Tentative de conciliation : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03247

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Tentative de conciliation : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/03247
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89B

5e Chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 SEPTEMBRE 2023

N° RG 22/03247 –

N° Portalis

DBV3-V-B7G-VPRR

AFFAIRE :

CPAM DES YVELINES

C/

[M] [E]

CPAM DES YVELINES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juillet 2022 par le Pole social du TJ de VERSAILLES

N° RG : 21/00477

Copies exécutoires délivrées à :

la SELARL [5]

Me Valérie

[S]

Me Mylène BARRERE

Copies certifiées conformes délivrées à :

CPAM DES YVELINES

[M] [E]

CPAM DES YVELINES

TJ Versailles

Dr [Y]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

CPAM DES YVELINES

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Rozenn GUILLOUZO de la SELARL DBC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0180 substituée par Me Rania SEFRAOUI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0180

APPELANTE

****************

Monsieur [M] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Valérie SCHMIERER-LEBRUN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 164

INTIME

****************

CPAM DES YVELINES

Département juridique

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2104

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Juin 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Juliette DUPONT,

EXPOSÉ DU LITIGE :

Salarié de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines (l’employeur), en charge des dossiers contentieux devant les juridictions, M. [M] [E] (la victime) a, le 6 août 2018, déclaré une dépression sévère que la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines (la caisse) a prise en charge, le 29 mai 2019, après avis favorable d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Après échec de la tentative de conciliation, la victime a, le 23 avril 2021, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 29 juillet 2022, ce tribunal a :

– dit que la maladie professionnelle déclarée par la victime est due à la faute inexcusable de son employeur ;

– fixé au maximum la majoration de rente allouée à la victime ;

– dit que la réparation des préjudices, y compris la majoration de rente, sera versée directement à la victime par la caisse ;

– condamné l’employeur à verser à la victime la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

– avant dire droit sur la liquidation des préjudices de la victime, ordonné une expertise judiciaire et dit que la caisse procédera à l’avance des frais d’expertise ;

– réservé les dépens.

L’employeur a relevé appel de cette décision.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 29 juin 2023.

Les parties ont comparu, assistées ou représentées par leur avocat.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, l’employeur sollicite l’infirmation du jugement entrepris. Il conclut au rejet des prétentions adverses, la victime n’apportant pas la preuve qui lui incombe de l’existence d’une faute inexcusable. A titre subsidiaire, il demande à ce que l’expertise médicale ordonnée ait pour objet de déterminer le quantum des seuls préjudices listés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale en lien direct avec la maladie professionnelle déclarée, soit un état dépressif, à l’exclusion de toute autre pathologie.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l’audience, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la victime demande la confirmation du jugement entrepris. Elle demande également à ce que la mission de l’expert soit complétée, comme les premiers juges l’avaient mentionné dans les motifs de leur décision, afin qu’il puisse se prononcer sur l’étendue des conséquences de l’état anxio-dépressif caractérisé et le lien de causalité entre le diabète dont elle souffre et la maladie professionnelle.

Sur suggestion de la cour formulée à l’audience, lors des débats, la victime demande également à ce que l’expert soit appelé à ce prononcer sur le déficit fonctionnel permanent.

La caisse s’en rapporte à justice sur le mérite de la demande formée par la victime et l’évaluation des préjudices subis. Elle sollicite également le bénéfice de son action récursoire à l’encontre de l’employeur, ce qu’elle n’avait pas demandé devant les premiers juges.

Il est renvoyé, pour le surplus de ses moyens et prétentions, à ses conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l’audience, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, la victime sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 4 500 euros. L’employeur sollicite l’octroi d’une indemnité de 2 500 euros.

A l’audience, à la demande de la cour, l’employeur précise qu’il ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie déclarée par la victime.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il sera rappelé, à titre préliminaire, que le caractère professionnel de la maladie déclarée par la victime n’est pas discuté. Le débat porte exclusivement sur les conditions, proprement dites, de la faute inexcusable.

***

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

En l’espèce, il est constant que la victime, titulaire d’une maîtrise en droit, exerçait ses fonctions au sein de la direction des affaires juridiques de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines. En sa qualité d’audiencier, elle gérait les dossiers du service contentieux, rédigeait les conclusions et soutenait les dossiers à l’audience devant les juridictions.

Il ressort des pièces du dossier que la réforme des pôles sociaux mise en oeuvre par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a généré tant pour les juridictions concernées que pour les caisses primaires d’assurance maladie une hausse sensible du volume de dossiers à traiter (pièce n° 40 produite par la victime). Il est notamment relevé que les tribunaux visés par cette réforme devant résorber leurs stocks, il en est résulté, pour les audienciers, une augmentation significative de leur charge de travail (pièces n° 40 et 28, p. 10, produites par la victime). Lors de l’enquête diligentée par la caisse, Mme [U], responsable adjointe du département des affaires juridiques, évalue cette augmentation à environ 43 % sur les années 2017/2018 (pièce n° 28, p. 9). Cette hausse de l’activité contentieuse, très marquée à la suite de la réforme des pôles sociaux, n’est pas récente puisque Mme [U] précise, chiffres à l’appui, qu’elle s’est avérée constante et régulière depuis 2014. Au demeurant, dès 2012, les syndicats avaient alerté l’employeur sur la surcharge de travail constatée au sein de la direction des affaires juridiques, au regard des effectifs de ce service (pièces n° 37 et 38).

L’employeur reconnaît qu’il était informé de la charge de travail importante qui pesait sur ses salariés et en particulier, sur la victime (conclusions p. 9, § 4). Celle-ci ne manquait pas, du reste, d’évoquer cette surcharge croissante lors de ses entretiens professionnels et l’impossibilité de remplir les objectifs fixés, ainsi que le confirme la lecture des comptes rendus de ces entretiens annuels. L’employeur ne pouvait ignorer que cette charge, déjà considérable, avait été alourdie ces dernières années, compte-tenu du nombre et de l’organisation des audiences. Entendue dans le cadre de l’enquête administrative, Mme [U] indique en effet que sur les exercices 2016-2017, les audiences sont passées de deux à trois sessions par semaine, avec un nombre plus élevé de dossiers fixés (50 dossiers par audience au lieu de 40, tous organismes confondus).

M. [W], exerçant les fonctions d’audiencier à la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, explique qu’au début de l’année 2018, plus de 2 500 affaires étaient enregistrées au sein du département des affaires juridiques (pièce n° 42 produite par la victime) et que l’accroissement des activités purement juridiques s’est accompagné d’une augmentation significative des tâches administratives.

Dans ces conditions, l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience des risques psychosociaux inhérents à la surcharge de travail, en progression constante, constatée au sein du service contentieux dans lequel la victime était employée. Ces risques étaient d’autant plus prégnants que la victime était décrite comme une personne extrêmement sérieuse, très compétente et consciencieuse (attestation de M. [W]).

Il importe peu, à cet égard, qu’elle n’ait pas avisé son employeur du risque ainsi encouru. En effet, si le signalement du risque par le travailleur victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (ou par un représentant du comité d’hygiène et de sécurité, auquel a succédé le comité social et économique) permet de faire présumer l’existence d’une faute inexcusable, en application de l’article L. 4131-4 du code du travail, il n’apparaît pas comme une condition de la faute inexcusable de droit commun.

De même, il importe peu que la victime n’ait pas alerté son employeur d’une « éventuelle problématique psychologique personnelle » pour reprendre les mots de ce dernier (p. 9, § 2, des conclusions de l’employeur), ni qu’aucun cas de souffrance au travail n’ait été spécifiquement porté à sa connaissance.

La conscience du danger s’appréciant in abstracto, il découle des développements qui précèdent que cette première condition est remplie.

Concernant les mesures de prévention que l’employeur était tenu mettre en oeuvre, celui-ci expose qu’il a sollicité le concours d’avocats, en vue de soulager les audienciers, qu’il a procédé à de nombreux recrutements et que le budget consacré à ce secteur a augmenté de façon constante entre 2012 et 2018.

Toutefois, il ressort de l’attestation de M. [W] que les mesures mises en place étaient manifestement insuffisantes à prévenir le danger auquel le salarié victime était exposé. M. [W] souligne en effet que le nombre de collaborateurs recrutés ne permettait pas d’absorber la charge de travail et que les jeunes collègues, pour la plupart inexpérimentés, engagés en vertu de contrats à durée déterminée de six mois, étaient en réalité formés durant le temps de leur embauche. Les alertes réitérées des syndicats, en 2012 mais aussi, le 25 janvier 2018 (pièce n° 40 produite par la victime), sur la persistance de la surcharge de travail pour les audienciers, témoignent de l’inefficacité des mesures mises en place. Comme l’ont justement relevé les premiers juges, les mesures instaurées par l’employeur, comme l’appel à un avocat pour assurer la défense de certains dossiers devant les tribunaux, apparaissent non seulement insuffisantes, mais encore trop tardives eu égard à l’ancienneté du risque. Enfin, les audienciers n’ont pas été accompagnés ni soutenus par leur hiérarchie, alors que les recours contentieux ne cessaient de s’amplifier et que les commissions de recours amiable ne parvenaient plus, de leur côté, à traiter correctement les dossiers dont elles étaient saisies (v. le témoignage de M. [W]). Mme [U] relate que les instructions données aux managers étaient que « les inspecteurs (doivent) s’adapter et redescendre de leur piédestal » (pièce n° 28, p. 8, produite par la victime), ce qui suffit à démontrer, eu égard au contexte, les carences de l’employeur dans la prévention des risques psychosociaux.

Il résulte de ces éléments que l’employeur, qui avait conscience du danger, n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié victime.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu l’existence d’une faute inexcusable imputable à l’employeur.

***

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf à le compléter sur les points suivants, conformément aux demandes des parties.

L’expert commis aura pour mission de se prononcer sur l’étendue des conséquences de l’état anxio-dépressif de M. [E] et en particulier, sur le lien éventuel de cette dépression avec le diabète dont souffre l’intéressé. Il devra également, en application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 janvier 2023 de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 20-23.673), donner son avis sur l’évaluation du déficit fonctionnel permanent, qui n’est pas réparé par la rente, et en fixer le taux.

En application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse pourra récupérer, auprès de l’employeur, le capital représentatif de la majoration de la rente, la réparation des préjudices susceptible d’être allouée à la victime ainsi que l’éventuelle avance qui sera effectuée au titre des frais d’expertise (le montant de cette avance n’ayant pas été précisé par le tribunal).

***

L’employeur, partie succombante, sera condamné aux dépens exposés en cause d’appel ainsi qu’au paiement de la somme de 2 500 euros au profit de la victime, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :

CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Dit qu’il appartiendra à l’expert commis :

– de se prononcer sur l’étendue des conséquences de l’état anxio-dépressif de M. [E] et en particulier, sur le lien éventuel de cette dépression avec le diabète dont souffre l’intéressé ;

– de donner son avis sur l’évaluation du déficit fonctionnel permanent ainsi que le taux y afférent ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, en sa qualité d’organisme de sécurité sociale, pourra récupérer auprès de la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, en sa qualité d’employeur, la majoration de la rente, selon les modalités prévues à l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, l’éventuelle avance accordée au titre des frais d’expertise ainsi que la réparation des préjudices qui sera allouée à M. [E] ;

Renvoie l’affaire et les parties devant le tribunal judiciaire de Versailles pour qu’il soit statué sur la liquidation des préjudices subis par M. [E], après dépôt de l’expertise judiciaire ;

Condamne la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, en sa qualité d’employeur, aux dépens exposés en cause d’appel ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, en sa qualité d’employeur, à payer à M. [E] la somme de 2 500 euros.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente, et par Madame Juliette DUPONT, Greffière, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

La GREFFIERE, La PRESIDENTE,

 


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