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17/02/2023
ARRÊT N°85/2023
N° RG 21/00828 – N° Portalis DBVI-V-B7F-N7YX
NA/KS
Décision déférée du 08 Février 2021
Pole social du TJ ALBI
(18/00062)
[Y] [C]
[I] [X] [R]
C/
SAS [9]
CPAM DU TARN
Société [8]
CONFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 3 – Chambre sociale
***
ARRÊT DU DIX SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Madame [I] [X] [R]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par M. François FREMY (Délégué syndical ouvrier)
INTIMÉES
SAS [9]
SERVICE JURIDIQUE
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Philippe DUPUY de la SELARL DUPUY-PEENE, avocat au barreau de TOULOUSE
CPAM DU TARN
SERVICE CONTENTIEUX
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Mme [O] [V] (Membre de l’organisme) en vertu d’un pouvoir général
Société [8]
SERVICE JURIDIQUE
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 7]
représentée par Me Nathalie ROINE de la SELARL ROINÉ ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Roxane ADJIMAN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945.1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 décembre 2022, en audience publique, devant Mmes N. ASSELAIN et MP BAGNERIS chargées d’instruire l’affaire, les parties ne s’y étant pas opposées.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
N N.ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente
M. SEVILLA, conseillère
MP.BAGNERIS, conseillère
Greffier, lors des débats : K. BELGACEM
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par N.ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente, et par K. BELGACEM, greffière de chambre.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [I] [R] a été engagée par la société [9]
le 4 avril 2011, en qualité d’employée de restauration.
Le 15 septembre 2015, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Castres pour obtenir paiement de rappels de salaires et primes, et de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité.
Par jugement du 4 août 2016, alors que l’employeur avait en cours d’instance réglé à Mme [R] les rappels de salaires et primes restant dûs, le conseil de prud’hommes a rejeté le surplus des demandes de Mme [R]. Ce jugement est définitif.
Dans le même temps, Mme [R] a déclaré avoir été victime d’un accident du travail le 22 janvier 2016, à la suite d’un entretien préalable à une sanction disciplinaire.
La société [9] a souscrit le 28 janvier 2016, avec réserves, une déclaration d’accident du travail mentionnant: ‘nous n’avons aucune info sur les faits; rien ne s’est passé sur le lieu de travail’.
Le certificat médical initial d’accident du travail daté du 22 janvier 2016 établi par le docteur [S] mentionne ‘harcèlement. reproches au sujet de tâches professionnelles’.
Le 6 mai 2016, la CPAM du Tarn a reconnu le caractère professionnel de l’accident de Mme [R].
La caisse a fixé au 31 octobre 2021 la date de consolidation des lésions et a retenu un taux d’ incapacité permanente partielle de 25%, notifiée à la salariée et son employeur le 12 avril 2022.
Par lettre du 8 juin 2017, après échec de la tentative de conciliation, Mme [R] a saisi le tribunal pour obtenir reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Par jugement du 8 février 2021, le tribunal judiciaire d’Albi a:
– déclaré Mme [R] recevable en sa demande, mais mal fondée ,
– dit la décision de la CPAM du Tarn du 6 mai 2016 définitivement opposable à l’employeur, la société [9] ,
– débouté Mme [R] de son recours ,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ,
– condamné Mme [R] aux dépens,
– déclaré le jugement commun et opposable à la société [8], assureur de la société [9].
Mme [R] a relevé appel de ce jugement par déclaration
du 16 février 2021.
Mme [R] conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Elle demande à la cour de confirmer la décision de la caisse ayant reconnu le caractère professionnel de l’accident, de juger que la faute inexcusable de la société [9] est caractérisée, d’ordonner une expertise avant dire droit sur la réparation de son préjudice, et de condamner la société [9] à lui verser une provision de 3.000 euros.
Elle expose qu’avant son accident du travail, depuis avril 2015, elle demandait la régularisation de sa situation, pour prendre en compte ses horaires de travail effectifs, et que son employeur a alors mis en oeuvre une stratégie de harcèlement. Il l’a ainsi convoquée le 5 janvier 2016 pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire devant se dérouler
le 22 janvier 2016. La CFDT a averti la DRH, par courrier du 7 janvier 2016, de la dégradation de sa santé psychique, et le médecin du travail a adressé à son médecin traitant un courrier du 19 janvier 2016 l’invitant à prescrire un arrêt de travail. Lors de l’entretien du 22 janvier 2016, elle a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Après cet entretien elle était effondrée, tremblante et incapable de réagir, et sa soeur l’a accompagnée chez son médecin traitant qui l’a arrêtée en accident du travail pour harcèlement et choc émotionnel important. Elle soutient que son employeur avait conscience des risques qu’il faisait encourir à sa salariée, notamment par le courrier du 7 janvier 2016, et qu’il n’a aucunement modifié son comportement.
La société [9] conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté l’exception tirée de l’irrecevabilité des demandes de Mme [R] comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Castres du 4 août 2016, et jugé que la décision de la CPAM du Tarn du 6 mai 2016 était définitivement opposable à l’employeur, et de confimer le jugement pour le surplus. Elle demande à la cour de:
– déclarer irrecevable l’action de Mme [R] comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Castres du 4 août 2016;
*A titre subsidiaire
– déclarer la décision de la CPAM du Tarn du 6 mai 2016 inopposable à l’employeur;
* A titre infiniment subsidiaire
– juger que les faits allégués par Mme [R] ne constituent pas un accident du travail au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale;
* A titre encore plus subsidiaire
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de sa demande tendant à voir reconnaître qu’une faute inexcusable de son employeur serait à l’origine de son accident du travail du 22 janvier 2016;
* En conséquence
– débouter Mme [R] et toute partie de l’ensemble de leurs demandes;
– condamner Mme [R] à payer à la société [9] 4000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile;
– déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable à la société [8] es qualité d’assureur de la société [9].
La société [9] conteste sur le fond l’existence même d’un accident du travail, en faisant valoir que le certificat médical initial ne fait nullement état d’un choc émotionnel, et en soutenant qu’il n’existe aucun évènement soudain survenu au temps et sur le lieu de travail permettant de caractériser un accident du travail, puisque les faits de harcèlement moral dont se plaint Mme [R] se seraient étalés dans le temps s’ils avaient existé, et que Mme [R] invoque en fait une dégradation progressive de son état de santé, caractéristique d’une maladie dépressive. A titre subsidiaire, elle conteste tout manquement à son obligation de sécurité comme tout harcèlement moral, en se prévalant notamment du jugement du conseil de prud’hommes.
La société [8] conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de l’ensemble de ses demandes, et au paiement d’une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles. A titre subsidiaire elle conclut au rejet de la demande de provision. Elle rappelle qu’aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, soutient que l’accident déclaré par Mme [R] n’a pas un caractère professionnel, en s’associant à l’argumentation développée par son assurée, et indique que Mme [R] ne rapporte pas la preuve d’une faute inexcusable de l’employeur, alors que le conseil de prud’hommes a jugé que le harcèlement moral ne pouvait être retenu, ni une quelconque entorse à l’obligation de sécurité.
La CPAM du Tarn demande confirmation du jugement en ce qu’il a dit que la décision de la CPAM du Tarn du 6 mai 2017 était définitivement opposable à la société [9], et s’en remet à la décision de la juridiction pour le surplus. Dans l’hypothèse où une faute inexcusable serait retenue, elle exerce l’action récursoire à l’encontre de la société [9].
MOTIFS
L’employeur conteste la recevabilité des demandes en ce qu’elles contreviendraient à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Castres du 4 août 2016.
Sur le fond, la société [9] conteste tant l’existence d’un accident d’origine professionnelle que l’existence d’une faute inexcusable.
* Sur la recevabilité des demandes
La fin de non recevoir soulevée par la société [9], tirée de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Castres du 4 août 2016, ne peut aboutir que si les deux instances ont le même objet.
L’action portée devant le conseil de prud’hommes de Castres tendait au paiement de rappels de salaires et de dommages et intérêts pour harcèlement et violation de l’obligation de sécurité de l’employeur.
La présente instance, dans laquelle Mme [R] demande reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur à l’origine d’un accident du travail, pour obtenir paiement des indemnités complémentaires spécifiques prévues par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, avancées par la CPAM, n’a pas le même objet que celle portée devant le conseil de prud’hommes.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a écarté cette fin de non recevoir.
* Sur la reconnaissance d’un accident du travail et l’opposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle
La société [9] n’a pas contesté dans les délais impartis la décision de la CPAM du Tarn, qui lui a été régulièrement notifiée le 6 mai 2016, reconnaissant la matérialité d’un accident du travail. Cette décision lui est donc définitivement opposable.
Le jugement est confirmé sur ce point.
La société [9] n’en conserve pas moins la faculté, dans le cadre de l’instance tendant à la reconnaissance de sa faute inexcusable à l’origine d’un accident du travail, de remettre en cause l’existence d’un accident d’origine professionnelle.
L’article L 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’ ‘ est considéré
comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée’.
L’accident est traditionnellement défini comme un évènement soudain d’où est résulté une lésion.
Mais la jurisprudence considère de façon plus large que dès lors qu’elle apparaît de manière soudaine, toute lésion constitue un accident au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. Un accident est ainsi caractérisé par une lésion soudaine même s’il n’est pas possible de déterminer un fait accidentel à l’origine de celle-ci ou si la cause de la lésion demeure inconnue.
Le critère de distinction entre l’accident et la maladie, caractérisée quant à elle par une lésion à évolution lente, demeure le caractère soudain ou progressif de l’apparition de la lésion, peu important l’exposition répétée au même fait générateur de la lésion.
Ainsi, concernant les lésions psychiques, un syndrome dépressif réactionnel présenté par un salarié est un accident du travail lorsqu’il résulte d’un fait accidentel soudain. Mais des lésions psychiques peuvent également être prises en charge en tant qu’accident du travail du seul fait d’une affection soudaine, le symptôme de la maladie apparaissant brusquement au point que puisse lui être donnée une date certaine.
En l’espèce, Mme [R] soutient que l’entretien préalable à une sanction disciplinaire qui s’est déroulé le 22 janvier 2016, qui lui a causé un choc émotionnel, constitue un fait accidentel à l’origine des lésions constatées par son médecin le même jour.
Un entretien professionnel n’est cependant pas en lui-même constitutif d’un fait accidentel, et les pièces produites par Mme [R] n’établissent pas le ‘choc émotionnel’ qui en serait résulté, contesté par l’employeur. Mme [R] soutient qu’elle était ‘effondrée, tremblante et incapable de réagir’, mais aucune attestation n’est versée aux débats sur ce point contesté, et il n’est pas invoqué, ni a fortiori démontré, d’échanges verbaux violents entre Mme [R] et son employeur au cours de cet entretien. Le certificat médical initial
du 22 janvier 2016 établi par le docteur [S] ne constate par ailleurs pas de manifestation d’un état de choc, mais mentionne seulement ‘harcèlement, reproches au sujet de tâches professionnelles’.
L’existence d’une lésion soudaine consécutive à l’entretien
du 22 janvier 2016 est d’autant moins démontrée que le conflit professionnel opposant Mme [R] à son employeur, caractérisé notamment par la saisine du conseil de prud’hommes le 15 septembre 2015, est manifestement à l’origine d’une dégradation progressive de l’état de santé de la salariée: Mme [R] indique elle-même que depuis avril 2015, elle demandait la régularisation de sa situation, pour prendre en compte ses horaires de travail effectifs, que son employeur a alors mis en oeuvre une stratégie de harcèlement, que la CFDT a averti la DRH, par courrier du 7 janvier 2016, de la dégradation de sa santé psychique, et que le médecin du travail a adressé à son médecin traitant un courrier du 19 janvier 2016 l’invitant à prescrire un arrêt de travail. La fragilité de Mme [R] préexistait donc à l’entretien du 22 janvier 2016.
Il résulte de ces éléments que les lésions psychiques invoquées ne procèdent pas de l’entretien du 22 janvier 2016, mais sont progressivement apparues en suite d’un conflit professionnel avec l’employeur perdurant depuis plusieurs mois. Ces lésions ne peuvent donc recevoir la qualification d’accident.
En l’absence d’accident du travail établi, la demande de Mme [R] tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur à l’origine d’un tel accident ne peut aboutir.
Le jugement est par conséquent confirmé.
* Sur les demandes accessoires :
Le tribunal a exactement statué sur le sort des dépens et les frais irrépétibles.
En considération des circonstances de la cause, il n’y a pas davantage lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Les dépens d’appel sont à la charge de Mme [R], dont le recours est rejeté.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 8 février 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Dit que Mme [R] doit supporter les dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par N.ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par K. BELGACEM, greffier de chambre.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,
K. BELGACEM N.ASSELAIN
.