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AFFAIRE : N° RG 19/02260
N° Portalis DBVC-V-B7D-GMAR
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 26 Juin 2019 – RG n° 15/00144
COUR D’APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
APPELANT :
Monsieur [S] [K]
[Adresse 7]
Comparant en personne, assisté de Me QUINQUIS, substitué par Me MERIGOT, de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
INTIMEES :
S.A.S. [6]
[Adresse 4]
Représentée par Me Emmanuel LEBAR, subsitué par Me M’PANINGANI, avocats au barreau de COUTANCES
CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE
[Adresse 8]
Représentée par Mme [T], mandatée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Président de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l’audience publique du 06 avril 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 15 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l’appel régulièrement interjeté par M. [K] d’un jugement rendu le 26 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Coutances dans un litige l’opposant à la société [6] en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de la Manche.
FAITS et PROCEDURE
M. [K] a été engagé par la société [6] (‘la société’) par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1977 en qualité d’agent de production.
Il a complété une déclaration de maladie professionnelle le 20 août 2007 mentionnant ‘épicondylite coude gauche, tendinite épaule droite et gauche’, sur la base d’un certificat médical du 3 août 2007.
La caisse primaire d’assurance maladie de la Manche ( la caisse ) a pris en charge la maladie, inscrite au tableau 57 ‘épaule douloureuse’ au titre de la législation relative aux risques professionnels par décision du 25 février 2008.
Son taux d’incapacité permanente partielle (IPP) a été fixé à 20 % et une rente lui a été attribuée à compter du 1er juin 2013.
Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 11 octobre 2013.
Suite à rechute consolidée le 30 septembre 2015, son taux d’IPP a été fixé à 30 % à compter du 1er octobre 2015.
Après avoir saisi la caisse d’une tentative de conciliation, M. [K] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche le 28 février 2015 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement du 26 juin 2019, le tribunal de grande instance de Coutances, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a :
– déclaré recevable l’action en recherche de la faute inexcusable de la société engagée par M. [K],
– rejeté les fins de non-recevoir tirées de la prescription, du désistement et de la nullité de l’acte de saisine,
– débouté M. [K] de sa demande principale de reconnaissance d’une faute inexcusable commise par la société,
– débouté M. [K] de ses demandes accessoires,
– débouté la société et M. [K] de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire,
– laissé les dépens à la charge de M. [K].
M. [K] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 juillet 2019.
Par conclusions déposées le 20 février 2023, soutenues oralement par son conseil, M. [K] demande à la cour de :
– rejeter les exceptions et fins de non-recevoir invoquées par la société et la caisse,
– juger qu’une inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [K] ne saurait avoir d’incidence sur ses droits acquis tels qu’ils résultent du livre IV du code de sécurité sociale,
– juger que la maladie professionnelle dont est atteint M. [K] est due à une faute inexcusable de son ancien employeur, la société,
En conséquence,
– fixer au maximum la majoration de la rente prévue par la loi,
– dire que la majoration maximum de la rente suivra automatiquement l’augmentation du taux d’IPP en cas d’aggravation de l’état de santé de M. [K],
– fixer la réparation des préjudices subis par M. [K] comme suit :
– préjudice de souffrances physiques 20 000 euros
– préjudice de souffrances morales 15 000 euros
– préjudice d’agrément 10 000 euros
– juger qu’en vertu des dispositions de l’article 1153-1 du code civil, l’ensemble des sommes dues ci-dessus portera intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir,
– condamner la société au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir en application de l’article 1153-1 du code civil.
Par écritures déposées le 28 octobre 2022, soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour de :
Au principal,
Sur les fins de non- revevoir :
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
– déclaré recevable l’action en recherche de la faute inexcusable de la société engagée par M. [K],
– rejeté les fins de non- recevoir tirées de la prescription, du désistement et de la nullité de l’acte de saisine,
– débouté la société de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuer à nouveau sur ces chefs :
– déclarer irrecevable l’action formulée par M. [K] en ce qu’il s’est désisté de son action, avoué l’absence de faute inexcusable et accessoirement qu’il ne justifie pas d’avoir adressé en lettre recommandée sa requête à la caisse et au tribunal,
– déclarer irrecevable l’action engagée par M. [K] en ce qu’il est forclos ayant agi au-delà du délai de deux ans prévu à l’article L.432-1 du code de sécurité sociale,
– dire que M. [K] est forclos.
Sur le fond, si la cour ne retenait pas les fins de non-recevoir,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– débouté M. [K] de sa demande principale de reconnaissance d’une faute inexcusable commise par la société,
– débouté M. [K] de ses demandes accessoires,
– débouté M. [K] de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge de M. [K].
En tout état de cause, statuer :
Au principal,
– débouter M. [K] de son action dans le cadre de la faute inexcusable,
– condamner M. [K] à verser à la société la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
– limiter la majoration de rente à la seule maladie professionnelle résultant de la douleur à l’épaule droite,
– limiter cette majoration à 20 % dans les rapports entre la caisse et l’employeur,
– débouter M. [K] de ses autres demandes en ce qu’il ne justifie d’aucun préjudice a fortiori lié à la maladie professionnelle litigieuse,
– dire que la reconnaissance de la maladie professionnelle de la caisse est inopposable à l’employeur,
– prononcer l’inopposabilité de la maladie professionnelle à l’employeur,
– dire que la caisse ne dispose pas d’action récursoire à l’encontre de la société,
– débouter la caisse de son action récursoire à l’encontre de la société,
A titre plus subsidiaire,
– limiter et minorer le quantum des condamnations à l’encontre de la société au strict préjudice démontré.
Par conclusions déposées le 10 octobre 2022, soutenues oralement par son représentant, la caisse demande à la cour de :
A titre principal,
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
A titre subsidiaire en cas d’infirmation du jugement,
– prendre acte qu’elle s’en rapporte sur le principe de reconnaissance d’une faute inexcusable
de l’employeur,
– réduire à de plus justes proportions le montant des préjudices subis,
– dire que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle dont a été victime M. [K] est opposable à son employeur,
– déclarer le jugement commun et opposable à l’employeur de M. [K],
– dire que dans le cadre de son action récursoire, la caisse récupérera l’intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l’avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extra patrimoniaux limitativement énumérés) auprès de l’employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue,
– dire que l’indemnisation des préjudices non limitativement énumérés est à la charge exclusive de l’employeur
– faire droit à l’action récursoire de la caisse
– délivrer le présent arrêt revêtu de la formule exécutoire.
Pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
I. Sur la recevabilité
A. Sur le désistement
L’article 394 du code de procédure civile dispose que le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance.
L’article 395 de ce code précise que :
Le désistement n’est parfait que par l’acceptation du défendeur.
Toutefois, l’acceptation n’est pas nécessaire si le défendeur n’a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.
Selon l’article L. 452-4 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, à défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie, d’en décider.
Il est constant que M. [K] a saisi la caisse d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable de la société, dont celle-ci a été informée par courrier en date du 14 juin 2013.
Le 8 juillet 2013, la caisse a adressé un courrier à la société pour lui indiquer que par lettre du 13 juin 2013, son employé, M. [K], avait renoncé à la mise en oeuvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à la suite de la maladie professionnelle du 3 août 2007.
M. [K] avait en effet écrit à la caisse une lettre datée du 13 juin 2013 dans lequel il indiquait :
‘Après réception du courrier en date du 11 juin 2013, je viens par ce présent courrier vous informer que je ne souhaite pas donner de suite à l’encontre de mon employeur. Je pense que si j’avais reçu l’article L.452-1 à 4 du code de sécurité sociale, je n’aurais jamais évoqué sa faute inexcusable.’
Il est constant que la tentative de conciliation devant la caisse n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité de l’instance.
En conséquence, la circonstance que M. [K] ait renoncé à poursuivre devant la caisse ne peut être analysée en un désistement d’instance, celle-ci n’ayant pas été créée par la saisine de la caisse.
Par ailleurs, il ne résulte pas du courrier précité du 13 juin 2013 que M. [K] avait une volonté certaine, expresse et non équivoque de renoncer à son action.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la de non-recevoir tirée du désistement.
B. Sur la prescription
Il résulte de la combinaison des articles L.431-2, L.461-1 et L.461-5 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable, que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par la législation sur les maladies professionnelles se prescrivent par deux ans à compter, soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
La société soutient que la cessation du paiement des indemnités journalières de sécurité sociale est intervenue le 16 juillet 2007, que la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie date du 28 février 2008, de sorte qu’il avait jusqu’au 28 février 2010 pour exercer son action.
M. [K] réplique que la date de cessation du paiement des indemnités journalières correspond à la date de consolidation, soit le 31 mai 2013 et qu’il a invoqué la reconnaissance de la faute inexcusable de la société par courrier du 25 octobre 2014, soit dans le délai de la prescription biennale.
La maladie déclarée le 20 août 2007 a été prise en charge au titre de la législation professionnelle par décision de la caisse en date du 25 février 2008.
Il n’est justifié à compter de cette date d’aucun paiement d’indemnités journalières, de sorte que c’est en procédant par affirmation que M. [K] indique que ce paiement aurait pris fin le 31 mai 2013.
Il ressort du dossier que la date du 31 mai 2013 correspond à la date de consolidation fixée par la caisse suite à une rechute du 14 décembre 2011.
M. [K] affirme n’avoir pris connaissance de la prise en charge de sa pathologie qu’à compter de la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception de la décision de versement de sa rente le 12 septembre 2013.
La caisse indique dans ses écritures qu’elle a adressé par correspondance du 25 février 2008 à M. [K] et à la société sa décision de prise en charge de la pathologie déclarée au titre de la législation professionnelle.
La caisse n’est pas en mesure de justifier de l’envoi de ce courrier à M. [K] puisque seuls les refus de prise en charge de maladie professionnelle faisaient l’objet d’une notification en lettre recommandée avec accusé de réception, par application des dispositions applicables à l’époque des faits.
Le délai de la prescription biennale n’a pu commencer à courir qu’à compter du jour où M. [K] a eu connaissance de la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle et a été mis en mesure d’agir en reconnaissance de la faute inexcusable.
Or, en l’espèce, il n’est pas établi qu’il ait eu cette connaissance avant le 12 septembre 2013. La caisse n’était pas dans l’obligation de procéder à une notification de la décision de reconnaissance par lettre recommandée avec accusé de réception, ou par tout autre moyen, la lettre simple étant admissible au regard des règles qui s’imposaient à elle.
Un courrier de la caisse du 6 février 2012 a été adressé à la société, mentionnant en référence : ‘MP 03 août 2007 – date rechute 14 décembre 2011″, et en objet ‘consultation du dossier avant décision sur la rechute du 14 décembre 2011″.
Ce courrier informait la société que l’instruction du dossier était terminée, et que préalablement à la prise de décision sur le caractère professionnel de la rechute de la maladie ‘épicondylite’ inscrite dans le ‘tableau n° 57 : affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail’ qui interviendra le 27 février 2012, elle avait la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier.
Pour autant, aucune pièce du dossier n’apporte la preuve que M. [K] aurait eu connaissance de la décision dont il est indiqué qu’elle devait intervenir le 27 février 2012, laquelle n’est d’ailleurs produite par aucune des parties. Force est en outre de constater que la caisse ne fait aucune mention dans ses écritures de cette procédure diligentée au titre d’une rechute du 14 décembre 2011.
La preuve n’est pas rapportée que M. [K] aurait eu connaissance avant le 12 septembre 2013 de la prise en charge par la caisse de sa pathologie, date à partir de laquelle il disposait de deux ans pour agir en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Il a engagé cette action par lettre recommandée, avec accusé de réception, du 25 octobre 2014, date à laquelle la prescription biennale n’était pas acquise. M. [K] ne peut donc se voir opposer le délai de prescription et l’irrecevabilité de sa demande.
La cour estime donc que les premiers juges, par des motifs pertinents qu’elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré recevable l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par M. [K], étant souligné qu’à hauteur de cour, la fin de non-recevoir tirée de la nullité de l’acte de saisine n’est plus soutenue.
II. Sur la faute inexcusable
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d’activité.
M. [K] fait valoir que la société devait avoir conscience du danger en raison de l’existence du tableau n° 57 depuis sa création le 2 novembre 1972 et en raison des alertes de son médecin généraliste.
Il estime que la société n’a respecté ni les obligations générales en matière de sécurité, ni les obligations spécifiques en matière de manutention de charges.
La société conteste ces allégations, soulignant avoir respecté les préconisations du médecin du travail et s’être assurée que le salarié disposait d’un poste adapté à son état de santé.
Ainsi que le rappelle à juste titre le salarié, les pathologies ‘affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail’ et la liste des travaux susceptibles de les provoquer ont été mentionnées au tableau n° 57 créé par décret du 2 novembre 1972. La version applicable pour la période de travail de M. [K] au sein de la société désignait la maladie comme suit ‘épaule douloureuse simple (tendinopathie de la coiffe des rotateurs)’.
Il en résulte que l’employeur avait ou aurait dû avoir une conscience générale du risque encouru par son salarié.
En revanche, et contrairement à ce que dernier affirme, il n’est pas établi que l’employeur aurait eu connaissance d’un risque particulier encouru par le salarié. En effet, le courrier produit, rédigé le 15 avril 2016 par M. [F], médecin généraliste de M. [K], fait état de tentatives du praticien pour alerter l’employeur par le biais de la médecine du travail.
Aucune pièce du dossier ne vient attester de la réalité de ces tentatives d’alerte, ni par conséquent que l’employeur aurait pu en être informé. Il convient en outre de souligner que le médecin généraliste de M. [K] n’a pas constaté personnellement les conditions de travail de celui-ci et qu’il pouvait donc seulement rapporter ses propos.
Il doit en être retenu que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par M. [K] du fait de la réalisation des tâches qui lui étaient attribuées par son contrat de travail, et visées au tableau n° 57 des maladies professionnelles dans sa version applicable.
M. [K] explique avoir été employé par la société du 1er septembre 1977 au 12 octobre 2013 en qualité d’agent de production, précisant avoir été assigné, entre les années 2000 à 2009, au poste de débit de panneaux pour lequel il devait manutentionner de grands panneaux très lourds, d’environ 120 kg pour une dimension de 1,20 mètre sur 1,60 mètre.
Il ajoute que de 2009 à 2013, il a travaillé à l’établi, poste pour lequel il réalisait également de la manutention.
Il produit trois attestations, pour justifier que ses conditions de travail n’étaient pas adaptées à la pathologie dont il souffrait.
M. [E], collègue de M. [K] du 17 septembre 2007 au 10 juin 2016, écrit que ‘M. [K] a travaillé sur des postes à port de charges lourdes pendant plusieurs années ‘débit panneaux’ environ 120 kg le panneau, machine à cadence et à gestes répétitifs. Ensuite il s’est retrouvé à l’établi qui n’était pas mieux car toujours du port de charges et des gestes répétitifs malgré son handicap reconnu dans l’entreprise’.
M. [Z], collègue de M. [K] du 1er mars 1976 au 31 août 2013, écrit : ‘le poste que M. [K] occupé a été au débit de panneaux [illisible] les plaques était très lourde et contenu de sa taille et les méthodes à cette époque été très pénible.
Sur un autre poste mettre des pièces de panneaux à une machine répétitives a journée entière les articulations on souffers. Autre poste dans les derniers années au débit de panneaux avec beaucoup de manutention et de dépilage avec un chariot élévateur ce poste n’était pas adapter vu les problèmes de M. [K].’
M. [Y] écrit : ‘je reconnais que M. [K] à travailler sur des postes répétitifs est qu’il na jamais eu de poste aménager. On lui a donner un poste a charge lourde il devais porter des panneaux très lourds’.
Il produit également un courrier de son médecin généraliste, M. [F], en date du 15 février 2008, adressé au docteur [R], et au docteur [H] (rhumatologue). Selon les termes de ce courrier, il évoque M. [R] comme ‘le docteur [R] de la sécu’.
Ainsi d’une part, ce courrier n’a jamais été porté à la connaissance de l’employeur, d’autre part, ses développements quant aux conditions de travail de M. [K] ressortaient nécessairement des déclarations de ce dernier, le médecin généraliste n’ayant pu les constater personnellement.
La société produit des attestations de plusieurs salariés, et notamment celles de :
– M. [I], salarié de la société depuis 1986, qui écrit avoir travaillé avec M. [K] pendant environ un an, précisant ‘on ne portait pas de charge très lourde seul, ‘si la charge était important nous étions 2 salariés.
[…]
J’ai ensuite été affecté à l’agencement nautique en tant que responsable en 2009. M. [K] est arrivé dans mon service suite à des problèmes de santé. Il a eu un poste aménagé à l’agencement nautique. Il travaillait au montage de petits meubles pour ne pas porter de charge lourde. Il a été souvent absent pour arrêt de travail maladie’.
– M. [O], salarié de la société depuis le 24 mars 1998. Il indique que les manipulations des panneaux s’effectuaient à deux personnes ‘pour le poids des pièces’.
Il ajoute ‘en 2000, la société a acheté une scie Giben (Holzma aujourd’hui). Sur ce poste, les panneaux sont découpés en pièces comme sur la scie verticale, mais il y avait moins de manipulations lourdes, grâce au manipulateur et à la position de la scie (à plat). Je vais utiliser un chariot et un appareil de levage à ventouse pour mettre les panneaux à plat sur tapis à coussins d’air. De ce fait, une seule personne suffisait à cette opération.’
[…]
Depuis 2009, je suis passé sur un poste au niveau de l’agencement terrestre et nautique.
M. [K] a également travaillé sur ce poste avec un aménagement suite à ses nombreux arrêts de travail’.
La société produit deux séries de photographies.
La première représente des salariés manipulant à deux les panneaux, dont la taille interdit en tout état de cause qu’ils soient déplacés par une personne seule (série intitulée ‘ancien poste débit panneaux’).
La seconde série de photographies, intitulée ‘nouveau poste débit panneaux, représentant la machine à débit à plat sur tables horizontales, la manutention avec chariot élévateur motorisé, et le travail de découpe à deux personnes en horaire normal’.
Ces photographies, qui ne sont pas datées, ne permettent pas de s’assurer que l’employeur avait pris les mesures nécessaires pour éviter les risques particuliers afférents au poste de M. [K].
En outre, il résulte des dispositions des articles R.4541-3 et suivants du code de travail que :
– l’employeur prend les mesures d’organisation appropriées ou utilise les moyens appropriés, et notamment les équipements mécaniques, afin d’éviter le recours à la manutention manuelle de charges par les travailleurs
– lorsque la nécessité d’une manutention manuelle de charges ne peut être évitée, l’employeur prend les mesures d’organisation appropriées ou met à la disposition des travailleurs les moyens adaptés, si nécessaire en combinant leurs effets, de façon à limiter l’effort physique et à réduire le risque encouru lors de cette opération
– lorsque la manutention manuelle ne peut pas être évitée, l’employeur :
1° évalue les risques que font encourir les opérations de manutention pour la santé et la sécurité des travailleurs
2° organise les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en oeuvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible
– l’employeur veille à ce que les travailleurs reçoivent des indications estimatives et, chaque fois que possible, des informations précises sur le poids de la charge et sur la position de son centre de gravité ou de son côté le plus lourd lorsque la charge est placée de façon excentrée dans un emballage
– l’employeur fait bénéficier les travailleurs dont l’activité comporte des manutentions manuelles :
1° d’une information sur les risques qu’ils encourent lorsque les activités ne sont pas exécutées d’une manière techniquement correcte, en tenant compte des facteurs individuels de risque définis par l’arrêté prévu à l’article R. 4541-6 ;
2° d’une formation adéquate à la sécurité relative à l’exécution de ces opérations. Au cours de cette formation, essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles.
Or, force est de constater qu’en l’espèce l’employeur ne verse aux débats aucun document unique d’évaluation des risques, lequel doit être mis à jour au moins une fois par an, ni ne justifie de consignes de sécurité ou des démarches accomplies au bénéfice de ses salariés afin de se conformer aux prescriptions susvisées pour limiter autant que faire se peut la manutention manuelle de ceux ci.
Il n’est pas davantage invoqué par l’employeur l’existence de supports d’informations et a fortiori de formations à l’attention de ses salariés afin de favoriser la prise de conscience des risques attachés au poste.
La société ne peut se retrancher derrière la circonstance qu’elle a affecté M. [K] sur un poste aménagé à compter de 2009 pour s’exonérer de l’absence de toute mesure pour la période antérieure, alors même que la déclaration de maladie professionnelle a été complétée en 2007 et qu’il lui appartenait de mettre en oeuvre les mesures utiles dès l’embauche du salarié.
De surcroît, si l’employeur a effectivement affecté le salarié sur un poste aménagé à partir de 2009, il s’est abstenu, comme pour la période précédente, de toute information et de toute consigne de sécurité.
La société ne peut pas plus exciper des deux avis d’aptitude, avec restrictions, délivrés en 2010 par le médecin du travail postérieurement à la déclaration de maladie professionnelle de 2007 et aux arrêts de travail du salarié. Les avis d’aptitude n’apportent en effet pas la preuve que l’employeur aurait pris des mesures de nature à protéger le salarié des risques encourus.
Le même constat doit s’appliquer à l’avis du CHSCT qui est intervenu au moment de la procédure de licenciement de M. [K] en 2013.
Il résulte à suffisance des développements qui précèdent qu’alors qu’il avait conscience du risque auquel était exposé M. [K], l’employeur s’est abstenu de prendre les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Dans ces conditions, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et de dire que la maladie professionnelle de M. [K] est la conséquence de la faute inexcusable de la société.
Il y a lieu en outre d’ordonner une mesure d’expertise et de désigner un médecin expert pour ce faire avec mission précisée au dispositif du présent arrêt.
Les frais de l’expertise ordonnée en vue de l’évaluation des chefs de préjudice subis par la victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur seront avancés par la caisse qui en récupérera le montant auprès de celui-ci.
Sur l’opposabilité à l’employeur de la reconnaissance du caractère professionnelle de la maladie
La société émet toutes réserves sur le respect par la caisse de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 20 août 2007.
Il suffit cependant, pour faire droit à l’action récursoire de la caisse, de rappeler les dispositions de l’article L.452-3-1 du code de sécurité sociale selon lesquelles :
Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3.
– Sur la majoration de rente
Conformément aux dispositions des articles L 411-1, L 431-1, L 452-2 et L 453-1 du code de la sécurité sociale, la majoration de rente ou de capital prévue lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l’employeur, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, ne peut être réduite que lorsque le salarié victime a lui-même commis une faute inexcusable au sens de l’article L 453-1 du même code, c’est à dire une faute d’une exceptionnelle gravité exposant son auteur à un danger dont il aurait du avoir conscience.
Dès lors qu’il n’est pas établi que M. [K] aurait commis une telle faute, la majoration de rente doit être fixée au maximum.
Il résulte des termes de l’article L 452-2 alinéas 2 et 3 du code de la sécurité sociale, que la majoration de rente ou du capital alloué à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle consécutifs à la faute inexcusable de son employeur est calculée en fonction de la réduction de capacité dont celle-ci reste atteinte, de sorte que cette majoration doit suivre l’évolution du taux d’incapacité de la victime.
La société soutient que le taux d’incapacité fixé à 20 % couvre deux maladies professionnelles et que la majoration de rente ne saurait donc être accordée à M. [K] à ce taux.
Elle ajoute que la majoration de rente opposable à la société ne pourrait être que celle fixée à 20 % et non celle de 30 %.
Il est acquis qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, l’indemnisation complémentaire à laquelle la victime a droit en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, s’étend aux conséquences d’une rechute de l’accident du travail initial.
Il résulte du dossier que le taux d’IPP de 20 % a été fixé à compter du 1er juin 2013 suite à une rechute de la maladie professionnelle déclarée le 20 août 2007. Il en est de même du taux d’IPP de 30 % fixé à partir du 1er octobre 2015. Les deux notifications de rente portent la même référence, 07280376, qui est la référence de la décision de prise en charge de la caisse du 25 février 2008 de la maladie déclarée le 20 août 2007.
Il n’est par ailleurs pas établi, au vu des pièces du dossier, que le taux de 30 % ait fait l’objet d’une contestation de la société.
En conséquence, il convient de dire que l’indemnisation complémentaire à laquelle M. [K] a droit en application de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale s’étend aux conséquences de la rechute de l’accident initial et que la majoration de rente suivra automatiquement l’augmentation du taux d’IPP en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime.
Cette majoration sera versée directement à la victime par la caisse qui en récupérera le montant, auprès de l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L 452 – 2 alinéa 6 du code de la sécurité sociale.
Il convient également de dire que la caisse fera l’avance des sommes allouées à la victime et bénéficiera de l’action récursoire à l’encontre de la société pour les sommes dont elles est tenue de faire l’avance, en ce compris les frais d’expertise.
Compte tenu de l’expertise ordonnée par le présent arrêt, il convient de surseoir à statuer sur les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– déclaré recevable l’action en recherche de la faute inexcusable de la société engagée par M. [K],
– rejeté les fins de non- recevoir tirées de la prescription, du désistement et de la nullité de l’acte de saisine,
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [K] le 20 août 2007 est due à la faute inexcusable de la société [6] ;
Ordonne la majoration maximale de la rente servie par l’organisme de sécurité sociale de M. [K] ;
Dit que l’indemnisation complémentaire à laquelle M. [K] a droit en application de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale s’étend aux conséquences de la rechute de l’accident initial
Dit que la majoration de la rente suivra l’augmentation du taux d’incapacité permanente partielle résultant de l’aggravation de l’état de santé de la victime ;
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Manche fera l’avance des sommes allouées à la victime et bénéficiera de l’action récursoire à l’encontre de la société [6] pour les sommes dont elles est tenue de faire l’avance, en ce compris les frais d’expertise ;
Avant-dire-droit sur l’indemnisation des préjudices de M. [K] :
Ordonne une expertise médicale, et désigne pour y procéder M. [G] [P],
[Adresse 3]
Tél. [XXXXXXXX01] Fax [XXXXXXXX02] Mél. [Courriel 5]
avec pour mission de :
– convoquer toutes les parties en cause qui pourront se faire assister ou représenter par un médecin de leur choix, se faire remettre les documents nécessaires à la réalisation de sa mission,
– donner tous éléments d’observation relatifs à la détermination des préjudices de M. [K] :
– au titre des préjudices suivants : préjudice moral (impact psychologique lié à la pathologie), physique (douleurs physiques), et d’agrément (retentissement sur une activité sportive ou de loisir) en les évaluant sur une échelle de un à sept,
– de manière générale, fournir tout renseignement technique utile à la résolution du litige,
Dit que l’expert pourra s’adjoindre tout sapiteur de son choix ;
Dit qu’en cas d’empêchement de l’expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;
Dit que l’expert devra établir un pré-rapport qu’il adressera aux parties ;
Dit que l’expert devra déposer son rapport au greffe de la cour et l’adresser aux parties dans un délai de cinq mois à compter de l’acceptation de sa mission ;
Ordonne la consignation au greffe de la cour par la caisse primaire d’assurance maladie de la Manche d’une provision de 1 500 euros à valoir sur les honoraires de l’expert, somme qui devra être versée dans le mois de la notification du présent arrêt ;
Dit que faute de consignation avant cette date, il sera fait application des dispositions de l’article 271 du code de procédure civile ;
Renvoie l’affaire à l’audience du jeudi 25 Janvier 2024 à 9 heures, Cour d’appel de Caen, Place Gambetta, 3ème étage, Salle Malesherbes
Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation régulière des parties devant la cour ;
Réserve les dépens et la demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX