Tentative de conciliation : 15 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/03943

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Tentative de conciliation : 15 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/03943
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 15 MAI 2023

N° RG 20/03943 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LXWW

[E] [M]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/020799 du 03/12/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

[V] [O]

[K] [O]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 septembre 2020 par le Pôle protection et proximité du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 19-003252) suivant déclaration d’appel du 21 octobre 2020

APPELANTE :

[E] [M]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 8]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représentée par Maître Julia BODIN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[V] [O]

né le [Date naissance 5] 1954 à [Localité 9] (TUNISIE)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

[K] [O]

née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représentés par Maître Léon NGAKO-DJEUKAM de la SELARL BORGIA & CO, AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [K] [O] et M. [V] [O] sont locataires d’une maison sise [Adresse 3], [Localité 6], laquelle est mitoyenne au sein de la même résidence avec celle de Mme [E] [M], également locataire, au 16 de la même rue.

Par acte d’huissier du 10 septembre 2019 les époux [O] ont assigné Mme [M] devant le tribunal d’instance de Bordeaux arguant qu’ils subissent des troubles anormaux de voisinage de la part de leur voisine, aux fins de la voir condamner à cesser les troubles et au paiement de 8000 euros en réparation de leur préjudice.

Par jugement du 23 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– condamné Mme [M] à payer aux époux [O] la somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral,

– débouté M. et Mme [O] du surplus de leurs demandes,

– débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamné Mme [M] à payer aux consorts [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté la demande de Mme [M] émise de ce chef,

– constaté que Mme [M] bénéficie de l’aide juridictionnelle totale,

– condamné Mme [M] au paiement des entiers dépens de l’instance,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Mme [M] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 21 octobre 2020.

Par conclusions déposées le 18 mai 2021, Mme [M] demande à la cour de :

– débouter les consorts [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– dire que l’appel interjeté par Mme [M] est recevable et bien fondé,

L’y accueillant,

– réformer le jugement rendu le 23 septembre 2020 par le pôle protection et proximité du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu’il a :

* condamné Mme [M] à payer aux époux [O] la somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral,

* débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* condamné Mme [M] à payer aux consorts [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* rejeté la demande de Mme [M] émise de ce chef,

* condamné Mme [M] au paiement des entiers dépens de l’instance,

Statuant à nouveau,

– dire que les nuisances sonores alléguées se sont pas démontrées,

– dire que les actes d’incivilité allégués ne sont pas démontrés,

– dire que l’existence des plants de cannabis n’est pas démontrée,

– dire que le préjudice prétendument subi par les consorts [O] n’est pas démontré,

En conséquence,

– débouter les époux [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamner in solidum les époux [O] à verser à Mme [M] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les époux [O] à verser à Mme [M] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les époux [O] aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 19 février 2021, les époux [O] demandent à la cour de :

– déclarer les intimés recevables et bien fondés en leurs conclusions et appel incident,

– réformer partiellement le jugement rendu le 23 septembre 2020,

Statuant à nouveau :

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré Mme [M] auteur de trouble anormal de voisinage,

– condamner Mme [M] à verser aux époux [O], la somme de 8 000 euros toutes causes confondues, en réparation de leur entier préjudice,

– condamner Mme [M] à cesser et enlever les plants de cannabis qu’elle cultive à son domicile,

– condamner Mme [M] à verser aux époux [O] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de l’instance.

L’affaire a été fixée à l’audience du 20 mars 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les troubles anormaux de voisinage allégués

En vertu d’un principe général de droit, nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage (Cass. Civ. 2ème, 28 juin 1995, n° 93-12.681).

Lorsque l’anormalité du trouble est établie, la responsabilité de son auteur peut être engagée sans qu’il y ait lieu de caractériser l’existence d’une faute. La juridiction saisie peut prescrire toute mesure visant à faire cesser le trouble et condamner son auteur à indemniser la victime des préjudices qui en ont résulté.

M. et Mme [O] soutiennent que Mme [M] est à l’origine de nuisances sonores et olfactives et d’actes d’incivilité que cette dernière conteste.

Sur les nuisances sonores

Les intimés font valoir que leur voisine est bruyante, que des bruits de voix émanent de chez elle en soirée ou durant la nuit et que la pendaison de crémaillère qu’elle a organisée le 15 août 2018 a duré jusqu’à 7 heures du matin.

Mme [M] fait valoir, à juste titre, que le courriel adressé au bailleur le 20 août 2019 ainsi que la main courante déposée le 5 septembre 2019 (pièces n° 2 et 3 du dossier des intimés) ne permettent pas de démontrer la réalité des nuisances alléguées par les intimés puisqu’elles ne font que reprendre leurs déclarations.

Les intimés ne rapportent pas la preuve de la réalité du trouble invoqué et de son anormalité, de sorte qu’il y a lieu d’écarter ce moyen de fait.

Sur les actes d’incivilités

M. et Mme [O] évoquent des incivilités, sans autre précision, et mettent en exergue dans leurs écritures les attestations de deux résidentes, Mme [W] et Mme [X], la première expliquant avoir vu plusieurs fois la personne qui habite au numéro 16 qui ‘bougeait les poubelles et renversait’ (sic), la seconde attestant avoir constaté, à plusieurs reprises, des poubelles renversées à côté du logement n° 17.

Mme [M] répond à un grief tiré du ‘renversement des poubelles’ expliquant que les consorts [O] se sont appropriés son espace poubelle en y installant un bac pour plantes vertes, et qu’ils couchaient leurs propres poubelles au sol pour empêcher Mme [M] de manipuler les siennes.

En l’espèce, les attestations produites (pièces n° 11 et 12) relatent des faits qui ne sont pas datés et qui ne permettent pas d’imputer explicitement des actes d’incivilité à Mme [M] ou aux occupants de son chef. De même, la copie d’un mail envoyé au bailleur, assorti de photographies (pièce n° 4) ne constitue pas un élément probant quant à la réalité du trouble mentionné.

Sur les nuisances olfactives

M. et Mme [O] attribuent à leur voisine des nuisances résultant d’un usage immodéré de tabac, de substances interdites et de la culture de plants de cannabis à son domicile, dont les effluves désagréables les incommodent fortement au point de leur causer des troubles du sommeil et d’amplifier les problèmes de santé de M. [O].

Mme [M] réplique qu’elle n’a jamais cultivé ou disposé de plants de cannabis à son domicile et conteste la valeur probante des éléments de preuve produits par ses contradicteurs.

En l’espèce, les intimés affirment dans leurs écritures que Mme [M] et sa fille ont entrepris la culture de plants de cannabis ‘dès leur arrivée dans la résidence’, soit en août 2018.

Toutefois, la tentative de conciliation, datée du 28 novembre 2018, avait uniquement pour objet un trouble de voisinage provoqué, selon les demandeurs, par ‘un usage immodéré de tabac ou d’autres substances’ (pièce n° 7 du dossier de l’intimé). Le courrier adressé par l’assistance protection juridique de M. et Mme [O] à Mme [M] le 11 décembre 2018 fait lui état de nuisances sonores (pièce n° 8).

Ainsi, il n’est produit aucune pièce démontrant que M. et Mme [O] se sont plaints de nuisances causées par de prétendus plants de cannabis avant 2019, les intimés versent à leur dossier les attestations établies les 22 février et 8 mars 2019 par Mme [W], une voisine résidant au n° 7 (pièce n° 11) et M. [G] (pièce n° 14), qui ne vit pas dans le lotissement, dans lesquelles ces derniers prétendent avoir eux-mêmes constaté l’existence de ces odeurs dès les mois d’août et septembre 2018, pour la première jusqu’à son domicile de l’autre côté de la rue, pour le second au domicile de M. et Mme [O] à l’occasion de visites.

Par la suite, M. et Mme [O] ont fait constater par huissier des nuisances olfactives. Me [D], sollicité à cette fin, explique dans son procès-verbal du 9 juillet 2019 (pièce n° 15) avoir constaté ce jour-là, au domicile des requérants, une odeur pestilentielle dans l’ensemble des pièces de la maison et noté depuis leur terrasse ‘l’existence de plantation de cannabis au sein de la terrasse du n° 16 ‘. Il n’est précisé ni le nombre de pieds, ni leur taille, ni l’implantation des plants. En outre, le procès-verbal n’est assorti d’aucune photographie, alors que l’huissier de justice pouvait en réaliser afin d’illustrer ses constations visuelles. Dans un nouveau procès-verbal de constat établi le 17 juillet 2019 (pièce n° 16), Me [D] constate la même odeur, en précisant qu’elle émane de la maison mitoyenne du n° 16, sans toutefois faire état de plants de cannabis.

Surtout, il doit être constaté que tant les constatations d’huissier que les deux témoignages précités ne donnent aucune explication sur la nature de l’odeur relevée. Mieux, la cour relève qu’aucun élément ne permet de justifier en quoi l’odeur relevée émanerait de l’habitation de l’appelante, les témoins ne faisant que l’affirmer sans expliquer cet état de fait, contredit par certains voisins, de même que le procès-verbal de l’officier ministériel procède par affirmation, alors que le constatant ne s’est pas déplacé autour du domicile de Mme [M] pour confirmer que les odeurs provenaient nécessairement de ce logement.

Quant aux pièces de nature médicale produites qu’ils produisent, elles n’établissent aucune aggravation de l’état de santé de M. [O] susceptible d’être causée par des effluves de plants de cannabis, et la mention d’une incompatibilité de l’état de santé de M. et Mme [O] avec la présence de telles plantes aux abords de leur domicile apparaît pour la première fois dans un certificat médical établi le 15 juillet 2019, sur leurs déclarations, entre les deux passages de l’huissier (pièce n° 19).

En contrepoint, Mme [M] produit des photographies de la configuration des lieux (pièces n° 15) qui donnent à observer une série de jardinets en enfilade à l’arrière de deux ensembles immobiliers se faisant face. Il en résulte que la seule constatation d’odeurs dans la maison de M. et Mme [O] ne permet pas, compte tenu du nombre de jardins et de logements environnants, d’en attribuer l’origine à Mme [M].

En outre, l’appelante produit les attestations positives de plusieurs résidents. M. [F] qui réside au n° [Adresse 4] déclare qu’en tant que voisin ‘en vis-à-vis’ de Mme [M] il n’a jamais été incommodé par des nuisances olfactives provenant du logement de cette dernière (pièce n° 10). De même, M et Mme [S], qui résident au n° 8 attestent n’avoir jamais constaté d’odeurs venant du domicile de Mme [M], laquelle habite en face de chez eux (pièce n° 26 et 27).

Enfin, Mme [M] verse à son dossier un procès-verbal de constat de Me [L], huissier de justice, qui ne pouvait être établi que postérieurement à l’assignation reçue par Mme [M] dans laquelle elle a découvert les faits qui lui sont reprochés. Dans son procès-verbal du 19 septembre 2019, l’huissier constate ‘qu’il n’y a, dans aucune des pièces aucune plantation illicite quelconque, notamment de cannabis, qu’il n’y a aucune odeur particulière de produit stupéfiant ni même de traces de fumées qui auraient jauni les plafonds et les peintures’. Dans le jardin, il n’est constaté ‘aucune trace de plantation illicite’ et ‘la terre n’a pas été fraîchement retournée’, ce que les photographies contenues dans le procès-verbal viennent confirmer (pièce n° 9).

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour estime qu’il n’est pas rapporté la preuve de nuisances olfactives imputables à Mme [M] ou aux personnes qu’elle héberge, ni aucun autre élément probant quant à l’existence de nuisances d’un autre type à l’origine d’un trouble anormal de voisinage.

Pour ces motifs, le jugement entrepris sera infirmé et M. et Mme [O] seront déboutés de l’intégralité de leurs demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Mme [M] fait valoir que l’action intentée par M. et Mme [O] sur la base d’allégations infondées lui vaut des menaces de poursuite de la part de son bailleur et pèse sur son état de santé.

Elle produit un certificat médical du Dr [H], médecin généraliste, indiquant qu’elle est très affectée sur le plan psychologique, très anxieuse quant à la plainte et de ses voisins, extrêmement perturbée, qu’elle présente des insomnies et une asthénie certaine (pièce n° 19).

Toutefois, M. et Mme [O] n’ont pas introduit d’action en justice sans disposer d’aucune preuve à faire valoir, et la légitimité de leur action a été reconnue par la juridiction du premier degré.

Par conséquent, malgré l’infirmation de la décision dont appel, et en l’absence de circonstances particulières, le droit d’agir de M. et Mme [O] n’a pas dégénéré en abus.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. et Mme [O] succombant, ils seront condamnés aux dépens de l’instance, en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Dans ces conditions il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [M] les frais irrépétibles et non compris dans les dépens que cette dernière a été contrainte d’exposer pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de la présente procédure.

Il y a lieu, par conséquent, de condamner M. et Mme [O] à lui régler la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Infirme le jugement rendu le 23 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux sauf en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Déboute M. et Mme [O] de l’ensemble de leurs demandes,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [V] [O] et Mme [K] [O] à régler à Mme [E] [M] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum M. [V] [O] et Mme [K] [O] aux dépens d’appel,

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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