Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 17 OCTOBRE 2023
N° 2023/ 289
Rôle N° RG 19/12234 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEVRE
[O] [B]
C/
[M] [B]
[Y] [Z]
[J] [P] DCD
SAS ANASTASIOU
SCI DEBA
[E], [R], [J] [P]
[X], [R], [J] [P]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Elodie FONTAINE
Me Martine DESOMBRE
Me Philippe KLEIN
Me Sébastien BADIE
Me Karine TOLLINCHI
Me Jean-philippe NOUIS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d’Aix en Provence en date du 04 Juillet 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/05267.
APPELANT
Monsieur [O] [B]
né le 26 Mai 1955 à [Localité 8], demeurant [Adresse 2] / FRANCE
représenté et assisté par Me Elodie FONTAINE de la SELAS B & F, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Madame [M] [B], demeurant [Adresse 7] – ROYAUME UNI
représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP MARTINE DESOMBRE & JULIEN DESOMBRE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
Maître [Y] [Z] membre de la SCP [Z] THEUS, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON – KLEIN, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
SAS ANASTASIOU Prise en la personne de son représentant légal en exercice d omicilié en cette qualité audit siège
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Sébastien BADIE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE et assisté par Me François ROSENFELD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Ruth RIQUELME, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant
SCI DEBA poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Karine TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI – CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Corinne PERRET-VIGNERON, avocat a barreau D’AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Claude MERKIN, avocat au barreau de PARIS
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
Monsieur [E], [R], [J] [P] es qualités de donataire de feu Monsieur [J] [R] [O] [I] [P] décédé
né le 01 Mars 1989 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 6]
représenté et assisté par Me Jean-philippe NOUIS de la SCP CABINET PIETRA & ASSOCIES, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Amandine WEBER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Monsieur [X], [R], [J] [P], es qualités de donatiaire de feu Monsieur [J] [R] [O] [I] [P] décédé
né le 02 Avril 1994 à [Localité 11], demeurant [Adresse 9]
représenté et assisté par Me Jean-philippe NOUIS de la SCP CABINET PIETRA & ASSOCIES, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Amandine WEBER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 11 Septembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Mme Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2023,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [K] [L] est décédée le 22 janvier 2008 laissant pour lui succéder ses deux enfants, M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U].
Par acte notarié du 10 septembre 2010 dressé par Me [Y] [Z], notaire à Aix-en-Provence, M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U] ont vendu à M. [J] [P] un immeuble compris dans l’actif successoral, situé [Adresse 5], pour un prix de 225 000 euros.
Le même jour, selon acte notarié dressé par le même notaire, M. [O] [B] a acquis de la SCI Deba un immeuble situé [Adresse 2], au prix de 187 000 euros.
M. [O] [B], estimant qu’il n’avait pas la capacité intellectuelle au moment de la signature de ces actes et qu’il était atteint d’insanité d’esprit au moment de leur signature successive, qu’il n’a pu dès lors donner un consentement libre et éclairé sur la chose objet des contrats, a, par actes d’huissier en date des 1er et 7 septembre 2015 et 7 septembre 2016 fait citer Me [Y] [Z], notaire, la SAS Anastasiou, Mme [M] [B] épouse [U], M. [J] [P] et la SCI Deba devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, afin de demander l’annulation des actes de vente passés le 10 septembre 2010, de déclarer Me [Y] [Z], notaire, et la SAS Anastasiou responsables du préjudice qu’il a subi, de les condamner à lui payer in solidum la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, et, de condamner Me [Y] [Z], notaire ou tout succombant à payer les dépens distraits au profit de son conseil, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Par jugement en date du 4 juillet 2019, le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence a :
débouté M. [O] [B] de ses demandes,
débouté la SCI Deba, M. [J] [P] et Me [Y] [Z], notaire, de leurs demandes de dommages et intérêts,
condamné M. [O] [B] à payer à la SAS Anastasiou la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [O] [B] à payer à Mme [M] [B] épouse [U] la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [O] [B] à payer à la SCI Deba la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [O] [B] à payer à M. [J] [P] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné M. [O] [B] au paiement des entiers dépens,
dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire.
Le tribunal a estimé que M [O] [B] ne rapportait pas la preuve de son insanité d’esprit l’ayant empêché de souscrire valablement les actes du 10 septembre 2010 au sens de l’article 414-1 du code civil, ne retenant ni insanité permanente, ni insanité immédiatement antérieure ou immédiatement postérieure aux actes litigieux.
Selon déclaration reçue au greffe le 25 juillet 2019, M. [O] [B] a interjeté appel de cette décision, l’appel portant sur toutes les dispositions du jugement déféré dûment reprises.
L’instance a été interrompue le 6 décembre 2022 à la suite du décès de M. [J] [P], puis reprise par l’intervention des ses deux fils en ses lieux et place.
Par dernières conclusions transmises le 4 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [O] [B] sollicite de la cour qu’elle :
confirme le jugement du 4 juillet 2019 rendu par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence en ce qu’il a :
– débouté Mme [M] [B] épouse [U], monsieur [Y] [Z], notaire, M. [J] [P] et la SCI Deba de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire,
‘ infirme le jugement du 4 juillet 2019 rendu par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence en ce qu’il l’a débouté de ses demandes et l’a condamné au paiement de diverses sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre aux dépens,
Et, statuant à nouveau :
1.In limine litis :
‘ dise parfaitement recevable la présente action, puisqu’introduite dans les délais,
2.Sur la nullité des actes authentiques :
‘ déclare nulles et nul d’effet la vente du 10 Septembre 2010 conclue entre, d’une part, lui-même et la SCI Deba, ainsi que la vente conclue entre, d’une part, lui et sa soeur, Mme [M] [B] épouse [U], et, d’autre part, M. [J] [P] le 10 septembre 2020 également,
‘ dise que la nullité des deux ventes emporte l’anéantissement rétroactif des actes authentiques du 10 Septembre 2010,
‘ prononce dès lors la restitution de la somme de 225 000€ à messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], soit 112 500€ de la part de M. [O] [B] et 112 500€ de la part de Mme [M] [B] épouse [U],
‘ déclare irrecevables le surplus des demandes de messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], comme nouvelles en cause d’appel, et notamment, leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
‘ déboute messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P] de leur demande de dommages intérêts à hauteur de 20 000 euros chacun, en réparation de leur prétendu préjudice moral,
‘ prononce en contrepartie la restitution des deux immeubles concernés respectivement à l’hoirie [B], et à la SCI Deba, outre la restitution de chacun des prix de vente,
‘ dise n’y avoir lieu à indemnité ou remboursement complémentaire après restitution des deux biens immobiliers et des prix de vente y afférents.
‘
3.Sur la responsabilité des intimés :
‘ condamne in solidum Me [Y] [Z], notaire, la SCP [Z] Théus, Mme [M] [B] épouse [U], la SCI Deba, la SAS Anastasiou, messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P] à lui payer la somme de 500 000€ au titre des dommages et intérêts, en réparation des préjudices tant moral, que de jouissance et financier qu’il a subis,
‘ déboute tout autre concluant de ses demandes de dommages intérêts pour procédure abusive,
‘ déboute sur le surplus tout concluant de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,
En tout état de cause :
‘ Me [Y] [Z], notaire, la SCP [Z] Théus, Mme [M] [B] épouse [U], la SCI Deba, la SAS Anastasiou, messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], de l’ensemble de leur prétentions, demandes, fins et conclusions,
‘ condamne in solidum Me [Y] [Z], notaire, la SCP [Z] Théus, Mme [M] [B] épouse [U], la SCI Deba, la SAS Anastasiou, messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M.[J] [P] à lui payer la somme de 10 000 €, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamne in solidum toute partie succombante au paiement des entiers dépens d’appel et de première instance.
M. [O] [B] fait valoir qu’il souffre de schizophrénie depuis 30 ans et est une personne très fragile psychologiquement. Il détaille le traitement médical lourd qu’il prend et assure qu’en conséquence, il était dans l’incapacité d’effectuer des démarches administratives, sa soeur ne mettant pas en place de mesure de protection. Il assure n’avoir jamais donné son accord pour la vente du bien situé [Adresse 5] où il avait toujours vécu avec sa mère et avoir eu les ressources suffisantes pour faire face aux frais de ce bien.
In limine litis, M. [O] [B] assure que son action est recevable. Il estime que la clause de conciliation médiation figurant dans les actes de vente est inopposable dans le cadre d’une action tendant à la nullité de ces actes pour insanité d’esprit. En tout état de cause, il assure que la chambre des notaires a été saisie le 28 août 2015. Par ailleurs, M. [O] [B] indique avoir agi par actes des 1er et 7 septembre 2015, donc avant l’expiration du délai de prescription quinquennal, peu important la date de signature des compromis eu égard aux conditions suspensives stipulées. S’agissant de la publication de l’assignation à la conservation des hypothèques, M. [O] [B] fait valoir que celle-ci peut être régularisée jusqu’à ce que le juge statue et n’a donc pas à intervenir avant l’expiration du délai de prescription.
Par ailleurs, M. [O] [B] soutient que sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 500 000 € n’est pas nouvelle en cause d’appel, et est donc recevable, la simple augmentation du quantum des dommages et intérêts étant indifférente.
Au fond, M.[O] [B] soutient qu’il souffrait de troubles et d’une insanité d’esprit permanente et ne disposait donc pas de ses pleines capacités mentales, bien qu’étant apaisé en 2010. Il invoque l’article 414-1 du code civil et soutient que son insanité d’esprit résulte de sa longue maladie chronique et du traitement médical lourd et continu suivi, occasionnant une somnolence et des troubles de la mémoire. Il affirme qu’il aurait dû bénéficier d’une mesure de protection, étant très influençable, et qu’il lui était alors impossible d’effectuer les actes de la vie quotidienne, bénéficiant d’un accompagnement social par le SAVS d'[Localité 8]. Il s’appuie sur ses bulletins d’hospitalisation de 2008, sur les attestations de son médecin traitant et de sa nièce. A tout le moins, il fait valoir qu’il souffrait d’insanité d’esprit lors de la signature des actes de vente, résultant des effets secondaires des médicaments pris, et caractérisée par les erreurs grossières affectant les actes de vente qui témoignent d’une différence de prix de 55 000 € entre deux appartements situés dans la même rue, étant dans le même état mais ayant une différence de superficie de 55 m². Il affirme que l’appartement par lui acquis au [Adresse 2] était manifestement surévalué et produit une attestation de valeur de 2014 faisant apparaître un écart de près de 70 000 €. Il en déduit que les deux ventes doivent être annulées et que des restitutions doivent avoir lieu. S’agissant de la répétition du prix du bien aux ayants droit de M. [J] [P], il conteste toute plus-value à raison des travaux somptuaires réalisés par l’acquéreur, et entend que le prix à restituer soit partagé entre sa soeur et lui.
S’agissant des demandes en restitution de diverses sommes et au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive présentées par les ayants droit de M. [J] [P], M. [O] [B] invoque leur irrecevabilité s’agissant de demandes nouvelles en appel. En tout état de cause, il se défend de tout abus de droit dans l’exercice de son action.
En revanche, M. [O] [B] entend engager la responsabilité de chacun des intimés, sur le fondement contractuel à l’égard de la SAS Anastasiou et de la SCI Deba, sur le fondement délictuel à l’endroit de Mme [M] [B] épouse [U], de Me [Y] [Z], notaire et de la SAS Anastasiou. Il reproche au notaire un manquement à son devoir de conseil et à son obligation de vérification de la capacité de son client alors qu’il savait qu’il bénéficiait notamment d’un accompagnement social et qu’il aurait dû à tout le moins exiger la production d’un certificat médical attestant de ce qu’il disposait de toutes les facultés mentales. Il reproche à l’agence immobilière d’avoir surévalué l’immeuble situé [Adresse 2]. Il soutient que sa soeur avait une pleine connaissance de son état de santé, a mis en vente l’appartement sans son consentement et sans alerter sur sa situation, et n’a pas agi dans ses intérêts. Il reproche à la SCI Deba un manquement à son devoir de loyauté, d’information et un manque de vigilance.
M. [O] [B] affirme subir un préjudice important, ayant été lésé, vivant dans un appartement plus petit et de moindre valeur, ayant perdu la chance de vivre paisiblement pendant 10 ans dans un milieu familier et des conditions dignes.
Par dernières conclusions transmises le 11 février 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [M] [B] épouse [U] sollicite de la cour qu’elle :
confirme le jugement du 4 juillet 2019 rendu par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence,
déboute M. [O] [B] de toutes ses conclusions,
déboute la SCI Deba, la SAS Anastasiou, M. [J] [P] et Me [Y] [Z], notaire de toutes leurs demandes,
À titre principal :
dise n’y avoir lieu à annulation de la vente reçue par Me [Y] [Z], notaire, le 10 septembre 2010, concernant la vente de l’immeuble situé [Adresse 5] au prix de 225 000 €,
statue ce que de droit sur la vente reçue par monsieur [Y] [Z], notaire le 10 septembre 2010 conclue entre M. [O] [B] et la SCI Deba concernant l’appartement situé [Adresse 2] au prix de 187 000 €,
À titre subsidiaire :
dise que seul M. [O] [B] est tenu des restituer le prix de vente et les accessoires de la vente,
dise que Me [Y] [Z], notaire, est tenu de la relever et garantir de toute condamnation prononcée contre elle, outre de toutes les conséquences dommageables résultant de l’annulation de la vente,
En tout état de cause :
déboute M. [O] [B], la SCI Deba, M. [J] [P], la SAS Anastasiou et Me [Y] [Z], notaire de toutes leurs demandes,
condamne solidairement les succombants à lui payer la somme de 6 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne solidairement les succombants au paiement des dépens avec distraction.
Mme [M] [B] épouse [U] soutient avoir toujours agi dans l’intérêt de son frère et conteste l’existence de tout trouble mental chez ce dernier lors de la vente du 10 septembre 2010 à laquelle elle a été partie, s’en rapportant au titre de l’autre vente. Elle dénie aussi l’existence de tels troubles dans les périodes immédiatement antérieure et postérieure aux ventes, faisant valoir que les notices de médicaments et les fiches signalétiques génériques de traitement ou de maladie produites par l’appelant ne démontrent pas l’existence et la caractérisation de troubles le concernant lui à cette époque. Elle ajoute que les deux hospitalisations dont M. [O] [B] se prévaut sont antérieures de plus de deux ans aux actes de vente et qu’elles ont permis précisément une amélioration de son état, ce que des écrits contemporains de sa part attestent, tout comme le service d’accompagnement à la vie sociale qui l’a alors suivi. Elle explique que son état ne s’est de nouveau dégradé qu’à compter de 2011, sous l’impulsion du docteur [G] dont elle conteste le certificat médical du 22 mai 2012 comme se rapportant à des faits non constatés par ce médecin. Par ailleurs, Mme [M] [B] épouse [U] fait valoir qu’une surévaluation de la valeur du bien acquis, même à la supposer avérée, ne démontre en rien une quelconque insanité d’esprit de l’acquéreur.
En cas d’annulation des ventes et si des restitutions devaient être opérées, Mme [M] [B] épouse [U] fait valoir qu’elle a abandonné sa quote-part du prix de vente du bien au profit de son frère, de sorte qu’elle ne pourrait être solidairement tenue à restitution de ce prix.
De plus, en cas de condamnation, elle appelle en garantie le notaire rédacteur des actes à qui il appartient de vérifier la capacité juridique des parties.
Enfin, elle s’oppose à l’octroi de dommages et intérêts à son frère, estimant qu’aucune faute ne peut lui être reprochée, qu’aucun préjudice ni lien de causalité ne sont établis.
Par dernières conclusions transmises le 3 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [E] [P] et M. [X] [P], ès qualités de donataires de feu M. [J] [P], sollicitent de la cour qu’elle :
déclare recevable et bien fondé leur appel incident,
À titre principal :
infirme le jugement attaqué en ce qu’il les a débouté de leur demande d’irrecevabilité de l’action de M. [O] [B] pour défaut de conciliation préalable, de publicité de l’assignation dans le délai de prescription et en l’état de la prescription,
Statuant à nouveau :
juge irrecevables, pour défaut de conciliation préalable, de publicité de l’assignation dans le délai de prescription, et en l’état de la prescription, l’action et les prétentions exposées par M. [O] [B],
déboute M. [O] [B] de ses demandes, fins et conclusions,
À titre subsidiaire :
confirme le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [O] [B] notamment au titre d’une prétendue insanité d’esprit,
déboute M. [O] [B] de ses demandes,
À titre infiniment subsidiaire :
condamne solidairement Me [Y] [Z], notaire, et la SAS Anastasiou à les relever et garantir de toutes éventuelles condamnations prononcées contre eux,
désigne avant dire droit tout expert afin qu’il soit statué par un professionnel sur les restitutions à intervenir ainsi que sur l’évaluation des préjudices subis par eux au jour de la restitution (évaluation de l’appartement, plus-value, travaux, charges de copropriété, taxes foncières, etc), et condamne d’ores et déjà, à titre provisionnel, M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U] à leur verser la somme de 225 000 € notamment au titre du remboursement du prix de vente de l’appartement,
Et, dans l’hypothèse où aucun expert judiciaire ne serait désigné :
‘ condamne solidairement M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U] à leur restituer les sommes perçues au titre de la vente les concernant, et à les indemniser de tous les préjudices subis (prix de l’appartement, travaux, valorisation de l’appartement, taxes foncières, charges de copropriété, etc), et a minima les condamne solidairement à verser les sommes suivantes :
– 225 000,00 € au titre du prix de l’appartement,
– 11 453,00 € au titre des frais notariés,
– 56 378,14 € au titre des travaux,
– 35 800,11 € au titre des charges de copropriété de novembre 2010 au 31 décembre 2022, à parfaire jusqu’à la décision définitive à intervenir,
– 18 861 € au titre des taxes foncières des années 2011 à 2022, à parfaire jusqu’à la décision définitive à intervenir,
‘ ordonne la publication de l’arrêt à intervenir aux services de la publicité foncière,
En tout état de cause :
‘ déboute les parties de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre eux,
‘ juge irrecevable la demande nouvelle en cause d’appel, de dommages-intérêts à hauteur de 500 000 €, présentée par M. [O] [B] à leur encontre et la juge en tout état injustifiée,
‘ infirme la décision entreprise en ce qu’elle les a débouté de leur demande de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau à ce titre :
‘ condamne M. [O] [B] ou tout succombant (Mme [M] [B] épouse [U], Me [Y] [Z], notaire et la SAS Anastasiou) à leur verser, chacun, la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en l’état des tracas occasionnés et des préjudices subis, notamment moral,
‘ condamne M. [O] [B] à leur verser, chacun, la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en appel,
‘ confirme le jugement attaqué en ce qu’il a condamné M. [O] [B] à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (frais de procédure de première instance),
‘ condamne M. [O] [B] et tout succombant à leur verser, chacun, la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (frais de procédure d’appel),
‘ condamne M. [O] [B] et tout succombant aux entiers dépens.
M. [E] [P] et monsieur [X] [P] interviennent volontairement aux droits de leur père, M. [J] [P], décédé le 27 mai 2022 et ont régularisé la procédure à ce titre.
En premier lieu, ils forment appel incident quant à la recevabilité de l’action de M. [O] [B], faisant valoir plusieurs fins de non recevoir. Ils invoquent l’absence de publication de l’assignation auprès de la conservation des hypothèques, du moins dans le délai de prescription, à savoir au plus tard le 10 septembre 2015, et non le 30 octobre 2015 comme cela a été fait. Ils en déduisent qu’aucune régularisation n’a été possible et que la citation en justice n’a pu interrompre valablement la prescription puisque n’étant pas recevable. Les intimés invoquent également l’absence de conciliation préalable à toute action en justice, telle que prévue dans les actes notariés, l’appelant s’étant contenté d’informer la chambre des notaires de son intention d’assigner Me [Y] [Z], notaire. Ils ajoutent que tant que l’acte n’est pas annulé, ses dispositions s’appliquent au litige entre les parties. Enfin, les intimés prétendent à la prescription de l’action engagée par M. [O] [B] au regard de la date des compromis de vente, valant vente, dont l’annulation n’est pas requise.
En deuxième lieu, à titre subsidiaire, les ayants droit de M. [J] [P] sollicitent la confirmation de la décision entreprise, soulignant l’absence de détermination du fondement de la demande de M. [O] [B] qui s’appuie à la fois sur des fondements contractuel et délictuel. Ils soutiennent que l’appelant ne démontre pas la preuve de son insanité d’esprit, l’inverse étant présumé. Ils font valoir que ses deux hospitalisations antérieures en 2008, tout comme le certificat médical du 22 mai 2012 ne démontrent pas son insanité d’esprit lors de la signature des actes le 10 septembre 2010, ce d’autant qu’aucune mesure de protection n’a jamais été envisagée le concernant. Au contraire, ils soutiennent que les circonstances démontrent qu’il était parfaitement sain d’esprit (vente et achat simultanés, temps de réflexion, accompagnement de sa soeur et d’une aide sociale, intervention du notaire, attestations de ses proches) et l’est encore, agissant seul avec l’assistance de son conseil.
En troisième lieu, si la cour retenait l’insanité d’esprit de M. [O] [B], ils appellent Me [Y] [Z], notaire et la SAS Anastasiou, agence immobilière, en garantie sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour négligence dans leurs obligations et devoirs de vérification et de conseil. Ils entendent alors obtenir la restitution des sommes perçues au titre de la vente et au titre des préjudices soufferts, de la part de M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U], solidairement tenus à leur égard, après qu’une expertise a pu se prononcer sur l’évaluation du bien au jour de la restitution, comprenant le coût des travaux réalisés, donc plus-value incluse.
En quatrième lieu, enfin, les intimés invoquent l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts présentée par M. [O] [B] à hauteur de 500 000 €, comme étant nouvelle en cause d’appel, dès lors qu’en première instance, l’appelant n’avait formé une demande de dommages et intérêts qu’à l’égard de ‘tout succombant’. Il l’estime en tout état de cause malfondée. En revanche, ils sollicitent l’octroi de dommages et intérêts pour leurs préjudices moraux, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive en appel.
Par dernières conclusions transmises le 1er juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Me [Y] [Z], notaire, sollicite de la cour qu’elle :
À titre principal :
dise malfondée et déboute M. [O] [B] de ses demandes contre lui,
À titre subsidiaire :
déboute M. [O] [B] de ses demandes contre lui,
déboute la SCI Deba de toutes ses demandes contre lui,
déboute Mme [M] [B] épouse [U] de ses demandes contre lui,
déboute la SAS Anastasiou de ses demandes contre lui,
déboute M. [J] [P] de ses demandes contre lui,
confirme le jugement dont appel,
condamne M. [O] [B] à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, et atteinte à sa probité, outre la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
Me [Y] [Z] souligne le manque de clarté du fondement des demandes de M. [O] [B] à la fois en termes de responsabilités contractuelle et délictuelle à son égard, seule cette dernière pouvant être engagée.
L’intimé invoque l’absence de faute démontrée susceptible de lui être reprochée. Il rappelle que la schizophrénie en soi n’entraîne pas de facto un état habituel d’insanité, celui-ci devant être prouvé lors de la passation des actes en cause. Il met en évidence l’absence de force probante des deux hospitalisations de M. [O] [B] en 2008, et du certificat médical de son médecin traitant, le Docteur [G] établi au mois de mai 2012, concernant la période 2008 à 2012. Il souligne l’absence de mesure de protection au bénéfice de M. [O] [B], le délai de 18 mois écoulé entre la décision de vendre et la réalisation des actes, l’existence d’un accompagnement social autour de l’appelant. Il assure avoir vérifier la capacité juridique des parties, aucun élément ne lui permettant de déceler une quelconque insanité d’esprit chez l’appelant.
En tout état de cause, Me [Y] [Z], conteste toute faute susceptible de lui être reprochée dans son devoir de conseil sur le montant respectif des deux ventes et sur le principe achat / vente retenu. Il souligne la nécessité de prendre en compte la surface et l’état respectifs des appartements pour en évaluer la valeur.
L’intimé s’oppose au paiement des dommages et intérêts exorbitants réclamés par M. [O] [B] qui ne démontre aucunement subir un tel préjudice, les attestations de valeur versées n’étant pas probantes. Il conteste toute perte de chance de vie de M. [O] [B] dans l’ancien appartement de sa mère eu égard à ses moyens financiers et aux charges du bien.
S’agissant des demandes reconventionnelles en garantie à son endroit, Me [Y] [Z], réfute toute faute de sa part dans l’appréciation de l’absence de discernement de M. [O] [B]. Il ajoute que les restitutions consécutives à l’annulation de la vente ne sont pas un préjudice indemnisable par le notaire.
Par dernières conclusions transmises le 25 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Anastasiou sollicite de la cour qu’elle :
A titre liminaire :
déclare irrecevable la prétention nouvelle formulée par M. [O] [B] tendant à solliciter la condamnation in solidum de Me [Y] [Z], notaire, la SCP [Z] Théus, Mme [M] [B] épouse [U], la SCI Deba et la SAS Anastasiou au paiement de la somme de 500 000 € de dommages et intérêts,
À titre principal :
confirme le jugement du 4 juillet 2019 en toutes ses dispositions,
rejette les demandes de M. [O] [B] contre elle,
À titre subsidiaire :
dise que Me [Y] [Z], en sa qualité de rédacteur des actes authentiques litigieux, devra la relever et garantir sur le fondement de l’article 1240 du code civil de toutes les condamnations en principal, intérêts et frais qui viendraient à être prononcées contre elle,
rejette toutes les demandes formées par M. [J] [P] contre elle dans le cadre de son appel en garantie,
En tout état de cause :
rejette l’ensemble des demandes formées contre elle,
condamne la partie succombante à lui payer la somme de 3 000 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La SAS Anastasiou indique être intervenue dans le cadre de la vente de l’appartement du [Adresse 5] et avoir assisté M. [O] [B] dans sa recherche d’un nouveau logement.
A titre liminaire, elle soutient que la demande de dommages et intérêts présentée par M. [O] [B] est irrecevable car nouvelle en cause d’appel.
A titre principal, la SAS Anastasiou fait valoir que l’action formée par M. [O] [B] contre elle méconnaît le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Elle fait valoir que l’article 1135 du code civil dans son ancienne rédaction est inapplicable aux demandes de M. [O] [B] dans la mesure où aucun mandat de vente ne lui a été confié concernant le bien 30 cours Gambetta, la vente et l’évaluation du bien relevant d’une autre agence immobilière. Elle conteste toute surévaluation/sous-évaluation des biens, rappelle qu’une diminution du prix d’acquisition du bien 30 cours Gambetta a été obtenue, et souligne la vétusté de l’appartement vendu par la fratrie [B].
Elle soutient que M. [O] [B] ne rapporte pas la preuve d’un manquement contractuel de l’agence immobilière à son obligation de conseil, se défendant d’avoir été la rédactrice des actes litigieux. Elle dénie donc toute faute de sa part dans l’appréciation des capacités de discernement de M. [O] [B].
Elle fait valoir encore que M. [O] [B] ne justifie ni de l’existence, ni de l’étendue du préjudice qu’il allègue avoir subi.
Enfin, la SAS Anastasiou entend à titre subsidiaire, former un appel en garantie envers Me [Y] [Z], notaire rédacteur des actes en cause. Elle conteste en revanche l’appel en garantie formée par M. [J] [P] à son endroit, soutenant ne pas avoir été en charge de la vente, son mandat exclusif de vente ayant été résilié par Mme [M] [B] épouse [U] le 14 août 2009.
Par dernières conclusions transmises le 22 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCI Deba sollicite de la cour qu’elle :
À titre principal :
déboute M. [O] [B] de l’ensemble de ses demandes en nullité de l’acte d’achat du bien immobilier situé [Adresse 2],
confirme le jugement du 4 juillet 2019,
À titre subsidiaire :
condamne Me [Y] [Z], notaire, à la relever et garantir de toute condamnation emportant nullité de la vente et/ou préjudices qui pourrait être prononcée et/ou supportée sur le fondement de l’incapacité de M. [O] [B] à conclure l’acte d’achat et/ou sur le prix surévalué auquel M. [O] [B] aurait acquis le bien,
En tout état de cause :
condamne M. [O] [B] à lui verser la somme de 5 000 € HT au titre de l’article 700 du code de procédure civile et 10 000 € au titre de procédure abusive,
condamne M. [O] [B] au paiement des dépens, avec distraction.
La SCI Deba soutient, d’abord, que la demande présentée contre elle se fonde sur les principes de responsabilité contractuelle et délictuelle, indistinctement articulés. Elle fait également valoir qu’aucune preuve n’est rapportée de l’état mental de M. [O] [B] le rendant incapable de signer l’acte d’achat du bien immobilier situé [Adresse 2]. Elle indique que ce dernier bénéficiait du service d’accompagnement à la vie sociale, mais n’a jamais été placé sous un régime de protection des incapables majeurs. Elle conteste le fait que sa représentante ait pu se rendre compte d’un état mental déficient chez M. [O] [B] alors que l’écriture et la signature de ce dernier lors des ventes étaient parfaitement régulières. Elle ajoute que le prix de vente du bien a été négocié et qu’une baisse de 10 000 € a été accordée, ce qui est peu compatible avec une insanité d’esprit chez l’acquéreur.
Par ailleurs, la SCI Deba assure que la preuve de la surévaluation du prix du bien immobilier objet de l’acte d’achat n’est pas rapportée. Elle dénie toute insalubrité du bien qui avait été rénové deux ans avant sa vente.
Enfin, la SCI Deba appelle en garantie le notaire rédacteur de l’acte en cas de condamnation prononcée contre elle et sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive et téméraire contre M. [O] [B].
L’instruction de l’affaire a été close à l’audience de plaidoiries du 11 septembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Cour d’appel précise, à titre liminaire, qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ‘constatations’, de ‘prise d’acte’ ou de ‘dire et juger’ qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques.
1.Sur la demande d’annulation des actes notariés du 10 septembre 2010
Sur la recevabilité de la demande
En application de l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En vertu de l’article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
L’article 126 du même code prévoit que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
Dans un premier temps, M. [E] [P] et M. [X] [P], ès qualités de donataires de feu M. [J] [P], soulèvent l’irrecevabilité de la demande de M. [O] [B] faute de respect de la clause de conciliation préalable stipulée dans leur acte de vente. En effet, en page 18 de l’acte notarié signé le 10 septembre 2010 par M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U], d’une part, et, M. [J] [P], d’autre part, une clause de conciliation – médiation est stipulée dans les termes suivants : ‘en cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend à un conciliateur désigné qui sera missionné par le président de la chambre des notaires, ce dernier pouvant être saisi sans forme ni frais’. Certes, par courrier du 28 août 2015, le conseil de M. [O] [B] a écrit au président de la chambre des notaires afin de l’informer de l’introduction d’une procédure visant Me [Y] [Z], notaire. Cette démarche ne vaut pas tentative de conciliation, aucune désignation d’un mandataire n’étant sollicitée. Toutefois, force est de relever que la clause rédigée dans l’acte n’emporte aucune sanction en cas de non respect, aucune condition particulière, ni irrecevabilité n’étant prévue. Il s’agit donc d’une simple clause de style qui n’emporte pas irrecevabilité en cas de non recours effectif à une conciliation – médiation préalable. En cela, la demande de M. [O] [B] est donc recevable de ce chef.
Dans un deuxième temps, les mêmes intimés relèvent l’irrecevabilité de l’action de M. [O] [B] pour défaut de publication de l’assignation par lui délivrée dans le délai de la prescription. En effet, par application de l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, l’assignation en nullité de vente immobilière doit être publiée dans les registres du service chargé de la publicité foncière, faute de quoi la demande à ce titre est irrecevable. Or, il est de jurisprudence constante que cette formalité obligatoire constitue une fin de non recevoir susceptible de régularisation jusqu’à ce que le juge statue. En l’occurrence, l’assignation délivrée les 1er et 7 septembre 2015 par M. [O] [B], tendant à l’annulation des ventes passées le 10 septembre 2010 n’a pas été publiée immédiatement, ni même avant le 10 septembre 2015, date d’expiration du délai de prescription quinquennal de l’action, eu égard à la date des actes en cause. Cependant, la citation a interrompu la dite prescription, alors que le défaut de publication de l’assignation, qui est une cause d’irrecevabilité de la demande, est sans incidence sur l’effet interruptif de prescription de cet acte. Ainsi, la fin de non recevoir tirée du défaut de publication de l’assignation ayant été régularisée le 30 octobre 2015, la demande de M. [O] [B], qui a été introduite avant l’expiration du délai de prescription, est recevable.
Enfin, dans un troisième temps, M. [E] [P] et M. [X] [P], ès qualités de donataires de feu M. [J] [P], invoquent l’irrecevabilité de l’action de M. [O] [B] en raison de sa prescription, ayant été introduite plus de cinq ans après la signature des compromis de vente les 27 mai et 1er juin 2010, ceux-ci manifestant la volonté des parties et valant vente. Or, l’appelant sollicite l’annulation des actes de vente datés du 10 septembre 2010, de sorte que ses assignations délivrées les 1er et 7 septembre 2015 sont parfaitement recevables car intentées dans le délai de cinq ans courant à compter de la signature de ces actes. Les compromis de vente non réitérés dans les délais prévus étant atteints de caducité, l’absence de demande d’annulation de ces derniers est sans incidence. En l’espèce, aucune prescription de l’action de M. [O] [B] n’est justifiée.
En définitive, l’action de M. [O] [B] est recevable, ce que le tribunal a justement retenu.
Sur le bien fondé
En vertu de l’article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
L’article 414-2 du même code dispose que, de son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé. L’action en nullité s’éteint par le délai de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil.
Par l’effet de ces textes, en dehors de toute mesure de protection juridiquement mise en oeuvre, toute personne majeure est réputée saine d’esprit et les actes par elle passées sont présumés valables. C’est à la personne qui allègue l’insanité d’esprit de prouver son existence au moment précis de l’acte dont l’annulation est demandée.
Il résulte en l’espèce des pièces produites, et principalement des fiches d’observations pluri professionnelles, des fiches d’accueil du centre hospitalier [10] à [Localité 8], de l’avis de situation de M. [O] [B], et des ordonnances justifiant du traitement pris par lui, que ce dernier souffre de schizophrénie depuis près de 30 ans, mais n’a été médicalement véritablement pris en charge que depuis 2008. Cette fragilité psychologique n’est pas contestée par sa soeur, Mme [M] [B] épouse [U], et ressort également des attestations de divers membres de leur famille, versées aux dossiers. Néanmoins, il résulte de ces témoignages que l’évolution de la maladie de M. [O] [B] n’a pas été linéaire, mais a connu des périodes d’apaisement et d’autres de tension. Ainsi, il appert que tant en 2008, lors de l’hospitalisation puis du décès de sa mère, qu’à compter de l’été 2011, l’appelant a connu des périodes d’agitation, d’agressivité et de mises en danger. Au contraire, sa tante, Mme [A] [B], comme sa soeur, le décrivent comme ayant été plus calme, posé et sociable en 2009 – 2010.
Afin de démontrer son insanité d’esprit lors de la signature des actes notariés du 10 septembre 2010, M. [O] [B] met en exergue ses hospitalisations en service psychiatrique au centre hospitalier de [10] entre le 21 janvier 2008 et le 14 février 2008, puis, du 18 février 2008 au 3 juillet 2008. Aux termes d’un certificat médical du 21 janvier 2008, il est fait état d’une décompensation anxio délirante chez M. [O] [B], souffrant d’une psychose chronique de type schizophrénique, de menaces de passage à l’acte suicidaire, d’un déni des troubles et d’un refus de soins. Les fiches d’observation des différents intervenants permettent d’expliquer cette décompensation par l’hospitalisation de la mère du patient avec qui il vivait, puis par le décès de celle-ci fin janvier 2008. A l’époque, une mesure de protection a été envisagée, sans qu’elle ait été mise en oeuvre. Si lors de ces hospitalisations, l’acuité intellectuelle et la capacité de M. [O] [B] à pourvoir seul à ses intérêts étaient manifestement altérées, force est d’observer qu’elles ont eu lieu plus de deux ans avant la signature des actes en cause, et, qu’elles ont permis l’installation d’une médication appropriée pour M. [O] [B], dont le comportement a été plus apaisé par la suite. L’existence de ces hospitalisations et les éléments qui y sont afférents ne permettent aucunement de caractériser l’insanité d’esprit de M. [O] [B] en septembre 2010, preuve qui lui incombe.
De même, les notices des médicaments administrés à M. [O] [B] à compter de 2008, y compris en 2010, relevant des familles des phénothiazines, des hypnotiques, des anxiolytiques ou encore des benzodiazépines, font toutes part d’effets secondaires potentiellement lourds. Néanmoins, ces indications, comme les fiches signalétiques génériques des maladies mises en avant par l’appelant, sont insuffisantes à démontrer l’existence et la caractérisation de tel ou tel trouble rencontré par M. [O] [B], précisément en 2010.
Par ailleurs, l’appelant entend établir son insanité d’esprit au sens de l’article 414-1 du code civil par la production du certificat médical du Docteur [G] en date du 22 mai 2012. Ce médecin retrace le passé médical du patient, indique que M. [O] [B] a été hospitalisé en 2008, et a bénéficié pendant cette période, et jusqu’en août 2011, d’un traitement journalier à base de Risperdal et Deroxat. Le Docteur [G], psychiatre, indique ensuite : ‘aussi, le patient était dans l’incapacité pendant cette période de faire des démarches administratives et d’en évaluer les conséquences’. Il poursuit en précisant : ‘actuellement, le patient est sans traitement et responsable de ces actes’. Ainsi, le docteur [G], qui n’était pas le praticien traitant de M. [O] [B] en 2010, paraît établir un lien causal générique entre la prise de tel médicament et la capacité juridique d’une personne, sans le caractériser ni l’individualiser, tout en attestant par ailleurs qu’en 2012, son patient avait recouvré ses capacités, rejetant donc toute appréciation linéaire de la situation de santé de l’appelant. Cette attestation médicale n’étant pas étayée, ni précise, et relevant davantage d’un positionnement subjectif de ce praticien, ne peut être retenue comme caractérisant une insanité d’esprit de M. [O] [B] lors de la signature des actes de septembre 2010.
Au demeurant, force est de relever que M. [O] [B] n’a jamais bénéficié d’une mesure de protection juridique des majeurs, certes non mise en oeuvre par sa soeur, tout comme elle ne l’a été par personne d’autre, y compris par lui-même. M. [O] [B] exerce la présente action seule, avec l’assistance de son conseil.
La vente de l’appartement du [Adresse 5] a été envisagée par M. [O] [B] et Mme [M] [B] épouse [U] pendant 18 mois avant sa concrétisation, dès début 2009, comme en attestent les mandats de vente confiés un temps à la SAS Anastasiou, dont le mandat a été résilié en août 2019, et à d’autres agences immobilières. Pendant l’ensemble de cette période, par décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées du 10 décembre 2008, M. [O] [B] a bénéficié d’un accompagnement à la vie sociale, ce jusqu’en septembre 2011, y compris devant le notaire lors de la signature des actes le 10 septembre 2010. Il était donc en pleine capacité de solliciter davantage d’aide s’il l’estimait nécessaire.
L’opération immobilière consistant en parallèle et en simultané, d’une part, à vendre l’appartement du [Adresse 5], plus grand, plus coûteux en charges et nécessitant des travaux de rénovation, et, d’autre part, à acquérir à un prix moindre, plus proche de la part à revenir à M. [O] [B] dans le partage de l’indivision successorale, l’appartement du [Adresse 2], plus petit, occasionnant des charges moindres et récemment rénové, démontre, au contraire, la prise en compte, de manière réfléchie, des intérêts de M. [O] [B]. Au surplus, il convient de relever que l’acquisition de ce deuxième appartement a donné lieu à une baisse de prix de 10 000 €, après négociation, ce qui témoigne des capacités de l’appelant à prendre en compte alors au mieux ses intérêts.
En tout état de cause, l’appelant ne justifie aucunement d’une sous-évaluation du bien vendu et d’une surévaluation du bien acquis par lui. En effet, il produit une pré-estimation sommaire non datée et une estimation émanant d’un site internet, sans visite du bien, ni prise en compte de l’ensemble de ses caractéristiques. La seule comparaison de la superficie et de la localisation proche des deux biens vendus simultanément le 10 septembre 2010 ne suffit pas à démontrer la surévaluation de l’un ou la sous-évaluation de l’autre, alors, notamment, que le bien du [Adresse 2] avait été récemment rénové, tandis que celui du [Adresse 5] était dans un état de vétusté avancé, comme le décrit l’agence immobilière le 9 avril 2019.
Dans ces conditions, il appert que M. [O] [B] ne démontre pas avoir souffert d’insanité d’esprit, ni lors de la signature des actes notariés de vente le 10 septembre 2010, ni dans les périodes immédiatement antérieure ou postérieure. La nullité des ventes n’a donc pas lieu d’être, tout comme les restitutions induites. Le jugement doit être confirmé.
2.Sur les demandes de dommages et intérêts présentées par M. [O] [B]
En l’état du rejet de la demande d’annulation des actes notariés du 10 septembre 2010 présentée par M. [O] [B], aucune faute fondée sur l’absence de prise en compte de l’insanité d’esprit de ce dernier, non démontrée, ne saurait être caractérisée. Aussi, les demandes de dommages et intérêts présentées par M. [O] [B] envers Me [Y] [Z], notaire, la SAS Anastasiou, Mme [M] [B] épouse [U], la SCI Deba, Messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], ne peuvent qu’être rejetées.
Le jugement sera également confirmé de ce chef.
3.Sur les appels en garantie
Les appels en garantie, nécessairement subsidiaires, se trouvent sans objet en l’état du succès de la défense principale.
4.Sur les dommages et intérêts sollicités reconventionnellement au titre de la procédure diligentée par M. [O] [B]
Sur la demande de Me [Y] [Z], notaire, et celle de la SCI Deba, vendeur
Par application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné une amende civile sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.
Le caractère infondé des prétentions émises par M. [O] [B], en première instance comme en appel, ne leur confère aucun caractère abusif, faute pour Me [Y] [Z] et pour la SCI Deba de démontrer l’intention de leur nuire de la part de l’appelant. L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas en soi constitutive d’une faute.
C’est donc à juste titre que le premier juge a rejeté toute demande de dommages et intérêts de la part de Me [Y] [Z], ainsi que de la part de la SCI Deba, envers M. [O] [B]. La décision entreprise sera confirmée.
Sur la demande de Messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P]
Recevabilité de la demande
Messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], sollicitent l’octroi de dommages et intérêts en l’état des tracas occasionnés et des préjudices subis, notamment sur le plan moral. Cette prétention émise en première instance n’est pas nouvelle et est donc parfaitement recevable à hauteur d’appel.
Ces intimés entendent également, en appel, obtenir des dommages et intérêts pour abus de procédure précisément à raison de l’exercice de cette voie de recours. Dès lors, aucune irrecevabilité de leurs prétentions ne peut être retenue pour n’être formulée pour la première fois qu’en cause d’appel.
Bien fondé de la demande
L’action en justice menée par M. [O] [B] pour faire valoir des droits inexactement appréciés et finalement non reconnus, ne lui confère pas, en cas d’échec, un caractère abusif et donc fautif. Aucune intention de nuire n’est démontrée chez l’appelant envers les intimés, quels que soient les tracas par eux subis du fait de l’action tentée et rejetée. Il en est de même de l’exercice habituel d’une voie de recours, même vaine.
C’est donc à juste titre que la demande de dommages et intérêts de Messieurs [E] et [X] [P], venant au droit de feu M. [J] [P], doit être rejetée, tant en première instance qu’en appel.
5.Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [O] [B] qui succombe au litige sera débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de chacun des intimés les frais, non compris dans les dépens, qu’ils ont exposés pour leur défense respective. L’indemnité qui leur a été allouée à ce titre en première instance sera confirmée et il convient de leur allouer, à chacun, une indemnité complémentaire de 3 000 euros en cause d’appel.
L’appelant supportera en outre les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant :
Déboute Messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], de leur demande de dommages et intérêts pour procédure d’appel abusive,
Condamne M. [O] [B] à payer à Mme [M] [B] épouse [U] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [B] à payer à Me [Y] [Z], la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [B] à payer à Messieurs [E] et [X] [P] venant au droit de feu M. [J] [P], la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [B] à payer à la SCI Deba la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] [B] à payer à la SAS Anastasiou la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [O] [B] de sa demande sur ce même fondement,
Condamne M. [O] [B] au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT