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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 15 MAI 2023
N° RG 22/04689 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M5VU
[V] [S]
c/
S.A.S.U. FRIGO TRANSPORTS 33
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 26 septembre 2022 par le Président du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 22/01173) suivant déclaration d’appel du 14 octobre 2022
APPELANT :
[V] [S]
né le 24 Juillet 1972 à [Localité 2] (GHANA)
de nationalité ghanéenne
demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Myriam SEBBAN, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.S.U. FRIGO TRANSPORTS 33, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
représentée par Maître Julien LE CAN, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Suivant acte sous seing privé du 1er septembre 2019, la SAS Frigo Transports 33 a conclu avec M. [V] [S] une convention de mise à disposition à titre précaire, révocable et gracieux en échange d’assurer le gardiennage des lieux le soir, du local situé sis [Adresse 1].
Suivant lettre recommandée du 5 mai 2021 la société Frigo Transports 33 a manifesté auprès de M. [S] son souhait de mettre un terme à cette convention et l’a invité à libérer les lieux à l’issue du préavis de 3 mois soit au plus tard le 31 août 2021.
M. [S] n’a pas libéré les lieux au 31 août 2021 et la société Frigo Transports 33 a réitéré sa demande de quitter les lieux par lettre recommandée du 1er octobre 2021.
M. [S] ne réfutait pas devoir quitter les lieux mais sollicitait des délais pour le faire, indiquant que malgré ses recherches, il n’avait pu trouver d’autre lieu pour poursuivre son activité professionnelle.
La société Frigo Transports 33 a délivré à M. [S] une sommation de quitter les lieux suivant exploit d’huissier du 22 mars 2022.
Par acte du 13 juin 2022, la société Frigo Transports 33 a assigné M. [S] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de voir ordonner son expulsion, et de le voir condamner au paiement d’une indemnité d’occupation de 4 200 euros par mois jusqu’au jour de la libération effective des lieux.
Par ordonnance de référé du 26 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– constaté la résiliation de la convention d’occupation précaire liant la société Frigo Transports 33 et M. [S],
– ordonné l’expulsion de M. [S] et de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 1] et dit que, passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, il pourra être procédé à l’expulsion avec le concours de la force publique,
– condamné M. [S] à payer à la société Frigo Transport 33 une indemnité d’occupation de 4 200 euros par mois à compter de la décision jusqu’à la libération effective des lieux,
– condamné M. [S] à payer à la société Frigo Transports 33 une indemnité de 1 200 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné M. [S] aux dépens.
M. [S] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 14 octobre 2022.
Par conclusions déposées le 21 novembre 2022, M. [S] demande à la cour de :
– le recevoir en son appel et le juger bien fondé,
– réformer en toutes ses dispositions la décision du 26 septembre 2022,
In limine litis,
– juger que la société Frigo Transports 33 est irrecevable en ses demandes,
– se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Bordeaux, qui devra constater que M. [S] bénéficiait d’un bail commercial tacite,
– se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire statuant au fond, le juge des référés ne pouvant se prononcer en l’absence d’urgence et en présence d’une contestation sérieuse,
Si par impossible, la cour estimait pouvoir valider en référé la convention d’occupation précaire du 1er septembre 2019 et faire application de l’article 4 de ladite convention,
– juger que le juge des référés n’a pas qualité pour interpréter un contrat et fixer une indemnité d’occupation de 4 200 euros, alors même qu’il s’agissait d’une convention d’occupation gratuite,
– octroyer à M. [S] un délai de 36 mois pour quitter les lieux, ce dernier y ayant établi sa résidence pour son activité de gardiennage,
– condamner la société Frigo Transports 33 à régler à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 12 décembre 2022, la société Frigo Transports 33 demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance de référé contradictoire enregistrée sous le n° RG 22/01173 rendue le 26 septembre 2022 par M. le président du tribunal judiciaire de Bordeaux en l’ensemble de ses dispositions,
En conséquence,
– débouter M. [S], appelant à la procédure, de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Y ajoutant,
– condamner M. [S] à verser à la société Frigo Transports 33 une indemnité complémentaire d’un montant de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– condamner M. [S] aux dépens d’appel.
L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 6 mars 2023 par ordonnance et avis de fixation à bref délai, avec clôture de la procédure à la date du 20 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I Sur la fin de non-recevoir tirée de l’article 750-1 du code de procédure civile.
L’article 750-1 du code de procédure civile prévoit que ‘A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R.211-3-4 et R.211-3 du code de l’organisation judiciaire.
Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation’.
M. [S] reproche au premier juge de ne pas avoir soumis la présente procédure à l’obligation de tentative préalable de conciliation, n’étant pas occupant sans droit ni titre, puisque bénéficiant d’un titre d’occupation des lieux pendant plusieurs années.
***
Néanmoins, outre l’annulation de l’article 750-1 du code de procédure civile par le Conseil d’Etat lors de sa décision n°436939, 437002 du 22 septembre 2022, il doit être relevé que la demande principale de l’intimée, comme l’a exactement relevé le premier juge, concerne une demande indéterminée dans son montant, puisque relative à une expulsion.
Il s’ensuit que celle-ci ne saurait en tout état de cause relever des dispositions invoquées.
Dès lors, ce moyen sera rejeté.
II Sur les compétences de la juridiction commerciale et du juge du fond.
En vertu de l’article 74 alinéa 1er du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.
Il résulte de l’article 834 du même code que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’article 835 du code de procédure civile ajoute que ‘Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.
M. [S] avance qu’en application de l’article L.721-3 du code de commerce, seule la juridiction commerciale est compétente en ce qui concerne les litiges entre commerçants ou relatifs à des actes de commerce.
Il affirme que sa qualité d’occupant sans droit ni titre est sérieusement contestable, suppose l’analyse des relations contractuelles entre les parties depuis plusieurs années et qu’il a existé une activité de gardiennage des lieux au moins depuis 2019.
Il dit avoir été abusé, qu’il existait un bail commercial tacite et qu’il ne pouvait être recouru à une convention d’occupation précaire, ce qui constitue une contestation sérieuse. Il observe que le juge des référés n’a en outre pas qualité pour interpréter un contrat et fixer une indemnité d’occupation, notamment en ce que l’occupation se faisait à titre gratuit.
Il convient de constater dans un premier temps que l’exception tirée de la compétence matérielle de la juridiction commerciale n’a pas été soulevée in limine litis, comme l’exige l’article 74 du code de procédure civile précité, faute que cet argument ait été soulevé en première instance.
Il devra donc être rejeté.
Sur la question de l’existence d’une contestation sérieuse, il est constant qu’un juge de référé peut ordonner l’expulsion d’une personne occupant sans droit ni titre un local commercial du fait du trouble manifestement illicite qui en résulte.
Or, comme l’a exactement retenu la décision attaquée, par une motivation que la cour fera sienne, celle-ci a non seulement écarté l’existence d’un bail commercial tacite, mais également justifié la situation d’occupation sans droit ni titre.
En effet, s’il est allégué des relations commerciales entre les parties antérieures au contrat en date du 1er septembre 2019, il n’est pas justifié que celles-ci aient concerné une occupation des lieux objet du litige. Aucun élément n’établit donc un droit sur les locaux commerciaux que M. [S] souhaite continuer à occuper suite à la dénonciation régulière du contrat d’occupation précaire.
Il ne saurait y avoir davantage interprétation du contrat, celui-ci étant clair,notamment quant à la clause de résiliation dont il est sollicité le constat.
Sur la question de l’indemnité d’occupation, le premier juge a retenu le préjudice causé au propriétaire par l’occupation suite au constat de la résiliation de la convention d’occupation précaire pour fonder cette prétention. Il ne saurait s’agir d’une interprétation du contrat ayant existé entre les parties, mais d’une indemnisation liée à l’indisponibilité des lieux résultant du comportement de l’occupant sans droit ni titre, donc d’une situation de fait. S’agissant du montant, la comparaison effectuée par la juridiction de première instance avec un immeuble équivalent sera considérée comme suffisante pour fonder cet élément et sera confirmée.
C’est pourquoi ce moyen sera également rejeté.
III Sur la demande de délai pour quitter les lieux.
L’appelant sollicite l’octroi d’un délai de 36 mois pour quitter les lieux, afin de préserver la pérennité et la poursuite de son activité professionnelle et de son logement.
Cependant, il est exact que l’intéressé a déjà bénéficié d’un délai de plus de 18 mois au jour de l’audience et ne justifie d’aucune démarche pour quitter les lieux objets du présent litige.
De même, il n’établit par aucune pièce en dehors de ses propres déclarations que l’immeuble concerné constituerait également son logement.
Aussi, cette prétention sera encore rejetée.
IV Sur les demandes annexes.
Aux termes de l’article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, M. [S], qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande que M. [S] soit condamné à verser à la société Frigo Transports 33 la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de l’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME la décision rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux le 26 septembre 2022 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [S] à verser à la société Frigo Transports 33 la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel ;
CONDAMNE M. [S] aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,