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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89B
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 OCTOBRE 2023
N° RG 22/02264 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VKKK
AFFAIRE :
S.A.R.L. [12]
C/
[X] [N]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Avril 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE
N° RG : 16/00889
Copies exécutoires délivrées à :
la AARPI [9]
la SELARL [11]
CPAM 92
Compagnie d’assurance [10]
Copies certifiées conformes délivrées à :
S.A.R.L. [12]
[X] [N]
CPAM DES HAUTS DE SEINE
Compagnie d’assurance [10]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. [12]
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Me Stéphane BRIZON de l’AARPI AARPI BRIZON MOUSAEI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2066
DEMANDERESSE
****************
Monsieur [X] [N]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R295
CPAM DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par M. [K] [F] (Représentant légal) en vertu d’un pouvoir spécial
Compagnie d’assurance [10]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Stéphane BRIZON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2066
DÉFENDEURS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseillère,
Madame Laëtitia DARDELET, Conseillère,
Greffière, lors des débats : Madame Juliette DUPONT,
EXPOSÉ DU LITIGE
Salarié de la société [12] (la société), M. [X] [N] (la victime) a, le 25 avril 2012, été victime d’un accident que la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine (la caisse) a pris en charge, le 7 mai 2012, au titre de la législation professionnelle.
Après échec de la tentative de conciliation, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement du 11 avril 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre a :
– reçu la demande de la victime et dit cette demande bien fondée ;
– dit que l’accident survenu à la victime le 25 avril 2012 est dû à la faute inexcusable de son employeur ;
– dit que la rente servie à la victime doit être majorée à son taux maximal légal ;
– condamné la société à verser à la victime la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice personnel ;
– dit que la caisse en fera l’avance à charge pour elle d’en récupérer le montant auprès de l’employeur ;
– ordonné une expertise sur les demandes complémentaires ;
– fixé le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert à la somme de 900 euros, à la charge de la caisse ;
– accueilli la caisse en son action récursoire ;
– ordonné l’exécution provisoire du chef de l’expertise ;
– fait partiellement droit à la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamné la société à payer à la victime la somme de 1 000 euros.
La société a relevé appel de cette décision.
Par arrêt du 14 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles a :
– déclaré la caisse primaire d’assurance maladie de l’Essonne (nouvelle caisse d’affiliation de la victime) irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ;
– confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
– débouté la victime de sa demande de provision complémentaire ;
– débouté les parties de toute autre demande, plus ample ou contraire ;
– condamné la victime aux dépens d’appel ;
– débouté la société de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société à verser à la victime la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– déclaré l’arrêt opposable à la société [10].
Sur pourvoi formé par la société, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, par arrêt du 12 mai 2022 (n° 20-12.026) :
– cassé et annulé, sauf en ce qu’il a déclaré la caisse primaire d’assurance maladie de l’Essonne irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, l’arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;
– remis, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;
– condamné la victime aux dépens et rejeté les demandes en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
aux motifs suivants :
« Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
Pour dire que la faute inexcusable de l’employeur est établie, l’arrêt retient que celui-ci a été définitivement reconnu coupable, par jugement du 26 juin 2017, d’avoir omis de respecter les mesures relatives à l’hygiène, la sécurité ou les conditions de travail en ayant fait travailler la victime sur une scène de 1,50 mètre, dont celle-ci a chuté.
En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions, l’employeur indiquait qu’appel avait été interjeté de ce jugement, la cour d’appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé . »
La société a, le 18 juillet 2022, saisi la cour de céans, autrement composée.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 7 septembre 2023.
La société et son assureur, la société [10], ont comparu, représentés par leur avocat.
La victime a comparu, représentée par son avocat.
La caisse a également comparu en la personne de sa représentante, munie d’un pouvoir à cet effet.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société et son assureur sollicitent l’infirmation du jugement entrepris et le rejet de la demande.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la victime sollicite la confirmation du jugement entrepris, ainsi qu’une provision de 20 000 euros à la charge de la société et de son assureur, à faire valoir sur la réparation de son préjudice corporel.
Il est renvoyé, concernant la caisse, à ses conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l’audience, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
A l’audience, entendues sur ce point, les parties s’accordent sur le caractère définitif de l’arrêt rendu le 25 novembre 2019 par la cour d’appel de Paris, statuant sur appel d’un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 26 juin 2017, à la suite des poursuites pénales engagées contre la société et la gérante de celle-ci, Mme [D].
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société sollicite la condamnation de la victime à lui verser la somme de 5 000 euros. L’assureur demande que la victime soit condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros. La victime demande la condamnation solidaire de la société et de l’assureur à lui payer la somme de 4 000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est constant qu’en l’espèce, la victime, employée par la société dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, a fait une chute d’une hauteur d’un mètre environ, alors qu’elle travaillait sur un chantier au palais des congrès à Paris. Cet accident, dont le caractère professionnel n’est pas contesté, lui a occasionné une fracture du col de fémur.
Comme le rappelle la société, qui intervenait alors comme prestataire extérieure, celle-ci a pour activité principale la livraison, le montage, le démontage, l’enlèvement des décors et matériels inhérents au fonctionnement d’une scène de spectacle. La victime occupait un emploi de roading, impliquant des travaux de manutention. Selon le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 26 juin 2017, elle était, au moment des faits, employée au démontage d’une installation vidéo sur la scène du palais des congrès.
Aucun élément du dossier ne vient démontrer que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé dans le cadre de l’exécution de son travail. La victime soutient que la scène n’était pourvue d’aucun garde-corps ni d’aucun dispositif au sol matérialisant son extrémité, ce qui la rend dangereuse, mais aucune pièce n’est versée aux débats permettant d’identifier si les tâches précises du salarié et les zones dans lesquelles il évoluait impliquaient un risque prévisible pour sa santé et sa sécurité. Lors de son audition devant les services de police, la victime a indiqué qu’elle était amenée à se déplacer sur l’ensemble de la scène et des gradins (pièce n° 3 produite par la victime), sans autre précision.
Dans son jugement du 26 juin 2017, invoqué par les premiers juges à l’appui de leur décision, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré la société et sa gérante coupables des faits de blessures involontaires et de mise à disposition pour des travaux temporaires en hauteur d’équipement de travail ne préservant pas la sécurité du travailleur, et les a condamnées, pour chacune de ces infractions, au paiement d’une amende. Dans un arrêt définitif du 25 novembre 2019, la cour d’appel de Paris a infirmé ledit jugement sur la déclaration de culpabilité et la peine d’amende délictuelle avant de renvoyer les prévenues des fins de la poursuite. Pour prononcer cette relaxe, par des motifs qui constituent le soutien nécessaire de sa décision, la cour d’appel retient que les dispositions des articles R. 4323-58 et suivants du code du travail visés à l’appui de la prévention, et figurant sous une section intitulée « Dispositions particulières applicables à l’exécution de travaux temporaires en hauteur et à certains équipements de travail utilisés à cette fin », ne sont pas applicables en l’espèce. La cour d’appel souligne en effet que la scène du palais des congrès ne saurait constituer « un plan de travail » au sens des textes susvisés. Elle ajoute que les scènes des salles de spectacle relèvent des dispositions de l’article R. 4224-20 du code du travail, figurant sous une section intitulée « Signalisation et matérialisation relatives à la santé et à la sécurité ». Cet article prévoit que « lorsqu’il n’est pas possible, compte tenu de la nature du travail, d’éviter des zones de danger comportant notamment des risques de chute de personnes ou des risques de chute d’objets, et même s’il s’agit d’activités ponctuelles d’entretien ou de réparation, ces zones sont signalées de manière visible.
Elles sont également matérialisées par des dispositifs destinés à éviter que les travailleurs non autorisés pénètrent dans ces zones et qu’en l’espèce, il n’est nullement établi ni même allégué que la scène du Palais des congrès n’était pas revêtue de dispositifs de signalisation conformément à ces prescriptions. »
L’arrêt retient qu’il n’est nullement établi ni même allégué que la scène du Palais des congrès n’était pas revêtue de dispositifs de signalisation conformément aux prescriptions du texte précité.
La cour d’appel de Paris en déduit que l’élément légal faisant défaut, les délits visés en prévention ne sont pas constitués.
Saisie d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la juridiction de sécurité sociale n’est pas soumise à l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de la juridiction répressive, et le jugement ayant relaxé l’employeur n’interdit pas de lui imputer une faute à l’origine de l’accident (2e Civ., 16 septembre 2003, n° 01-16.715, Bull. II, n° 263). Il n’en reste pas moins que les considérations de fait qui viennent au soutien d’une relaxe s’imposent au juge de la sécurité sociale (ex : 2e Civ., 12 février 2015, n° 14-10.455).
La société rappelle à juste titre, dans ses écritures, que la cour d’appel de Paris a fondé sa relaxe sur l’absence de preuve du non-respect des mesures de sécurité qui s’imposaient à elle, de sorte que ce constat ne peut être remis en cause par le juge de la sécurité sociale.
Il ressort des développements qui précèdent que les conditions de la faute inexcusable ne sont pas réunies, de sorte que la victime doit être déboutée de son recours.
Le jugement sera, en conséquence, infirmé en toutes ses dispositions.
La victime, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel et déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’équité commande de rejeter les demandes formées, à ce titre, par la société et l’assureur.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2022 (2e Civ., n° 20-12.026) ;
Statuant dans les limites du litige et de sa saisine ;
INFIRME le jugement rendu le 11 avril 2018, entre les parties, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, sauf en ce qu’il a déclaré recevable la demande de M. [N] ;
Statuant à nouveau ;
Rejette la demande en reconnaissance d’une faute inexcusable formée par M. [N] à l’encontre de la société [12] ;
Condamne M. [N] aux dépens exposés en cause d’appel ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente, et par Madame Juliette DUPONT, Greffière, à laquelle le magistrat signataire a rendu la minute.
La GREFFIERE, La PRESIDENTE,