aucun trouble manifestement illicite n’est caractérisé.

En conséquence, c’est à juste titre que le premier juge a écarté la demande d’élagage de cet arbre ; l’ordonnance entreprise doit être confirmée.

Sur la demande d’expertise

En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

La demande d’une mesure d’instruction doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter le litige futur, qui peut n’être qu’éventuel, comme plausible et crédible. Il appartient donc aux appelants de rapporter le preuve d’éléments suffisants à rendre crédibles leurs allégations, et de démontrer que le résultat de l’expertise à ordonner présente un intérêt probatoire.

En l’occurrence, les époux [J] et les consorts [U] sollicitent une expertise, non pas afin de déterminer le type d’arbre litigieux, son état phytosanitaire et les préconisations pouvant être faites à ce titre et en matière de tailles, mais en vue d’examiner les troubles de jouissance, d’agrément, de perte de vue et de perte de valorisation de leur propriétés, ainsi que leur caractère anormal.

Or, d’une part, ces objectifs recherchés ne requièrent pas l’avis d’un technicien, du moins à ce stade, puisque l’existence et l’ampleur de tels préjudices peuvent être démontrés et étayés par les parties elles-mêmes par le biais, notamment, de procès-verbaux de constat, voire d’avis de valeur immobilière. D’autre part, cette expertise ne présente aucune utilité en raison de l’antériorité de l’arbre litigieux par rapport à l’installation et à l’édification de la villa des appelants. Dans la mesure où les époux [J] et les consorts [U] ne démontrent pas suffisamment l’existence d’un trouble anormal plausible, ils ne justifient d’aucun intérêt légitime à la réalisation d’une expertise.

C’est donc là encore à juste titre que le premier juge a rejeté une telle demande.

Sur la demande de provision ad litem

Par application de l’article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Il convient de rappeler qu’il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant, qui n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

En l’absence d’expertise ordonnée, et eu égard à l’absence de trouble anormal du voisinage manifeste, la demande de provision ad litem se heurte à des contestations sérieuses faisant obstacle à son octroi.

L’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rejeté une telle prétention.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Monsieur [V] [J], madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] qui succombent au litige seront déboutés de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de la SCI Cap Azur les frais, non compris dans les dépens, qu’elle a exposés pour sa défense.

L’indemnité qui lui a été allouée à ce titre en première instance sera confirmée et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 7 000 euros en cause d’appel, à raison de moitié à la charge des époux [J] et de moitié à la charge des consorts [U].

Les appelants supporteront in solidum en outre les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Condamne in solidum monsieur [V] [J] et madame [R] [P] épouse [J], à payer à la SCI Cap Azur la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U], à payer à la SCI Cap Azur la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute monsieur [V] [J] et madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] de leur demande sur ce même fondement,

Condamne in solidum monsieur [V] [J] et madame [R] [P] épouse [J], monsieur [I] [U], madame [D] [M] épouse [U], monsieur [N] [U] et madame [S] [U] au paiement des dépens.

La Greffière Le Président

 


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