Tentative de conciliation : 15 novembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/03510

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Tentative de conciliation : 15 novembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/03510
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ARRÊT N°

N° RG 21/03510 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RW4F

[6]

Société [7]

C/

[E] [V]

Société [7]

[6]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et Madame Adeline TIREL lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 Juin 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Novembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 10 Décembre 2020

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de RENNES – Pôle social

Références : 18/999

****

APPELANTES :

[6]

[Localité 2]

représentée par Madame [N] [I] en vertu d’un pouvoir spécial

La Société [7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Nathalie ROINE de la SELARL ROINÉ ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [E] [V]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

comparant en personne, assisté de Me François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

La Société [7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Nathalie ROINE de la SELARL ROINÉ ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

[6]

[Localité 2]

représentée par Madame [N] [I] en vertu d’un pouvoir spécial

******

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 19 mai 2008, M. [E] [V], né le 6 mars 1950 et salarié de la société [5] aux droits de laquelle vient la société [7] (la société) en tant que technicien de semences, a déclaré une maladie professionnelle en raison d’un ‘syndrome extra-pyramidal’, sur la base d’un certificat médical initial du 27 avril 2008.

Par décision du 20 novembre 2008, après instruction et avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 4], la caisse de [6] (la [6]) a refusé de prendre en charge la pathologie au titre de la législation professionnelle. M. [V] n’a exercé aucun recours contre cette décision.

Par décret n° 2012-665 du 4 mai 2012, a été créé le tableau n° 58 relatif à la ‘maladie de Parkinson confirmée par un examen effectué par un médecin spécialiste qualifié en neurologie’.

Compte tenu de cette révision, M. [V] a de nouveau déclaré une maladie professionnelle en raison d’une ‘maladie de Parkinson’ le 21 octobre 2014.

Le certificat médical initial, établi le 24 septembre 2014, fait état d’une ‘maladie de Parkinson diagnostiquée en juin 2007, chez un patient travaillant en coopérative agricole et au contact de pesticides, rentrant dans le cadre d’une maladie professionnelle selon le tableau RA 58″.

Le 29 décembre 2014, la [6] a informé M. [V] de son refus de prendre en charge cette pathologie au titre de la législation professionnelle au motif qu’il n’avait pas déposé sa demande dans le délai de trois mois suivant la date d’entrée en vigueur du décret du 4 mai 2012.

Contestant cette décision, M. [V] a saisi la commission de recours amiable le 26 février 2015. Lors de sa séance du 20 septembre 2016, cette commission, considérant que la caisse n’avait pas respecté la consigne nationale donnée par la CCMSA le 16 juillet 2012 visant à inviter tout assuré s’étant vu refuser une prise en charge de la maladie de Parkinson à faire une nouvelle déclaration, a demandé que l’instruction du dossier de l’assuré soit reprise à effet au 1er juin 2012. C’est dans ces conditions qu’un accord de prise en charge a été finalement donné par la commission comme indiqué à M.[V] par lettre du 20 octobre 2016 et à son conseil le 21 octobre 2016.

L’état de santé de M. [V] a été déclaré consolidé au 30 janvier 2017 et son taux d’incapacité permanente partielle a été évalué par la commission des rentes à 50%. Ce taux a été maintenu après expertise médicale par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Ille-et-Vilaine du 9 octobre 2018 avant d’être réévalué par la caisse à 60% le 7 avril 2020.

Le 9 juillet 2018, M. [V] a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur auprès de la [6] puis a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Ille-et-Vilaine le 30 octobre 2018.

Par jugement du 10 décembre 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes a pour l’essentiel :

– dit que la maladie professionnelle dont est atteint M. [V] est due à la faute inexcusable de son employeur, la société ;

– ordonné la majoration maximale de la rente versée à M. [V] sur la base d’un taux d’incapacité permanente de 60 % ;

– dit également que ladite majoration suivra automatiquement l’évolution éventuelle de son taux d’incapacité ;

– dit que l’avance en sera faite par la [6] ;

Avant-dire-droit sur la liquidation des préjudices personnels de la victime,

– ordonné une expertise médiale ;

– commis pour y procéder le docteur [B] [K], en lui confiant la mission détaillée dans le dispositif ;

– dit que la [6] fera l’avance des frais d’expertise en application des dispositions de l’article L. 144-5 du code la sécurité sociale ;

– débouté la [6] de son action récursoire à l’encontre de la société ;

– condamné la société à payer à M. [V] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés ;

– dit que l’affaire sera rappelée dès le dépôt du rapport d’expertise ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– condamné la société aux dépens.

Par déclaration adressée le 9 février 2021, la [6] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 janvier 2021.

En outre, par déclaration adressée le 29 octobre 2021, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 janvier 2021.

Ces affaires ont été enregistrées au répertoire général sous les numéros respectifs 21/03510 et 21/06907.

Par ordonnance du 15 mars 2022, le magistrat chargé d’instruire l’affaire a prononcé la jonction de ces recours sous le numéro unique 21/03510.

Par ses écritures parvenues au greffe le 12 mai 2022 auxquelles s’est référée et qu’a développées sa représentante à l’audience, la [6] demande à la cour de :

– déclarer recevable son appel principal du jugement entrepris ;

– réformer ce jugement en ce qu’il l’a déboutée de son action récursoire à l’encontre de la société ;

-confirmer le jugement dont s’agit pour le surplus ;

Et par voie de conséquence sur l’appel incident de la société :

– prendre acte qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société ;

– dire qu’elle récupérera auprès de la société le capital représentatif de la majoration de la rente de M. [V] ;

– prendre acte qu’elle s’en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la fixation des divers préjudices ;

– dire qu’elle fera l’avance des préjudices fixés et en récupérera l’intégralité auprès de la société ;

– dire qu’elle récupérera le cas échéant le montant des frais d’expertise auprès de la société.

Par ses écritures parvenues au greffe le 31 octobre 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile, L. 431-2, L. 452-2, L. 452-3 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, 1353 du code civil, L. 231-8-1 du code du travail, de :

A titre principal

– réformer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’action de M.[V] ;

Et statuant à nouveau :

– déclarer irrecevable l’action de M. [V] car prescrite en application des

articles 122 du code de procédure civile et L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

En conséquence,

– débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [V] de sa

demande de reconnaissance de faute inexcusable de droit, les conditions d’application de l’article L. 231-8-1 n’étant pas réunies ;

– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que la maladie professionnelle de M. [V] est due à sa faute inexcusable ;

Et statuant à nouveau :

– juger que M. [V] ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, de ce que la maladie professionnelle dont il est atteint résulte de la faute inexcusable de son employeur ;

En conséquence,

– débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes ;

Très subsidiairement,

– juger qu’il appartiendra à la [6] de faire l’avance des indemnités, qui seront éventuellement allouées à M. [V] ;

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que la [6] ne pourra exercer de recours à son encontre et conservera à sa charge l’ensemble des sommes dont elle aura à faire l’avance à M. [V] ;

– débouter M. [V] de sa demande relative aux dépens, la procédure étant gratuite et sans frais ;

– condamner la [6] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 29 avril 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, M.[V] demande à la cour :

– de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

– d’ordonner en outre à la défenderesse de lui verser, en cause d’appel, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la recevabilité de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable

Pour soutenir que l’action de M. [V] est prescrite, la société fait valoir que :

– M. [V] disposait d’un délai de deux ans à compter de la mise à jour du tableau par décret du 4 mai 2012 pour déposer un second dossier, expirant le 4 mai 2014 ; or, il n’a présenté sa déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 58 que le 21 octobre 2014 ;

– la décision de refus de prise en charge de la pathologie déclarée le 19 mai 2008 est devenue définitive le 20 janvier 2009, de sorte que l’effet interruptif de l’action en reconnaissance du caractère professionnel a cessé le 20 janvier 2011 et que M. [V] disposait d’un délai de deux ans à compter de cette date pour agir en reconnaissance de la faute inexcusable ;

– la décision de la commission de recours amiable du 20 septembre 2016 prenant en charge la pathologie déclarée le 21 octobre 2014 ne saurait mettre à néant les règles de prescription qui sont d’ordre public.

M. [V], pour sa part, fait valoir en substance que le délai biennal de prescription de l’action en reconnaissance de faute inexcusable ne peut commencer à courir qu’à compter de la notification du caractère professionnel de la maladie, soit, en l’occurrence, le 21 octobre 2016, et non à compter du refus de prise en charge ; qu’ayant saisi la [6] de sa demande le 9 juillet 2018, son action n’est pas prescrite.

La [6] s’associe à M. [V] dans ses développements sur la prescription.

Sur ce :

L’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à l’espèce, dispose :

« Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater:

1°) du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière ;

2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l’article L.443-1 et à l’article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l’article L. 443-1 ;

4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l’éducation surveillée dans le cas où la victime n’a pas droit aux indemnités journalières.

(…)’».

L’article L.461-1 du code de la sécurité sociale précise que pour ce qui concerne les maladies professionnelles, est assimilée à la date de l’accident, pour l’application des règles de prescription de l’article L.431-2 du code de la sécurité sociale, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.

Il résulte de la combinaison de ces textes que l’action en reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie peut être engagée dans le délai de deux ans qui suit la date à laquelle la victime ou ses ayants droit ont été informés par un certificat médical du lien possible entre la maladie et l’activité professionnelle.

Le délai de prescription de l’action d’un salarié tendant à établir la faute inexcusable de son employeur est interrompu par l’exercice de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et ne recommence à courir qu’à compter de la date de la reconnaissance de celui-ci ( 2e Civ., 24 janvier 2013, n° 11-28.707 et n°11-28.595).

Le délai de prescription de l’action du salarié pour faute inexcusable de l’employeur ne peut donc commencer à courir qu’à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie (2e Civ., 3 avril 2003, n° 01-20.872).

En l’espèce, c’est par le certificat médical du 24 septembre 2014 que M.[V] a été informé du lien possible entre son activité professionnelle et la maladie de Parkinson visée au tableau n°58.

Sa déclaration de maladie professionnelle faite au visa de ce tableau a été établie le 21 octobre 2014 et reçue par la [6] le 23 octobre suivant, soit dans le délai de deux ans à compter du 24 septembre 2014.

Il est également constant que cette pathologie a été prise en charge au titre de la législation professionnelle par décision de la commission de recours amiable le 20 septembre 2016, portée à la connaissance de M. [V] par l’intermédiaire de son conseil, par lettre datée du 21 octobre 2016 (pièce n°11 de M. [V]).

Cette date constitue donc le point de départ de la prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, les moyens développés par la société étant inopérants.

M. [V] a saisi la [6] par lettre du 9 juillet 2018, ce qui a interrompu le délai de deux ans.

En l’absence de conciliation, M. [V] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rennes par requête du 30 octobre 2018, soit dans le délai de deux ans ayant recommencé à courir à compter de l’issue de la tentative de conciliation ayant donné lieu à un procès-verbal de carence notifié à M.[V] par lettre du 26 octobre 2018.

Force est ainsi de constater que l’action de M. [V] devant le tribunal n’était pas prescrite, comme l’ont à juste titre retenu les premiers juges dont le jugement sera complété sur ce point.

2 – Sur l’existence d’une faute inexcusable

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-26.677; Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683)

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime, invoquant la faute inexcusable de l’employeur, de rapporter la preuve que celui-ci n’a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du danger auquel elle était exposée.

Le juge n’a pas à s’interroger sur la gravité de la négligence de l’employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l’efficacité de la mesure que l’employeur aurait dû prendre.

Cependant, l’article L.4131-4 du code du travail prévoit le bénéfice de droit de la faute inexcusable lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou un représentant du personnel au CHSCT (comité et économique depuis le 1er janvier 2018) a signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé.

Il sera d’emblée relevé que la société ne remet pas en cause la pathologie dont M. [V] est atteint, à savoir la maladie de Parkinson, ni que celle-ci est visée au tableau n°58 des maladies professionnelles du régime agricole  mentionnant comme suit les travaux exposant habituellement aux pesticides :

– lors de la manipulation ou l’emploi de ces produits, par contact ou par inhalation ;

– par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l’entretien des machines destinées à l’application des pesticides.

2-1 Sur la faute inexcusable de droit

M. [V] revendique le bénéfice de l’article L. 4131-4 précité en faisant valoir qu’un de ses collègues de travail de 1986 à 1987, M. [J], atteste avoir avisé leur employeur des effets néfastes des pesticides sur la santé des travailleurs.

M. [V] verse aux débats l’attestation de M. [J], qui indique notamment : ‘il n’y avait pas de suivi médical spécifique. Je me souviens avoir protesté auprès de la [6] lors de la visite médicale annuelle pour demander un meilleur suivi pour les personnes (permanents ou saisonniers) travaillant dans le même milieu. J’ai voulu en parler à l’adjoint du directeur qui m’avait répondu (cela ne vous regarde pas)il n’était pas possible de discuter sécurité avec lui.’

Cependant, cette attestation ne permet pas de considérer que les conditions d’application de l’article L. 4131-4 sont réunies dès lors que la démarche mentionnée dans cette attestation n’émane pas de M. [V] lui-même ni d’un représentant du personnel au CHSCT et qu’en toute hypothèse M. [J] ne fait que mentionner un problème global relatif à la sécurité sans faire état d’un signalement précis.

C’est par conséquent à juste titre que les premiers juges n’ont pas retenu la présomption de faute inexcusable.

2-2 Sur la faute inexcusable prouvée

M. [V] fait valoir que la société utilisait quotidiennement des pesticides dont elle n’ignorait pas et ne pouvait pas ignorer la toxicité, amplement reconnue par la littérature scientifique et portée à la connaissance tant de la société civile que des employeurs agricoles dès avant la création du tableau n° 58 en 2012 ; qu’ainsi, le lien entre les pesticides et la maladie de Parkinson avait été suspecté et mis en lumière dès avant cette époque ; que l’existence de précautions d’emploi des produits utilisés et les sigles portés sur les contenants suffisent du reste à démontrer leur dangerosité et, partant, la conscience du danger de l’employeur ; que le fait qu’un produit soit autorisé ne réduit pas son caractère dangereux et l’employeur reste tenu de prendre les mesures de prévention adaptées ; qu’au cas particulier, il a travaillé au contact permanent de produits toxiques de son embauche en 1980 jusqu’en 2007 sans bénéficier d’aucune information ou de protection individuelle sur les dangers auxquels il était exposé et que l’employeur n’a pas même répertoriés dans un document unique d’évaluation des risques (DUER).

La société réplique que l’hypothèse d’un lien entre la maladie de Parkinson et les pesticides n’est explorée que depuis les années 80 par les scientifiques et ce n’est qu’en 2007 qu’une étude américaine a démontré que cette pathologie était 1,7 fois plus élevée chez les sujets exposés aux pesticides ; qu’en France, c’est seulement en 2010 que la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture a initié un travail d’analyse des études et recherches publiées, conduisant à la création du tableau n°58 en mai 2012, soit bien après la période d’exposition de M. [V] ; que si les rapports de l’INSERM et de l’ANSES de 2013 et 2016 expliquent que les intoxications aigües aux pesticides sont assez bien connues, la question en revanche se pose des effets à long terme des expositions à ce type de produits, étant sur ce point rappelé que le risque dont il s’agit en l’espèce est bien la maladie de Parkinson et non le risque cancérigène auquel se rapportent nombre de pièces versées par M. [V] ; que ce dernier avait des fonctions administratives, relationnelles et de supervision ; que la manipulation de semences ne figurait pas dans sa fiche de poste ; qu’aucune maladie professionnelle n’avait été déclarée au sein de l’entreprise avant celle de M. [V] et aucun des invités aux CHSCT (conseiller [6] en prévention, médecin du travail, inspecteur du travail) ne l’a alertée sur les risques d’une exposition prolongée aux pesticides ; qu’il n’est donc pas établi qu’elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel M.[V] était exposé, d’autant qu’elle ignorait que l’intéressé travaillait par ailleurs à temps partiel en maraîchage depuis 2002 ; qu’il n’est pas davantage établi que les locaux de travail et le véhicule du salarié n’étaient pas ventilés, ni que les étiquetages des produits préconisait le port de vêtement de protection ; qu’en toute hypothèse, des masques étaient fournis dont le caractère inadapté n’est pas démontré et il a été demandé aux techniciens, à partir des années 2000, de se renseigner sur les dates d’intervention des agriculteurs sur leurs parcelles afin de laisser un délai de 48 heures avant de s’y rendre ; qu’il n’existait enfin aucune obligation d’établir un DUER avant 2001 et ceux par la suite rédigés en 2002 et 2003 ont bien identifié les risques liés à l’inhalation de produits chimiques en préconisant le port de masques.

Sur ce :

– sur la conscience du risque

Les premières manifestations du syndrome extrapyramidal de M. [V], clairement identifiées par la suite comme les premiers symptômes de la maladie de Parkinson, sont apparues en 2006 ; ce sont donc les conditions de travail du salarié et les mesures prises le cas échéant par la société à tout le moins jusqu’à cette date qu’il convient d’examiner pour apprécier l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

La fiche de poste de M. [V] en tant que technicien semences établie et signée par le salarié en 1988 mentionne notamment ‘la bonne marche de la station semences, approche et réception des produits, stockage, qualité des produits finis’ (pièce n° 8 de la société).

Devant la commission des rentes en 2018, M. [V] indiquait que disposant d’un agrément pour contrôler la qualité des semences, il manipulait celles-ci en laboratoire ; qu’en outre, il procédait au repérage des parcelles destinées à faire l’objet d’un contrat de semences puis visitait les parcelles mises en culture, les sillonnant pour vérifier l’état du suivi et la pureté de l’espèce retenue ; qu’une fois agréé, le blé était trié et enrobé de produits de traitement ; qu’il prélevait un seau de semences tous les 200 quintaux et les manipulait manuellement pour évaluer leur qualité germinative ; que ce n’est que dans les années 1990 qu’un mélangeur agréé a été mis à sa disposition; qu’il procédait par ailleurs tous les soirs à des livraisons complémentaires chez les agriculteurs en période de mise en culture avec une fourgonnette sans cloison séparative entre l’habitacle et le coffre.

Devant cette même commission, son épouse a déclaré qu’il avait par moments de violents maux de tête et des nausées.

M. [J] indique dans son attestation précitée (pièce n° 25 de M.[V]) qu’il a travaillé aux côté de ce dernier d’avril 1986 à août 1987 et que leurs fonctions consistaient à :

– réceptionner les céréales traitées, déversées par les agriculteurs et les transporteurs dans une fosse, ce qui provoquait un dégagement important de poussières ; des pois protéagineux ont été pour la première année déversés dans la cour puis ensachés dans des sacs de 500 kg en attente de triage, ce qui avait dégagé beaucoup de poussières lors de la manipulation ;

– trier les céréales à compter du mois d’août à l’aide de machines, manoeuvre là encore source de poussières ;

– enrober les céréales avec des pesticides, passant par une phase mélangeant mécaniquement eau et pesticides à l’aide d’un bâton dans une poubelle, suivie de la phase enrobage stricto sensu avant celles de la mise en sacs avec l’ensacheuse puis de palettisation.

M. [J] ajoute que le bureau de M. [V] faisait également office de laboratoire, où se trouvaient des échantillons prélevés tous les 200 quintaux dans les sacs de céréales traitées, qu’ils mélangeaient à la main dans un seau ; que son collègue circulait par ailleurs dans un véhicule type fourgonnette dépourvue de cloison étanche entre la partie conducteur et le coffre où étaient entreposés des sacs non étanches de 50kg de semences traitées, destinées aux agriculteurs qu’il visitait.

M. [M], également collègue de travail de M. [V] de 1994 à 2001 dans le cadre de mise en place de contrats de production de semences et de suivi de cultures auprès de la clientèle, confirme, dans son attestation (pièce n° 26 de M. [V]), le dégagement de poussières de pesticides lors d’application sur les céréales (procédé d’enrobage), les manipulations de bidons lors du réapprovisionnement des pompes doseuses, l’absence de ventilation et de cloison étanche du véhicule utilitaire conduit par M.[V], chargé de pesticides.

M. [U], qui exerçait les mêmes fonctions que M. [V], confirme l’application des pesticides, fongicides et insecticides sur les céréales. (pièce n° 27 de M. [V])

M. [T], chauffeur, déclare avoir constaté dans le bureau de M. [V] des ‘poussières traitées’ et des ‘odeurs de produits de traitement’ (pièce n°28 de M. [V])

M. [O], agriculteur, atteste pour sa part que M. [V] passait régulièrement dans les parcelles à des moments pouvant suivre de près le traitement des terres ; il précise que ‘le suivi de la fabrication d’hybrides était plus important et nécessitait plus de traitement’ (pièce n° 30 de M.[V]).

L’exposition habituelle de M. [V] aux pesticides pendant au moins dix ans est ainsi clairement établie et la société ne saurait se retrancher derrière la création en mai 2012 du tableau n°58 pour soutenir qu’elle n’avait pas et n’aurait pas dû avoir conscience du danger inhérent à cette exposition.

Certes, le lien entre pesticides et maladie de Parkinson n’a commencé à être évoqué dans certaines études qu’à la fin des années 1990 et ce n’est qu’à partir de 2006 qu’a été clairement mis en évidence le risque nettement accru de développer cette pathologie en cas d’exposition aux pesticides (pièce n°23 de M. [V]).

Il n’en demeure pas moins que les pesticides présentaient dès avant cette époque un danger intrinsèque pour la santé de ceux qui les manipulaient ou les inhalaient.

C’est précisément pour cette raison que des règles ont été prises s’agissant des produits anti-parasitaires à usage agricole par le décret 87-361du 27 mai 1987, que ce soit en matière de stockage ou de matériel/équipement de protection.

L’absence de déclaration de maladie professionnelle d’autres salariés en 2005 et 2006 n’y change rien.

La société, spécialisée dans la vente et la fourniture de produits destinés à l’agriculture, ne pouvait pas au regard de sa taille et de son importance ignorer ces risques sanitaires et les obligations qu’ils imposaient afin de préserver ses salariés.

– sur les mesures prises par l’employeur

M. [V] et ses collègues attestent qu’aucun moyen de protection individuel n’était mis à leur disposition pour se protéger de l’inhalation des poussières de pesticides dégagées lors des livraisons ou des manipulations et qu’ils n’avaient pas été informés d’un danger toxique quelconque. En outre, la fourgonnette mise à la disposition du salarié pour livrer les semences traitées complémentaires aux agriculteurs n’assurait aucune étanchéité entre le poste conducteur et les produits entreposés à l’arrière. Ces produits étaient par ailleurs entreposés dans le bureau de M. [V] sans aucune protection de quelque nature que ce soit. Les masques évoqués par l’employeur ont été mis en place tardivement, au début des années 2000 et ce n’est également qu’à cette époque qu’il a été demandé aux salariés de se renseigner auprès des agriculteurs des dates de traitement des parcelles et d’attendre 48 heures avant de s’y rendre.

Force est de constater qu’en laissant M. [V] travailler dans des conditions l’exposant aux pesticides et autres produits phytosanitaires sans information, sans consigne de sécurité et sans protection adaptée, la société a commis une faute inexcusable. Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé sur ce point.

3 – Sur les conséquences de la faute inexcusable

Les premiers juges seront approuvés en ce qu’ils ont ordonné la majoration maximale de la rente versée à M. [V] sur la base d’un taux d’IPP de 60%, dit que l’avance en sera faite par la [6] et ordonné aux frais avancés par la caisse une expertise médicale pour évaluer le préjudice de M. [V].

Les premiers juges ont débouté la [6] de son action récursoire à l’encontre de l’employeur au motif que la décision de refus de prise en charge du 20 novembre 2008 était devenue irrévocable dans les rapports caisse/employeur et restait donc acquise au bénéfice de ce dernier.

Il n’est pas discuté que le 20 novembre 2008, la [6] a notifié au salarié comme à la société une décision de refus de prise en charge de la pathologie déclarée en mai de la même année, décision non contestée et devenue définitive.

Un nouveau refus a été notifié à M. [V] le 29 décembre 2014 sur la base de la seconde déclaration de maladie professionnelle, refus réformé par la commission de recours amiable qui a admis en octobre 2016 le caractère professionnel sur la base du tableau n°58.

La [6] reconnaît dans ses écritures que seule la première décision du 20 novembre 2008 est opposable à la société mais fait valoir qu’en application de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, la reconnaissance de la faute inexcusable oblige l’employeur à assumer les conséquences financières de celle-ci, peu important les conditions dans lesquelles l’information de l’employeur s’est faite dans la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

L’action récursoire de la caisse, comme le rappelle l’article L. 452-3-1 du code de sécurité sociale, procède de la reconnaissance de la faute inexcusable.

La reconnaissance de la faute inexcusable de la société procède elle-même en l’espèce non pas de la décision de refus de prise en charge de la maladie du 20 novembre 2008 mais bien de la décision de reconnaissance du caractère professionnel au visa du tableau n°58 dans les suites de la décision de la commission de recours amiable de septembre 2016.

La décision de refus du 20 novembre 2008, malgré son caractère définitif, est par conséquent inopérante pour faire obstacle à l’action récursoire de la caisse engagée sur le fondement de la décision finale de prise en charge de septembre 2016.

Quelles que soient les conditions dans lesquelles cette dernière décision a été prise et les conséquences en résultant en terme d’opposabilité à l’égard de l’employeur, il demeure qu’en application de l’article L. 452-3-1 précité, la [6] est en droit de faire valoir son action récursoire à l’encontre de la société.

C’est donc à tort que les premiers juges ont débouté la [6] de son action récursoire.

4 – Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il n’apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [V] ses frais irrépétibles.

La société sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 3 500 euros en sus de l’indemnité allouée en première instance.

Les dépens de la présente procédure d’appel seront laissés à la charge de la société qui succombe à l’instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Dit que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée par M.[V] à l’encontre de la société [7] n’est pas prescrite ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il déboute la caisse de [6] de son action récursoire;

Statuant à nouveau sur ce chef :

Dit que la caisse de [6] récupérera auprès de la société [7] le capital représentatif de la majoration de rente et les sommes allouées en réparation des préjudices subis par M. [V] dont elle aura fait l’avance ;

Y ajoutant :

Condamne la société [7] à verser à M. [V] une indemnité de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie les parties devant les premiers juges pour qu’il soit statué sur les points non jugés ;

Condamne la société [7] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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