Tentative de conciliation : 16 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/03304

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Tentative de conciliation : 16 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/03304
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N° RG 22/03304 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OI7D

Décision du Juge de l’exécution du TJ de LYON

du 12 avril 2022

RG : 21/7705

[S]

C/

[M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 16 Février 2023

APPELANTE :

Mme [X] [S] divorcée [M]

née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 11]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

INTIME :

M. [Z] [M]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 9]

[Adresse 8]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Pauline VENET-LECOQUIERRE, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 03 Janvier 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Janvier 2023

Date de mise à disposition : 16 Février 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Charlotte COMBAL, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Clemence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Faits, procédure et demandes des parties

Mme [X] [S] et M. [Z] [M] se sont mariés le [Date mariage 3] 1985 et ont eu deux enfants.

Par ordonnance sur tentative de conciliation du 20 octobre 2014, le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône a notamment attribué la jouissance du domicile conjugal à Mme [S], à charge pour elle de régler les loyers, charges et taxes afférentes, accordé à M. [M] un délai de deux mois pour quitter le domicile conjugal et condamné Mme [S] à payer à son époux une pension alimentaire de 900 euros par mois, au titre du devoir de secours, outre indexation.

Par acte d’huissier du 7 avril 2017, Mme [S] a fait assigner son époux en divorce, sur le fondement de l’altération définitive du lien conjugal.

Par ordonnance du 1er octobre 2018, le juge de la mise en état a débouté Mme [S] de sa demande de suppression de la pension alimentaire au titre du devoir de secours, et a parallèlement débouté M. [M] de sa demande d’augmentation de ladite pension.

Par jugement du tribunal de grande instance de Villefranche sur Saône du 2 décembre 2019, le divorce des époux [S]-[M] a été prononcé, et dans ce cadre Mme [S] a été condamnée à verser à M. [M] une prestation compensatoire, sous la forme d’une rente viagère d’un montant de 300 euros par mois.

M. [M] a interjeté appel de ce jugement, et par arrêt du 23 septembre 2021, la cour d’appel de Lyon a réformé le jugement déféré, notamment sur la prestation compensatoire, et statuant à nouveau a débouté M. [M] de sa demande de prestation compensatoire.

La cour a par ailleurs donné acte aux parties de ce que le jugement avait acquis autorité de la chose jugée au 6 novembre 2020.

M. [M] a formé une demande d’aide juridictionnelle, aux fins de pourvoi en cassation. Par ordonnance du 18 mai 2022, sa demande a été rejetée par le bureau d’aide juridictionnelle de la Cour de Cassation, et il a formé un recours à l’encontre de cette décision de rejet.

Par acte d’huissier du 21 octobre 2021, M. [M] a fait délivrer à l’encontre de Mme [S] un commandement aux fins de saisie vente, pour recouvrement de la somme de 38.554,99 euros, due au titre du devoir de secours.

Par acte d’huissier du 19 novembre 2021, Mme [S] a fait assigner M. [M] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lyon, aux fins :

– de dire que la créance de M. [Z] [M], au titre des pensions alimentaires s’élève à la somme de 33.525,57 euros, compte tenu de certains paiements,

– de dire que le calcul des intérêts et la capitalisation ne sont pas justifiés,

– d’accueillir l’exception de compensation judiciaire en ce qu’elle détient une créance de 27.786,27 euros à l’égard de M. [M] au titre de la dette locative réglée pour son compte et diverses autres créances résultant du paiement de frais et du rachat partiel d’assurances vie, de sorte que la créance alimentaire est éteinte,

– de prononcer la nullité du commandement de payer aux fins de saisie vente du 21 octobre 2021,

– de condamner M. [Z] [M] à lui verser la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’audience à laquelle l’affaire a été retenue devant le juge de l’exécution, Mme [S] a ajouté souhaiter être dispensée de la majoration du taux d’intérêt légal, compte tenu de sa situation, et à titre subsidiaire a sollicité la suspension des effets du commandement de payer, dans l’attente de la décision à intervenir dans le cadre de la procédure de liquidation et partage du régime matrimonial.

Mme [S] a ainsi assigné par acte d’huissier du 15 mars 2022, M. [M], aux fins d’ordonner l’ouverture des opérations de liquidation partage, et d’obtenir la désignation d’un notaire pour procéder aux opérations de compte, liquidation partage, invoquant la prise en compte des loyers réglés pour M. [M], qui s’est maintenu au domicile conjugal, en contrevenant à l’ordonnance sur tentative de conciliation.

M. [M] a déposé dans le cadre de cette procédure des conclusions d’incident, aux fins de surseoir à statuer dans l’attente de la décision rendue par la Cour de Cassation sur la question de la prestation compensatoire, et à titre subsidiaire de prononcer l’irrecevabilité de l’action en liquidation partage, engagée par Mme [S], en l’absence de diligences amiables suffisantes.

A titre infiniment subsidiaire, il a sollicité la communcation de la synthèse des comptes bancaires et placements détenus par Mme [S] au 20 octobre 2014.

Mme [S] a principalement fait valoir devant le juge de l’exécution que trois règlements, réalisés pour deux d’entre eux en 2019, et l’un en 2020, n’avaient pas été pris en compte et qu’elle disposait d’une créance certaine liquide et exigible à l’encontre de M. [M], devant se compenser avec la créance de pension alimentaire réclamée. Elle a ainsi exposé avoir quitté le domicile conjugal le 1er mars 2015, alors même que la décision judiciaire le lui attribuait, mais M. [M] refusant de partir. Elle explique avoir dû régler les loyers entre le 1er mars 2015 et le 14 juin 2017, date à laquelle M. [M] a été expulsé, outre d’autres frais. Elle estime que sa créance de loyers a également une nature alimentaire justifiant la compensation et déclare avoir réglé avec des fonds propres cette dette locative.

M. [M] s’est quant à lui opposé à l’ensemble des demandes, en soutenant que Mme [S] n’avait pas réglé les sommes dues au titre de la pension alimentaire, l’empêchant ainsi de trouver un logement.

Il a ajouté que l’exception de compensation ne relevait pas de la compétence du juge de l’exécution, en l’absence de décision relative à la liquidation du régime matrimonial. Il a également invoqué l’absence de créance certaine, liquide et exigible, Mme [S] ne démontrant pas avoir quitté le domicile conjugal le 1er mars 2015, et cette dette ayant en tout état de cause été effacée par la commission de surendettement.

Il fait par ailleurs valoir que l’usage de fonds propres par Mme [S] n’est pas davantage justifié et qu’une créance alimentaire ne peut faire l’objet d’une compensation qu’avec une dette de même nature, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Par jugement du 12 avril 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lyon a :

– déclaré Mme [X] [S] irrecevable en sa demande subsidiaire de sursis à statuer,

– débouté Mme [X] [S] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer aux fins de saisie vente, qui lui a été délivré le 21 octobre 2021, à la requête de M. [Z] [M],

– dit que le commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 21 octobre 2021 à Mme [S], à la requête de M. [Z] [M], est valable pour recouvrement de la somme principale de 33.525,57 euros, outre intérêts à recalculer depuis le 6 novembre 2020,sur ce montant et les frais,

– débouté Mme [X] [S] de sa demande d’exonération de la majoration des intérêts prévus par l’article L 313-3 du code de commerce,

– débouté Mme [X] [S] et M. [Z] [M] de leurs demandes formées, par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [X] [S] aux dépens,

– rappelé que les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.

Par déclaration du 6 mai 2022, Mme [S] a interjeté appel du jugement précité, en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 1er août 2022, Mme [S] demande à la cour de :

– dire et juger son appel recevable et bien fondé,

– réformer le jugement, en ce qu’il l’a déboutée de sa demande, tendant à voir prononcer la nullité du commandement de payer aux fins de saisie vente, qui lui a été délivré le 21 octobre 2021 à la requête de M. [M],

– accueillir l’exception de compensation judiciaire,

en conséquence,

– dire et juger qu’elle détient une créance de 27.786,27 euros à l’égard de M. [M] au titre de la dette locative qu’elle a réglée pour son compte,.

– dire et juger qu’elle détient également une créance de 3356 euros au titre des frais de procédure, et une créance résultant du manque à gagner calculé par la société Allianz d’un montant de 4.564,51 euros, compte tenu du rachat partiel de son contrat d’assurance vie pour règlement de la dette locative, outre 276,26 euros d’impôts généré par le rachat partiel,

– fixer la créance de M. [M] à la somme de 33.525,57 euros, outre intérêts au taux légal,

– réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [S] visant à l’exonérer de la majoration des intérêts prévue par l’article L 313-3 du code monétaire et financier,

– prononcer l’extinction de la créance de M. [M] à l’égard de Mme [S] au titre des pensions alimentaires, par suite de la compensation judiciaire avec la créance de Mme [S] à l’égard de M. [M], au titre du règlement de la dette locative relative au domicile conjugal, occupé illégalement par M. [M], et des frais de procédure et manque à gagner,

– dire et juger que le commandement aux fins de saisie vente signifié à Mme [S] le 21 octobre 2021 est nul, ou en ordonner la mainlevée par suite de cette compensation,

– condamner M. [M] à payer la somme de 2.457 euros, après compensation entre les deux créances respectives outre intérêts au taux légal,

– condamner M. [M] à payer à Mme [S] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens de première instance et d’appel, au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, sur son affirmation de droit,

– rejeter toutes prétentions ou moyens contraires formés par M. [M].

A l’appui de ses prétentions, elle fait tout d’abord valoir que la créance de M. [M] s’élève à la somme de 33.525,57 euros compte tenu des versements qu’elle a effectués en février 2019 et août 2020 et que M. [M] sollicite d’ailleurs la confirmation du jugement sur ce point, même s’il mentionne un montant erroné dans la reprise de la condamnation du juge.

Ensuite, elle soutient que la compensation judiciaire de l’arriéré de pension alimentaire avec les règlements des loyers et indemnités correspondant au domicile conjugal, occupé en contravention de l’ordonnance sur tentative de conciliation, et les frais annexes qu’elle a engagés est justifiée, et que le premier juge s’est à tort fondé sur les dispositions de l’article 1347-2 du code civil, qui prévoit l’impossibilité d’une compensation entre une pension alimentaire et le versement d’une autre somme à quelque titre que ce soit, sauf si le créancier y consent.

Elle considère que cet article ne concerne que la compensation légale et que l’article 1348 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qu’elle invoque, s’agissant d’une demande de compensation judiciaire, ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives aux obligations alimentaires, de sorte qu’en l’absence de dispositions contraires, une demande de compensation avec une obligation alimentaire est possible.

Elle soutient ainsi que la Cour de Cassation a retenu une compensation judiciaire avec une créance insaisissable dans un arrêt récent du 11 mai 2022.

Elle estime donc que la compensation judiciaire est tout à fait possible en l’espèce, mais seulement soumise à l’appréciation des juges du fond.

Elle énonce ensuite qu’elle a été contrainte de régler les loyers, alors que M. [M] persistait à se maintenir au domicile conjugal, en dépit de l’ordonnance sur tentative de conciliation et qu’elle justifie d’une créance de 35.983,04 euros au total, étant rappelé que le juge de l’exécution a compétence pour statuer sur l’exception de compensation, et ce quand bien même le juge aux affaires familiales n’a pas statué sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux, contrairement à ce que prétend M. [M].

Elle s’oppose également à l’argumentation de M. [M], qui invoque une absence de créance certaine, la date de son départ au 1er mars 2015 n’étant pas avérée, en l’absence de dédite. Elle indique ainsi justifier de recherches de logements dès février 2015 et d’un courrier de dédite du 3 février 2015, et prouver la location d’un autre logement, dès le premier mars 2015.

M. [M] ne peut davantage prétendre ne pas avoir pu quitter le logement conjugal, faute de perception de la pension alimentaire, alors que c’est lui qui a refusé de partir du domicile conjugal et de payer le loyer, malgré une sommation de déguerpir délivrée le 19 mars 2015.

Elle indique aussi que l’effacement de la dette locative de M. [M], auprès des époux [O] dans le cadre de la procédure de surendettement est sans incidence, dans la mesure où elle ne figure pas sur la liste des créanciers, n’est ainsi pas concernée par cette procédure et que le plan de surendettement n’est pas opposable dans les rapports contributifs entre coobligés solidaires.

Elle argue également de paiements par des fonds propres, puisqu’elle justifie d’acomptes versés à l’huissier de son compte libéral en 2016 et 2017, et qu’il s’agit nécessairement de fonds personnels, compte tenu de l’ordonnance de tentative sur conciliation du 20 octobre 2014 et qu’elle justifie également du caractère propre du solde payé aux époux [O] de 19.854,61 euros par le petit héritage reçu de sa mère.

La compensation judiciaire relève du pouvoir souverain des juges du fond au regard notamment de la notion de besoin du créancier d’aliments et du risque d’insolvabilité, auquel le débiteur d’aliments est exposé, en l’absence de compensation.

En l’espèce, la situation de M. [M] s’est améliorée, grâce à la perception de l’héritage de sa mère, tandis que la situation financière de Mme [S] s’est dégradée, en raison de l’attitude malveillante de son époux à son égard. Elle sera prochainement à la retraite, n’est propriétaire d’aucun bien, s’étant consacrée à l’entretien de sa famille, alors que M. [M] était oisif. Elle souligne qu’en l’absence de compensation, elle sera exposée au risque d’insolvabilité de M. [M].

Par des conclusions régulièrement notifiées par voie électronique le 6 juillet 2022, M. [M] demande à la Cour de :

– confirmer le jugement rendu par le juge de l’exécution le 12 avril 2022 en toutes ses dispositions,

y ajoutant

– débouter Mme [S] de l’ensemble de ses demandes, prétentions et moyens contraires,

– la condamner à payer à M. [M] la somme de 2.500 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, distraits au profit de maître Venet-Lecoquierre sur son affirmation de droit.

A l’appui de ses prétentions, il fait tout d’abord valoir que sa créance s’élève à la somme de 33.525,57 euros, outre intérêts au taux légal, conformément à ce qu’a retenu le juge de l’exécution et que ce montant n’est plus contesté par Mme [S].

S’agissant de la demande de compensation formée par cette dernière, il invoque tout d’abord l’incompétence du juge de l’exécution pour statuer sur ce point, relevant uniquement de la compétence du juge aux affaires familiales, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, étant précisé que le juge aux affaires familiales de Villefranche sur Saône est saisi en la matière.

Ensuite, il soutient que la compensation d’une créance insaisissable ne peut avoir lieu, avec une créance d’une autre nature, que si le créancier en l’espèce d’aliments y consent, ce qui n’est pas le cas.

Il ajoute que la créance revendiquée par Mme [S] n’est, d’une part, pas une créance alimentaire et d’autre part, n’est ni certaine, ni liquide, ni exigible, la preuve du départ de Mme [S] du domicile conjugal n’étant pas rapportée, en l’absence de dédite comme l’a souligné le juge dans la décision de résiliation du bail.

Il énonce également que l’arrêt de la Cour de Cassation invoqué par Mme [S] du 11 mai 2022 ne concernait pas une créance de nature alimentaire et concernait deux dettes certaines, ce qui ne correspond pas au présent litige.

Il fait grief à Mme [S] de ne pas disposer de titre exécutoire et considère que seul le juge aux affaires familiales pourra statuer.

Par ailleurs, il s’oppose à la demande tendant à l’exonération de la majoration de cinq points du taux d’intérêts légal, en l’absence de motifs, et alors qu’elle a bénéficié de larges délais de paiement, à une période où elle ne produit aucun élément financier justifiant sa carence.

Elle ne peut valablement soutenir qu’elle ne pouvait pas régler cette somme, compte tenu du paiement de la dette locative, alors que le logement était libéré à compter du 14 juin 2017 et qu’elle n’a pas réglé la pension au titre du devoir de secours. Si elle a réglé la dette locative en décembre 2017, elle n’a cependant pas repris les paiements de la pension alimentaire.

MOTIFS DE LA DECISION

– Sur la compétence du juge de l’exécution en matière d’exception de compensation

Le juge de l’exécution est compétent pour se prononcer sur une exception de compensation présentée à l’appui d’une demande de mainlevée de saisie ou de nullité de saisie, en l’absence d’une décision ayant déja statué sur la compensation judiciaire.

En l’espèce, le juge de l’exécution a été saisi d’une exception de compensation, au soutien de la demande de nullité ou de mainlevée du commandement aux fins de saisie vente, pratiqué à la requête de M. [M] à l’encontre de Mme [S].

Le juge de l’exécution a donc compétence pour statuer sur la demande de compensation judiciaire ainsi formée, cette dernière ne relevant pas de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales dans le cadre des opérations de liquidation de partage du régime matrimonial, contrairement à ce que soutient M. [M].

C’est donc à juste titre que le premier juge a retenu sa compétence et il convient de confirmer le jugement en ce sens.

– Sur la demande de compensation

Aux termes de l’article 1347 du code civil, la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. Elle s’opère sous réserve d’être invoquée à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.

L’article 1347-1 alinéa 1 dispose que sous réserve des dispositions prévues à la sous section suivante, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines et exigibles.

En application de l’article 1347-2 du code civil, les créances insaisissables et les obligations de restitution d’un dépôt, d’un prêt à usage ou d’une chose dont le propriétaire a injustement été privé, ne sont compensables que lorsque le créancier y consent.

L’article 1348 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoit que la compensation peut être prononcée en justice, même si l’une des obligations quoique certaine, n’est pas encore liquide ou exigible. A moins qu’il n’en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision.

La compensation judiciaire reste une possibilité pour le juge.

L’article 1348 du code civil invoqué par Mme [S] ne prévoit pas d’exception à la compensation pour des créances insaisissables visées par l’article 1347-2 et donc pour des créances alimentaires, en l’absence de précision du texte.

En outre, l’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation du 11 mai 2022 a une portée générale, même s’il ne concernait pas expressément une créance alimentaire. La Cour de Cassation a ainsi jugé qu”il résulte des articles 1347-2 et 1348 du code civil que les exceptions aux règles de la compensation légale énumérées par le premier d’entre eux ne s’étendent pas aux créances et dettes qui font l’objet d’une demande de compensation judiciaire sur le fondement du second et dont l’appréciation incombe au juge du fond.’

Ainsi, la compensation judiciaire peut être ordonnée entre une dette alimentaire et une dette d’une autre nature au visa de l’article 1348 du code civil.

En l’espèce, la demande formée par Mme [S] concerne une restitution d’un indû concernant principalement les loyers et charges réglés, alors que M. [M] occupait les lieux au mépris de la décision d’ordonnance sur tentative de conciliation, après le 1er mars 2015, date du départ invoqué par Mme [S].

La compensation implique pour le juge d’établir préalablement les créances.

– Sur le montant de la créance de M [M]

Celle-ci ne fait plus difficulté désormais, puisque compte tenu des paiement réalisés et de la demande de confirmation de M. [M] de la créance retenue par le juge de l’exécution, celle ci doit être fixée à la somme de 33.525,57 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2020.

– Sur la créance de Madame [S]

Mme [S] doit justifier d’une créance certaine à l’égard de M. [M], ce que ce dernier conteste. Il est cependant établi par les pièces versées aux débats qu’en application de l’ordonnance sur tentative de conciliation, le domicile conjugal a été attribué à Mme [S] et que M. [M] avait un délai de deux mois pour quitter les lieux. En dépit de cette décision M. [M] n’a pas quitté les lieux et ce, y compris après un commandement de déguerpir du 19 mars 2015. Il est ainsi démontré que M. [M] s’est maintenu dans les lieux au mépris de l’ordonnance sur tentative de conciliation du 20 octobre 2014, et ce, jusqu’à l’expulsion en 2017.

M. [M] soutient tout d’abord que la dette a été effacée par la décision de la commission de surendettement ayant prononcé un rétablissement personnel. Cet argument ne peut cependant prospérer, puisque Mme [S] ne faisait pas partie des créanciers dans le cadre du plan de surendettement et que le rétablissement personnel est sans effet sur les coobligés solidaires.

Ensuite, Mme [S] justifie avoir donné congé à la société Oralia mandataire des bailleurs M. et Mme [O], pour le logement occupé par le couple situé au [Localité 10] par courrier du 3 février 2015, dont l’accusé de réception a été signé le 4 février 2015.

Contrairement à ce que soutient M. [M], elle justifie bien avoir donné congé, même si cette pièce n’avait manifestement pas été produite devant le juge saisi de la demande en résiliation de bail.

Elle n’était donc plus tenue au paiement des loyers.

Elle justifie parallèlement de la location d’un autre logement à compter du 1er mars 2015.

Elle démontre par les pièces versées aux débats avoir réglé, alors qu’elle avait régulièrement donné congé, la somme de 7.931,66 euros d’arriérés de loyers et de charges et d’indemnités d’occupation par des versements entre le 25 avril 2016 et le 28 septembre 2017 et de la somme de 19.854,61 en règlement des loyers et charges impayés et indemnités d’occupation aux bailleurs dans le cadre d’une transaction avec M. et Mme [O] après la condamnation prononcée par le tribunal.

Elle a ainsi, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 23 septembre 2021 été contrainte de régler les dettes de loyers de M. [M], qui s’est maintenu dans les lieux au mépris de l’ordonnance sur tentative de conciliation.

Il ne peut en effet sérieusement soutenir qu’il n’a pas trouvé de logement au motif que la pension alimentaire ne lui était pas régulièrement payée, alors qu’il avait l’obligation de quitter les lieux, obligation qu’il n’a pas respectée. En outre, il ne démontre pas au regard des pièces transmises avoir effectivement et sérieusement effectué des recherches de logement.

De plus, Mme [S] justifie pour la première somme versée de 7.931,66 euros que les fonds provenaient de son compte libéral, les virements étant effecutés en 2016 et 2017. Ces fonds sont personnels puisqu’ils sont postérieurs au 20 octobre 2014, date de l’ordonnance sur tentative de conciliation. Contrairement à ce que prétend M. [M], il s’agit donc bien de fonds propres.

Concernant la somme de 19.854,61 euros, elle est également constituée de fonds propres, puisqu’il s’agit de fonds provenant d’un rachat de l’assurance vie souscrite par Mme [S] en 2016, postérieurement à l’ordonnance sur tentative de conciliation et constituée notamment de l’héritage reçu de sa mère.

Dès lors, Mme [S] est créancière concernant les sommes qu’elle a réglées en lieu et place de M. [M] au titre des loyers et indemnités d’occupation de la somme de 27.786,27 euros.

Elle a en outre dû régler les frais d’huissier correspondant aux frais d’expulsion de M. [M], qui en dépit d’un commandement de déguerpir dès le 19 mars 2015 a persisté à se maintenir dans les lieux, ce qui a généré une procédure longue, et coûteuse alors même que le logement ne correspondait ni à ses besoins, ni à sa situation financière.

C’est uniquement par son attitude et son non respect de l’ordonnance de tentative sur conciliation que les frais ont dû être réglés par Mme [S]. Elle justifie par les pièces versées aux débats de frais de procédure à hauteur de 3.356 euros.

Elle justifie également de frais de fiscalité à hauteur de 276,26 euros qui sont également certains, en raison du rachat partiel de l’assurance vie.

La société Allianz a en outre chiffré précisément le manque à gagner de Mme [S], ayant du prélever une somme importante sur son assurance vie, et perdant de ce fait le rendement lié au montant de la somme placée. Ce manque à gagner s’élève ainsi à 4.564,51 euros et présente également un caractère certain.

En conséquence, il convient de retenir qu’elle dispose d’une créance de 35.983,04 euros à l’égard de M. [M].

Elle justifie en outre d’une situation financière qui va se dégrader très prochainement compte tenu de son âge et de la retraite, entraînant une baisse sensible de ses revenus et par conséquent de besoins. Parallèlement, la situation de M. [M] est peu claire, mais un risque d’insolvabilité n’est pas à exclure, de sorte que la compensation judiciaire est justifiée à concurrence des créances respectives.

– Sur la demande d’exonération de la majoration des intérêts au taux légal

En application de l’article L 313-3 du code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision est devenue exécutoire fut-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d’adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé. Toutefois, le juge de l’exécution peut à la demande du débiteur ou du créancier et en considération de la situation du débiteur exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.

En l’espèce, Mme [S] était redevable d’une pension alimentaire au titre du devoir de secours.

Il résulte cependant des éléments précités qu’elle s’est trouvée en difficulté importante en raison du comportement de M. [M] de ne pas quitter le domicile conjugal, la contraignant à partir et à assumer les frais d’un autre logement, tout en devant régler la dette locative du domicile conjugal. Si M. [M] lui fait grief de ne pas avoir réglé de sommes pour la pension alimentaire hormis des règlements en 2019 et 2020, alors qu’elle avait payé la dette locative, il résulte toutefois des pièces versées aux débats et notamment de l’ordonnance du juge de la mise en état du 1er octobre 2018 que Mme [S] a connu une baisse importante de ses revenus à cette période.

Au regard de ces éléments, la situation de Mme [S] justifie de l’exonérer de la majoration du droit aux intérêts.

S’agissant de la demande de compensation, il convient de relever que M. [M] dispose d’une créance de 33.525,57 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2020, Pour effectuer la compensation, il importe de calculer les intérêts dûs jusqu’à la date du présent arrêt, soit le 16 février 2023. Ils s’élèvent ainsi à 2.455 euros. La créance de M. [M] est donc de 35.980,54 euros, tandis que la créance de Mme [S] est de 35.983,04 euros.

Il subsiste ainsi un solde de 2,50 euros, en faveur de Mme [S], mais aucune condamnation ne peut être prononcée par le juge de l’exécution, contrairement à ce que demande Mme [S],cette demande ne relevant pas de la compétence du juge de l’exécution.

– Sur la demande de mainlevée du commandement aux fins de saisie vente

Au regard de la compensation précitée, il y a lieu d’ordonner la mainlevée du commandement aux fins de saisie vente délivré le 21 octobre 2021, à la requête de M. [Z] [M], à l’encontre de Mme [X] [S].

Le jugement est ainsi réformé en ce sens.

– Sur les demandes accessoires

M. [M] succombant principalement à l’instance, il convient de le condamner aux dépens d’appel et de première instance, le jugement déféré étant réformé sur ce point.

En outre, l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 en première instance, le premier jugement devant être confirmé sur ce point, ainsi qu’en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Réforme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu’il a débouté Mme [X] [S] et M. [Z] [M] de leurs demandes formées par application de l’article 700 du code de procédure civile,

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau et y ajoutant

Exonère Mme [X] [S] de la majoration des intérêts prévue à l’article L 313-3 du code de la consommation,

Dit que la créance de M. [Z] [M] à l’égard de Mme [X] [S] s’élève à la somme de 33.525,57 euros,outre intérêts au taux légal du 6 novembre 2020 à la date du présent arrêt soit la somme totale de 35.980,54 euros,

Dit que la créance de Mme [X] [S] à l’égard de M. [Z] [M] s’élève à la somme de 35.983,04 euros

Ordonne la compensation judiciaire à concurrence de ces deux sommes,

Ordonne en conséquence la mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 21 octobre 2021 à Mme [X] [S] à la requête de M. [Z] [M],

Condamne M. [Z] [M] aux dépens de première instance et d’appel,

Déboute M. [Z] [M] et Mme [X] [S] de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Rejette les autres demandes des parties.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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