Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 15 Mars 2023
N° RG 21/01327 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTZI
FK
Arrêt rendu le quinze Mars deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 25 février 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2018 001286)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
La société IMPRIMERIE [W]
SAS immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 327 098 430 00041
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (plaidant)
APPELANTE
ET :
La société ADISTA
SAS immatriculée au RCS de Nancy sous le n° 323 159 715 00305
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : la SELARL DIAJURIS, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Alexandra LE CORRONCQ de la SARL OSMOSE, avocat au barreau de PARIS et Me Anne DIOT de la SARL OSMOSE, avocat au barreau de BORDEAUX (plaidant)
INTIMÉE
DEBATS : A l’audience publique du 18 Janvier 2023 Monsieur KHEITMI a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 15 Mars 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 15 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et procédure – demandes et moyens des parties :
La SAS Imprimerie [W] (la SAS [W]), souhaitant mettre en sûreté ses données informatiques, a conclu avec la SAS ADISTA, suivant acte sous seing privé daté de décembre 2010, une convention selon laquelle cette dernière société s’engageait à assurer la sauvegarde de ces données, au moyen d’un procédé dit d’externalisation de la sauvegarde, consistant à ‘cibler localement les données à sauvegarder au sein de l’espace disque’, à les recopier et à les envoyer vers un lieu de stockage géographiquement éloigné, et sécurisé.
Selon l’acte contractuel, ‘la définition des jours et des plages des horaires de début de copie [était] laissée à l’appréciation de l’Imprimerie [W]’. La prestation assurée par la SAS ADISTA était payée suivant factures mensuelles.
La SAS [W] a été victime, le 11 juillet 2016, d’une attaque informatique par un virus de type ‘crypto-locker’, qui a provoqué la perte de certaines de ses données.
Elle a demandé le jour même à la SAS ADISTA de lui communiquer la dernière version de sauvegarde de ses données ; la SAS ADISTA lui a transmis en retour cette version, qui datait du 2 février 2016.
La SAS [W], estimant que la société prestataire avait manqué à ses obligations, lui a demandé, par lettres recommandées du 31 juillet puis du 18 août 2016, de lui verser une somme de 25 000 euros de dommages et intérêts, en réparation du préjudice qu’elle avait subi par la perte de ses données, comptables et commerciales, pour la période écoulée entre le 2 février et le 10 juillet 2016.
Devant le refus de la SAS ADISTA, la SAS [W] l’a fait assigner le 12 février 2018 devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, pour obtenir paiement de diverses sommes au titre soit de dommages et intérêts, soit de remboursement des factures payées pour la période de février à juillet 2016.
La SAS ADISTA, devant le tribunal de commerce, a d’abord soulevé l’incompétence territoriale de cette juridiction, puis subsidiairement l’irrecevabilité des demandes, au motif que la SAS [W] n’avait pas suivi la procédure de conciliation prévue aux « Conditions générales de vente ». Plus subsidiairement, la SAS ADISTA a contesté sur le fond les demandes formées contre elle, faisant valoir qu’elle n’avait commis aucune faute.
Le tribunal, par jugement du 2 mai 2019, s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nancy, en application d’une clause attributive de compétence en faveur de cette juridiction ; cependant la cour d’appel de Riom, sur le recours formé par la SAS [W], a suivant un arrêt du 9 octobre 2019 infirmé le jugement, déclaré le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand compétent, et renvoyé l’affaire devant lui.
Le tribunal de commerce, par un jugement contradictoire du 25 février 2021, a déclaré la SAS [W] recevable mais mal fondée, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes, et l’a condamnée aux dépens et au paiement d’une somme de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a rejeté en outre une demande reconventionnelle formée par la SAS ADISTA.
La SAS [W], par une déclaration reçue au greffe de la cour le 16 juin 2021, a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions lui faisant grief.
La société appelante demande notamment à la cour d’infirmer le jugement, en ce qu’il l’a déclarée mal fondée en ses prétentions, et de condamner la SAS ADISTA à lui payer les principales sommes suivantes : 2 256 euros, au titre des factures qu’elle lui a payées de février à septembre 2016 ; 8 000 euros en réparation du temps consacré à la réimplantation des données, et « de la rançon versée aux hackers » ; et 15 000 euros en réparation de son préjudice commercial, et de l’atteinte portée à son image commerciale.
La SAS [W] fait valoir, au soutien de ses demandes, que la SAS ADISTA n’a pas rempli ses obligations, qui comportaient selon les termes du contrat la sauvegarde permanente de ses données, y compris la récupération de ces données dans le serveur de la SAS [W]. Celle-ci souligne qu’elle n’a pas de connaissance technique en la matière, qu’elle s’en est rapportée à la SAS ADISTA, et que celle-ci s’est montrée défaillante puisqu’il est apparu, à la suite de l’attaque informatique commise en juillet 2016, que la société prestataire n’était plus en mesure de rétablir ses données depuis le 2 février 2016, en raison de la rupture à cette date du lien informatique entre les deux sociétés. La SAS [W] relève que la définition donnée dans le contrat du système de protection (« Cibler localement les données à sauvegarder au sein de l’espace disque ») ne met nullement à sa charge la sauvegarde préalable des données, cette opération incombant à la SAS ADISTA, au moyen d’un serveur NAS qui procéde à des copies à certaines heures convenues, sans action particulière de la société cliente.
La SAS ADISTA conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a déclaré la SAS [W] recevable en ses demandes, et rejeté sa propre demande reconventionnelle. Elle soulève, sur la recevabilité, une clause des Conditions générales de vente, figurant au verso des factures, et qui prévoit une tentative de conciliation amiable, avant toute action contentieuse : elle relève que la SAS [W] n’a pas suivi la procédure de conciliation, de sorte que son action est irrecevable. Subsidiairement sur le fond, la SAS ADISTA expose que, selon l’offre commerciale qu’elle a faite à la SAS [W], et que celle-ci a acceptée, c’est au client lui-même qu’il incombe de programmer et de réaliser la sauvegarde de ses données, et que les prestations assurées par la SAS ADISTA se limitent principalement à lui fournir un logiciel destiné à « cibler » et à sauvegarder ces données, et à mettre à sa disposition des espaces de stockage des données (dans deux lieux distincts et éloignés), obligations que la société prestataire affirme avoir remplies envers la SAS [W]. Elle précise que l’absence de toute sauvegarde réalisée à partir du 8 février 2016 résulte des seules carences de la société cliente, le lien entre les deux sociétés étant resté opérationnel pendant la même période.
La SAS ADISTA conteste d’ailleurs l’existence de préjudices, en lien avec les fautes alléguées par la SAS [W]. Elle demande paiement des factures établies pour la période écoulée de février 2016 à juillet 2017, mois de la résiliation du contrat.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations des parties, aux dernières conclusions des parties, déposées au greffe le 12 et le 16 janvier 2023.
Motifs de la décision :
Il convient, de l’accord des parties, de révoquer la clôture prononcée le 13 janvier 2023, et de la fixer au 18 janvier 2023 jour des plaidoiries, afin de recevoir aux débats leurs dernières pièces et conclusions.
Les Conditions générales de vente, figurant au verso des factures émises par la SAS ADISTA, comportent un article 21 intitulé Procédure amiable, prévoyant la désignation d’un expert avant de saisir le tribunal compétent.
L’acte contractuel, établi par la SAS ADISTA en date de décembre 2010, intitulé « Présentation détaillée de l’offre », et revêtu en page 15 de la mention Bon pour accord, suivi de la signature de M. [I] [W] pour la SAS [W], ne contient lui-même aucune référence à ces Conditions générales ; cependant et comme le fait valoir la SAS ADISTA, des conditions générales peuvent obliger les parties, lorsqu’elles ont été mentionnées au verso de factures et que le destinataire des factures les a reçues régulièrement pendant une certaine durée, sans élever de contestation (en ce sens Cass. Civ. 1ère 13 février 2019, pourvoi n°18-11.609).
Ainsi que l’a justement énoncé le tribunal de commerce, les parties ont poursuivi l’exécution du contrat en cause pendant plus de cinq ans, de 2011 à 2016, période lors de laquelle la SAS ADISTA a envoyé chaque trimestre une facture portant au verso les Conditions générales, de sorte que la SAS [W], en recevant ces factures sans formuler de réserve, a tacitement accepté les dites Conditions générales, qui lui sont dès lors opposables, peu important d’ailleurs que la clause en litige ait été imprimée, comme l’ensemble du texte, en petits caractères, ceux-ci restant néanmoins lisibles.
L’article 21 des Conditions générales qui figurent au verso des factures est rédigé comme suit :
« En cas de difficultés pour l’application des présentes ou l’un de leurs avenants, les Parties décident de se soumettre préalablement à une procédure amiable. À ce titre, toute Partie qui souhaiterait mettre en jeu la dite procédure et ce, préalablement à la saisine d’un tribunal compétent devra notifier par lettre recommandée avec avis de réception, en laissant un délai de quinze jours (15) à l’autre Partie, une telle volonté. Les Parties désigneront un expert amiable d’un commun accord dans le délai de quinze (15) jours. À défaut, compétence expresse est attribuée à M. le président du tribunal de commerce de Nancy pour effectuer une telle désignation. L’expert amiable devra tenter de concilier les Parties dans un délai de deux (2) mois à compter de sa saisine […] ».
Le tribunal, pour écarter la fin de non recevoir soulevée par la SAS ADISTA sur le fondement de cet article, a énoncé que celui-ci ne faisait pas état du caractère obligatoire de la procédure de conciliation, et que l’emploi du conditionnel (« toute Partie qui souhaiterait »), ainsi que la référence à la volonté de l’autre partie, démontrent le caractère facultatif de la procédure de conciliation.
Cependant le principe même de la conciliation est explicitement affirmé dans la première phrase de la clause : « les Parties décident de se soumettre préalablement à une procédure amiable », expression faite sur le mode indicatif, qui a valeur créatrice de droit, et qui institue donc l’obligation de tenter une conciliation, avant tout litige contentieux ; le caractère obligatoire de cette tentative préalable n’est pas contredit par la phrase suivante, qui se limite à fixer les modalités de l’engagement de la procédure : le conditionnel employé pour le verbe souhaiter, qui aurait pu être remplacé par un autre mode verbal (« toute partie souhaitant mettre en jeu la dite procédure »), n’a pas d’autre effet que de préciser que la faculté d’engager la conciliation est ouverte aux deux parties, non pas seulement à celle qui envisagerait de saisir une juridiction. La même phrase énonce que la tentative de conciliation doit être faite « préalablement à la saisine d’un tribunal compétent », ce qui confirme son caractère obligatoire, avant toute action judiciaire.
C’est donc par erreur que le tribunal a considéré que le préalable de conciliation n’était que facultatif ; la circonstance, d’ailleurs, que la SAS ADISTA se soit elle-même abstenue d’engager la procédure de conciliation, après que la société adverse lui a adressé une mise en demeure par lettre du 18 août 2016 comme l’a relevé le tribunal, ne dispensait pas la SAS ADISTA d’engager cette procédure à son initiative, avant de faire assigner la SAS [W].
L’omission par une partie de satisfaire à une clause instituant une procédure de conciliation obligatoire, préalable à la saisie de la juridiction, constitue une fin de non recevoir, qui s’impose au juge dès lors qu’elle est invoquée (Cass. Ch. Mixte 14 février 2003, pourvoi n° 00-19.423) ; il convient de faire droit à la fin de non recevoir soulevée par la SAS ADISTA et, réformant le jugement sur ce point, de déclarer irrecevables toutes les demandes de la SAS [W].
La SAS ADISTA demande à titre reconventionnel condamnation de la SAS [W] au paiement d’une somme de 1 128 euros, au titre des factures de prestations restées impayées pour la période de septembre 2016 à juillet 2017. Cependant la SAS [W] était en droit, faute de disposition du contrat ou des Conditions générales de vente portant sur la résiliation, de mettre fin unilatéralement au contrat, à ses risques et périls ; cette société a fait connaître à la SAS ADISTA, par la lettre recommandée de son avocat du 18 août 2016 déjà citée, d’une part sa réclamation d’une indemnité de 25 000 euros qu’elle la mettait en demeure de payer, et d’autre part son intention d’obtenir la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société prestataire.
En droit : selon l’article 1184 ancien du code civil, alors en vigueur, la résolution d’un contrat pour inexécution doit être demandée en justice ; l’une des parties peut cependant provoquer la rupture unilatéralement, à ses risques et périls ; dans le cas particulier, la lettre de la SAS [W] du 18 août 2016 contient, sur la résiliation, la phrase suivante : « Notre cliente entend donc solliciter en premier lieu la résiliation du contrat à vos torts exclusifs. / Vous devrez naturellement rembourser les sommes réglées au titre de ce contrat dans la mesure où vous n’avez pas réalisé votre prestation. » Cette formulation ne permet pas de constater si la volonté exprimée par la SAS [W] a été de notifier unilatéralement et sans autre procédure sa décision de mettre fin aussitôt au contrat, ou au contraire son intention de demander la résiliation en justice. La lettre que la SAS [W] a ensuite envoyée à la SAS ADISTA, le 17 juillet 2017, et qui énonce : « Nous vous informons par la présente de notre décision de résilier notre abonnement ainsi que l’ensemble des services et options afférents à compter de ce jour », contient quant à elle, sans équivoque, une manifestation de volonté de mettre fin unilatéralement au contrat, sans autre forme de procédure (pièce n°6 de la SAS ADISTA) ; cette dernière lettre constitue aussi, comme le fait valoir la société intimée, une reconnaissance par la SAS [W] que le lien contractuel avait persisté après la lettre du 18 août 2016. La SAS ADISTA est donc bien fondée à soutenir que la résiliation unilatérale n’est intervenue que par l’effet de la dernière lettre en date, et à demander paiement des factures émises dans l’intervalle, pendant lequel la SAS [W] bénéficiait toujours des services de la SAS ADISTA. Le montant de ces factures n’est pas contesté, il sera fait à ce chef de demande de la SAS ADISTA, le jugement étant réformé sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;
Révoque l’ordonnance de clôture prononcée le 13 janvier 2023, et fixe la clôture des débats au 18 janvier 2023 ;
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SAS [W] aux dépens et au paiement d’une somme de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Déclare la SAS [W] irrecevable en ses demandes ;
Condamne la SAS [W] à payer à la SAS ADISTA une somme de 1 128 euros au titre des factures impayées ;
Condamne la SAS [W] à payer à la SAS ADISAT une somme de 1 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel ;
Rejette le surplus des demandes.
Le greffier, La présidente,